Ie laisse toutes les mignardises, & les delicatesses dont on peut vser en ioüant de la Harpe, d'autant qu'on luy peut appliquer vne partie de celles qui se pratiquent sur les autres instrumens, quoy que la maniere de la toucher, & de pinser ses chordes soit fort differente de celle dont on touche les autres, car les deux mains la touchent de mesme façon. Certes si l'on considere les tremblemens du manche du Luth, dont la Harpe est priuée, ie croy que l'on auoüera qu'il est plus charmant, & qu'il merite d'estre appellé le Roy des instrumens, quoy qu'il soit libre à vn chacun d'en croire ce qu'il voudra. Quant à l'accord de la Harpe, il est semblable à celuy de l'Epinette, car toutes ses chordes vont de demy-ton en demy-ton, de sorte qu'elle contient 28 demy-tons, dont il n'est pas aysé de determiner les grandeurs, qui peuuent [p171] estre esgales ou differentes selon le temperament qu'on leur donne, dont il n'est pas besoin de parler icy, d'autant que i'en ay traité amplement dans les discours du Luth, de l'Epinette, & de l'Orgue : d'où l'on conclura si l'on peut mettre le genre Enharmonique sur la Harpe. Sa tablature ordinaire n'est pas differente des notes de Musique, quoy que l'on puisse vser du nombre de ses chordes pour ce suiet : par exemple, l'on peut marquer l'Octaue par 1 & 13, la Quinte par 1 & 6, &c. d'autant que la premiere chorde fait l'Octaue auec la 13, & la Quinte auec la 6 ; & parce qu'il y a 49 chordes, à sçauoir celles des deux premiers rangs, qui toutes ont leurs sons differents, il faut vser de 49 nombres, dont chacun signifiera tousiours sa propre chorde ; or l'on peut commencer par la plus courte, que l'on appelle chanterelle, & finir à la plus longue A K, qui sert de bourdon & de Proslambanomene, comme parlent les Grecs, afin de suiure l'ordre que l'on garde aux autres instrumens ; quoy que l'on puisse semblablement commencer à conter 1, 2, 3, &c. par la plus grosse chorde, comme font les Italiens, puis qu'elle sert de base & de fondement aux autres chordes, comme l'vnité aux nombres.
PROPOSITION XXIV [XXV]. Expliquer les figures antiques de la Harpe, & des autres instrumens des Grecs & des Romains. Pvis que plusieurs desirent sçauoir les coustumes de l'antiquité, ie ne veux pas obmettre les instrumens dont les Grecs, les Romains, & les Ægyptiens se sont seruis, si les marbres antiques d'Italie, & les medailles ne nous trompent, dont les figures qui suiuent ont esté prises, & m'ont esté enuoyées par Messieurs Gaffarel & Naudé, tous deux excellens Personnages. Or les trois premieres figures qui sont en bas, à sçauoir f d g, h i, & m n l o, & les deux d'en haut I K L, & M N O monstrent les differentes figures de leurs Cithares, ou Harpes, ou des instrumens qu'ils appelloient Testudo, Chelys, Phormynx, &c. e & m font voir le ventre & le dos de la Tortuë, ou le dessus & le dessouz de sa coquille, car l'on rapporte la premiere inuention de cet instrument à Mercure, lequel ayant vuidé la Tortuë en perça la coquille, la monta de chordes de boyau, & y adiousta les deux branches que l'on void dans nos figures, afin d'y attacher les chordes, au son desquelles il accorda sa voix, comme Homere remarque dans son hymne. Horace luy donne le nom de Lyre dans la 10 Ode de son premier liure : mais il est tres-difficile, & peut-estre impossible de sçauoir si leur Cithare, que quelques vns croyent estre la Guiterre, estoit differente de leur Lyre à sept ou à neuf chordes ; c'est pourquoy il suffit de lire ce qu'en rapporte Vigenere dans ses notes sur l'Amphion de Philostrate, où il met deux figures antiques, & où il donne vn sens Moral & Physique à toutes les parties de cet ancien instrument. Il faut seulement remarquer que le ton n'est pas consonance, comme il suppose pour trouuer son septenaire dans les consonances, car il est l'vne des dissonances de la Musique : il eust deu mettre l'vnisson, au lieu du ton ; ce qui n'empesche pas que nous ne soyons grandement redeuables à cet excellent homme, qui a enrichy nostre langue d'vn si grand nombre d'ouurages tirez de l'antiquité, & de plusieurs experiences qu'il donne. Ceux qui desirent sçauoir les notes de plusieurs instrumens & de leurs inuenteurs, peuuent lire le traité que Plutarque a fait de la Musique, Athenée, Pollux, & tous les Autheurs anciens, & attendre le traité particulier qu'en a fait le sieur Saumaise.
Quant aux parties de ces instrumens anciens d, h, l, & I est le trauers, qui est lié aux branches, ou aux cornes f, g, n, o, & qui tient les cheuilles h l, dont on bande les chordes. La coquille sert de table, laquelle est droite dans la figure h i, pres de laquelle on void le Plectrum des anciens, lequel n'est autre chose qu'vn baston dont ils frappoient les chordes, comme l'on fait maintenant au Psalterion, duquel ie donneray la figure & l'vsage. Les trois instrumens du milieu sonnent lors que la main qui les empoigne par leurs manches R, V, & a les secouë & les esbranle : R Q & Z a font voir la forme des Cistres anciens, vsitez en Ægypte. Mais il faut remarquer que les barres de fer, ou de leton, ou de quelqu'autre matiere S T, & b c se meuuent horizontalement de S en T & de T en S, afin de frapper le corps du Cistre Q & Z, & de faire des sons à l'vnisson, comme font les anneaux des Cymbales, ou triangles d'acier dont on vse maintenant. L'instrument V X se meut [p173] perpendiculairement de X en V, & d'V en X, afin que les petits morceaux de leton ou d'acier Y, &c. se frappent & meinent le bruit auquel ils sont destinez & appropriez. Monsieur Naudé m'a enuoyé vne figure d'vn sacrifice ancien, dans laquelle l'vn de ceux qui y sont representez, tient cette figure par le manche V. Quant à l'animal representé sur le Cistre R Q, à sçauoir si c'est vne chate, vn lyon, ou vn bœuf, suiuant les differentes opinions que l'on [p173bis] a de ce que les AEgyptiens representoient dessus pour honorer leur Isis, i'en laisse la recherche aux Critiques, car il suffit que ie donne fidelement tout ce que i'ay peu trouuer dans les marbres & dans les medailles antiques.
Les flustes A C & B D sont esgales, & peuuent estre toutes deux embouschées par A B. Leurs lumieres sont representées par E F, elles n'ont chacune que cinq trous, & sont attachées & arrestées ensemble par les barres G & H. L'on peut encore voir d'autres instrumens antiques dans les Dialogues de Vincent Galilée, page 40 & 41, où il met vne forme de Harpe de 35 chordes, qu'il appelle Simique, & vne autre de 40 qu'il nomme Epigonion : & l'on trouuera encore d'autres remarques que i'ay faites dans le premier liure Latin des instrumens. Pour le nombre des chordes de la Lyre antique, dont nous auons icy mis les figures qui sont aussi rapportées à la 129. page de cet Autheur, il n'y en a que sept : & parce qu'elles ne pouuoient estre sonnées qu'à vuide ou à l'ouuert, elles ne pouuoient pas faire d'autres varietez, que celles qui dependent de leurs sept sons, ou de leurs six interualles, des lieux differens où elles estoient touchées, & des percussions plus fortes ou plus legeres, comme il arriue maintenant à nostre Psalterion, dont ie m'en vais expliquer la figure, puis qu'il semble estre l'vn des plus anciens de tous les instrumens.
