PROPOSITION XVIII. Tous les Musiciens du monde feront chanter vne mesme piece de Musique selon l'intention du Compositeur, c'est à dire au ton qu'il veut qu'elle se chante, pourueu qu'ils cognoissent la nature du son. Vne nouuelle maniere de marquer, & de battre la Mesure est icy expliquée. Cette proposition est l'vne des plus belles de la Musique Pratique, car si l'on enuoyoit vne piece de Musique de Paris à Constantinople, en Perse, à la Chine, ou autre part, encore que ceux qui entendent les notes, & qui sçauent la composition ordinaire, la puissent faire chanter en gardant la mesure, neantmoins ils ne peuuent sçauoir à quel ton chaque partie doit commencer, c'est à dire combien la premiere, ou les autres notes de la basse doiuent estre graues ou aiguës, d'autant que si les Chinois, par exemple, ont la voix plus graue & plus basse que les François, ils commenceront chaque partie plus bas que nous ne faisons, & s'ils l'ont plus aiguë ils commenceront plus haut. Ie sçay que l'on peut aduertir au commencement de la piece de Musique qu'elle doit estre chantée au ton de Chappelle, ou plus haut ou plus bas d'vn demy-ton, &c. Mais plusieurs ne sçauent que c'est que le ton de Chappelle, & il est trop difficile de transporter vn tuyau d'Orgue, ou quelqu'autre instrument, & bien qu'on l'enuoyast en telle façon qu'il ne perdist nullement sa forme, il parleroit plus haut ou plus bas selon le vent que l'on luy peut donner, & consequemment l'on n'auroit pas vne entiere certitude du graue & de l'aigu du son. Or le Compositeur donnera vn signe certain & vniuersel du ton, auquel il desire que l'on chante sa Musique, ou telle autre qu'il voudra, s'il met vis à vis de l'vne des notes de la Basse, ou des autres parties, le nombre des battemens de l'air qui fait le son ; par exemple s'il met 96 vis à vis de la premiere note de l'air du Sieur Boësset, dont i'ay parlé dans la Proposition precedente, tous ceux qui sçauront la nature du son, ou la maniere dont il se fait, chanteront la Musique proposée selon son intention, ou celle de quelqu'autre Compositeur, & chaque partie prendra le ton suiuant leur desir.
COROLLAIRE II Si l'on veut determiner le ton de la voix, auquel l'on veut que la note, ou la partie proposée se chante, il n'y a nul moyen plus general & plus asseuré que de donner vn nom propre à chaque ton, qui soit pris du nombre des battemens d'air qui font toutes sortes de tons, ou de sons. Par exemple, si l'on veut chanter l'air precedent du Sieur Boësset, & que l'on vueille commencer par la premiere note de la Basse, il faut dire qu'elle est au ton de 48, d'autant que la chorde qui fait ce son, tremble 48 fois dans le temps d'vne mesure, qui dure 1/60 de minute, c'est à dire dans vne seconde.
Et si ie voulois faire chanter ce vers hexametre François au mesme ton que ie le chante, lors que ie le commence à vn ton plus haut d'vne Tierce maieure que le plus bas ton de ma voix, & que ie voulusse que les Chinois le chantassent au mesme ton que moy, il suffiroit qu'ils cogneussent que le ton de la premiere note vaut 50, parce que la chorde qui est à l'vnisson de ce ton tremble 50 fois dans vne seconde ; c'est pourquoy 50 est le propre charactere, ou [p149] le propre nom de la premiere note de cet air : car il n'y a point de mesure si propre pour mesurer le graue & l'aigu des sons, que les nombres, par lesquels les Medecins peuuent remarquer le temperament ou la complexion des hommes aux differens tons de leurs voix, ou aux differens battemens de leur poux. L'on peut donc conclure de ce discours que le nombre des retours estant marqué vis à vis de chaque note, que tous les hommes du monde commenceront & chanteront la mesme piece de Musique au mesme ton, & que si tost qu'ils verront 50 à la marge du papier, dans lequel le vers precedent sera escrit, qu'ils le chanteront en mesme ton que moy. Où il faut remarquer que ces nombres de tremblemens peuuent seruir au lieu des notes, ou de la Tablature ordinaire des voix & des instrumens.
COROLLAIRE III Puis que i'ay monstré la maniere de chanter toute sorte de Musique au mesme ton que le Compositeur desire qu'elle soit chantée en tous les lieux du monde, il faut encore expliquer comme l'on peut garder la mesme mesure suiuant l'intention du mesme Compositeur, quoy qu'il soit mort ou absent. Ce qui est tres-aysé par le moyen d'vne chorde suspenduë, dont i'ay donné les vsages ailleurs, car il suffit que le Compositeur ou le Maistre de Musique marque la longueur de la chorde à la marge de la composition, dont chaque retour monstre le temps de la mesure. Par exemple, s'il veut que chaque mesure dure seulement vne seconde, il marquera 3 1/2 qui signifie que la chorde penduë à vn clou, & qui tient vn poids attaché à l'autre bout, fait chacune de ses allées, ou chaque retour dans vne seconde minute. Si l'on veut haster la mesure, & qu'elle ne dure qu'vne demie seconde, il faut accourcir la chorde en raison souz-doublée des temps ou des mesures, c'est à dire qu'il faut la faire 4 fois plus courte ; & si l'on veut qu'elle dure 2 secondes, il la faut faire de quatorze pieds ; si elle doit durer 3 secondes, elle aura 28 pieds 1/2, & pour 4 secondes, elle aura 52 pieds, &c. car les longueurs des chordes sont en raison doublée des temps. Or si tous les Musiciens du monde se communiquoient les differens temps de leurs mesures, & les tons de leurs compositions en cette maniere, ils sçauroient quels mouuemens sont propres pour donner du plaisir à toutes sortes d'hommes, dont ils pourroient sçauoir les inclinations : car 50, qui est à la marge du Chant du 2 Corollaire, signifie le ton, & 14 signifie le temps de la mesure.
COROLLAIRE IIII L'on peut encore marquer la mesure, selon laquelle on veut faire chanter la Musique, par les battemens ou les tremblemens des chordes, dont on vse pour representer le ton ; par exemple, si l'on veut que chaque mesure dure 1/30 de minute, c'est à dire 2 secondes, & que le ton de la premiere note soit 50, il faut seulement marquer 100 à costé de la Musique, pour signifier que la mesure [p150] dure cent tremblemens de la chorde : & si la mesure dure 3", il faut marquer 150.
COROLLAIRE V Or l'on peut faire seruir vne ligne droite pour faire entendre à toutes sortes d'hommes la longueur de la chorde qui marque les secondes minutes, car si l'on prend vne chorde ou vn filet, dont la longueur soit 14 fois aussi longue que la ligne A B, laquelle est esgale à la 4 partie d'vn pied de Roy, c'est à dire vne chorde de 3 pieds & demy, elle marquera iustement les mesures telles que l'on voudra. Mais puis que le Soleil fait les heures assez esgales, & que l'on peut les marquer aux Estoilles, & consequemment que tous les hommes du monde peuuent obseruer la longueur de la chorde, dont les tours sont esgaux à vne seconde, ou à telle autre partie de temps que l'on voudra, l'on peut vser de l'ombre ou des differentes hauteurs, & mouuemens du Soleil pour ce suiet, & pour signifier le ton qu'il faut prendre.
Or il faut remarquer que les plus grands nombres signifient les sons plus sourds ou plus graues, & les moindres les plus aigus : & qu'il est tres-facile de sçauoir quelles consonances ou dissonances font tous ces metaux les vns auec les autres, car puis que l'on void les nombres qui representent leurs sons, il faut seulement considerer la raison de ces nombres. Quant au iugement de l'oreille, la chorde d'or fait la Quinte forte auec la chorde de fer : auec lequel l'or meslé fait la Quinte foible. L'argent fait le ton maieur auec le fer, auec lequel le cuiure fait le semiton maieur : l'argent auec le cuiure fait le ton mineur. L'or fin fait la Quinte diminuée auec le cuiure, qui fait le Triton auec l'or meslé. Finalement l'or fin fait la Quarte iuste auec l'argent, & la diminuée auec l'or meslé : mais si l'on veut trouuer ces comparaisons plus iustement que par l'oreille, il se faut seruir des nombres qui ont tous esté marquez par le moyen de l'vnisson ; ce que les Practiciens comprendront plus aysément par les notes qui suiuent, & qui monstrent le son de chaque chorde du metal, dont le nom est dessouz.
Il ne faut pas aussi oublier de mettre des morceaux de drap sur les endroits des marches, sur lesquels les sautereaux portent & battent, afin qu'ils ne fassent point de bruit, mais il faut seulement les coller par les deux bouts, afin qu'ils soient plus mols & plus doux au milieu qui touche les sautereaux. Cecy estant fait on remet le clauier en sa place, & puis on emplume les languettes, & l'on coupe les sautereaux à mesure qu'on les fait parler : de sorte qu'il n'y a plus qu'à monter l'Epinette de bonnes chordes iaunes & blanches. Les iaunes sont pour la premiere Octaue, dont les 4 premieres doiuent estre de la troisiesme grosseur, (que les Facteurs appellent du numero trois) les suiuantes de la seconde, & les dernieres de la premiere : & celle des autres Octaues plus hautes doiuent estre des 3 autres grosseurs des blanches. Or cette Epinette de deux pieds & demy est à l'Octaue du ton de Chapelle : & celle que l'on faict de 3 pieds & 1/2 de long, de 17 poulces de large, & de 5 poulces de haut en œuure, est à la Quarte dudit ton de Chappelle, auquel descend celle de cinq pieds de long. Mais le sommier de ces plus grandes Epinettes n'est pas tout droit, car apres auoir costoyé l'ais du costé iusques à la moitié, il biaise & va trouuer la piece de derriere les tringlages 16 lignes plus bas que le bord d'enhaut. Ie laisse plusieurs choses qui sont si aysées dans la Practique, qu'on les comprend dans vn moment, par exemple, qu'il ne faut pas percer les trous des cheuilles, ou de la piece aux pointes auec vn vieil-brequin, parce que les [p159] trous ne tiennent pas les pointes & les cheuilles assez fort, mais auec vn poinçon mis dans le bois d'vn vieil brequin, afin que le bois des trous ne se mange point, & qu'il se presse tellement qu'il reuienne contre les cheuilles, à la maniere d'vn ressort, pour les tenir plus fermes.
Il y a encore plusieurs autres choses dans cette tablature [du Clauecin] qui doiuent estre considerées, & particulierement quantité de tremblemens, qui enrichissent la maniere de ioüer, & y apportent des charmes, qu'il est difficile de s'imaginer si l'on ne les a entendus : neantmoins l'on s'en peut figurer vne bonne partie par le discours que i'ay fait des tremblemens du Luth. Ie laisse plusieurs choses qui appartiennent à l'Epinette, par exemple que l'on en peut mettre deux ou trois sur vne mesme table ; qu'on les peut faire descendre aussi bas que les plus grosses pedales de l'Orgue : que la diuision du ton, ou de l'Octaue en douze demy-tons esgaux ne peut seruir à cet instrument, à raison que son accord depend de la seule tension des chordes, & se iuge par l'oreille, sans que la veuë ou le toucher y puissent remedier, si ce n'est que l'on suppose des chordes tres-esgales & inalterables, & que l'on vse de poids pour les tendre suiuant les proportions harmoniques dont i'ay parlé dans la tablature des sourds, qui monstre plustost la possibilité de cet effet que sa realité & son existence. Il y a semblablement plusieurs choses à considerer dans l'alteration que font les differentes impressions de l'air sur les chordes, & dans la diuersité des sons qui depend de la diuersité des mines dont on tire le cuiure & les autres metaux pour faire les chordes.
