Et puis chante[n]t de mes chansons / Qui nont pas pourta[n]t meschans sons / Mais elles sont ung peu grassettes / Ainsi sesbatent mes doulcettes / Avec noz ge[n]tilz dorelos / Courtoys, migno[n]s, gentilz falos / Fo[n]t tous les jours chanso[n]s nouvelles / Cela sentent pour lamour delles / La vien[n]ent les haulx menestriers / A tels gra[n]s festes voulentiers / Qui vous corne[n]t ioyeusement / Et font gra[n]t resbaudissement / Et plusieurs gentilz trupeluz / A tout belles harpes & lucz / Orgues & manicordions / Eschequiers & psalterions / Rebec, simphonie & guiterne / Lautre flagolle, lautre guiterne / Lautre ioue du tabourin / Gaignent chascun son beau florin
Je te puisse pour ton labour / Voyr au beau son d'ung gros tabour / Sy en seray plus console / Mener comme ung beuf viole / Et dun gros maillet tassommer / Incontinant sans plus chommer
Au dedans de ceste voulte y auoit dix concerts de musique, differens les vns des autres : & fust ceste voulte dicte & appelee Doree, tant à cause de sa grande splendeur, que pour le son & harmonie de la musique, qui y fut chantee : laquelle pour ses voix repercussives, aucuns de l’assistance estimerent estre la mesme voix qui fut conuertie en air repercussif, appelé depuis Echo : & d’aultres plus instruits en la discipline Platonique, l’estimerent estre la vraye harmonie du ciel, de laquelle toutes les choses qui sont en estre, sont conservees & maintenues.
[…] auec ceste parure commencerent à ioüer la premiere entree du Balet. Apres ces violons entrerent en la salle les douze pages, par les mesmes treilles, six d’vne part, & autres six de l’autre : & tous estans placez on veit venir soudain apres eux les douze nymphes Naiades, entrans aussi six par vne treille, & six par l’autre : qui ne furent plustost apperceuës par les violons qu’ils changerent de note & de son, pour entrer en la seconde partie de l’entree du Balet, en laquelle ces nymphes vindrent dansans iusques aux maiestez du Roy & Royne sa mere, auec cest ordre. Au premier passage de l’entree estoyent six de front, toutes en vn rang du trauers de la salle, & trois deuant en vn triangle bien large : duquel la Royne marquoit la premiere pointe, & trois derriere de mesme : puis selon que le son se changeoit, elles se tournoyent aussi, faisans le limaçon au rebours les vnes des autres, tantost d’vne façon, tantost d’vne autre, & puis reuenoyent à leur premiere marque. Comme elles furent arriuees aupres du Roy, continuerent tousiours la partie de ce Balet, composé de douze figures de Geometrie, toutes diuerses l’vne de l’autre : & sur le dernier passage les violons ioüerent vn son fort gay, nommé la Clochette.
La Circé se tenant encore couuerte en son iardin de la closture du rideau, n’eut pas si tost ouy le son de la clochette qu’elle sortit en grande colere […]
Ce fut lors que les violons changerent de son & se prindrent sonner l’entree du grand Balet, composé de quinze passages, disposez de telle façon, qu’à la fin du passage toutes tournoyent tousiours la face vers le Roy : deuant la maiesté duquel estans arriuees, danserent le grand Balet à quarante passages ou figures Geometriques : & icelles toutes iustes & considerees en leur diametre, tantost en quarré, & ores en rond, & de plusieurs & diuerses façons, et aussi tost en triangle, accompagné de quelque autre petit quarré, & autres petites figures.
A la moitié de ce Balet se feit vne chaine, composee de quatre entrelacemens differents l’vn de l’autre, tellement qu’à les voir on eust dit que c’estoit vne bataille rangee, si bien l’ordre y estoit gardé, & si dextrement chacun s’estudioit à observer son rang & cadence : de maniere que chacun creut qu’Archimede n’eust peu mieux entendre les proportions Geometriques, que ces princesses & dames les pratiquoyent en ce Balet. Et à fin qu’on cognoisse de combien de diuersitez de sons il falloit vser, les vns graues, les autres gais, les vns en triple, les autres pour vn pas doux & alenti, ie les ay voulu aussi exprimer […]
Et l’Armonique consiste en sept parties, à scavoir : des Sons des intervalles, des Genres, des Constitutions, des Tons, de la Mutation, et de la Mélopée.