PROPOSITION XXV [XXVI]. Expliquer la figure, l'accord, l'estenduë, la Tablature, & l'vsage du Psalterion. Il est souuent parlé dans l'Escriture saincte de cet instrument, que les Hebrieux appellent נֵבֶל nebel, mais nous ne sçauons pas la forme qu'il leur donnoient, ny le nombre de ses chordes : car encore que le Decachorde precede le Psalterion, & qu'il semble qu'il luy serue d'epithete, neantmoins plusieurs croyent que ce sont deux instrumens differents. Quoy qu'il en soit, cette figure represente celuy dont on vse maintenant, sur lequel on met treize rangs de chordes, dont chacun à deux chordes à l'vnisson ou à l'Octaue, ausquelles on en pourroit adiouster d'autres à la Quinte, & à la Quinziesme pour augmenter l'harmonie. Sa figure triangulaire G H K C monstre vn triangle tronqué, lequel on peut faire equilateral ou isoscele, ou de telle autre maniere que l'on voudra. Les nombres qui vont en montant signifient les 13 rangs des chordes, qui en contiennent 26. Leur accord est marqué par les lettres de la Gamme, qui sont à main gauche, dont la premiere signifie le G re sol, qui est plus bas d'vne Quarte que la seconde lettre C, afin que le second G re sol ayt son Octaue en bas. Mais les autres lettres se suiuent par degrez conioints, & monstrent les sons & les interualles de chaque chorde, comme l'on void dans la table qui suit, laquelle monstre la iustesse de tous les degrez, & des interualles tant consonans que dissonans.
Les petits fers N O, qui ont trois trous, & qui sont faits en forme de lis, attachent le couuercle qui ferme le Psalterion, lequel a ce priuilege par dessus les autres instrumens, que l'on apprend a en sonner dans l'espace d'vne ou deux heures, ce qui le fait estimer de ceux qui n'ont pas dauantage de temps pour l'employer à cet exercice. Or ces premieres chordes sont de leton, & les autres d'acier, lesquelles ont vne certaine pointe & gayeté qui ne se rencontre pas dans les autres instrumens, tant à raison des petits sauts & reiallissemens du baston, que de la briefuetè & tension des chordes, qui sont capables de toutes sortes de chansons, pourueu que l'on y mette toutes les chordes necessaires ; car encore que cettuy-cy soit accordé par ♭ mol, il est tres-aysé de l'accorder par ♮ quarre, si l'on veut sonner deux ou plusieurs parties ensemble sur cet instrument, l'on peut auoir deux bastons, ou toucher vne, deux, ou plusieurs parties de la main gauche, tandis que la main droite frappe les chordes auec le baston. Quant à sa fabrique & à sa matiere elle n'est pas differente de celle de l'Epinette, dont ie parleray apres. Mais l'on peut faire le Psalterion double ou triple, par le moyen de trois ou plusieurs cheualets trauersans, afin de sonner les trois genres de Musique sur vn mesme instrument ; il peut aussi seruir pour apprendre à chanter & à entonner iuste. Or on le peut toucher auec tant d'industrie & d'adresse, qu'il ne donnera pas moins de plaisir que les autres instrumens. Quant à sa Tablature on la peut marquer par les notes de la Musique, ou par les lettres de la main Harmonique, A, B, C, &c. ou par les nombres dont se seruent quelques-vns en chantant vn, deux, trois, quatre, cinq, &c. au lieu d'vt, re, mi, fa, sol, &c. de sorte que les treize premiers nombres peuuent seruir pour tous les chants, dont cet instrument est capable : car pourueu que l'on sçache le son de chaque chorde, l'vnité seruira au plus graue, le binaire au second, le ternaire au troisiesme, & ainsi des autres iusques au treziesme qui signifie le son le plus aigu.
Certes l'harmonie de ce Psalterion est fort agreable, à raison des sons clairs & argentins que rendent ses chordes d'acier : & ie ne doute nullement que l'on n'en receust autant ou plus de contentement que de l'Epinette, ou de la Harpe, s'il se rencontroit quelqu'vn qui le touchast auec autant d'industrie comme l'on touche le Clauecin. Quoy qu'il en soit, l'on peut receuoir du plaisir de cet instrument à bon marché & bien commodément, puis que l'on le peut auoir auec toute sa science pour vn escu, & que l'on peut le porter dans la poche. Or quelques-vns mettent vne diuision de haut en bas par le milieu, ou par tel autre lieu des chordes qu'ils veulent, afin d'auoir deux Psalterions dans vn, & de toucher des Duo dessus, & l'on peut le monter de chordes de tous les metaux dont i'ay parlé dans la 19. Proposition de ce liure, afin d'experimenter de combien le son des vns est plus harmonieux que celuy des autres. L'on peut aussi le monter de chordes de boyau, ou de soye, [p175] comme les autres instrumens. Or apres auoir parlé des instrumens que l'on touche des doigts, & qui ont des clauiers, il faut expliquer tout ce qui appartient à ceux qui se touchent de l'archet, ce que nous faisons dans le liure qui suit. Car quant à la Harpe, & au Psalterion du Prophete Royal, & de tous les autres instrumens, dont il est parlé dans la saincte Escriture, les plus sçauans Rabins confessent qu'ils n'en peuuent sçauoir les vrayes figures, ny la maniere dont on les touchoit : & ie n'ay pas entrepris ce traité pour le remplir de coniectures, ou pour deuiner, mais pour demonstrer ce qui subsiste, & ce qui ne peut estre nié par ceux qui ne renoncent pas aux sens, à l'experience, & à la raison.
PROPOSITION XXVI [XXVII]. Expliquer la figure, la matiere, les parties, l'accord, & l'vsage des Regales de bois, que l'on appelle Claquebois, Patoüilles, & Eschelettes. Pvis que les Flamands se seruent de morceaux de bois pour faire des Regales semblables aux Epinettes, & que ie ne veux rien obmettre de tout ce qui est en vsage chez nos voisins, il est raisonnable de representer cet instrument composé de dix-sept bastons, afin qu'il ayt l'estenduë d'vne Dix-septiesme, dont le son le plus graue est fait par A C, qui doit estre cinq fois aussi long que B D, puis que leurs deux sons suiuent la raison de cinq à vn ; quoy qu'on y puisse adiouster autant de bastons comme il y a de chordes sur l'Epinette. A B G H monstre le parallelogramme qui contient les dix-sept marches du clauier, dont chacune est semblable à la marche E F que i'ay mise à part, afin que l'on comprenne comment la teste F frappe les bastons de ce Claquebois lors que l'on abbaisse la palette E. Or les bastons sont attachez à des clous, ou à des cheuilles en α & β, & sous A & C, afin qu'ils tiennent ferme lors qu'ils sont tendus en l'air. Quant à la matiere on les fait d'vn bois resonnant, comme de hestre, ou de tel autre bois que l'on veut ; mais si on les faisoit d'acier, de leton, ou d'argent, ils rendroient vne harmonie plus agreable. L'accord de ces bastons depend de leurs grandeurs qu'il faut proportionner selon les loix que i'ay prescrit dans les liures de la Theorie : mais leur vsage peut apporter de la lumiere à la Physique, encore que ceux qui en vsent se contentent du plaisir qu'ils reçoiuent des sons, ou de l'apprentissage qu'ils font auec cet instrument pour toucher apres les carillons des cloches, dont [p176] ils se seruent en Flandre pour ioüer toutes sortes de chansons & de concerts, comme ie monstreray dans le liure des Cloches ; d'autant que l'on peut determiner quel est le ton de toutes sortes de corps par le moyen de ces Regales, & par consequent l'on peut sçauoir la raison que leur pesanteur à auec leurs sons, afin de conclure de nouuelles choses de leurs qualitez manifestes ou ocultes ; par exemple si l'on fait des Cylindres de plusieurs sortes de pierres, les sons plus aigus feront voir celles qui seront plus dures, plus seiches, ou plus legeres, &c.