Or la perfection consiste particulierement à toucher de certains tons, & de certaines chordes si a propos que l'esprit de l'auditeur en soit charmé & rauy, & qu'il ne desire plus autre chose que d'aller au Ciel pour iouyr des plaisirs inexplicables que l'on a de voir Dieu tres-clairement, & pour ioindre l'harmonie de ses chants à celle des bien-heureux. Ce qu'il faut aussi entendre de tous les autres instrumens dont nous auons parlé, & dont nous ferons d'autres discours, car chacun a des graces si particulieres qu'il est difficile de sçauoir celuy que l'on doit preferer aux autres : quoy qu'il en soit ie donne icy la piece de Musique à 4 dont i'ay desia parlé, afin que l'on voye vne partie de ce que peut faire l'Epinette touchée des plus excellens Maistres ; elle peut semblablement estre ioüée sur la Harpe, puis qu'elle n'est qu'vne Epinette renuersée, c'est pourquoy ie ne donneray point d'exemple pour cet instrument ; & parce que le clauier de l'Orgue n'est pas different de celuy du Clauecin, il n'y a nul doute que les Organistes la peuuent toucher, quoy qu'il y ayt de certaines particularitez au toucher de l'Orgue qui ne sont pas à celuy de l'Epinette, comme ie diray dans vn liure particulier, dans lequel ie donneray vn autre exemple pour monstrer ce que peut faire l'Orgue, & ce qui luy est propre. Mais l'on ne peut apporter vne plus grande perfection à l'Epinette qu'en faisant durer ses sons autant que ceux de la Viole, ou de l'Orgue, & en rendant la diuision de son clauier, & de ses demy tons si iuste qu'elle responde à la Theorie.
Quant à la durée de ses sons, i'en ay desia parlé, & les Allemans font voir par experience que les Clauecins sont capables de faire ouyr d'excellens concerts de Violes par le moyen des roües qui suppleent les traits de l'archet : ce qui se peut faire en plusieurs manieres, mais la iustesse des interualles & des degrez du clauier depend d'vne bonne oreille, & de plusieurs choses qui y [p169] doiuent contribuer, par exemple de nouuelles marches, & feintes que l'on y doit adiouster, suiuant ce que i'ay remarqué dans le discours des clauiers ; les chordes doiuent aussi estre bien choisies, car il s'en rencontre de si fausses & de si mauuaises, que l'on ne les peut mettre d'accord. Or plusieurs croyent que les chordes d'Epinette montent plus haut auant que de rompre, lors qu'on les bande peu à peu, & qu'elles rompent plustost quand on les veut monter tout d'vn coup iusques à leur ton, mais il se rencontre des Practiciens qui experimentent le contraire : quoy qu'il en soit, il est certain qu'il y a plusieurs choses dans la Practique qui dependent de la dexterité, & de la bonne main des Maistres & des Facteurs.
Les deux autres rangs de chordes ne paroissent pas aussi entortillez aux 2 & 3. rang des cheuilles du clauier, afin d'euiter l'embarras & la confusion des chordes, dont il n'y a icy que deux rangées, à sçauoir les ordinaires des simples Harpes, dont chaque ton n'est pas diuisé en deux demy-tons, lesquelles sont entortillées au premier rang des cheuilles, par le bout β, qui est rond, & [p170] qui est percé d'vn petit trou, par lequel on passe la chorde, de peur qu'elle n'eschappe, comme l'on fait aux cheuilles du Luth, & des autres instrumens. Les quatre pans de bois qui sont entre E & H, monstrent la moitié du corps exterieur, sur lequel la table est posée, & consequemment signifient qu'il est composé de huict pans, quoy que l'on le puisse faire rond, ou de telle autre figure que l'on voudra. F & G monstrent les ouyes, qui sont faites en forme de treffle. Or il y a 29 chordes dans ce premier rang, lesquelles font 4 Octaues entieres, comme celles de l'Epinette ; de sorte que l'on peut dire que la Harpe est vne Epinette renuersée, à laquelle l'on peut accommoder vn clauier semblable à celuy du Clauecin, afin de la faire seruir d'Epinette, comme font quelques Italiens, qui la nomment Graue-cymbale, & d'imiter l'Epigone d'Ambraciotte, ou le Simice, dont Vincent Galilée donne les figures à la 40, & 41. pages de ses Dialogues de la Musique.
Quant aux pieces qui se ioüent sur la Harpe, elles ne sont point differentes de celles qui se iouent sur le Luth & sur l'Epinette, c'est pourquoy l'on peut icy repeter celles que i'ay mises cy-dessus. Mais ie donne encore vne autre figure d'vne simple Harpe, afin que l'on considere la façon des anciens Harpions qui donnent vn certain fremissement desagreable aux chordes, & les raisons de 23 interualles des 24 chordes qui font la Vingt-quatriesme ; car les nombres qui sont à la droite sur le corps les expliquent. L'on void aussi les noms que les Grecs ont donné à chaque chorde dans l'escriture qui est entre lesdites chordes : les characteres qui sont au haut des lignes ont esté pris de Porphyre & des autres Auteurs Grecs anciens : mais i'ay mis les lettres de nostre Eschele ordinaire sur les cheuilles, afin que l'on comprenne par cette seule figure comme Guy Aretin a accommodé les characteres de l'Alphabet Latin aux chordes des Grecs, dont les vnes estoient mobiles, à sçauoir toutes celles vis à vis desquelles ie n'ay pas mis la diction Grecque ἐϛως, qui signifie immobile, parce que les chordes qui ont cette diction demeuroient tousjours au mesme ton sur les instrumens, au lieu que toutes les autres pouuoient estre haussées ou baissées selon la difference des genres & de leurs especes.
Quant aux Musiciens de nostre siecle, ils alterent toutes les chordes en mettant des b mols en toutes sortes de clefs, quoy qu'ils retiennent quasi tousiours quelques tons inuariables, par exemple les chordes principales du mode qu'ils traitent, & qu'ils appellent Modales, comme i'ay dit ailleurs. D'où l'on peut conclure que cette Harpe peut seruir pour apprendre vne bonne partie de la Musique des Grecs, & de celle des Modernes. Ie laisse la Harpe antique grauée au bas de celle-cy, d'autant que i'en donne plusieurs autres figures beaucoup mieux faites dans la Proposition qui suit : mais l'on peut icy considerer les notes ou caracteres des nouueaux Grecs, auec leur interpretation que l'on void vis à vis, encore que nous n'en sçachions pas l'vsage & la vraye explication. I'adiouste encore que l'on fait les Harpes de telle grandeur que l'on veut, par exemple de quatre ou de cinq pieds ; & que le Luth a pardessus elle qu'il est plus portatif, mais en recompence l'on touche vn plus grand nombre de parties sur la Harpe que sur le Luth.
PROPOSITION XXIV [XXV]. Expliquer les figures antiques de la Harpe, & des autres instrumens des Grecs & des Romains. Pvis que plusieurs desirent sçauoir les coustumes de l'antiquité, ie ne veux pas obmettre les instrumens dont les Grecs, les Romains, & les Ægyptiens se sont seruis, si les marbres antiques d'Italie, & les medailles ne nous trompent, dont les figures qui suiuent ont esté prises, & m'ont esté enuoyées par Messieurs Gaffarel & Naudé, tous deux excellens Personnages. Or les trois premieres figures qui sont en bas, à sçauoir f d g, h i, & m n l o, & les deux d'en haut I K L, & M N O monstrent les differentes figures de leurs Cithares, ou Harpes, ou des instrumens qu'ils appelloient Testudo, Chelys, Phormynx, &c. e & m font voir le ventre & le dos de la Tortuë, ou le dessus & le dessouz de sa coquille, car l'on rapporte la premiere inuention de cet instrument à Mercure, lequel ayant vuidé la Tortuë en perça la coquille, la monta de chordes de boyau, & y adiousta les deux branches que l'on void dans nos figures, afin d'y attacher les chordes, au son desquelles il accorda sa voix, comme Homere remarque dans son hymne. Horace luy donne le nom de Lyre dans la 10 Ode de son premier liure : mais il est tres-difficile, & peut-estre impossible de sçauoir si leur Cithare, que quelques vns croyent estre la Guiterre, estoit differente de leur Lyre à sept ou à neuf chordes ; c'est pourquoy il suffit de lire ce qu'en rapporte Vigenere dans ses notes sur l'Amphion de Philostrate, où il met deux figures antiques, & où il donne vn sens Moral & Physique à toutes les parties de cet ancien instrument. Il faut seulement remarquer que le ton n'est pas consonance, comme il suppose pour trouuer son septenaire dans les consonances, car il est l'vne des dissonances de la Musique : il eust deu mettre l'vnisson, au lieu du ton ; ce qui n'empesche pas que nous ne soyons grandement redeuables à cet excellent homme, qui a enrichy nostre langue d'vn si grand nombre d'ouurages tirez de l'antiquité, & de plusieurs experiences qu'il donne. Ceux qui desirent sçauoir les notes de plusieurs instrumens & de leurs inuenteurs, peuuent lire le traité que Plutarque a fait de la Musique, Athenée, Pollux, & tous les Autheurs anciens, & attendre le traité particulier qu'en a fait le sieur Saumaise.
PROPOSITION XXV [XXVI]. Expliquer la figure, l'accord, l'estenduë, la Tablature, & l'vsage du Psalterion. Il est souuent parlé dans l'Escriture saincte de cet instrument, que les Hebrieux appellent נֵבֶל nebel, mais nous ne sçauons pas la forme qu'il leur donnoient, ny le nombre de ses chordes : car encore que le Decachorde precede le Psalterion, & qu'il semble qu'il luy serue d'epithete, neantmoins plusieurs croyent que ce sont deux instrumens differents. Quoy qu'il en soit, cette figure represente celuy dont on vse maintenant, sur lequel on met treize rangs de chordes, dont chacun à deux chordes à l'vnisson ou à l'Octaue, ausquelles on en pourroit adiouster d'autres à la Quinte, & à la Quinziesme pour augmenter l'harmonie. Sa figure triangulaire G H K C monstre vn triangle tronqué, lequel on peut faire equilateral ou isoscele, ou de telle autre maniere que l'on voudra. Les nombres qui vont en montant signifient les 13 rangs des chordes, qui en contiennent 26. Leur accord est marqué par les lettres de la Gamme, qui sont à main gauche, dont la premiere signifie le G re sol, qui est plus bas d'vne Quarte que la seconde lettre C, afin que le second G re sol ayt son Octaue en bas. Mais les autres lettres se suiuent par degrez conioints, & monstrent les sons & les interualles de chaque chorde, comme l'on void dans la table qui suit, laquelle monstre la iustesse de tous les degrez, & des interualles tant consonans que dissonans. [G re sol vt - quarte - C sol vt fa - ton mineur - D la re - ton maieur - E mi la - demy-ton maieur - F vt fa - ton maieur - G re sol - ton mineur - A mi la - demy-ton maieur - B fa - ton maieur - c sol vt fa - ton mineur - d la re sol - ton maieur - e mi la - demy-ton maieur - f vt fa - ton maieur - g re sol].