Icelle [l’eschelle] est principaleme[n]t diuisée en deux, sçauoir est en ordres de clefs, & deductions de voix. Et pour autant qu’on ne peut bonnement auoir l’intelligence des clefs (lesquelles sont co[m]posées principaleme[n]t de voix) ne des deductions de voix, sans premierement entendre que c’est que voix. Il sera bon, auant que passer outre, icelles briesuement declairer. Icy donc nous appelons voix, vn son par lequel la vertu des clefs est exprimée, & sont six en tout demonstrées par six sylabes, vt, re, mi, fa, sol, la : Dont les trois premieres (à sçauoir vt, re, mi) sont propres à monter, & trois autres (à sçauoir la, sol, fa) sont propres à deualer. Et pour ce que d’icelles les vnes profere[n]t vn son doux, les autres dur (à l’esgard des douces) les autres mediocres. Aucunes sont appellées Douces : vt, fa, Mediocres ou Naturelles : re, sol, Dures : mi, la.
Avant traicter quel est le vray nombre des Modes de Musique, qu'aucuns appellent les tons Musicaux ; il faut premierement noter, que ce mot (Ton) est equiuoque, & a diuerses significations entre les Musiciens. La premiere est, quant il signifie vn son ferme, & stable : en laquelle signification nous disons, le ton de la cloche, le ton de l'orgue, le ton du pseaume : & de là vient, donner le ton, ou intonner ; qui ne signifie autre chose, que designer le son, auquel on doibt commencer quelque chose. Laquelle signification est la plus propre, d'autant qu'elle conuient au commun vsage de parler, auquel le son ou bruit vehement, qui se faict en l'air, s'appelle le tonnerre.
Et pour ceste cause est appelé diapason, qui signifie, par tous les sons ; pour monstrer qu’il contient entierement tout ce qui est de la musique : d’autant que tout ce qui est pardessus, n’est qu’vne repetition de ce qui est contenu en iceluy. Ce que nous veut signifier le prouerbe ancien, qui dict : De octauis idem iudicium. Par où on voit manifestement, que le diapason n’est le vray fondement (comme encore plus amplement se voira cy apres) ains sert de compas tres-certain, & de mesures tres asseuree, pour demonstrer & definir les bornes & limites du bastiment musical : c’est à dire, d’vne musique parfaicte & accomplie.
[...] soubs la musique artificielle comprendrons la theorique et pratique. La musique artificielle, donc, est vne science (comme dict Thiard, et Pierre Gregoire) qui considere, auec sens et raison, la difference des sons.
Le sujet, & le premier element de la musique, est le son : non tel quel, mais seulement celuy qui est d'vne harmonieuse estenduë (com[m]e dict Thiard) entendant par ce mot, harmonieuse, que la voix puisse estre baissee, ou haussee ; & par ce mot, estenduë, ou duree, qu'elle demeure ferme & stable en vn mesme estat, affin d'exclure le tonnere, ou tel autre extreme bruict inconstant, duquel on ne peut comprendre l'estat : com[m]e aussi vn son si infirme, qu'on n'en pourroit remarquer la continuation ou estat : lesquels ne peuuent de rien seruir à ceste science.
Les lettres ne seruent qu'à garder l'ordre entre les syllabes, & icelles conioindre ensemble. Les sillabes sont six en tout, à sçauoir, vt, re, mi, fa, sol, la. Lesquelles aucuns appellent voix, d'autant qu'elles nous rendent vn son, par lequel la vertu des clefs est exprimée : & pource que d'icelles les vnes profere[n]t vn son doux, les autres dur, & les autres mediocre, aucunes sont appellées douces {vt fa : les autres dures {mi la ; & les autres mediocres {re sol. Des six voix susdits sont instituées trois deductions, selon trois divers chants, a sçauoir ♮ quaire, nature, ♭mol.