l'adiouste encore la figure B D E pour representer l'eschelle dont les Turcs & plusieurs autres se seruent en frappant dessus auec vn petit baston au bout duquel on met vne petite boule. Cet instrument est composé de douze bastons qui vont tousjours en se diminuant depuis le 12 D E iusques au premier A B. Le plus grand baston a ordinairement 10 pouces de longueur, & consequemment le dernier doit estre de trois pouces & 1/3, afin de faire la Douziesme dont la raison est de 3 à 1, encore que les Facteurs les diminuent si peu que le premier est seulement double du dernier, parce qu'ils recompensent la longueur par l'espaisseur ; mais ie monstreray plus exactement dans les liures de la Theorie, quelle proportion il y a entre les corps solides & leurs sons. Quant à la base de ces bastons Cylindriques, elle a coustumé d'estre Elliptique, quoy qu'elle puisse auoir telle autre figure que l'on voudra : par exemple la ronde, ou la quarrée, car on les peut faire parallelepipedes, en forme de prismes, &c. L'on peut sçauoir la quantité de chaque baston en trouuant l'aire de l'ellipse de leurs bouts, dont le plus grand diametre est 1/9, ou 1/10 partie de longueur, & le moindre est sesquialtere du plus grand, car la hauteur ou longueur du Cylindre multipliée par sa base donnera la solidité, & consequemment la quantité du baston. Il faut aussi remarquer que l'on perce chaque baston vers ses deux extremitez, afin de les attacher tellement ensemble qu'ils soient separez par le moyen d'vne petite patenostre ou boule, de peur qu'ils ne se touchent, autrement l'on ne pourroit pas les frapper si distinctement les vns apres les autres comme il est requis pour en distinguer leurs sons, qui donnent autant de plaisir que ceux des autres instrumens, lors qu'on fait les diminutions & les fredons dont cette eschelle est capable. Or ie viens aux instrumens qui se touchent auec l'archet, afin qu'il ne manque rien dans cet œuure.
LIVRE QVATRIESME DES INSTRVMENS A CHORDES. PREMIERE PROPOSITION. EXPLIQVER LA FIGVRE, LA MATIERE, les parties, l'accord, l'estenduë & l'vsage des Violons. Le Violon est l'vn des plus simples instrumens qui se puissent imaginer, dautant qu'il n'a que quatre chordes, & qu'il n'a point de touches sur son manche, c'est pourquoy l'on peut faire dessus toutes les Consonances iustes, comme auec les voix, dautant que l'on le touche où l'on veut : ce qui le rend plus parfait que les instrumens à touche, dans lesquels on est contraint d'vser du temperament, & d'affoiblir ou d'augmenter la plus grande partie des Consonances, & d'alterer tous les interualles de Musique, comme ie monstreray apres.
A quoy l'on peut adiouster que ses sons ont plus d'effet sur l'esprit des auditeurs que ceux du Luth ou des autres instrumens à chorde, parce qu'ils sont plus vigoureux & percent dauantage, à raison de la grande tension de leurs chordes & de leurs sons aigus. Et ceux qui ont entendu les 24. Violons du Roy, aduoüent qu'ils n'ont iamais rien ouy de plus rauissant ou de plus puissant : de là vient que cet instrument est le plus propre de tous pour faire danser, comme l'on experimente dans les balets, & par tout ailleurs. Or les beautez & les gentillesses que l'on pratique dessus sont en si grand nombre, que l'on le peut preferer à tous les autres instrumens, car les coups de son archet sont par fois si rauissans, que l'on n'a point de plus grand mescontentement que d'en entendre la fin, particulierement lors qu'ils sont meslez des tremblemens & des flattemens de la main gauche, qui contraignent les Auditeurs de confesser que le Violon est le Roy des instrumens.
Quant à l'estenduë de chaque partie, elle est de quatre quintes qui font la Dix-septiesme maieure, car outre les trois Quintes qu'elle fait à vuide, elle monte encore d'vne quinte par le moyen du manche que l'on touche. Et les excellens Violons qui maistrisent cet instrument peuuent faire monter chaque chorde iusques à l'Octaue par le moyen du manche, sur lequel ils treuuent 144 demy-tons pour transposer les 12 modes en tel lieu, & à tel ton qu'ils veulent. Or les 2 figures precedentes suffisent pour faire comprendre celles des autres parties, qui ne different que de grandeur, comme il arriue aux autres instrumens, dont les plus grands esbranlent vne plus grande quantité d'air, & font des sons plus graues & plus profonds. Quant à la grosseur & à la longueur des chordes, elles doiuent suiure celles des Violons, & les raisons de l'harmonie : par exemple, celles du Dessus doiuent estre huict fois moindres que celles de [p180] la Basse, lors qu'elles montent plus haut de trois Octaues, si l'on desire que la Musique soit parfaite, encore que ceux qui ioüent de cet instrument n'obseruent pas ces grandeurs si exactement, & que les Facteurs ne fassent pas les tables, les corps, & les manches en mesme raison que les sons qu'ils en veulent tirer, neantmoins s'ils en veulent prendre la peine, il n'est pas si difficile que l'on ne puisse le pratiquer, car si la plus grosse chorde de la Haute-contre est plus basse d'vne Quinte que celle du Dessus, il faut que ces quatre chordes soient sesquialteres de celles du Dessus tant en longueur qu'en grosseur, c'est à dire qu'elles ayent trois pieds de long si celles du Dessus ont deux pieds ; & si la plus grosse de la Taille descend plus bas d'vne Octaue que celle du Dessus, elles doiuent auoir toutes leurs dimensions doubles de celles du Dessus. Finalement, si la plus grosse chorde de la Basse est à la Douziesme, ou à la Quinziesme du Dessus, elle doit auoir ses chordes trois ou quatre fois plus grosses & plus longues. Mais i'ay fait vn discours particulier de la raison de toutes sortes de chordes dans le traité de l'Epinette, où l'on void la iuste proportion de leurs grandeurs.
Or il faut remarquer que les parties du milieu, c'est à dire la Taille, la Cinquiesme partie, & la Haute-contre sont de differentes grandeurs, quoy qu'elles soient toutes à l'vnisson, & consequemment lors que la surface de la Haute-contre est à celle du Dessus comme neuf à quatre, c'est à dire double sesquiquarte, & que leurs corps ont mesme raison que 27 à 8, c'est à dire triple surtripartissante 8, la surface de la Taille deuroit estre à celle du Dessus comme 4 à 1, afin que leurs soliditez fussent comme de 8 à 1, c'est à dire octuples : & finalement la surface de la Basse deuroit estre à celle du Dessus comme 16 à vn, & le corps de celle-là au corps de cettuy-cy, comme 64 à 1. Ce qu'il faut semblablement obseruer aux Violes, aux Luths, & à tous les autres instrumens, dont on fait des concerts, d'autant que ie ne parleray plus de ces proportions dans les autres discours. Quant à la Tablature des Violons & des Violes, elle n'est pas differente des notes ordinaires de la Musique, encore que ceux qui n'en sçauent pas la valeur, puissent vser de nombres, ou de tels characteres qu'il leur plaira pour marquer leurs leçons & leurs conceptions, & pour escrire des tablatures particulieres, comme sont celles du Luth, & de la Guiterre : quoy que les notes vaillent mieux que les lettres, d'autant qu'elles marquent les sons, la valeur des mesures, & toutes sortes de temps, & qu'elles sont plus vniuerselles dans l'Europe. Or si l'on veut quitter les noms, dont les anciens ont exprimé leurs modes, à sçauoir Dorien, Phrygien, Lydien, l'Ionien & les autres, & que l'on vueille leur imposer des noms plus intelligibles que ceux des Grecs, l'on peut appeller le Ton, ou le mode du Violon, le mode gay & ioyeux, comme celuy de la Viole & de la Lyre, le mode triste & languissant ; celuy du Luth, le mode prudent & modeste ; celuy de la Trompette, le ton hardy & guerrier, & ainsi des autres suiuant la proprieté de chaque instrument.