PROPOSITION XXVI [XXVII]. Expliquer la figure, la matiere, les parties, l'accord, & l'vsage des Regales de bois, que l'on appelle Claquebois, Patoüilles, & Eschelettes. Pvis que les Flamands se seruent de morceaux de bois pour faire des Regales semblables aux Epinettes, & que ie ne veux rien obmettre de tout ce qui est en vsage chez nos voisins, il est raisonnable de representer cet instrument composé de dix-sept bastons, afin qu'il ayt l'estenduë d'vne Dix-septiesme, dont le son le plus graue est fait par A C, qui doit estre cinq fois aussi long que B D, puis que leurs deux sons suiuent la raison de cinq à vn ; quoy qu'on y puisse adiouster autant de bastons comme il y a de chordes sur l'Epinette. A B G H monstre le parallelogramme qui contient les dix-sept marches du clauier, dont chacune est semblable à la marche E F que i'ay mise à part, afin que l'on comprenne comment la teste F frappe les bastons de ce Claquebois lors que l'on abbaisse la palette E. Or les bastons sont attachez à des clous, ou à des cheuilles en α & β, & sous A & C, afin qu'ils tiennent ferme lors qu'ils sont tendus en l'air. Quant à la matiere on les fait d'vn bois resonnant, comme de hestre, ou de tel autre bois que l'on veut ; mais si on les faisoit d'acier, de leton, ou d'argent, ils rendroient vne harmonie plus agreable. L'accord de ces bastons depend de leurs grandeurs qu'il faut proportionner selon les loix que i'ay prescrit dans les liures de la Theorie : mais leur vsage peut apporter de la lumiere à la Physique, encore que ceux qui en vsent se contentent du plaisir qu'ils reçoiuent des sons, ou de l'apprentissage qu'ils font auec cet instrument pour toucher apres les carillons des cloches, dont [p176] ils se seruent en Flandre pour ioüer toutes sortes de chansons & de concerts, comme ie monstreray dans le liure des Cloches ; d'autant que l'on peut determiner quel est le ton de toutes sortes de corps par le moyen de ces Regales, & par consequent l'on peut sçauoir la raison que leur pesanteur à auec leurs sons, afin de conclure de nouuelles choses de leurs qualitez manifestes ou ocultes ; par exemple si l'on fait des Cylindres de plusieurs sortes de pierres, les sons plus aigus feront voir celles qui seront plus dures, plus seiches, ou plus legeres, &c.
Quant à l'estenduë de chaque partie, elle est de quatre quintes qui font la Dix-septiesme maieure, car outre les trois Quintes qu'elle fait à vuide, elle monte encore d'vne quinte par le moyen du manche que l'on touche. Et les excellens Violons qui maistrisent cet instrument peuuent faire monter chaque chorde iusques à l'Octaue par le moyen du manche, sur lequel ils treuuent 144 demy-tons pour transposer les 12 modes en tel lieu, & à tel ton qu'ils veulent. Or les 2 figures precedentes suffisent pour faire comprendre celles des autres parties, qui ne different que de grandeur, comme il arriue aux autres instrumens, dont les plus grands esbranlent vne plus grande quantité d'air, & font des sons plus graues & plus profonds. Quant à la grosseur & à la longueur des chordes, elles doiuent suiure celles des Violons, & les raisons de l'harmonie : par exemple, celles du Dessus doiuent estre huict fois moindres que celles de [p180] la Basse, lors qu'elles montent plus haut de trois Octaues, si l'on desire que la Musique soit parfaite, encore que ceux qui ioüent de cet instrument n'obseruent pas ces grandeurs si exactement, & que les Facteurs ne fassent pas les tables, les corps, & les manches en mesme raison que les sons qu'ils en veulent tirer, neantmoins s'ils en veulent prendre la peine, il n'est pas si difficile que l'on ne puisse le pratiquer, car si la plus grosse chorde de la Haute-contre est plus basse d'vne Quinte que celle du Dessus, il faut que ces quatre chordes soient sesquialteres de celles du Dessus tant en longueur qu'en grosseur, c'est à dire qu'elles ayent trois pieds de long si celles du Dessus ont deux pieds ; & si la plus grosse de la Taille descend plus bas d'vne Octaue que celle du Dessus, elles doiuent auoir toutes leurs dimensions doubles de celles du Dessus. Finalement, si la plus grosse chorde de la Basse est à la Douziesme, ou à la Quinziesme du Dessus, elle doit auoir ses chordes trois ou quatre fois plus grosses & plus longues. Mais i'ay fait vn discours particulier de la raison de toutes sortes de chordes dans le traité de l'Epinette, où l'on void la iuste proportion de leurs grandeurs.
Or il faut remarquer que les parties du milieu, c'est à dire la Taille, la Cinquiesme partie, & la Haute-contre sont de differentes grandeurs, quoy qu'elles soient toutes à l'vnisson, & consequemment lors que la surface de la Haute-contre est à celle du Dessus comme neuf à quatre, c'est à dire double sesquiquarte, & que leurs corps ont mesme raison que 27 à 8, c'est à dire triple surtripartissante 8, la surface de la Taille deuroit estre à celle du Dessus comme 4 à 1, afin que leurs soliditez fussent comme de 8 à 1, c'est à dire octuples : & finalement la surface de la Basse deuroit estre à celle du Dessus comme 16 à vn, & le corps de celle-là au corps de cettuy-cy, comme 64 à 1. Ce qu'il faut semblablement obseruer aux Violes, aux Luths, & à tous les autres instrumens, dont on fait des concerts, d'autant que ie ne parleray plus de ces proportions dans les autres discours. Quant à la Tablature des Violons & des Violes, elle n'est pas differente des notes ordinaires de la Musique, encore que ceux qui n'en sçauent pas la valeur, puissent vser de nombres, ou de tels characteres qu'il leur plaira pour marquer leurs leçons & leurs conceptions, & pour escrire des tablatures particulieres, comme sont celles du Luth, & de la Guiterre : quoy que les notes vaillent mieux que les lettres, d'autant qu'elles marquent les sons, la valeur des mesures, & toutes sortes de temps, & qu'elles sont plus vniuerselles dans l'Europe. Or si l'on veut quitter les noms, dont les anciens ont exprimé leurs modes, à sçauoir Dorien, Phrygien, Lydien, l'Ionien & les autres, & que l'on vueille leur imposer des noms plus intelligibles que ceux des Grecs, l'on peut appeller le Ton, ou le mode du Violon, le mode gay & ioyeux, comme celuy de la Viole & de la Lyre, le mode triste & languissant ; celuy du Luth, le mode prudent & modeste ; celuy de la Trompette, le ton hardy & guerrier, & ainsi des autres suiuant la proprieté de chaque instrument.
PROPOSITION II. Expliquer la maniere de ioüer du Violon, & de mettre chaque doigt sur les endroits de la touche pour ioüer toutes sortes de pieces de Musique tant par B mol que par ♮ quarre. Pvis que le Violon n'a que quatre chordes, dont l'accord à vuide est ordinairement de Quinte en Quinte, comme i'ay monstré dans le discours precedent, si l'on fait tous les sons qui se peuuent tirer de ses chordes, on le touchera parfaitement. Mais afin d'aller par ordre, & d'euiter l'obscurité & la confusion, ie monstre premierement comme il faut poser le premier doigt que l'on appelle l'index, c'est à dire celuy qui est le plus proche du pouce, sur la 4. chorde, & puis comme il faut poser le 2, & le 3, & ce que fait chaque doigt. Or ie commence par la quatriesme chorde, parce qu'elle est la plus basse, afin de suiure la methode dont on vse en France, encore qu'il soit aussi aysé de commencer par la premiere que l'on appelle la chanterelle. Ie dis donc premierement que la 4. chorde fait le G re sol vt à vuide, c'est à dire sans l'ayde de la main gauche, qui sert seulement pour toucher le manche, & pour accourcir les chordes, comme la droite sert pour tenir l'archet, & pour en toucher les chordes en mille differentes manieres, comme ie diray apres. Mais on fait monter cette 4. chorde à l'A mi la re, c'est à dire vn ton plus haut, en posant le premier doigt dessus, suiuant les interualles du Monochorde que i'ay expliqué dans la cinquiesme Proposition. Et si l'on retire vn peu le mesme doigt vers le sillet, elle monte seulement d'vn demy-ton pour faire la feinte, ou le fa feint qui est entre A mi la re & G re sol vt : ce qu'il faut remarquer vne fois pour toutes, parce que chaque doigt peut faire le demy-ton & faire monter ou baisser chaque chorde de cet interualle en tous les endroits où l'on veut, selon qu'il est necessaire pour faire les accidents qui se rencontrent dans les differentes compositions. Le second doigt, qui est celuy du milieu, fait le ♮ mi sur la mesme chorde, en l'auançant vers le cheualet ; & le B fa en le retirant vers le sillet. Et le troisiesme doigt auancé vers le cheualet fait C sol vt fa, & si on l'auance encore vn peu, il fait monter la mesme chorde d'vn demy-ton, & fait la diese de C sol fa vt, au lieu du quatriesme doigt.
La 3. chorde qui suit la 4, fait le D la re sol à vuide, mais si l'on trouue vn fa par transposition en ce D la re sol, il faut poser le 4. doigt sur la 4. chorde fort pres du lieu où le 3. fait C sol vt fa, au lieu de faire ledit fa sur la 3. à vuide. Or le premier doigt posé sur la 3. chorde fait E mi la, & en le retirant vers le sillet il fait le fa en E mi la par accident entre D la re sol, & E mi la. Le second doigt la fait monter iusques à F vt fa, c'est à dire d'vn demy-ton ; & si on l'auance vers le cheualet, il fait la diese de F. Le troisiesme doigt fait ledit G re sol, que l'on [p182] appelle la Clef, de sorte que nous auons desia fait monter le Violon d'vne Octaue entiere, en faisant tous les tons de la Diatonique, & tous les demytons de la Chromatique, afin que l'on puisse ioüer toutes sortes de Musique tant par nature, que par ♭ mol, & par ♮ quarre. Or si l'on auance ce mesme doigt vers le cheualet, on fera la Diese de G re sol, c'est à dire qu'on la fera monter d'vn demy-ton plus haut que G re sol. Par exemple, s'il y a vn fa en A mi la re, qui se trouue à vuide sur la seconde chorde, il faut mettre le 4. doigt sur la 3, ou auancer la diese du G re sol au lieu du fa d'A mi la re. La seconde chorde touchée à vuide fait A mi la re, & le premier doigt estant posé dessus, fait le ♮ mi, & en le retirant vn peu il fait le B fa. Le second doigt fait le C sol vt fa, & en l'auançant il fait la Diese de C sol vt fa, qui est plus haute d'vn demy-ton que ledit C sol vt fa. Le troisiesme doigt fait D la re sol ; & le 4. doigt, qui se trouue sur la 2. chorde, fait le fa en E mi la par accident, sans qu'il soit besoin de sonner la chanterelle, qui fait le mi dudit E mi la à vuide. Mais le premier doigt posé sur ladite chanterelle fait F vt fa, & en l'auançant vers le cheualet il fait la diese de F vt fa. Le second doigt fait le G re sol, qui est à la Quinziesme de celuy de la 4. chorde à vuide, & en l'auançant il fait la diese qui est entre G & A. Le troisiesme fait l'A mi la re, le quatriesme doigt fait le ♮ mi, estant auancé & esloigné du troisiesme doigt, & en le raprochant il fait le B fa. Si on l'auance plus pres du cheualet que le lieu du ♮ mi, il fait le C sol vt fa, & puis le D la re sol ; de maniere que le Violon à l'estenduë d'vne Dix-neufiesme.