Abregé de la Musique speculatiue. Article I. Le son n'est autre chose qu'un battement d'air, que l'oüye apprehende lors qu'elle en est touchée. Or les deux principales proprietez du son consistent dans la force & dans les qualitez que nous appellons graue & aigu. Sa force est d'autant plus grande qu'il est fait par vn batement d'air plus violent : & ce batement est d'autant plus violent, que l'on frappe vne plus grande quantité d'air en mesme temps. Quant à sa grauité, elle est d'autant plus grande, qu'il se fait par des batemens plus tardifs ; & par consequent il est d'autant plus aigu qu'il se fait par des batemens plus vistes ; par exemple s'il se fait vn son dans vn temps donné par 50. batemens, & un autre son en un temps égal par 100. batemens, ce dernier son sera deux fois plus aigu que le premier.
[Article] II. Lors que deux ou plusieurs sons se font ensemble & en mesme temps, on les appelle Cosonans, quand ils s'accordent bien, & qu'ils plaisent à l'ouye & à l'esprit. Or, la raison de ces accords se prend de l'vnion desdits sons, de sorte qu'ils font des accords d'auta[n]t plus doux, qu'ils ont leur vnion plus estroite & plus grande, comme l'on espreuue à l'Vnisson, à l'Octaue, au Diapente, &c. L'Vnisson est l'Vnion ou le meslange de deux sons faits par un nombre égal de batemens d'air ; L'Octaue est le meslange de deux sons, dont le plus graue est fait par vn batement, & le plus aigu par deux ; & le Diapente est le mélange de deux sons, dont le plus graue se fait par deux batemens, & le plus aigu par trois. Toutes les simples consonances sont comprises & expliquées par les 6. premiers nombres 1. 2. 3. 4. 5. & 6. car l'Octave est d'un à 2., la Quinte de 2. à 3. la Quarte ou le Diatessaron de 3. à 4. le Diton ou la Tierce majeure de 4. à 5. & la mineure de 5. à 6. Or ils representent le nombre & la comparaison de leurs batemens.
[Article] III. L'octave est la plus douce de toutes [les consonances], après l'Vnisson ; parce que ses batemens s'vnissent plus souuent ensemble : car le premier batement du son aigu s'vnit auec la premiere partie du batement du son graue, & le second batement auec la derniere partie : où bien ses batemens s'vnissent de 2. coups en 2. coups : ceux de la Quinte de 3. coups en 3. coups, &c. Et lors que l'vnion est égale de la part du son aigu, & inégale de la part du grave, la Consonance qui vnit également ses sons de la part de l'vn & de l'autre est plus douce : par exemple les batemens de la Quinte s'vnissent de 3. coups en 3. coups, à l'égard du son aigu, & de 2. en 2. à l'égard du grave. Mais la Douziesme vnit ses sons à chaque coup, à l'égard du graue : c'est pourquoy elle est plus douce.
[Article] IV. Puisque le poids ne peut faire monter vne chorde à l'Octaue, s'il n'est quadruple, l'on peut dire que le son aigu de l'Octave est 4. fois plus pesant que le son graue. Mais quand les chordes sont differentes en longueur, & d'égale grosseur & matière, le poids qui doit faire monter la chorde 2. fois plus longue à l'octaue, doit estre Octuple, parce que le quadruple met seulement la chorde double à l'Vnisson de la souzdouble ; & puis le quadruple la fait monter à l'Octaue.
PREMIERE PROPOSITION DETERMINER SI LE SON SE FAIT DEVANT qu'il soit receu dans l'oreille, c'est à dire deuant qu'il soit ouy, & s'il est different d'auec le mouuement de l'air.