Il faut encore remarquer que le Violon est capable de tous les genres & de toutes les especes de Musique, & que l'on peut ioüer l'Enharmonic, & chaque espece de Diatonic, & de Chromatic dessus, parce qu'il n'est borné d'aucunes touches, & qu'il contient toutes les interualles imaginables, qui sont en puissance sur son manche, lequel est semblable à la premiere matiere capable de toutes sortes de formes & de figures, n'y ayant nul point sur la touche [p181] du Violon qui ne fasse vn son particulier : d'où il faut conclure qu'elle contient vne infinité de sons differens, comme la chorde, ou la ligne contient vne infinité de points, & consequemment qu'elle peut estre appellée Harmonie vniuerselle. Or ie veux icy expliquer la maniere d'en ioüer en perfection, afin de ioindre la Pratique à la Theorie, & que ceux qui desirent toucher cet instrument sans l'ayde d'aucun Maistre, puissent faire tout ce qu'il leur plaira dessus ses quatre chordes.
PROPOSITION II. Expliquer la maniere de ioüer du Violon, & de mettre chaque doigt sur les endroits de la touche pour ioüer toutes sortes de pieces de Musique tant par B mol que par ♮ quarre. Pvis que le Violon n'a que quatre chordes, dont l'accord à vuide est ordinairement de Quinte en Quinte, comme i'ay monstré dans le discours precedent, si l'on fait tous les sons qui se peuuent tirer de ses chordes, on le touchera parfaitement. Mais afin d'aller par ordre, & d'euiter l'obscurité & la confusion, ie monstre premierement comme il faut poser le premier doigt que l'on appelle l'index, c'est à dire celuy qui est le plus proche du pouce, sur la 4. chorde, & puis comme il faut poser le 2, & le 3, & ce que fait chaque doigt. Or ie commence par la quatriesme chorde, parce qu'elle est la plus basse, afin de suiure la methode dont on vse en France, encore qu'il soit aussi aysé de commencer par la premiere que l'on appelle la chanterelle. Ie dis donc premierement que la 4. chorde fait le G re sol vt à vuide, c'est à dire sans l'ayde de la main gauche, qui sert seulement pour toucher le manche, & pour accourcir les chordes, comme la droite sert pour tenir l'archet, & pour en toucher les chordes en mille differentes manieres, comme ie diray apres. Mais on fait monter cette 4. chorde à l'A mi la re, c'est à dire vn ton plus haut, en posant le premier doigt dessus, suiuant les interualles du Monochorde que i'ay expliqué dans la cinquiesme Proposition. Et si l'on retire vn peu le mesme doigt vers le sillet, elle monte seulement d'vn demy-ton pour faire la feinte, ou le fa feint qui est entre A mi la re & G re sol vt : ce qu'il faut remarquer vne fois pour toutes, parce que chaque doigt peut faire le demy-ton & faire monter ou baisser chaque chorde de cet interualle en tous les endroits où l'on veut, selon qu'il est necessaire pour faire les accidents qui se rencontrent dans les differentes compositions. Le second doigt, qui est celuy du milieu, fait le ♮ mi sur la mesme chorde, en l'auançant vers le cheualet ; & le B fa en le retirant vers le sillet. Et le troisiesme doigt auancé vers le cheualet fait C sol vt fa, & si on l'auance encore vn peu, il fait monter la mesme chorde d'vn demy-ton, & fait la diese de C sol fa vt, au lieu du quatriesme doigt.
Quant à la perfection de la Pratique, elle consiste au beau toucher, lequel est la base & le fondement du plaisir qui doit contenter l'oreille : & parce que cet instrument n'a point de touches, il faut tellement aiuster les doigts sur chaque lieu du manche, que les sons persuadent vne proportion aussi bien reglée que s'il y auoit des touches comme à la Viole. En second lieu, il faut addoucir les chordes par des tremblemens, que l'on doit faire du doigt qui est le plus proche de celuy qui tient ferme sur la touche du Violon, afin que la chorde soit nourrie. Mais il faut appuyer les bouts des doigts le plus fort que l'on peut sur la touche, afin que les chordes fassent plus d'harmonie, & les leuer fort peu de dessus le manche, afin d'auoir assez de temps pour les porter d'vne chorde à l'autre. En troisiesme lieu, si l'on veut parfaitement reüssir, la main qui tient l'archet doit estre du moins esgale en vistesse à la gauche, d'autant qu'elle fait paroistre tous les mouuemens differens qui enrichissent les airs, & qui donnent de la beauté aux chants. En quatriesme lieu, il faut traisner l'archet sur les chordes, & repeter plusieurs fois le battement du doigt sur vn mesme ton, & puis sur vn autre, en continuant ainsi depuis le haut iusques en bas, pour faire les mignardises qui sont fort agreables, à raison de la belle modulation qui donne vn grand plaisir à l'ouye, quoy qu'il faille y proceder auec iugement. Or le Violon à cela par dessus les autres instrumens qu'outre plusieurs chants des animaux tant volatiles que terrestres, il imite & contrefait toutes sortes d'instrumens, comme les voix, les Orgues, la Vielle, la Cornemuse, le Fifre, &c. de sorte qu'il peut apporter de la tristesse, comme fait le Luth, & animer comme la Trompette, & que ceux qui le sçauent toucher en perfection peuuent representer tout ce qui leur tombe dans l'imagination. Ie laisse vne infinité d'autres remarques qui appartiennent à cet instrument, par exemple, que l'on peut sonner vne Courante, & plusieurs autres pieces de Musique auec vn seul coup d'archet : que l'on peut flatter les chordes de 8, de 16, ou de 32 coups de doigt dans l'espace d'vne mesure : qu'il faut mettre les trois doigts de la main gauche, c'est à dire l'index, celuy du milieu, & l'annulaire [p184] si pres de la chorde que l'on veut toucher, qu'il ne s'en faille qu'vne demie ligne qu'ils n'y touchent, afin que ce petit esloignement n'empesche point la vistesse du toucher & des tremblemens.
PROPOSITION IIII. Expliquer la figure & l'estenduë de toutes les parties des Violons, & la maniere d'en faire des Concerts, & les pieces de Musique propres pour ce suiet. Encore que l'on puisse quelquesfois toucher deux chordes de Violon en mesme temps pour faire vn accord, neantmoins il en faut plusieurs pour faire vn Concert entier, comme est celuy des 24 Violons du Roy, c'est pourquoy ie mets icy trois figures des Violons en taille douce, afin de representer toutes les parties ensemble, car la Haute-contre, la Taille, & la Cinquiesme partie sont semblables au Dessus M N, dont l'archet est O P ; il faut [p185] seulement remarquer que les autres parties sont plus grandes que le Dessus, par exemple que la Taille est plus grande de demy pied, &c. Quand à la Basse A E, dont les quatre cheuilles sont marquées par quatre nombres, elle est si bien faite qu'il n'est pas besoin de s'arrester à sa description : sa touche depuis D iusques à B, est le tiers de la longueur de la table D E, & est esgale à la largeur qu'elle a vis à vis du milieu des ouyes H I, ou du cheualet G : son archet est K L : ie laisse toutes ses autres parties, dont i'ay parlé dans l'explication des figures precedentes. I'adiouste seulement que cette Poche Q R, a vis à vis de son manche les notes qui se font sur sa touche par les doigts de la main gauche destinez aux touches b, c, d, &c. Car la premiere note, qui est sur la clef de nature, signifie le son de la chorde à vuide, que l'on peut asseoir sur le G re sol, ou telle autre note ou clef que l'on voudra, car le son de chaque chorde est indifferent, à toutes sortes de clefs. I'ay fait son archet S T V fort grand, afin de faire remarquer que les archets sont d'autant meilleurs qu'ils sont plus grands, pourueu qu'ils ne soient pas incommodes, parce que les traits & les coups en durent dauantage.