Quant à la perfection de la Pratique, elle consiste au beau toucher, lequel est la base & le fondement du plaisir qui doit contenter l'oreille : & parce que cet instrument n'a point de touches, il faut tellement aiuster les doigts sur chaque lieu du manche, que les sons persuadent vne proportion aussi bien reglée que s'il y auoit des touches comme à la Viole. En second lieu, il faut addoucir les chordes par des tremblemens, que l'on doit faire du doigt qui est le plus proche de celuy qui tient ferme sur la touche du Violon, afin que la chorde soit nourrie. Mais il faut appuyer les bouts des doigts le plus fort que l'on peut sur la touche, afin que les chordes fassent plus d'harmonie, & les leuer fort peu de dessus le manche, afin d'auoir assez de temps pour les porter d'vne chorde à l'autre. En troisiesme lieu, si l'on veut parfaitement reüssir, la main qui tient l'archet doit estre du moins esgale en vistesse à la gauche, d'autant qu'elle fait paroistre tous les mouuemens differens qui enrichissent les airs, & qui donnent de la beauté aux chants. En quatriesme lieu, il faut traisner l'archet sur les chordes, & repeter plusieurs fois le battement du doigt sur vn mesme ton, & puis sur vn autre, en continuant ainsi depuis le haut iusques en bas, pour faire les mignardises qui sont fort agreables, à raison de la belle modulation qui donne vn grand plaisir à l'ouye, quoy qu'il faille y proceder auec iugement. Or le Violon à cela par dessus les autres instrumens qu'outre plusieurs chants des animaux tant volatiles que terrestres, il imite & contrefait toutes sortes d'instrumens, comme les voix, les Orgues, la Vielle, la Cornemuse, le Fifre, &c. de sorte qu'il peut apporter de la tristesse, comme fait le Luth, & animer comme la Trompette, & que ceux qui le sçauent toucher en perfection peuuent representer tout ce qui leur tombe dans l'imagination. Ie laisse vne infinité d'autres remarques qui appartiennent à cet instrument, par exemple, que l'on peut sonner vne Courante, & plusieurs autres pieces de Musique auec vn seul coup d'archet : que l'on peut flatter les chordes de 8, de 16, ou de 32 coups de doigt dans l'espace d'vne mesure : qu'il faut mettre les trois doigts de la main gauche, c'est à dire l'index, celuy du milieu, & l'annulaire [p184] si pres de la chorde que l'on veut toucher, qu'il ne s'en faille qu'vne demie ligne qu'ils n'y touchent, afin que ce petit esloignement n'empesche point la vistesse du toucher & des tremblemens.
A quoy i'adjouste que l'on transpose aysément chaque ton en douze manieres, par le moyen des dieses & des fa feints, ou ♭ mols qu'ils appellent accidents, comme l'on void dans l'exemple du premier mode qui commence en C sol vt fa, [p190] dans lequel ce mode commence tousiours vn demy-ton de plus haut en plus haut iusques au douziesme demy-ton de l'Octaue : ce que l'on pratique semblablement dans les onze autres modes ; par exemple dans le troisiesme qui suit, & qui commence en D re sol, de sorte que l'on fait 144. varietez des douze modes sur le Violon : ce que l'on peut semblablement faire sur le Luth, sur la Viole, & sur tous les autres instrumens à manches, & mesme sur les Epinettes, & sur l'Orgue dont le clauier est diuisé en douze demy-tons esgaux, suiuant la methode que i'en ay donnée dans le traité du Luth. Or puis que l'on peut prendre l'VT, le RE, le MI, &c. sur chaque chorde du Violon, soit qu'on la touche à vuide, ou qu'on l'accourcisse d'vne, de deux, ou de trois touches, &c. il est certain que la touche ou le manche du Violon est capable de representer tous les modes, quoy qu'il n'ayt que quatre chordes, c'est pourquoy il faut corriger ce que i'ay dit au contraire dans la troisiesme Proposition de ce liure, quoy qu'il se puisse expliquer au sens de quelques ioüeurs de Violon, dont i'ay suiuy l'idée. Mais puis que i'ay entrepris de parler nettement & intelligiblement, il faut oster tous les embarras du discours. Il faut aussi corriger ce qui est dit que D sol re est le plagal du mode C sol vt fa, car son mode collateral ou plagal descend vne Quarte plus bas en G re sol vt ; mais i'ay traité fort amplement des modes dans vn autre liure, auquel ie desire que l'on se tienne. Voyons maintenant ce qui appartient aux Violes.
Ie laisse plusieurs autres choses qui meritent des discours particuliers ; par exemple, pourquoy l'on met plustost le baston que l'on appelle l'ame de la Viole, souz le pied du cheualet du costé de la chanterelle, que souz celuy qui soustient la sixiesme chorde, veu qu'estant plus grosse il semble qu'elle a plus de besoin d'estre soustenuë : pourquoy l'ame estant abbatuë la Viole perd son harmonie, & [p194] pourquoy cette harmonie est moindre lors que l'on met l'ame souz les autres chordes, afin de monstrer le rang que l'on peut donner aux Violes entre les autres instrumens, apres auoir remarqué le nom que les Italiens donnent aux six chordes de leurs Violes vis à vis desquels l'on void comme, nous les appellons : D la re sol : SOL, Canto, Chanterelle. Seconde espece de Quarte. A mi la re : RE LA, Sotana, Seconde. Troisiesme espece de Quarte. E mi la : MI MI, Mezana, Troisiesme. Diton C sol vt fa : VT FA, Tenor, Quatriesme. Premiere espece de Quarte. Г re sol : VT SOL, Bourdon, Cinquiesme. Seconde espece de Quarte. D la re sol : RE, Basso, Sixiesme chorde. voicy comme les Italiens marquent cet accord que l'on m'a enuoyé de Rome, lequel enseigne que la Taille & la Haute-contre sont à la Quinte de la Basse, & que le Dessus est à son Octaue : quoy que plusieurs mettent la Taille à la Quarte de la Basse, la Haute-contre à la Quarte de la Taille, & le Dessus seulement à vn ton de la Haute contre : de sorte qu'il faut mettre la chanterelle de la Taille à l'vnisson de la seconde de la Basse, la chanterelle de la Haute-contre à l'vnisson de la seconde de la Taille, & la chanterelle du Dessus à l'Octaue de celle de la Basse pour accorder toutes les parties des Violes […]
Or il y a plusieurs choses à considerer dans les sons que fait l'archet [de la Viole] en touchant & en pressant la chorde, car les tours & retours de la chorde se peuuent aussi bien faire de haut en bas, & de bas en haut, que de droit à gauche, comme il arriue lors que l'on pese sur la chorde, ou qu'on la frappe, ou que l'on la tire de haut en bas, & au contraire : c'est pourquoy il faut voir comme l'archet luy fait faire ses retours ; s'il les luy fait faire plus ou moins grands que quand on la touche du doigt, & s'il en diminuë, ou s'il en augmente le nombre : Et puis il faut rechercher la raison pourquoy le son que fait la chorde par le moyen de l'archet, est different de celuy qu'elle fait quand on la touche du doigt ou de la plume, car puis que la chorde fait tousiours vn nombre esgal de tours, & de retours dans vn temps esgal, il semble que le son deuroit estre esgal, ce qui n'arriue pas, & consequemment l'archet y contribuë quelque chose de particulier, ce qu'il fait en froissant la chorde & en renfermant de l'air entre elle & luy, lequel est contraint de receuoir autant d'allées & de venuës comme en fait la chorde, qui frappe seulement l'air libre quand on la touche sans archet. C'est pourquoy l'on peut dire que le son de la Viole, & des autres instrumens à archet, est composé de trois ou quatre sortes de mouuemens, à sçauoir de celuy de la chorde & de l'air libre, & de celuy de l'air contraint ou enfermé, & de l'archet qui gouuerne celuy de la chorde comme l'on veut, car il empesche qu'elle ne fasse ses tours aussi grands comme elle les feroit si elle estoit touchée aussi fort du doigt que de l'archet, & parce qu'il la retient en telle distance de sa ligne de direction que l'on veut, il en renforce ou en adoucit le son comme il plaist à celuy qui le tient, & qui le meut. Or l'on peut expliquer ce que fait l'archet aux tremblemens de la chorde par ce que fait le doigt que l'on passe fort viste sur les trous d'vn Flageollet tandis que l'on en sonne, car il ne change pas le nombre des tremblemens, ou des battemens du vent, ny consequemment l'aigu du son, mais il luy donne vn nouueau mouuement qui est quasi semblable aux fredons que l'on fait de la gorge, qui ne changent pas les tons ou l'aigu de la voix, & qui luy seruent seulement d'vn nouuel ornement.
Et parce que les brins de crin qui font la soye de l'archet ne sont pas continus, l'air qui est meu par la chorde, s'insinuë aysément parmy lesdits crins, dont le mouuement & la pression alterent les qualitez du son. Et si nous examinons cecy plus particulierement, & que l'on vueille que les atomes de l'air, ou de la chorde qui sont meus se meslent auec le mouuement de ceux du crin, l'on ne trouuera nullement estrange que le son qui se fait par ces deux mouuemens, soit different de celuy qui se fait par les seuls tremblemens de la chorde. L'on peut encore remarquer beaucoup de choses qui sont particulieres à l'archet ; par exemple qu'il tient le mesme son aussi long-temps, & aussi foible ou aussi fort que l'on veut, ce que n'a pas l'Orgue qui ne peut affoiblir [p198] ou renforcer ses sons selon le desir des Organistes. Mais afin que l'on ne doute nullement que la chorde ne fasse autant de retours lors qu'elle est touchée de l'archet, que quand elle est touchée du doigt, ie veux expliquer la maniere de l'experimenter, & de le voir tres-clairement : ce qui arriuera si l'on estend vne chorde de cent pieds de long, laquelle fasse chacun de ses retours dans vne seconde minute, soit qu'on la touche de l'archet ou du doigt, ny ayant point d'autre difference, sinon que l'archet peut tellement contraindre la chorde que le premier retour ne sera pas plus grand que le milliesme ou le dernier, au lieu qu'ils vont tousiours en diminuant apres que l'on la touchée du doigt : d'où il arriue que l'archet fait les sons beaucoup plus esgaux que le doigt, & que l'on imite le chant de toutes sortes d'oyseaux, & vne infinité d'autres sons & d'autres bruits par les differentes pressions, & les differens coups de l'archet, qu'il n'est pas possible d'imiter sur le Luth, sur l'Epinette ou sur l'Orgue. Or l'on peut experimenter lesdits tremblemens des chordes touchées de l'archet, sur les Violes & sur les Violons, en mettant le doigt contre lesdites chordes, dont on sent les tremblemens si forts, qu'à moins que d'estre priué du sens du toucher il n'est pas possible que l'on ne les remarque dans toutes les parties de la chorde qui est touchée. Et quand l'on n'auroit pas l'experience, la raison suffit pour conclure que le mouuement de l'archet estant tantost tres-viste & d'autrefois tres-lent ne peut faire le mesme ton, & qu'il est necessaire que l'identité ou l'esgalité de l'aigu procede d'vn mouuement esgal, qui ne peut estre autre en ce sujet que celuy des retours de la chorde, dont le nombre ne peut estre inesgal en temps esgal, qu'il ne change de ton, c'est à dire l'aigu du son, comme i'ay demonstré ailleurs.