C'est vne chose ordinaire de demander au commencement des traitez que l'on fait des sciences, si elles ont quelque veritable object, et quel il est, […] il est donc à propos auant que passer outre de sçavoir si le Son, qui est le suiet, ou l'obiet de la Musique & de l'ouye, a un estre reel, & quel il est : car il s'en trouue plusieurs qui croyent que le Son n'est rien, s'il n'est entendu, & que c'est vne simple impression de l'air qui ne doit point estre appelée Son, s'il n'y a quelque oreille qui l'entende & qui la distingue d'auec les autres choses ; certainement si cela est, il faut que l'ouye luy donne la nature de Son, comme l'imagination & l'entendement donnent l'estre aux pensées imaginaires & aux fantosmes, que l'on appelle estres de raison. Quant à mon particulier, i'estime que le Son n'est pas moins reel deuant qu'il soit entendu, que la lumiere, ou les couleurs, & les obiets des autres sens exterieurs auant qu'ils soient apperceus, & que les Sons ne laisseroient pas d'estre ce qu'ils sont, encore qu'il n'y eust nulle oreille. Ce que ie dirois tousiours, bien que i'eusse aduoüé que le Son ne fust pas different d'auec le mouuement de l'air.
Toutesfois il semble que le Son est autre chose que ce mouuement, puisque nous sentons de grands mouuemens d'air, ou d'eau, ou de quelques autres semblables corps, qui ne font point de Son, ou qui le font si foible, qu'il n'est nullement proportionné à la force du mouuement, comme nous experimentons aux pierres que l'on iette dans l'air auec des fondes, aux bales d'arquebuses, aux boulets d'artillerie, & en plusieurs autres mouuements, qui se font quand la pluye & la gresle tombent, & que l'eau d'vne riuiere profonde coule sans faire bruit. Au contraire, il y a de petits mouuemens qui font de grands bruits, comme ceux du larynx, de l'epiglotte & de la langue, quand nous parlons, ou ceux de l'air, qui fait sonner les Orgues, & les autres Flustes. Neantmoins ie n'estime pas que le Son soit different du mouuement du corps, qui frappe le Tambour, ou la Membrane de [p002] l'oreille […]
Il faut donc conclure que tous les mouuemens qui se font dans l'air, dans l'eau ou ailleurs, peuuent estre appellez Sons ; d'autant qu'il ne leur manque qu'vne oreille assez delicate & subtile pour les ouyr ; & l'on peut dire la mesme chose du bruit du tonnerre & du canon à l'esgard d'vn sourd, qui n'apperçoit pas ces grands bruits : car le mouuement ou le tremblement qu'il sent n'est pas appelé Son, qu'entrant qu'il est capable de se faire sentir aux esprits de l'ouye : de manière que le Son se peut definir vn mouuement de l'air exterieur ou interieur capable d'estre ouy ; i'ay dit, ou de l'interieur, à raison des bruits qui se font au dedans de l'oreille. Mais il est difficile de trouuer precisément ce qui rend le mouuement de l'air capable d'estre ouy ; car quand ie considere qu'vne chorde de boyau, ou de leton tendüe en l'air, & attachée à deux murailles auec des cloux ou des cheuilles sellées dans le mur, & touchée du doigt, d'vn archet, ou d'vne plume, ne fait quasi point de bruit, & qu'estant tendüe sur les cheualets d'vn luth, d'vne Viole, ou d'vne Epinette, elle fait un grand bruit, & neantmoins que c'est la mesme percussion de l'air : que le vent fendu & coupé par vn morceau de bois semblable à celuy de la lumiere d'vn tuyau de Fluste, ne fait qu'vn leger sifflement, & quand il est suiuy du corps d'une fluste, qu'il fait vn si grand bruit, cela me fait conclure que ce qui rend ce mouuement capable d'estre ouy, n'est autre chose que quand il esbranle vne quantité d'air enfermé capable d'esbranler sa prison, & de se communiquer à l'air voisin exterieur iusques à ce qu'il arriue à l'oreille.
Or il faut remarquer le terme, dont on vse pour exprimer cette qualité des corps, qui leur fait multiplier la premiere percussion de l'air iusques à la rendre capable de toucher les sens de l'ouye, à sçauoir resonants, comme qui les diroit encore vne fois sonants, car cette diction exprime le son qui vient à nostre oreille, lequel n'est pas le premier Son, mais l'echo multiplié depuis le premier air qui touche la chorde iusques à celuy qui touche l'oreille [p003] ; & ce que nous appellons Echo, est le Son rendu & renuoyé par l'instrument qui multiplie le Son, & le reflechit comme les miroirs reflechissent la lumiere.