Mais auant que de mettre la piece de Musique, il faut considerer que l'on doit tousiours tirer l'archet en bas sur la premiere note de la mesure, & qu'il faut le pousser en haut sur la note qui suit, par exemple si la mesure est de 8 crochuës, on tire l'archet en bas sur la premiere & sur la 3, 5, & 7 ; lequel on pousse en haut sur la 2, 4, 6, & 8 : de sorte qu'il se tire tousiours sur la premiere note de chaque mesure composée d'vn nombre pair de notes, mais si elle est composée d'vn nombre impair, comme il arriue quand il y a quelque point apres l'vne des notes, l'on tire l'archet en haut sur la premiere note de la mesure qui suit, afin de le tirer encore sur la premiere note de la 3. mesure, ce qu'il faut semblablement dire de toutes les autres notes & mesures. Quant à l'accord des Violons, il faut remarquer que si l'on en touche vn auec le doigt, & l'autre auec l'archet en les accordant, qu'il peut arriuer qu'ils [p189] ne seront pas d'accord, quand on les touchera tous deux du doigt, ou de l'archet, parce que l'archet peut donner vne plus grande tension à la chorde en la faisant sonner hors de sa ligne droite : & les Violons maintiennent que le son des chordes est plus aigu quand l'archet les touche plus fort. Il peut aussi arriuer que le Violon que l'on aura accordé dans vn lieu sec, se desaccordera dans vn lieu humide, & au contraire : ie laisse mille accidens du Violon, par exemple qu'il perd vne grande partie de son harmonie quand on met vne clef, ou quelqu'autre chose semblable sur son cheualet : que la Colophone est plus propre à frotter la soye de son archet, que la poix resine, pour addoucir l'harmonie : que la chanterelle des Dessus est aussi grosse que la quatriesme des Luths, que la force des sons de cet instrument vient de la briefueté de ses chordes. [Fantaisie à 5. composée par le Sieur Henry le Ieune : DESSVS - HAVTE-CONTRE - TAILLE - BASSE‑CONTRE - CINQVIESME - DIMINVTION]
Pour la Lyre elle en approche d'auantage [de la Viole], mais elle n'est pas capable des passages que l'on execute sur la Viole, qui sont la vraye image de la disposition de la voix, parce que son cheualet est trop plat ; ce que l'on fait, afin de toucher par accords plusieurs chordes ensemble. Ceux qui ont ouy d'excellens ioüeurs & de bons concerts de Violes, sçauent qu'il n'y a rien de plus rauissant apres les bonnes voix que les coups mourants de l'archet, qui accompagnent les tremblemens qui se font sur le manche, mais parce qu'il n'est pas moins difficile d'en descrire la grace que celle d'vn parfait Orateur, il faut les ouyr pour les comprendre. Or auant que de finir ce discours, il faut remarquer deux choses qui arriuent tant aux chordes de la Viole, qu'à celles du Luth & des autres instrumens, [p196] dont la premiere s'apperçoit particulierement dans les plus grosses chordes, qui font quatre ou cinq sons differens en mesme temps : car lors que l'on touche la plus grosse chorde de la Viole d'vn coup d'archet, l'on entend le son naturel de la chorde, & puis vn autre son à l'Octaue en haut ; en troisiesme lieu la Dixiesme maieure, & finalement le quatriesme son qui monte à la Douziesme du premier son : de sorte que la mesme chorde touchée du doigt ou de l'archet, fait les quatre sons qui respondent aux quatre nombres 1, 4, 5, & 6. Ce qui arriue aussi bien aux chordes de leton qu'à celles de boyau ; c'est pourquoy l'on ne peut en prendre la raison du nombre des intestins qui composent la chorde de boyau. Or l'on n'entend ordinairement ces quatre sons que lors qu'on touche les grosses chordes, car la chanterelle & les deux ou trois autres qui suiuent sur le Luth, ne font pas si sensiblement ces interualles, que l'on comprend mieux sur la Viole que sur le Luth, à raison que le trait de l'archet dure plus long-temps, & donne plus de temps à l'oreille & à l'imagination pour les remarquer, que ne fait le son du Luth qui cesse beaucoup plustost. Mais ie parleray plus amplement de ce merueilleux Phenomene dans le traité de la Lyre. L'autre chose qui arriue aux chordes, consiste en la tension, qui les fait monter plus haut sur de certaines Violes que sur les autres, encore qu'elles soient toutes de mesme longueur, & qu'il y ayt vne esgale distance de leurs cheualets à leurs sillets : car il y a des Violes sur lesquelles on rompt vingt ou trente chanterelles, auant que d'en pouuoir trouuer vne qui monte assez haut, & d'autres sur lesquelles toutes sortes de chanterelles montent aysément, dont les Facteurs d'instrumens ne donnent point d'autre raison, que la dureté & la force de la table qui rompt les chordes, au lieu qu'elle les conserue lors qu'elle est moins forte, & qu'elle tremble & fremit plus aysément.
PROPOSITION VIII [VI]. Determiner si la chorde qui est touchée & pressée par l'archet, fait autant de tours & de retours en mesme temps que celle qui est touchée du doigt, lors qu'elles sont à l'vnisson. Si l'vnisson de toutes sortes de chordes suffit pour demonstrer que le nombre de leurs tours & de leurs retours est esgal dans vn temps esgal, il n'y a nul doute qu'elles tremblent autant de fois les vnes que les autres, & consequemment que celle que l'on touche auec l'archet, fait autant de retours contre le mouuement de l'archet, que si elle estoit touchée d'vne plume ou du doigt. Mais puis que l'archet pousse tousiours la chorde d'vn mesme costé, tandis que son coup se fait de droit à gauche, ou de gauche à droit, il semble qu'elle ne peut reuenir à contresens, & au contraire de l'archet qui la tient en mesme estat, & qui la conserue dans la situation qu'il luy à donnée, lors qu'il la poussée iusques où elle a peu aller. A quoy l'on peut adiouster que les tremblemens de la chorde ne sont pas entierement necessaires pour faire le son, car l'on experimente souuent que plusieurs corps estant pressez, frottez & meus contre des pierres, des carreaux, du bois, ou de la terre dure font des sons semblables à ceux des Violes, encore que l'on n'apperçoiue point de tremblemens, ou de retours dans la friction desdits corps. Neantmoins il faut conclure que la chorde fait autant de tremblemens dessouz [p197] l'archet que dessouz le doigt, & que le son des Violes n'est point different en cela d'auec celuy des Luths, & consequemment que les chordes ne feroient point de son, ou qu'elles ne feroient pas le mesme son, si l'archet ou quelqu'autre force les poussoit tellement de droit à gauche, ou de gauche à droit, qu'elles ne peussent auoir leurs retours libres, si ce n'est que ce qui les pousse feist autant de retours que les chordes en doiuent faire, comme il arriue aux vents qui frappent les rochers, les arbres & les maisons en faisant diuers bruits.