PROPOSITION IX. Expliquer la capacité des Violes dans les Concerts, la diuision & la science de leurs manches, & les pieces de Musique qui se peuuent ioüer dessus, & la maniere de les accorder pour en faire des Concerts. Encore que les Violes soient capables de toutes sortes de Musique, & que les exemples que i'ay donné pour le concert des Violons leur puissent seruir, neantmoins elles demandent des pieces plus tristes & plus graues, & dont la mesure soit plus longue & plus tardiue ; de là vient qu'elles sont plus propres pour accompagner les voix. Or l'on peut ioüer toutes sortes de pieces non seulement à cinq parties, comme l'on fait ordinairement sur les Violons, mais à six, à sept, à douze, & à tout autant de parties que l'on veut ; ce qui peut semblablement estre executé par tous les autres instrumens, qui ont assez d'estenduë. Mais il suffit de mettre icy le commencement d'vne Composition à six parties, laquelle a deux Dessus, deux Basses, vne Taille & vne Haute-contre. Or il faut remarquer que les Anglois ioüent ordinairement leurs pieces vn ton plus bas que les François, afin d'en rendre l'harmonie plus douce & plus charmante, & consequemment que leur sixiesme-chorde à vuide fait le C sol au lieu que la nostre fait le D re sol, comme l'on void aux notes qui sont à costé de la Viole ; d'où il s'ensuit qu'ils marquent plusieurs ♭ mols & dieses, dont [p199] nous n'vsons pas ordinairement. Quant à la diuision du manche de la Viole, elle n'est pas differente de celle du manche du Luth ; c'est pourquoy i'adiouste seulement icy vne nouuelle maniere pour le diuiser, laquelle depend des onze moyennes proportionnelles, dont i'ay donné l'inuention dans la quatorze & quinziesme Proposition du premier liure, & dans la septiesme du second liure. Mais il faut premierement supposer que la chorde entiere, ou la longueur de la Viole depuis le sillet iusques au cheualet soit diuisée en 200000. parties esgales, dont ayant osté 11230. parties, l'on aura le nombre 188770. pour le lieu de la premiere touche d'enhaut, & ainsi des autres nombres qui sont vis à vis des lettres de chaque touche iusques au dernier 100000, qui donne la derniere touche n, laquelle fait l'Octaue en haut auec la chorde entiere exprimée par l'a. [Ligne Harmonique.]
Or apres auoir donné l'exemple de la Musique pour les Violes, ie reuiens à la diuision de leurs manches, dont i'ay interrompu le discours : & dis premierement que l'on peut se seruir des nombres precedens du Monochorde, où tous les tons & les demy-tons sont esgaux, car ayant tiré la ligne droite A V entre le cheualet & le sillet, il la faut diuiser aux points B, C, D, &c. en sorte [p202] que toute la ligne A V soit à ses parties V B, V C, V D, &c. en mesme raison que le nombre 200,000 est aux nombres 188770. 178171. 168178, &c. Mais parce que cette methode est vn peu longue, Monsieur de Beau-grand Conseiller, & Secretaire du Roy, Maison & Couronne de France, & tres-excellent Geometre a inuenté, & fait tracer vne ligne sur le compas de Proportion, qu'il nomme Harmonique, par le moyen de laquelle l'on trouue tout d'vn coup où l'on doit placer toutes les touches, pourueu que l'on cognoisse la premiere. Sa construction n'est pas difficile comme ie monstre euidemment : car la ligne A B estant tirée du centre du Compas de proportion, comme la ligne du cercle, qui a ses parties esgales, il la faut tellement diuiser pour la rendre Harmonique, qu'elle soit en mesme raison aux lignes A C, A D, A E, &c. que le nombre 11230 est aux nombres 10599, 9993, &c. & puis il faut grauer à costé les mesmes lettres Alphabetiques qui sont dans la table. Mais pour s'en seruir auec vn compas commun, il faut porter l'interualle d'entre le sillet, & la premiere touche du Luth, de la Viole, ou de tel autre instrument que l'on voudra, aux points B B de l'vne & de l'autre iambe du compas de proportion qui suit : & ayant fait cela, l'ouuerture C C donnera la distance de la seconde touche à la troisiesme, l'ouuerture D D la distance de la troisiesme à la 4, l'ouuerture E E la distance de la 4 à la 5, & ainsi des autres. Quant à l'interualle de la premiere touche au sillet, on le trouuera en diuisant tellement la distance qui est entre le cheualet & le sillet en deux parties, que celle qui est du costé du cheualet soit à celle qui est vers le sillet comme 47 à 3 ; c'est à dire que la longueur depuis le cheualet iusques au sillet estant diuisée en 50 parties, il en faut oster trois pour auoir la premiere touche, qu'il faut prendre sur la mesme ouuerture du compas de proportion sur C C, car B B represente le sillet.
Il faut dire la mesme chose des autres Octaues de la Viole, dont l'estenduë monte iusques à la Quinziesme, si l'on touche seulement la chanterelle à vuide, ou iusques à la Dix-neufiesme, lors qu'on vse de ses sept touches, qui ont l'estenduë d'vne Quinte. Ie veux encore adiouster ce qui appartient aux traits d'archet, qui vont tout au contraire de ceux des Violons, car on le pousse en haut sur la premiere note, & on le tire sur la seconde, & ainsi consequemment. Or l'on peut semblablement abaisser le ton des Violes pour rendre ses sons plus doux, & pour les ioindre à la voix : ce que font quelques-vns assez heureusement en les accordant de Quarte en Quarte comme les Violes, afin de les ioindre à l'Orgue, ou à la voix. Pour ce qui est de l'accord general des Violes, Fontanego remarque dans sa regle Rubertine qu'il se fait en trois manieres, dont l'vne est quand la Taille & la Haute-contre commencent vne Quarte plus haut que la Basse, & le Dessus vne Octaue plus haut que ladite Basse. La seconde met la Taille & la Haute-contre à la quinte de la Basse, contre laquelle le Dessus fait l'Octaue ; & la troisiesme fait faire la Quarte à la Taille contre la Basse, & la Quarte au Dessus auec la Taille, de sorte que le Dessus fait la Septiesme mineure contre la Basse.
Or i'explique seulement icy deux choses de la Lyre, dont l'vne est commune [p206] à la Viole, au Luth, à l'Epinette, au Monochorde & à tous les autres instrumens, à sçauoir pourquoy la mesme chorde estant touchée fait l'Octaue, & la Douziesme en haut outre son ton naturel ; & l'autre luy est particuliere, à sçauoir son accord, qui consiste principalement aux dix premieres chordes, qui vont tousiours de quinte en quarte, car l'on descend tousiours d'vne Quarte apres auoir monté d'vne Quinte ; de sorte qu'elles ne font iamais l'Octaue à vuide, & que l'on trouue quatre tons maieurs tout de suite, que font la 2, 4, 6, & 8, ou la 1, 3, 5, 7, & 9. chorde : d'où il s'ensuit que la 9 fait le Triton maieur auec la 3, la 7 auec la 1, la 2 auec la 8, & la 4 auec la 10, & consequemment la 10 auec la 2, & la 9 auec la 1. font le Quadriton maieur. Ie laisse les Sextes maximes de la 10 à la 7, de la 4 à la 1, & plusieurs autres interualles extraordinaires qui se treuuent dans l'accord, & sur les chordes à vuide, afin de venir à l'autre difficulté, apres auoir marqué cet accord par les nombres harmoniques, qui soulageront ceux qui n'entendent pas la valeur & la signification des notes. [Accord à vuide de la Lyre].
PROPOSITION XII [X]. Expliquer la figure, l'accord & l'estenduë de la Symphonie, ou de la Vielle, que quelques vns appellent Lyre ; & les Epinettes qui font le ieu des Violes. SI les hommes de condition touchoient ordinairement la Symphonie, que l'on nomme Vielle, elle ne seroit pas si mesprisée qu'elle est, mais parce [p212] qu'elle n'est touchée que par les pauures, & particulierement par les aueugles qui gaignent leur vie auec cet instrument, l'on en fait moins d'estime que des autres, quoy qu'ils ne donnent pas tant de plaisir. Ce qui n'empesche pas que ie ne l'explique icy, puis que la science n'appartient pas dauantage aux riches qu'aux pauures, & qu'il n'y a rien de si bas ny de si vil dans la nature, ou dans les arts qui ne soit digne de consideration. Il faut donc premierement remarquer que la Vielle est composée de deux parties principales, comme les autres instrumens, à sçauoir de sa table A B C D, & de son manche E F G H, qui est continué iusques à M L pour tenir les quatre cheuilles, qui bandent ses quatre chordes, dont les deux qui sont aux deux costez, à sçauoir ẟ DHK, & Y N C I seruent de deux Bourdons, que l'on peut mettre à l'vnisson, ou à l'Octaue l'vn de l'autre. Les deux autres chordes ε & ζ sont estenduës tout au long du manche, & seruent d'vn perpetuel Monochorde, car elles font toutes sortes de tons comme l'Epinette, par le moyen des marches qui sont marquées par les nombres 1, 2, 3, 4, &c. iusques à 10, parce que cette figure a esté prise sur vne petite Vielle qui n'a que dix touches ; car l'on en peut faire de 49 touches, ou de tant que l'on voudra.