L'on peut se servir des Sons de chaque instrument de Musique, & des differens mouuemens que l'on leur donne pour discourir de toutes sortes de suiets, & pour enseigner & apprendre les sciences. Cette proposition est excellente, car elle enseigne la maniere de discourir de toutes choses en ioüant des instrumens, encore que celuy qui les touche, ou qui en oyt ioüer soit muet, car l'on peut discourir auec vn autre en ioüant de l'Orgue, de la Trompette, de la Viole, de la Fleute, du Luth & des autres instrumens, sans que nul puisse entendre le discours, que celuy qui sçait le secret, ce qui se peut pratiquer en plusieurs manieres. En premier lieu si le ioüeur d'instrumens, & l'auditeur se seruent d'vne tablature qui contienne toutes les lettres de l'alphabet : car chaque Son exprimera chaque lettre ; par exemple, les trois notes, ou les trois voix qui se treuuent dans G, re, sol, vt, pourront seruir pour ces trois lettres R, S, V, &c. & l'auditeur ayant son Luth, ou sa tablature deuant les yeux verra clairement les dictions que formera le ioüeur auec les Sons de son instrument, auquel il pourra respondre en ioüant d'vn autre instrument.
Mais il est facile de parler ensemble sans tablature, si l'on vse des huict ou quinze Sons d'vn mode, par exemple de ceux du premier, pour les quinze premieres lettres, & des huict Sons du second mode pour le reste des lettres : ou si les vingt Sons des vingt articles de la main harmonique expriment les vingt lettres de nostre alphabet ; car l'on peut laisser S, Y, & K, comme nous dirons ailleurs.
L'on peut encore exprimer des paroles & des periodes entieres par les sons, car les preludes, la suitte des airs & des chansons, la deduction des modes & du systeme parfait ont de la ressemblance auec les oraisons & les harangues, particulierement quand le [p40] Musicien fait les cadences & les passages bien à propos, & qu'il se sert de la Rythmique selon le sujet qu'il traite. Or cette maniere de discourir se peut pratiquer dans toute l'estenduë des Sons, c'est à dire dans l'estenduë de cent ou deux cens pas & dauantage, car l'on oyt le Son de la Trompette de beaucoup plus loin, & consequemment les Sons peuuent seruir de messagers & de lettres secretes, quand celuy à qui l'on veut rescrire n'est esloigné que de demie lieuë ou d'vne lieuë, d'où l'on peut entendre les cloches ou la Trompette.
L'on se peut aussi seruir du Tambour, encore que le Son qu'il fait ne soit pas capable des interualles harmoniques, car la varieté des mouuemens Rythmiques, dont on à coustume de le battre, peut seruir de characteres ; par exemple l'on peut se seruir des cinq temps du quatriesme mouuement pœonique, qui est representé par trois brefues & vne longue ∪ ∪ ∪ −, pour les quatre premieres lettres A B C D, & de la premiere espece du mesme mouuement, qui est le precedent renuersé − ∪ ∪ ∪, pour les quatre lettres qui suiuent, à sçauoir E F G & H ; le mouuement Choriambique dissous, ou Pyrrychianapeste, qui est composé de quatre mouuemens briefs & d'vn long, peut exprimer I K L M N : quelques-vns appellent ce mouuement François, d'autant que les François se seruent ordinairement de ce mouuement quand ils battent le Tambour, comme l'on voit icy ∪ ∪ ∪ ∪ −. O P Q R peuuent estre exprimez par le mouuement Ionique mineur, dont les deux premiers mouuements sont briefs, & les deux derniers sont longs, comme l'on voit icy ∪ ∪ − −. Les Suisses s'en seruent quand ils battent le Tambour. En fin le mouuement Choriambique, dont le premier & dernier mouuement est long, & le second & le troisiesme est brief, comme l'on voit icy − ∪ ∪ −, peut achever l'alphabet en exprimant ces quatre dernieres lettres S T V X. L'on se peut seruir des mesmes mouuemens sur les Cloches, sur les Trompettes, sur le Luth, sur la Viole, sur l'Orgue & sur les autres instrumens […]
L'exemple de ces changemens se void dans le tetrachorde Diatonic, ut, re, mi, fa, qui peut exprimer nos vingt-quatre lettres : ce qui se peut aussi [p41] faire auec les quatre principales notes, ou cadances de chaque Octaue, ou de chaque mode, par exemple auec les cadances du premier mode, ut, mi, sol, fa : voicy l'exemple du susdit Tetrachorde, ut, re, mi, fa, qui fait voir que ces quatre syllabes, qui signifient les quatre Sons du Tetrachorde des principales, peuuent estre coniointes en vingt-quatre manieres differentes.