Or il y a plusieurs choses à considerer dans les sons que fait l'archet [de la Viole] en touchant & en pressant la chorde, car les tours & retours de la chorde se peuuent aussi bien faire de haut en bas, & de bas en haut, que de droit à gauche, comme il arriue lors que l'on pese sur la chorde, ou qu'on la frappe, ou que l'on la tire de haut en bas, & au contraire : c'est pourquoy il faut voir comme l'archet luy fait faire ses retours ; s'il les luy fait faire plus ou moins grands que quand on la touche du doigt, & s'il en diminuë, ou s'il en augmente le nombre : Et puis il faut rechercher la raison pourquoy le son que fait la chorde par le moyen de l'archet, est different de celuy qu'elle fait quand on la touche du doigt ou de la plume, car puis que la chorde fait tousiours vn nombre esgal de tours, & de retours dans vn temps esgal, il semble que le son deuroit estre esgal, ce qui n'arriue pas, & consequemment l'archet y contribuë quelque chose de particulier, ce qu'il fait en froissant la chorde & en renfermant de l'air entre elle & luy, lequel est contraint de receuoir autant d'allées & de venuës comme en fait la chorde, qui frappe seulement l'air libre quand on la touche sans archet. C'est pourquoy l'on peut dire que le son de la Viole, & des autres instrumens à archet, est composé de trois ou quatre sortes de mouuemens, à sçauoir de celuy de la chorde & de l'air libre, & de celuy de l'air contraint ou enfermé, & de l'archet qui gouuerne celuy de la chorde comme l'on veut, car il empesche qu'elle ne fasse ses tours aussi grands comme elle les feroit si elle estoit touchée aussi fort du doigt que de l'archet, & parce qu'il la retient en telle distance de sa ligne de direction que l'on veut, il en renforce ou en adoucit le son comme il plaist à celuy qui le tient, & qui le meut. Or l'on peut expliquer ce que fait l'archet aux tremblemens de la chorde par ce que fait le doigt que l'on passe fort viste sur les trous d'vn Flageollet tandis que l'on en sonne, car il ne change pas le nombre des tremblemens, ou des battemens du vent, ny consequemment l'aigu du son, mais il luy donne vn nouueau mouuement qui est quasi semblable aux fredons que l'on fait de la gorge, qui ne changent pas les tons ou l'aigu de la voix, & qui luy seruent seulement d'vn nouuel ornement.
Et parce que les brins de crin qui font la soye de l'archet ne sont pas continus, l'air qui est meu par la chorde, s'insinuë aysément parmy lesdits crins, dont le mouuement & la pression alterent les qualitez du son. Et si nous examinons cecy plus particulierement, & que l'on vueille que les atomes de l'air, ou de la chorde qui sont meus se meslent auec le mouuement de ceux du crin, l'on ne trouuera nullement estrange que le son qui se fait par ces deux mouuemens, soit different de celuy qui se fait par les seuls tremblemens de la chorde. L'on peut encore remarquer beaucoup de choses qui sont particulieres à l'archet ; par exemple qu'il tient le mesme son aussi long-temps, & aussi foible ou aussi fort que l'on veut, ce que n'a pas l'Orgue qui ne peut affoiblir [p198] ou renforcer ses sons selon le desir des Organistes. Mais afin que l'on ne doute nullement que la chorde ne fasse autant de retours lors qu'elle est touchée de l'archet, que quand elle est touchée du doigt, ie veux expliquer la maniere de l'experimenter, & de le voir tres-clairement : ce qui arriuera si l'on estend vne chorde de cent pieds de long, laquelle fasse chacun de ses retours dans vne seconde minute, soit qu'on la touche de l'archet ou du doigt, ny ayant point d'autre difference, sinon que l'archet peut tellement contraindre la chorde que le premier retour ne sera pas plus grand que le milliesme ou le dernier, au lieu qu'ils vont tousiours en diminuant apres que l'on la touchée du doigt : d'où il arriue que l'archet fait les sons beaucoup plus esgaux que le doigt, & que l'on imite le chant de toutes sortes d'oyseaux, & vne infinité d'autres sons & d'autres bruits par les differentes pressions, & les differens coups de l'archet, qu'il n'est pas possible d'imiter sur le Luth, sur l'Epinette ou sur l'Orgue. Or l'on peut experimenter lesdits tremblemens des chordes touchées de l'archet, sur les Violes & sur les Violons, en mettant le doigt contre lesdites chordes, dont on sent les tremblemens si forts, qu'à moins que d'estre priué du sens du toucher il n'est pas possible que l'on ne les remarque dans toutes les parties de la chorde qui est touchée. Et quand l'on n'auroit pas l'experience, la raison suffit pour conclure que le mouuement de l'archet estant tantost tres-viste & d'autrefois tres-lent ne peut faire le mesme ton, & qu'il est necessaire que l'identité ou l'esgalité de l'aigu procede d'vn mouuement esgal, qui ne peut estre autre en ce sujet que celuy des retours de la chorde, dont le nombre ne peut estre inesgal en temps esgal, qu'il ne change de ton, c'est à dire l'aigu du son, comme i'ay demonstré ailleurs.
Ie ne veux pas obmettre la methode dont on vse pour apprendre aux enfans à toucher la Viole, & à cognoistre son manche apres auoir remarqué qu'elle a six chordes & sept touches, & que l'on accorde le Dessus, la Taille & la Basse les vnes comme les autres, ce qui se fait à vuide & à l'ouuert en cette maniere. L'on monte la chanterelle à la Quarte de la seconde, & la seconde à la Quarte de la 3, comme la 4 à la Quarte de la 5, & la 5 à la Quarte de la sixiesme qui sert de Bourdon, mais on met la 3 à la Tierce maieure de la 4 : & si l'on touche le c du manche, elle se trouue à la Quarte, comme les autres à la Quinte. Quant à la Haute-contre, son accord est seulement different de celuy des autres parties, en ce que la 3 & 4 chorde font la Quarte à l'ouuert, & que la 4 & la 5 font la Tierce maieure à vuide, ou la Quinte, lors qu'on touche le d de la 4. Or l'on a coustume d'accorder les quatre parties de la Viole considerées ensemble, sur l'A mi la re, qui se prend sur la seconde chorde tant du Dessus que de la Basse, sur laquelle l'on regle ordinairement toutes les Violes, parce qu'elle sert de fondement à toute la Musique : mais l'a la mi re [p203] du Dessus est à l'Octaue de celuy de la Basse. Cecy estant posé, i'explique le manche de la Viole, dont les six chordes sont representées par les six lignes qui vont de droit à gauche, dont chacune respond aux notes ou syllabes des six dictions qui sont au commencement vis à vis de chaque chorde, lors qu'elle est touchée à vuide : ce qui est signifié par A, d'autant que dans la tablature des lettres on marque le son de chaque chorde à vuide par la lettre a, comme nous auons dit dans le second Liure en traitant du Luth, auquel on peut appliquer ce que nous disons icy du manche de la Viole, parce que son manche & son accord ordinaire sont entierement semblables à celuy de la Viole, comme i'ay desia dit ailleurs. [Manche de la Viole. - D la re sol - b, mol - e, mi la - f, fa vt - g, re sol - a, mi la re - b, fa - ♮ mi - c, sol vt fa].