PROPOSITION XIII [XI]. Expliquer les nouueaux instrumens à chordes, & l'accord de la Lyre dont on vse en Italie. Il est certain que l'on peut tousiours adiouster de nouuelles inuentions aux instrumens, & que les siecles à venir en pourront auoir qui ne sont pas encore tombez en l'imagination des Facteurs : par exemple, on peut faire des Clauecins qui auront tous les tons diuisez en quatre parties, pour faire les dieses Enharmoniques par tout, suiuant le Systeme que i'explique dans le liure des Genres : de sorte que le mesme clauier seruira pour autant de tuyaux d'Orgue, qui feront vne Fluste douce, & qui accompagneront chaque chorde. Et l'on m'a escrit de Rome que le sieur Iean Baptiste de Bonis de Cortone, ville de Toscane, en fait d'excellens, qui ont toutes les touches brisées ou [p216] coupées, & que l'on accorde auec vne admirable facilité en toutes sortes de manieres que l'on peut s'imaginer. L'on m'a aussi aduerty que la Harpe à trois rangs a esté inuentée il y a trente ou quarante ans par le sieur Luc Anthoine Eustache Gentil-homme Neapolitain, & Chambrier du Pape Paul V : & que le sieur Horace Michi a mis cet instrument à sa perfection, dont il ioüe tres-excellemment […]
Or l'on peut s'imaginer ces tuyaux [de Fluste] auec des lumieres semblables à celles des Flageollets, soit que Pan n'ayt vsé que d'vn simple trou dans chaque chalumeau, ou qu'il y ayt mis des tampons, dont ie parleray apres. Quant à la matiere de cet instrument, elle peut estre de cuiure & de fer blanc, comme elle est maintenant ; ou d'or, d'argent, de bois & de toutes autres choses qui peuuent estre percées & creusées, par exemple, il se peut faire de l'aisle d'vne Oye, en couppant chacun de ses tuyaux par le milieu ; ou de verre, de terre cuite, &c. on l'appelle ordinairement sifflet de chaudronnier, par ce que ceux qui sont de ce mestier en vsent & en sonnent par les ruës. Or l'on peut rapporter [p229] les tuyaux bouchez des Orgues à cet instrument, qui peut encore estre comparé à plusieurs clefs percées. Le plus grand tuyau A B fait la Douziesme de trois à vn auec le moindre D C, & B D monstre la lame qui est soudée souz les douze tuyaux pour les boucher. E est l'anse par laquelle on le pend. Les douze nombres monstrent les douze trous d'enhaut, & A C signifie la lame, ou la barre qui entoure les trous d'vn costé & d'autre, & qui renforce les tuyaux qui sont tous soudez ensemble souz cette lame. Quant aux douze notes qui sont sur les six regles, elles monstrent le ton, ou le son de chaque tuyau ; & les trois clefs de la Musique, dont la premiere s'appelle de Nature, la seconde de ♮ quarre, & l'autre de ♭ mol, enseignent qu'il les faut entonner auec ces notes vt, re, mi, fa, sol, re, mi, fa, re, mi, fa, sol, qui respondent a ces nombres harmoniques,
PROPOSITION IV. Expliquer les Chalumeaux à vn, ou plusieurs trous, & leur vsage. Les cinq Chalumeaux ou Flustes qui suiuent sont les plus simples de toutes, d'autant qu'elles n'ont qu'vn, deux, ou trois trous, dont la premiere à main gauche est faite de l'escorce de saule, ou de quelqu'autre arbre, laquelle on leue quand il est en seve : de sorte que l'on en fait vn chalumeau qui est ouuert tant en haut qu'en bas, comme l'on void en A B. La seconde fluste n'a point d'autres trous que celuy d'en haut par où on l'embouche marqué d'A, celuy d'en bas marqué par B, & celuy de la lumiere marqué par C : or ces deux flustes ne peuuent faire de sons differens, si ce n'est par la differente force du vent qu'on leur donne. Quant au 3. & 5. Chalumeau, qui est fait de bled, il est aysé de comprendre comme l'on en sonne, car l'A & le 1 du 3 monstre les deux trous que l'on fait aux deux bouts, & B fait voir la maniere dont il faut coupper le chalumeau, afin que la partie qui s'esleue, serue d'emboucheure pour pousser le vent, ou de languette pour le battre, tandis que l'on tient les deux doigts sur les deux trous A, I, dont on fredonne en les bouchant, & en [p230] les ouurant le plus viste que l'on peut. Le cinquiesme chalumeau a sa languette en haut, comme monstre A : mais il faut remarquer que le haut de ce chalumeau se termine par vn noeud qui sert de tampon, afin que le vent n'eschappe pas, & qu'il descende aux trois trous d'en bas, qui seruent pour faire trois tons differens ; quoy que l'on puisse faire dix ou douze tons differens par le moyen de ces trois trous, comme ie monstreray en parlant de la fluste à trois trous, que l'on accompagne du Tambour.
Les notes qui sont precedées de ♭ mols signifient les feintes, les accidents, ou les demy-tons, que l'on fait en moderant le vent, ou par l'industrie des doigts, dont on bouche plus ou moins les trous [de la Fluste], afin de sonner les chansons qui sont par ♭ mol. Or la note qui est sur la clef de C sol vt fa, & qui recommence en bas sur la premiere ligne, continuë les tons que nous auons commencez sur l'autre clef, & sert comme de racine pour acheuer le reste de l'estenduë, comme monstrent les notes qui suiuent. Quant aux autres caracteres il faut les expliquer si clairement, qu'il ne soit plus besoin d'en parler dans les discours des autres Flustes qui s'en seruent : ie dis donc en second lieu que les lignes noires, qui tombent perpendiculairement sur les trois regles de la tablature, signifient le nombre des trous, qu'il faut boucher pour faire les sons marquez par les notes de dessouz : par exemple, les trois premieres, qui sont sur les trois regles, signifient que l'on fait la premiere note en bouchant les trois trous, & en poussant le vent le plus foiblement que l'on peut : les deux autres lignes qui suiuent monstrent qu'il faut boucher les deux trous marquez vn & deux, & deboucher le dernier trou marqué par trois pour faire le re, ou la seconde note ; la petite ligne qui suit encore, signifie qu'il faut seulement boucher le premier trou pour faire le mi, ou la troisiesme note : & les trois zero, ou les trois cercles enseignent qu'il faut deboucher tous les trous pour faire la quatriesme note, ou le fa. Mais l'on ne peut continuer le sol iusques à l'Octaue, & l'on est contraint de passer tout d'vn saut à la Quinte en haut, afin de prendre l'Octaue de la premiere note, qui a son Octaue en haut, lors que l'on recommence à boucher les trous, & que l'on renforce le vent : ce qu'il faut remarquer d'autant plus soigneusement que la mesme chose arriue à plusieurs autres instrumens à vent, comme au Flageollet & aux Flustes, qui montent à l'Octaue, & quelquefois à la Quinziesme, & à la Vingt-deuxiesme, selon que l'on augmente le vent ; de sorte qu'il se rencontre des hommes qui font l'estenduë d'vne Vingt-deuxiesme sur la [p232] Fluste à trois trous, dont i'ay veu l'experience en Iean Price Anglois. Or c'est chose asseurée que l'on peut faire toutes les parties de Musique auec plusieurs Flustes à trois trous, comme auec les autres, quoy que ces concerts ne soient pas en vsage, c'est pourquoy ie n'en donne point d'exemples.
Il faut seulement remarquer que le Diapason des Flageollets ne suit pas celuy des chordes, ny celuy des tuyaux d'Orgues, comme ie monstreray apres, car il suffit d'expliquer icy son estenduë & sa tablature, que le Vacher, qui est le plus excellent Facteur de Flageollets que nous ayons, marque en cette maniere. Par où l'on void que l'on peut vser des notes de la Musique pour marquer les tons, l'estenduë, & les chansons du Flageollet, d'autant qu'elles seruent de tablature vniuerselle pour toutes sortes d'instrumens, comme i'ay monstré dans le liure precedent. [p233] Or les deux premieres lignes contiennent la tablature du Flageollet par ♮ quarre, & les deux dernieres par ♭ mol : mais les quinze dernieres notes, & les quinze rangs des autres caracteres qui leur respondent, suffisent pour expliquer ladite tablature, & l'estenduë de cet instrument, qui consiste dans vne Quinziesme, qui est contenuë par les quinze notes, encore que i'aye mis les dix precedentes, afin d'obseruer la pratique de ceux qui enseignent à ioüer du Flageollet, qui commencent par le G re sol en touchant seulement les trois derniers trous six, cinq & quatre, & en laissant les trois autres ouuerts trois, deux & vn ; & qui mettent les deux dieses que l'on void à la premiere ligne des notes, pour signifier qu'elles se chantent par ♮ quarre, encore qu'elles soient superfluës pour ceux qui entendent la pratique des notes, dans laquelle la seule absence du ♭ mol signifie le ♮ quarre. Mais cette tablature est si aysée, à raison que toutes les regles qui ont des zero, ou qui n'ont point de petites lignes perpendiculaires, signifient que l'on doit ouurir les trous qui respondent à ces lignes, qu'il n'est pas besoin de l'expliquer. Ie donneray seulement vn exemple pour en monstrer la pratique. Si l'on veut faire le ton plus graue, ou le plus bas du Flageollet, qui est marqué par la derniere note, & par le dernier rang des petites lignes, ce rang enseigne qu'il faut boucher les six trous, qui sont representez par les six regles, & qu'il faut boucher le trou de la pate à demy : ce qui est signifié par la ligne qui trauerse le dernier zero : ce que l'on entendra encore mieux par le discours qui suit, d'autant qu'il enseigne la maniere de sonner du Flageollet.
PROPOSITION VII. Expliquer le Diapason des Flageollets, & la maniere d'en sonner en perfection à vne ou plusieurs parties, auec vn exemple de Musique. C'est chose asseurée que le Diapason de cet instrument ne suit pas la proportion des consonances des interualles & des autres Diapasons, comme l'on peut voir dans la figure precedente, dans laquelle les distances des trous n'ont pas mesme raison entr'eux que les tons qu'ils font : ce qui est aysé à prouuer par l'experience, car si les Facteurs gardoient cette proportion, le Flageollet monteroit du moins à l'Octaue du son qu'il fait, quand ses six trous sont bouchez, lors que l'on ne bouche plus que le cinq & le 6 : d'autant que le corps du Flageollet, qui se prend depuis le haut de la lumiere C iusques au B de la pate, est double de C 4 ; & neantmoins cette partie de corps ne monte que d'vne Quinte : d'où il est euident que le reste du corps contribüe à la grauité du ton, & consequemment que le vent qui sort par le quatriesme trou, quand on bouche seulement le 5 & le 6, ne sort pas tout par ledit trou, & que quelques parties s'en vont par les autres trous qui suiuent, à sçauoir par le 3, 2, &c. & par l'ouuerture de la pate, comme l'on experimente en mettant la main vis à vis desdits trous.
Et l'on peut dire que ce qui sort d'air par ces trous, & que ce qui reste du corps du Flageollet depuis le quatriesme trou iusques à B, fait baisser le ton d'vne Quarte. D'ailleurs, si la distance des trous suiuoient la proportion de leurs tons, il faudroit que le quatriesme trou fust seulement plus esloigné d'vne huictiesme partie de la lumiere que le 5, & neantmoins il est esloigné d'vne quatriesme partie dauantage, quoy qu'il ne fasse descendre le Flageollet que d'vn ton. Il faut dire la mesme chose du troisiesme trou au regard du quatriesme. Quant au 3, 2 & 1, ils sont vn peu mieux reglez. Or il faut aduoüer que la seule experience peut donner le Diapason des Flageollets, puis que l'on ne void nulle raison pour laquelle le cinquiesme trou doiue estre plus esloigné du 4, & le 4 du 5 pour faire leurs 2 tons, que le 3 trou du 2, & le second du premier : quoy que ie ne doute nullement qu'il n'y ayt quelque raison de cette differente distance de trous, soit qu'on la prenne de la part du vent, qui est differemment inspiré, ou de la fabrique du Flageollet & des autres instrumens, ausquels il arriue la mesme chose : mais ie laisse cette recherche à ceux qui voudront & qui pourront passer plus auant, d'autant qu'il suffit d'auoir remarqué la iuste distance, & la vraye disposition des trous dans les deux figures precedentes, pour seruir de modelle à ceux qui voudront faire des Flageollets de toutes sortes de grandeurs, esquels il faut à peu pres obseruer la mesme proportion. C'est pourquoy ie viens à la maniere d'en sonner, qui consiste particulierement à pousser le vent comme il faut, & à boucher & ouurir les trous suiuant la tablature. Ie dis donc premierement qu'il faut tellement boucher les trous, que le vent n'en puisse sortir, afin de faire les tons iustes, & qu'il les faut seulement boucher à demy, lors que l'on veut faire les feintes, ou les demy-tons qui appartiennent à la Chromatique, car l'on peut faire vingt-huict demy-tons tout de suitte sur le Flageollet pour sonner toutes sortes de pieces chromatiques ; & s'il se rencontre des hommes [p235] qui puissent tellement boucher les trous qui fassent des quarts de ton pour les dieses Enharmoniques, ils pourront vser de ce genre sur cet instrument. Mais apres que l'on sçait faire tous les tons, il faut s'accoustumer à la vistesse & à la mesure, afin de faire toutes sortes de passages & de diminutions, & d'vser de toutes les douceurs & les mignardises, dont le Flageollet est capable ; ce qui ne se peut faire sans la vistesse des doigts, qui doiuent boucher & deboucher six ou huict fois les mesmes trous dans le temps d'vne mesure pour imiter les diminutions de la gorge, de la Viole, des Luths & des autres instrumens.