Or l'on peut conclure de ce discours combien il y a de chants differens dans l'estenduë d'vne double, d'vne triple, ou d'vne quadruple Octaue, & des suiuantes iusques à l'infiny. Ie remarqueray seulement que le nombre des chants, qui peuuent estre trouués dans quinze Sons, ou dans vne double Octaue, est exprimé par le nombre qui suit 1307674368000 […]
Ces 24 changemens monstrent que l'on peut faire vingt-quatre chants differents auec quatre chordes d'vne Epinette, quatre tuyaux d'Orgue, ou autres quatre Sons, sans repeter deux fois vn mesme Son ; la Quinte donne six vingt chants tous differents : la Sexte maieure ou mineure 720 : la Septiesme 5040. & l'Octaue 40320 : d'où il s'ensuit que l'on peut faire des harangues entieres auec la seule Quarte sur le Luth, sur l'Orgue, sur les Cloches, sur la Trompette, &c. qu'auec l'Octaue l'on peut exprimer tous les characteres des Chinois, pourueu qu'ils ne surpassent pas le nombre de quarante mille trois cens vingt : & que celuy qui cognoistroit toutes les especes des plantes, des animaux, des mineraux & des pierres, pourroit les exprimer & enseigner toutes les sciences auec toutes sortes d'instrumens de Musique.
Il faudroit encore experimenter toutes les especes de chordes sur les Luths, les Violes, les Lyres, & les Harpes, & faire ces instruments de toutes sortes de bois, de cornes & de metaux, afin d’obseruer la diuersité des Sons ; et si la caisse d’vn Tambour estoit d’or ou d’argent, & que la peau fust d’vn Ours, d’vn Tygre, ou d’vn Lyon, le Son du Tambour seroit different de celuy de l’ordinaire.
[…] La seconde partie [de cette proposition XXIII : « La force des Sons est multipliée par les diuers mouuemens Rhytmiques que l'on leur donne, & par la qualité des corps & des coups par lesquels ils sont produits »] se prouue aussi par l'experience, qui monstre qu'vn vase fait de bon metal, comme celuy dont on fait les Cloches, & qu'vn vase d'argent a le Son plus penetrant & plus vif qu'vn vase de plomb. Ceux qui ioüent de l'Epinette remarquent que les chordes d'or ou d'argent font vn autre effet que les ordinaires : & l'on pourroit experimenter la mesme chose aux Trompettes d'or, d'argent, d'acier & de toutes sortes de metaux, ou de cornes & de bois, afin de remarquer la difference des Sons en toutes sortes de Trompettes, de tuyaux d'Orgues, de Flutes & de Flageolets.
[…] D’où il arriue que les Dissonances qui viennent des Sons que font les chordes incommensurables en longueur ne sont pas aussi mauuaises que celles qui se font par les chordes incommensurables en puissance, parce que celles-cy sont plus difficiles à comprendre que celles-là. Or il est aysé de representer en cette maniere toute la Geométrie par le moyen des Sons, mais il est encore plus aysé de representer l’Arithmetique, d’autant que tous les nombres sont mesurez par l’vnité, & consequemment ils sont tous commensurables.