Or ce manche est si aysé à comprendre qu'il faut seulement poser les doigts vne ou deux fois sur les sept touches de chaque chorde, & ioindre l'oreille, &, si l'on peut, la voix aux sons qu'elles feront pour ne les pouuoir oublier ; par exemple la chanterelle fera huit sons, dont le premier sera à vuide en la touchant du seul archet, le second son se fera en posant le premier doigt de la main gauche sur la seconde touche marquée par B, car les sept chordes trauersantes marquées dessouz par les sept nombres 1, 2, 3, &c. bornent la longueur des chordes, quelles accourcissent peu à peu de demy-ton en demy-ton, comme l'on void dans les figures precedentes, & dans ces lignes qui en representent le manche. Il faut suiure de la mesme sorte sur les touches C, D, E, F, G & H, qui fait la Quinte auec la chanterelle à vuide, de la vient qu'elle fait l'Octaue auec la seconde à vuide, & que l'on peut accorder toutes les chordes de la Viole par Octaues, puis que l'H de la plus deliée fait l'Octaue auec celle qui suit, lors qu'elle est touchée à vuide : excepté la troisiesme, à raison que son accord auec la 4. toutes deux à l'ouuert n'est que d'vn demy-ton. Mais si l'on veut accorder la Viole par Vnissons, il faut toucher l'F des plus grosses, & celles qui suiuent vers la chanterelle à vuide. Quant aux dieses qui sont sur quelques touches, elles signifient les demy-tons, & representent les feintes de l'Epinette & de l'Orgue : ce que i'ay voulu adiouster en faueur de ceux qui ayment le concert des Violes. Or si l'on veut apprendre aux enfans à chanter tous les demy-tons de la Viole, l'on peut vser de l'echelle que i'ay expliquée dans la pratique de la Musique, comme ie monstre en l'accommodant icy à l'estenduë du Dessus, & de la Basse de la Viole, ausquelles sert le manche precedent, sur lequel l'Octaue est diuisée en treize sons, c'est pourquoy il faut vser de treize syllabes [p204] ou voix differentes ; ce que ie fais en commençant par le D re, qui marque le premier son de la sixiesme chorde à vuide. [Echelle Harmonique composee des degrez Diatoniques & Chromatiques. D re - x - E mi - F fa - x - G sol - x - A la - B fa - ♮ ni - C sol].
Il faut dire la mesme chose des autres Octaues de la Viole, dont l'estenduë monte iusques à la Quinziesme, si l'on touche seulement la chanterelle à vuide, ou iusques à la Dix-neufiesme, lors qu'on vse de ses sept touches, qui ont l'estenduë d'vne Quinte. Ie veux encore adiouster ce qui appartient aux traits d'archet, qui vont tout au contraire de ceux des Violons, car on le pousse en haut sur la premiere note, & on le tire sur la seconde, & ainsi consequemment. Or l'on peut semblablement abaisser le ton des Violes pour rendre ses sons plus doux, & pour les ioindre à la voix : ce que font quelques-vns assez heureusement en les accordant de Quarte en Quarte comme les Violes, afin de les ioindre à l'Orgue, ou à la voix. Pour ce qui est de l'accord general des Violes, Fontanego remarque dans sa regle Rubertine qu'il se fait en trois manieres, dont l'vne est quand la Taille & la Haute-contre commencent vne Quarte plus haut que la Basse, & le Dessus vne Octaue plus haut que ladite Basse. La seconde met la Taille & la Haute-contre à la quinte de la Basse, contre laquelle le Dessus fait l'Octaue ; & la troisiesme fait faire la Quarte à la Taille contre la Basse, & la Quarte au Dessus auec la Taille, de sorte que le Dessus fait la Septiesme mineure contre la Basse.
PROPOSITION X [VIII]. Expliquer la figure, l'accord & l'vsage de la Lyre. La figure de la Lyre est fort peu differente de celle de la Viole, neantmoins son manche, & la touche du manche est beaucoup plus large, d'autant qu'elle est couuerte de quinze chordes, dont les 6 premieres ne font que trois rangs, & si l'on veut doubler chaque rang, comme l'on fait sur le Luth, l'on aura 22 chordes. L'on met les deux plus grosses hors du manche, comme l'on void depuis H iusques à K ; & le petit manche H I est adiousté pour les bander. Il n'est pas besoin d'auertir que l'on peut adiouster vn second manche semblable au second des Tuorbes, pour y mettre tant de Basses que l'on voudra, puis que cela se pratique desia sur les Violes. Il faut encore remarquer que le cheualet K L est plus long, plus bas, & plus plat que celuy des Violes, parce qu'il porte vne plus grande multitude de chordes, dont il en faut toucher trois ou quatre en mesme temps d'vn mesme coup d'archet, afin de faire des accords. Or le son de la Lyre est fort languissant & propre pour exciter à la deuotion, & pour faire rentrer l'esprit dans soy-mesme ; l'on en vse pour accompagner la voix & les recits. Quant à son accord, il n'est pas si difficile comme plusieurs se l'imaginent, [p205] quoy qu'il soit fort considerable & extraordinaire, comme l'on void aux notes qui suiuent, dont chacune respond à chaque chorde, encore que l'on puisse l'accorder comme les Violes, & en plusieurs autres manieres ; quoy qu'il en soit, il suffit d'expliquer icy l'accord dont on peut vser en touchant la Lyre, lequel est representé par la figure A D E G : les sept lettres qui sont à costé du manche à sçauoir b, c, d, e, f, g, & h representent les sept touches. B est le lieu du sillet : Q & R monstrent les 2 ouyes, & N O M la queuë, à laquelle on attache les chordes, & qui est attachée auec la cheuille de bois M E. L'espaisseur qui est fort grande est representée par G E F. Quant au manche & à ses cheuilles, on les fait de telle forme que l'on veut, aussi bien que la table & les autres parties ; car il n'importe nullement pourueu que la Lyre & les autres instrumens ayent vne bonne harmonie.
PROPOSITION XI [IX]. Determiner pourquoy vne chorde touchée à vuide fait plusieurs sons en mesme temps. Il semble qu'Aristote a cogneu cette experience, lors qu'il a fait la question pourquoy le son graue contient l'aigu dans le 8. Probleme de la 19. Section, pourquoy il deuient plus aigu en finissant, dans l'onziesme : à quoy l'on peut rapporter le 12 & le 13. Probleme, & d'où plusieurs autres Problemes de la mesme Section peuuent estre entendus, de sorte que cette Proposition est fort vtile pour la Philosophie d'Aristote. Mais il faut remarquer qu'il n'a pas sceu que la chorde frappée, & sonnée à vuide fait du moins cinq sons differens en mesme temps, dont le premier est le son naturel de la chorde, qui sert de fondement aux autres, & auquel on a seulement esgard pour le chant & pour les parties de la Musique, d'autant que les autres sont si foibles qu'il n'y a que les meilleures oreilles qui les entendent aysément. Or il faut choisir vn grand silence pour les apperceuoir, encore qu'il ne soit plus necessaire quand on y a l'oreille accoustumée : & si les Musiciens ne peuuent les ouyr aussi tost qu'ils touchent quelque chorde d'vn Luth, d'vne Viole, ou d'vn autre instrument, comme il arriue à plusieurs ioueurs de Luth, qui sont tellement preuenus & preoccupez des sons naturels de la chorde, qu'il n'y a (ce semble) plus de lieu dans leur sens commun, ou dans leur imagination pour receuoir l'idée ou l'espece de ces petits sons delicats, il faut qu'ils ayent patience, ou qu'ils prennent vne Basse de Viole, dont ils touchent la 6, 5, ou 4. chorde la nuit, & qu'ils se rendent grandement attentifs, car il est difficile qu'ils la touchent delicatement auec l'archet, qu'ils n'entendent plusieurs sons en mesme temps. Quant à moy ie n'y ay nulle difficulté, & i'ay rencontré plusieurs Musiciens qui les entendent aussi bien que moy, & ne doute nullement que chacun ne les entende, lors que l'on y apportera l'attention necessaire : c'est pourquoy ie mets icy les obseruations que i'ay iustifiées tres-exactement plus de cent fois, tant sur vne Viole & sur vn Tuorbe, que sur deux Monochordes, dont l'vn a ses chordes de leton, & l'autre de boyau & de leton, & dont l'vn à trois pieds, & l'autre quatre pieds ; de sorte qu'il est tres-certain que ces differens sons ne viennent pas des autres chordes qui sont sur les instrumens, & qui tremblent sans estre touchées, comme i'ay dit ailleurs, puis que la seule chorde des Monochordes fait les mesmes sons.