Secondement, il faut remarquer qu'il y a deux manieres de sonner de cet instrument [le Flageollet], & des autres qui ont des lumieres, dont l'vne vient du seul souffle, ou du vent que l'on pousse, & l'autre de l'articulation & du mouuement de la langue : celle-là imite l'Orgue, & celle-cy represente la voix : celle-là est pratiquée par les villageois & par les apprentifs, & celle-cy par les Maistres ; & finalement celle-là ressemble aux choses mortes, ou muettes, & celle-cy aux viuantes, parce qu'elle suppose le mouuement des organes, & particulierement celuy du bout de la langue, & l'autre peut se pratiquer auec vn soufflet au lieu de la bouche. Or encore que chaque trou ne fasse qu'vn ton, & que le Flageollet n'ayt aussi qu'vn ton quand tous ses trous sont bouchez, & qu'il monte à l'Octaue, quand on pousse le vent plus fort, sans qu'il passe par les interualles du milieu, neantmoins ie fais tous les sons de l'Hexachorde, à sçauoir vt, re, mi, fa, sol, la, sans deboucher aucun trou, soit que la pate soit ouuerte ou bouchée, comme l'on experimentera, pourueu que l'on pousse premierement le vent tres-foiblement, & qu'il s'augmente tousiours peu à peu iusques à ce que le Flageollet fasse son ton naturel & ordinaire, c'est à dire ledit la : quoy que ces sons ne puissent seruir à la Musique, à raison de leur foiblesse & de leur inconstance, car ils ressemblent aux bruits que l'on oyt au dedans de l'oreille. Ie fais aussi l'estenduë de la Tierce maieure en bouchant peu à peu la pate, encore que l'on s'en serue seulement pour descendre plus bas d'vn demy-ton ou d'vn ton : ce que i'ay voulu remarquer, afin que l'on considere que ce que disent les excellens Maistres, qui sonnent de quelque instrument en perfection, n'est pas esloigné de la raison, à sçauoir que l'vsage & la perfection de chaque instrument s'estend à l'infiny, d'autant que l'on y remarque tousiours quelque chose de nouueau selon les differens biais dont on en vse. Mais i'ay essayé de faire le mesme Hexachorde auec d'autres Flageollets, sans me seruir des trous, ce qui ne m'a pas reussi : c'est pourquoy l'on n'en doit pas faire vne regle generale ; i'adiouste seulement que celuy auec lequel i'ay fait cette experience est de buis, & a quatre pouces & cinq lignes de longueur, comme l'on void dans les deux figures precedentes qui ont esté faites dessus ledit Flageollet.
En troisiesme lieu, l'on experimente qu'il est difficile d'empescher que le Flageollet ne quitte son ton naturel pour monter à l'Octaue, car l'on ne peut souuent luy faire prendre son ton ordinaire, quoy que le vent que l'on luy donne soit tres-foible, particulierement quand il n'a que trois ou quatre pouces de long, comme est celuy done i'ay donné la figure. Et quand il octauie les trous estant bouchez, il reprend souuent son ton naturel en ouurant les trous, au lieu de continuer ses tons à l'Octaue en haut, [p236] de sorte qu'il octauie beaucoup plus aysément quand les trous sont bouchez que lors qu'ils sont debouchez, parce que le vent doit estre plus fort : de là vient qu'il est plus aysé de luy faire prendre son ton naturel en ouurant le dernier trou qu'en le fermant, dont il n'est pas aysé de trouuer la raison. Il faut pourtant remarquer que le trou qui se bouche auec le pouce de la main gauche, c'est à dire le sixiesme, doit estre à demy ouuert, & non pas tout debouché, comme il est dans la tablature, pour faire les tons qui passent l'Octaue, parce que les tons en sont meilleurs & plus naturels. Quant au ton qui octauie, au lieu de demeurer en son lieu naturel, cela arriue seulement par la faute de celuy qui iouë du Flageollet, & qui distribuë plus de vent qu'il n'en faut ; car le ton sera tres-naturel si les trous sont bien bouchez, & que l'on donne le vent auec discretion. Ceux qui sont gauchers mettent le pouce de la main droite au sixiesme trou, ce que l'on doit remarquer pour tous les instrumens à vent. I'adiouste icy la tablature de la Fluste à six trous, encore que ie n'en donne pas la figure, d'autant que celle du Flageollet la fait assez comprendre, dont elle est seulement differente en ce que tous ses six trous sont deuant, au lieu que le Flageollet en a deux derriere, comme i'ay dit.
Or il est si aysé de comparer la tablature precedente auec celle-cy, qu'il n'est pas besoin d'en parler, c'est pourquoy ie poursuis l'explication des autres Flustes, & premierement de celles d'Angleterre que l'on appelle ordinairement douces, à raison de la douceur de leurs tons & de leurs accords, apres auoir donné vn exemple à quatre parties, qui monstre la maniere de faire des Concerts, & telles parties que l'on voudra, auec quatre ou cinq sortes de Flageollets. Or l'exemple qui suit est vn Vaudeuille du troisiesme mode transposé d'vne Quarte : le Dessus se iouë auec D la re sol tout fermé, & tout ouuert à l'Octaue : & pour les autres parties l'on ferme, & l'on ouure le C sol vt, & le G re sol : ce qui est si aysé à comprendre qu'il n'est pas necessaire d'en parler plus au long. Cet exemple & les autres qui seruent aux instrumens qui suiuent, ont esté composez par le sieur Henry le Ieune, qui entend fort bien leur portée, & leur estenduë. Ceux qui desirent d'autres exemples peuuent consulter les Maistres de l'art, car il suffit que celuy-cy fasse voir la proprieté du Flageollet, & l'estenduë de toutes ses parties, afin que l'on en puisse vser dans toutes sortes de concerts : ce qu'il faut semblablement remarquer pour les autres instrumens à vent, qui ont vn exemple particulier qui sert pour comprendre leur nature. [p237]
Quant à leur estenduë & leur tablature [celles des Flustes douces] qui suit tant par ♭ mol que par ♮ quarre, elle n'est pas plus difficile que celle du Flageollet, car chaque petite ligne perpendiculaire, qui tombe sur les lignes de Musique, monstre les trous qu'il faut boucher pour faire les sons representez par les notes qui sont vis à vis : & les zero ou les lettres o signifient les trous debouchez, & quand ils sont pochez ou noirs, il les faut boucher. Ie donneray seulement vn ou deux exemples pour faire entendre cette pratique, dont le premier sert pour l'VT, ou pour le RE de G re sol vt, que l'on fait en bouchant les quatre premiers trous & le septiesme, & en ouurant les autres. Et pour faire le FA qui est plus haut d'vne Quarte, l'on bouche seulement le premier, le troisiesme & le septiesme : comme pour faire le SOL qui suit, l'on bouche seulement le troisiesme & le septiesme trou. [p239] La tablature monstre clairement combien il faut boucher ou deboucher de trous pour faire tous les autres tons, & l'estenduë de cet instrument, qui est d'vne Quinziesme, comme celle du Flageollet, encore que quelques-vns ne luy donnent qu'vne Treziesme d'estenduë. Mais il faut remarquer que l'on peut sonner vn air, ou vne chanson sur la Fluste douce, & en mesme temps chanter le chant de la Basse, sans toutesfois articuler les voix, car le vent qui sort de la bouche en chantant est capable de faire sonner la Fluste, de sorte qu'vn seul homme peut faire vn Duo.
Neantmoins les Philosophes qui en voudront rechercher les causes, doiuent les tirer de la fabrique de cet instrument [la Fluste d'Allemand], & de la maniere dont on l'embouche pour pousser le vent, & de toutes les autres circonstances. Ie laisse aussi quelques autres remarques que l'on peut faire sur cette tablature, par exemple, que quelques-vns font de certains tons en bouchant ou en debouchant d'autres trous que ceux qui sont marquez, comme l'on void dans cette autre tablature qui suit : & qu'il est beaucoup plus difficile de faire parler cette Fluste que les autres qui s'embouchent en haut, car tous peuuent vser de celle-cy, & peu sçauent sonner de celle-là, à cause de la difficulté que l'on trouue à disposer les levres comme il faut sur le premier trou, qui sert de lumiere : [p243] ce qui arriue semblablement au Fifre, qui ne differe d'auec la Fluste d'Allemand qu'en ce qu'il parle plus fort, que ses sons sont beaucoup plus vifs & plus esclatans, & qu'il est plus court & plus estroit. C'est le propre instrument des Suisses, & des autres qui battent le Tambour, quoy que les vns le sonnent d'vne façon & les autres d'vne autre, suiuant les differentes coustumes & les differentes tablatures que l'oreille & l'vsage peuuent suppleer. Mais l'on ne fait pas ordinairement toutes les parties de Musique auec les Fifres, comme auec les Flustes d'Allemand, que l'on met au ton de chapelle pour faire des concerts : & parce que l'on ne peut faire de Basse assez longue pour descendre assez bas, l'on vse de la Sacquebute, ou du Serpent, ou de quelqu'autre Basse pour suppleer, car si la Fluste d'Allemand estoit assez longue pour faire cette partie, les mains ne pourroient pas aysément s'estendre iusques aux derniers trous, tandis qu'on l'emboucheroit ; quoy que l'on puisse suppleer ce defaut dans les Basses de ladite Fluste par plusieurs clefs, en les rompant ou redoublant, comme l'on fait aux Bassons, dont nous parlerons apres.
Quant à la tablature du Fifre, qui monstre tous ses tons, & la maniere de boucher ses trous pour chanter toutes sortes d'airs & de chansons, elle n'a pas vne si grande Estenduë que celle de la Fluste precedente, car elle n'est que d'vne Quinziesme, comme l'on void dans la tablature qui suit. [p244] Mais il faut remarquer que la levre & la langue doiuent trauailler en mesme temps pour faire parler la Fluste en perfection, & qu'il faut donner vn coup de langue, & vn peu de la levre à chaque ton, afin que toutes les notes soient articulées ; ce qui suffit iusques à ce que nous parlions du Tambour, dont on accompagne cet instrument. Or l'on peut rapporter tous les autres instrumens à trous à ceux que i'ay expliquez iusques icy. Voyons maintenant ceux qui n'ont point de trous, apres auoir icy mis l'exemple qui suit à quatre parties pour les Fleutes d'Allemand. [Air de Cour pour les Flustes d'Allemand].
Quant à l'estenduë de leurs tons [celle des Cors], elle est differente selon l'adresse & l'habileté de celuy qui en sonne, car il se rencontre des Chasseurs qui leur donnent autant d'estenduë comme à la Trompette, dont ie parleray apres. Les tons qui seruent à la chasse sont descrits par le Fouilloux dans le liure de la Venerie chapitre 43. c'est pourquoy ie n'en veux pas parler : quoy que l'on puisse y remarquer plusieurs choses, dont il ne s'est pas auisé : par exemple, à sçauoir si les tons (dont il vse pour appeller & aduertir les Chiens) sont plus propres que les autres, dont la trompe est capable. Si la diction Tran, dont il se sert pour exprimer les sons du Cor, est la meilleure de toutes celles qui se peuuent imaginer pour ce suiet : si cet instrument est plus propre pour la chasse que ceux qui ont des anches, comme les Haut-bois, ou que ceux de percussion, comme les Cloches ou les Tambours. Si les sons du Cor ont plus de rapport & de sympathie auec l'ouye, & l'imagination des chiens, que le son des autres instrumens : Si l'on peut inuenter des instrumens, dont les sons fassent venir & appriuoiser toutes sortes d'animaux farouches, comme quelques-vns estiment, particulierement si on les appelloit par les noms qu'Adam leur imposa : quoy qu'il n'y ayt à mon aduis nul son qui soit plus propre pour les faire venir où l'on veut, ou pour les arrester, que celuy qui imite leurs cris & leurs voix, comme l'on experimente aux apeaux des Cerfs, des Sangliers, des Cailles & de plusieurs autres animaux terrestres & volatiles.