L’on peut voir au traité du Luth, sur lequel le ton est diuisé en deux demi-tons, & l’Octave en douze demitons esgaux, de combien les Consonances & les Dissonances de cette diuision sont differentes de celles qui suiuent la proportion harmonique des nombres, que i’explique en plusieurs endroits, & de combien les Sons qui suiuent la proportion Arithmetique sont plus doux que ceux qui suiuent la Geometrique.
Proposition XXXI. A sçauoir si le Son aigu est plus agreable & plus excellent que le graue. Cette question peut estre decidée par l’experience & par la raison, mais il faut prendre le graue, & l’aigu d’vn mesme genre ; c’est à dire sur vn mesme instrument, ou dans les voix humaines, car ce seroit vne autre difficulté, si l’on vouloit faire comparaison de la voix aiguë d’vn homme, & du son graue d’vne Viole, ou d’vn Luth. L’on peut donc entendre cette difficulté de la comparaison du Son graue, & de l’aigu d’vn mesme instrument, par exemple du Luth, de la Viole, de l’Epinette, ou de l’vn des ieux d’Orgues, ou de la voix humaine : & la comparaison des voix se peut faire en deux manieres, à sçauoir de la voix graue de celuy qui fait la Basse, & de l’aiguë d’vn enfant, ou de la voix graue et aiguë d’vne mesme personne. Mais il ne faut pas comparer vne bonne voix auec vne mauuaise, car la bonté de la voix graue doit estre esgale à celle de l’aiguë, afin que la comparaison soit parfaite.
Proposition V. Expliquer la maniere de nombrer tres-aysément tous les tours & retours de chaque chorde de Luth, de Viole, d’Epinette, &c. & determiner où finit la subtilité de l’œil & de l’oreille. […] Il faut donc premierement determiner le son que l’on desire de la chorde, auant que de demander le nombre de ses retours, parce qu’elle en fait vn nombre d’autant plus grand dans vn mesme temps qu’elle a le son plus aigu. Ie suppose donc que l’on vueille sçauoir le nombre des retours de la chorde d’vne Epinette, ou d’vn Luth, lors qu’elle est à l’vnisson du ton de Chapelle, que l’on prend sur vn tuyau de quatre pieds ouuert, ou de deux pieds bouché faisant le G re sol, sous lequel les voix les plus creuses, ou les plus basses de France peuuent seulement descendre d’vne Quinte pour arriuer iusques au C sol vt. Or chacun peut porter ce ton auec soy par le moyen d’vne clef percée, ou d’vn Flageollet, qui monte à l’Octaue, à la Quinziesme, ou à tel autre interualle que l’on voudra par dessus ledit G re sol, parce qu’il suffit de se souuenir que ce son est plus haut que ledit ton de Chapelle d’vn interualle donné, pour l’exprimer apres auec la voix, ou autrement.
[…] & pour ce sujet ie dy premierement qu’il est aisé de dire le nombre des boyaux dont chaque chorde de Luth, de Viole, ou d’vn autre instrument est faite, par le son qu’elle fait : car apres auoir consideré le son de celle qui n’a qu’vn boyau, l’on sçait la raison de son ton auec celuy des autres chordes de telle grosseur qu’on voudra, soit qu’elles ayent vne mesme ou differente longueur & tension, pourueu que l’on cognoisse ladite tension & longueur : par exemple, si celle d’vn seul boyau longue d’vn pied tenduë par sept liures fait l’vt de C sol & que celle de deux pieds tenduë par sept liures descende vne Octaue, il est certain qu’elle est composee de trois boyaux, parce que si elle n’estoit tenduë que par quatre liures, elle n’aurait qu’vn boyau, puisque la tension est en raison doublee des sons, lors que les chordes sont d’esgale grosseur : & parce qu’outre cette double longueur, la grosseur est triple, il faut encore tripler le poids ou la tension de la chorde d’vn boyau pour auoir la tension de sept liures.
PROPOSITION VIII. La voix des animaux est necessaire, & celle des hommes est libre ; c'est à dire que l'homme parle librement, & que les animaux crient, chantent, & se seruent de leurs voix necessairement. Nous experimentons la liberté que nous auons de parler, ou de nous taire à tous momens, quand mesme la passion nous fait parler ; si ce n'est qu'elle soit si forte qu'elle nous oste l'vsage de la raison : car la langue, le larynx, & tous ses muscles auec les autres parties qui seruent à la voix, obeissent aussi promptement à l'esprit que le pied & la main : de sorte que l'on peut dire que la langue est la main de l'esprit, comme la main l'est de la langue, dautant que la langue escrit les pensees, ou les paroles de l'esprit, comme la main escrit les paroles de la langue. Quant aux animaux, plusieurs disent qu'ils ne crient pas necessairement, dautant qu'il n'y a ce semble rien de plus libre que le chant des oiseaux, comme du rossignol, du chardonnet, & des autres, & neantmoins il faut aduoüer qu'ils ne chantent que par necessité, soit que la volupté, ou la tristesse les pousse à chanter, ou qu'ils y soient excitez par quelque instinct naturel, qui ne leur laisse nulle liberté de se taire, ou de cesser quand ils ont commencé à chanter. Et quand ils oyent vn Luth, ou quelque autre son harmonieux, & qu'ils chantent à l'enuy les vns des autres, les sons qu'ils imitent, ou qui les excitent à chanter, frappent tellement leur imagination, qu'ils ne peuuent pas se taire ; car leur appetit sensitif estant échauffé par l'impression de l'imagination, commande necessairement à la faculté motrice de mouuoir toutes les parties qui sont necessaires à la voix.
Il est tres-aisé de prouuer ceste Proposition, car si l'on suit les sons de l'Instrument, ou du systeme parfait, & particulierement ceux de l'Orgue, qui contient les trois genres de Musique, l'on chantera tous les interualles de la Chromatique & de l'Enarmonique ; & lors que l'on aura accoustumé la voix à ces interualles, elles les chantera aussi aisément que ceux de la Diatonique. Il faut dire la mesme chose des interualles qui sont dans les especes des trois genres ; car il n'y a point d'interualles ausquels la voix humaine ne puisse s'accommoder, pourueu qu'ils ne passent pas sa portée & son estenduë. Et si les Practiciens prennent la peine d'instruire quelques enfans auec l'Orgue diuisé en ces interualles, ils auront le contentement de faire chanter l'Enharmonique. L'on peut aussi contraindre les Chantres de faire lesdits interualles, pourueu qu'ils veüillent chanter ce qu'ils sçauent ; car si l'on prend le mesme chant plus haut ou plus bas qu'eux d'vne diese Enharmonique, l'on entendra tousiours ceste diese.
Or il n'est pas icy necessaire de repeter ce que nous auons dit des parties, des vsages, & de la composition de la languette ou de la glotte dans la troisiesme Proposition ; c'est pourquoy ie m'arreste seulement dans celle-cy à expliquer les mouuemens qu'elle a, ou la figure qu'elle prend en faisant les voix graues & aiguës, & dis qu'il faut necessairement que la languette soit plus ouuerte aux sons graues qu'aux aigus, ou si elle garde vne mesme ouuerture en faisant deux, ou plusieurs voix differentes quant au graue, & à l'aigu, qu'il faut que le vent soit poussé differemment, à sçauoir plus fort pour faire la voix aiguë, & plus foiblement pour faire la voix graue.
Si la languette du larynx est semblable a l'anche des flustes, & qu'elle [p018] face la voix graue & aiguë, de mesme maniere il est tres-aisé d'expliquer comme elle fait ceste difference de voix ; car nous experimentons que ladite anche fait le son par ses tremblemens, comme font les chordes des autres Instrumens, & qu'elle les fait d'autant plus graues ou aigus, qu'elle tremble plus lentement ou plus viste ; de sorte que si la raison du son graue à l'aigu est double, c'est à dire de 2 à 1, il est certain que l'anche tremble deux fois plus viste en faisant le son aigu, & consequemment qu'elle tremble cent fois en faisant le son aigu, lors qu'elle tremble cinquante fois en faisant le son graue.