COROLLAIRE Si les Chasseurs veulent auoir le plaisir de faire des Concerts à quatre ou plusieurs parties auec leurs Cors, il est assez aysé, pourueu qu'ils sçachent faire les tons iustes, & qu'ils proportionnent tellement la longueur & la largeur de leurs Trompes, qu'elles gardent les mesmes raisons que les tuyaux d'Orgues : par exemple, si le plus grand Cor à six pieds de long, il fera le Diapente en bas contre celuy qui aura 4 pieds de longueur : ie diray ailleurs si leurs largeurs doiuent estre en raison Sesquialtere. Et si l'on adiouste vn troisiesme Cor long de trois pieds, il fera la Quarte contre le second, de sorte que les trois feront vn Trio parfait, & toucheront les trois principales chordes du premier mode : ausquels il sera aysé d'en adiouster trois ou quatre autres pour faire les autres accords. Il y a plusieurs autres choses qui concernent les Cors, dont nous parlerons apres ; i'adiouste seulement qu'on les peut faire de chrystal, de verre, de terre, de pierre, &c. & que les Facteurs y peuuent ioindre vne grande quantité d'industries qui les feront autant admirer que les autres instrumens.
Quant à l'estenduë de la Trompette, elle est merueilleusement grande, lors que l'on en sonne en perfection, & que l'on prend tous ses tons depuis le plus graue iusques au plus aigu, car elle fait vne Trente-deuxiesme : de sorte qu'elle surpasse tous les clauiers des Epinettes & des Orgues. Mais parce qu'il se rencontre peu de personnes qui la fassent descendre des deux derniers [p249] tons, qui sont marquez souz le C sol vt fa dans la figure de l'autre Trompette en taille douce que ie donneray apres, il suffit de luy donner l'estenduë d'vne Vingt-neufiesme, c'est à dire des quatre Octaues, qui font l'estenduë des clauiers : & parce que ie veux examiner pourquoy la Trompette fait les interualles des consonances deuant ceux des dissonances, & les plus grandes consonances deuant les moindres, il faut icy considerer les raisons desdits interualles, afin de rechercher pourquoy elle les choisit tellement que l'on n'en peut faire d'autres en leur place. Or ie commence ces interualles par son ton plus graue, qui est en C sol vt fa, dans lequel ie les termine aussi, apres qu'il a esté trois fois repeté : mais il faut remarquer que les premiers nombres à main gauche ne vont que iusques à la Vingt-quatriesme, d'autant que l'on ne peut continuer les raisons des autres interualles sans vser de fraction, lors que l'on retient les termes radicaux : les seconds nombres qui sont à main droite, commencent par le 9, parce qu'il faut multiplier tous les precedens par 9, afin de continuer tous les interualles de l'estenduë d'vne Vingt-neufiesme sans aucune fraction. Or il est si aysé d'en comprendre l'estenduë par cette table, qu'il n'est pas besoin de l'expliquer puis qu'outre les nombres qui sont d'vn costé & d'autre, i'ay marqué chaque interualle par son propre nom : de sorte qu'il ne reste plus qu'à expliquer pourquoy la Trompette passe tout d'vn coup à l'Octaue, & puis à la Quinte sans pouuoir passer par les degrez du milieu : ce qui semble estre contraire à la maxime, qui asseure que l'on ne peut passer d'vne extremité à l'autre sans passer par le milieu : quoy que l'on puisse respondre que cet instrument, & quant & quant la voix, & le vent ont vn mesme priuilege que l'esprit, qui passe souuent d'vne raison à l'autre sans considerer celles qui sont entre-deux : mais cette difficulté merite vne Proposition particuliere. [Estendue de la Trompette - C sol vt fa - Octaue - C sol vt fa - Quinte - G re sol vt - Quarte - C sol vt - Tierce maieure - E mi la - Tierce mineure - G re sol vt - Quarte - C sol vt - ton maieur - D la re sol - ton mineur - E mi la - demiton maieur - F vt fa - ton maieur - G re sol vt - ton mineur - A mi la re - ton maieur - ♮ mi - demiton maieur - C sol vt fa].
PROPOSITION XII. Expliquer pourquoy la Trompette ne peut faire les degrez en bas, comme en haut : & pourquoy elle fait l'Octaue dans son premier interualle, la Quinte dans le second, & ainsi des autres. Il faut icy supposer l'experience qui est vniforme par tout le monde, à sçauoir que l'on ne peut faire vt, re, mi, fa, &c. depuis le premier ton de la Trompette, car ceux qui en sonnent font tousiours vt, sol, fa, c'est à dire la Quinte & puis la Quarte en haut : ce qui arriue semblablement aux Cors & aux Trompes. Il faut aussi remarquer que le ton, que l'on appelle ordinairement le premier, ou le plus bas de la Trompette, n'est pas celuy dont [p250] on vse ordinairement, & que i'ay nommé VT, car elle descend encore d'vne Octaue entiere, quoy que plusieurs Trompettes ne le croyent pas, parce qu'ils ne le peuuent faire, ou qu'ils ne l'ont iamais essayé. Or il n'y a nul doute que le vent est autrement poussé & modifié pour faire le second ton, que pour faire le premier, & ainsi des autres, & que celuy qui fait le second a ses reflexions, ou ses retours deux fois aussi vistes que celuy qui fait le premier, comme i'ay demonstré dans les liures precedens. Ce qui arriue à raison du vent qui est poussé auec plus ou moins de violence ou de vistesse, & qui consequemment a ses retours plus ou moins frequens ; de sorte qu'il faut seulement donner la raison pourquoy cette plus grande vistesse fait plustost l'Octaue, & la Quinte &c. pour son premier, & son 2 interualle, qu'vn autre consonance ou qu'vne dissonance, & pourquoy le vent est determiné & contraint à faire deux fois autant de retours au second ton de la Trompette, & trois fois autant au troisiesme, &c. qu'au premier, comme l'on void dans l'estenduë de ses sons. Or ie dis que cela arriue à cause que tous les agens naturels vont tousiours par le chemin le plus court, & le plus aysé quand ils ne sont pas empeschez, comme l'on experimente aux corps pesans qui descendent vers leur centre par vne ligne droite, parce qu'elle est la plus courte de toutes, car chaque chose naturelle se haste tant qu'elle peut d'arriuer à sa perfection, & nous sert d'exemple pour nous faire embrasser le chemin le plus court, le plus seur, & le plus aysé pour arriuer à nostre derniere fin : c'est à dire la charité & l'amour de Dieu, hors duquel l'on ne trouue que des lignes obliques. Et si la nature ne suiuoit le chemin le plus court, elle feroit des mouuemens inutiles, & trauailleroit en vain ; or le chemin le plus aysé, & le plus court qu'elle puisse suiure, consiste à faire l'Octaue pour son premier interualle, & puis la Quinte & les autres qui suiuent dans son estenduë, comme ie demonstre.
Il est certain qu'il n'y a nulle addition plus courte, & plus aysée que celle qui se fait d'vn à vn, d'vn à deux, d'vn à trois, &c. or quand la Trompette passe par les interualles que i'ay expliquez, elle ne fait autre chose que d'aiouster vn à vn, vn à deux, &c. il est donc necessaire qu'elle passe par ces interualles, si l'on ne l'en empesche en la forçant contre son naturel. La maieure est si euidente qu'elle n'a pas besoin d'estre prouuée, si l'on ne veut esclairer le Soleil en plein midy : quant à la mineure elle est tres-aysée à prouuer, car supposé que le son le plus graue, c'est à dire le premier ton de la Trompette se fasse par vn seul retour, ou battement d'air, si l'on adiouste vn autre battement, on fera l'Octaue, & si l'on adiouste encore vn battement aux deux precedens, l'on fait le troisiesme ton de la Trompette, qui est à la Douziesme du premier, & à la Quinte du second. Et puis si l'on adiouste vn battement aux trois precedens, l'on fait le quatriesme ton, qui fait la Quinziesme, ou la double Octaue auec le premier, l'Octaue auec le second, & la Quarte auec le troisiesme. Si l'on adiouste encore vn autre mouuement pour auoir le cinquiesme ton de la Trompette, lequel est composé de cinq battemens d'air, qui se font en mesme temps que le seul battement du premier ton, ou que les deux du deuxiesme ton, &c. il fait la Dix-septiesme maieure auec le premier ton, & la Tierce maieure auec le quatriesme. Et si l'on adiouste vn autre battement aux cinq precedens, l'on fait la Tierce mineure. Par où l'on void que le progrez de la nature est amy de l'harmonie, qu'elle [p251] gouuerne ou dont elle depend : de sorte qu'il semble que la nature ou ses mouuemens ne soient autre chose qu'vne rauissante harmonie, qui nous inuite à considerer la premiere source, dont elle prend sa naissance, c'est à dire à contempler Dieu, qui en est l'Autheur, & à l'aymer sur toutes choses. D'où il est aysé de conclure que l'ordre des Consonances est naturel, & que la maniere dont nous contons en commençant par l'vnité iusques au nombre de six, & au delà, est fondée dans la nature.
L'on peut encore donner la raison de ces interualles par la diuision, d'autant que l'Octaue est engendrée par la diuision d'vne chorde en deux parties esgales, comme i'ay monstré dans le liure des Consonances ; & toutes les autres consonances sont produites par la seconde ou troisiesme bissection : mais l'adition est ce semble plus naturelle que la diuision, parce que la nature s'augmente & se multiplie par celle-là, & se diminuë & s'affoiblit par celle-cy. Quoy que si on considere le suiet ou la matiere des sons, l'on puisse dire qu'il est plus aysé de diuiser vne chorde en deux parties esgales, que de luy adiouster vne autre partie esgale, dont i'ay expliqué la raison dans le liure de la Voix. Mais il y a encore plusieurs autres difficultez dans les autres interualles, & dans les autres tons de la Trompette, dont l'vne est pourquoy elle ne diuise pas la Quarte ou son cinquiesme interualle, lors qu'elle fait le septiesme & le huictiesme ton, comme elle diuise la Quinte en faisant le 5 & le 6 ; c'est à dire pourquoy elle n'adiouste pas vn retour aux 6 precedens du 6 ton pour faire la Sesquisexte, & puis la Sesquiseptiesme, au lieu desquelles elle fait encore la Quarte apres le sixiesme ton, ou apres le cinquiesme interualle de la Tierce mineure, par l'adition de deux battemens qu'elle adiouste aux six precedens. L'autre difficulté consiste à sçauoir pourquoy elle ne fait pas tousiours l'Octaue à chaque saut, ou interualle qu'elle fait, attendu que chacun de ses sons ou de ses tons peut estre supposé pour l'vnité, & pour vn seul battement, aussi bien que le premier. La troisiesme est, pourquoy elle fait quelquefois vn ton plus bas, ou plus haut que le premier ton, dont nous auons parlé, au lieu de faire l'Octaue. Ie laisse plusieurs autres difficultez qui se rencontrent aussi dans les autres instrumens à vent, dont on pourra trouuer la solution dans les discours qui suiuent.