Or ces sons suiuent la raison de ces nombres l, 2, 3, 4, 5, car l'on entend quatre sons differens du naturel, dont le premier est à l'Octaue en haut, le second à la Douziesme, le 3 à la Quinziesme, & le 4 à la Dix-septiesme maieure comme l'on void par lesdits nombres qui contiennent les raisons de ces consonances en leurs moindres termes. Où il faut remarquer deux choses, à sçauoir que nul son ne s'entend iamais plus bas, ou plus graue que le son naturel de la chorde, car ils sont tous plus aigus ; & que ces sons suiuent le mesme progrez des sauts de la trompette, dont ie parleray dans le liure des instrumens à vent, qui sert pour entendre cette difficulté, c'est pourquoy l'on peut lire & ioindre le traité de la trompette auec cette Proposition. [p209] Outre ces quatre sons extraordinaires, i'en entends encore vn cinquiesme plus aigu, que i'oy particulierement vers la fin du son naturel, & d'autresfois vn peu apres le commencement : il fait la Vingtiesme maieure auec le son naturel, auec lequel il est comme trois à vingt. Mais i'experimente quasi tousjours que la Douziesme, & la Dix-septiesme s'entendent plus distinctement que les autres : de là vient qu'il semble souuent que l'on n'oyt que l'vne des deux, que l'on prend aysément pour la Quinte & pour la Dixiesme, si l'on n'y prend garde fort exactement : & quand on entend l'Octaue & la Quinziesme, celle-cy s'entend plus distinctement que celle-là ; de sorte qu'il faut icy examiner plusieurs difficultez, & particulierement pourquoy les vns s'entendent mieux que les autres, pourquoy tous ne les entendent pas, comme il est possible qu'vne mesme chorde face plusieurs sons en mesme temps, pourquoy elle fait plustost ceux dont i'ay parlé, que les autres qui ne montent pas si haut : pourquoy elle n'en fait point de plus graues que celuy qui est naturel à la chorde, & pourquoy l'on n'entend que la Douziesme dans les tuyaux d'Orgue.
D'abondant la raison d'Aristote n'est pas vniuerselle, car encore que la chorde soit deux fois plus grosse, ou plus longue, elle peut faire des sons plus aigus qu'vne plus deliée & plus courte, ce qui arriue par les differentes tensions, ou les differentes matieres, comme i'ay demonstré clairement dans le troisiesme liure. Et puis la cause immediate des sons se prend du nombre des battemens de l'air, comme i'ay demonstré dans le mesme lieu, & non de la longueur des chordes. C'est pourquoy il faut examiner comme il se peut faire [p210] que la mesme chorde batte l'air differemment en mesme temps, car puis qu'elle fait les cinq ou six sons dont i'ay parlé, il semble qu'il est entierement necessaire qu'elle batte l'air 5, 4, 3 & 2 fois en mesme temps qu'elle le bat vne seule fois, ce qui est impossible de s'imaginer, si ce n'est que l'on die que la moitié de la chorde le bat deux fois tandis que la chorde entiere le bat vne fois, & qu'en mesme temps la 3, 4 & 5 partie le battent 3, 4 & 5 fois, ce qui est contre l'experience, qui monstre euidemment que toutes les parties de la chorde font vn nombre esgal de retours en mesme temps, car toute la chorde estant continuë n'a qu'vn seul mouuement, quoy que ces parties se meuuent d'autant plus lentement qu'elles sont plus proches des cheualets. D'où il est aysé de conclure ce que i'ay desia demonstré dans le 2, 3 & 4 liure, à sçauoir que le son graue ne vient pas absolument de la lenteur ou tardiueté du mouuement, puis que les parties de la chorde qui se meuuent plus lentement que celles du milieu ne font pas des sons plus graues, que le naturel, qui procede particulierement desdites parties du milieu, puis qu'estant le plus fort il doit venir du plus grand mouuement : car l'on entend tousiours les sons en haut à l'aigu du naturel, & iamais en bas comme i'ay dit cy-dessus.
Or puis que chaque son est determiné quant au graue, ou à l'aigu par le nombre des battemens de l'air, & que la chorde ne le peut battre qu'vn certain nombre de fois dans vn mesme temps, il est necessaire que l'air ayant esté battu se reflechisse sur la chorde, & qu'en faisant son retour elle luy donne vn nouueau mouuement ; ce que l'on peut conceuoir en deux manieres, car l'on peut dire que l'air a vne plus grande tension, c'est à dire qu'il est tellement disposé, que quand il est frappé il va plus viste, & a ses retours plus frequens que la chorde, ou les autres corps par lesquels il est frappé ; de mesme que la chorde qui est tenduë sur vn instrument, va beaucoup plus viste que le doigt, la plume, ou l'archet dont elle est touchée, à raison de la disposition qu'elle a acquise par sa tension : ou bien l'on peut dire que l'air ayant esté frappé & enuoyé, par exemple, à costé droit de la chorde reuient apres qu'elle s'en va à main gauche, de sorte qu'elle le trouue en chemin, & qu'elle le repousse pour la seconde fois en luy adioustant vn nouueau mouuement, afin qu'il face desormais l'Octaue en haut auec le mouuement, ou le son naturel de la chorde, qui garde tousiours vn mesme temps pour vn mesme nombre de retours, tandis que l'air fait deux retours contre vn : mais quand la chorde le rencontre la troisiesme fois, elle luy imprime encore vn 3. mouuement, de sorte qu'il a trois retours contre vn pour faire la Douziesme, & puis la Quinziesme, & la Dix-septiesme. A quoy l'on peut adiouster que l'air ayant esté frappé par la chorde, se diuise premierement en deux parties, puis en 3, 4, 5, &c. qui font les sons precedens, parce que cette diuision est la plus aysée de toutes : & si l'on admet les atomes de Democrite, l'on peut dire que les differentes parties de la chorde qui frappent l'air differemment, diuisent & rompent la Sphere de l'air en 2, 3, 4 & 5 parties, ou que la mesme partie de la chorde le rompt differemment selon ses differentes dispositions ; de sorte que l'vne des parties de l'air se rompt en deux, l'autre en trois, quatre ou cinq parties, &c.
Or si l'on suppose que la chorde entiere contienne tous les sons qui peuuent estre faits par sa diuision, il faut dire qu'elle fait seulement paroistre ceux qui viennent de la premiere, seconde, ou troisiesme bissection, dont [p211] i'ay parlé dans le liure des Consonances & dans celuy des Dissonances. Quelques-vns ont recours aux differentes surfaces de la chorde pour expliquer tous ces sons, & disent que le milieu fait vn son different de celuy que fait la surface exterieure, mais il n'y a nulle apparence de croire que la chorde soit diuisée en plusieurs cylindres concaues, qui couurent le cylindre conuexe du milieu, comme les peaux d'oignon se couurent les vnes les autres. Et bien que la chorde fust tissuë de ces differens cylindres, elle ne pourroit faire des sons differens, si elle ne frappoit l'air 1, 2, 3, 4 & 5 fois en mesme temps : ce qui n'est pas plus aysé à expliquer par la multitude de ces cylindres, que par les autres voyes, soit que l'on attribuë l'aigu du son aux retours de l'air interieur, ou de l'exterieur.
COROLLAIRE II Il est plus probable que ces differens sons viennent des differens mouuemens de l'air exterieur que de ceux de l'interieur, & que celuy-là estant frappé par la chorde fait quantité de petits mouuemens semblables a ceux de l'eau des verres que l'on fait sonner en pressant le doigt sur le bord, ou à ceux de l'eau, dans laquelle on plonge le bout d'vn Monochorde, dont la chorde de leton est partie en l'eau & partie en l'air, car estant touchée, l'eau fait plusieurs fremissemens, qui feroient peut-estre entendre les sons precedens, si l'ouye estoit assez delicate : en effet i'ay souuent experimenté que le coulement du doigt sur le bord du verre fait deux ou trois sons en mesme temps, comme ie diray dans le liure des Cloches, qui font semblablement plusieurs sons.
Quant à la disposition de cette figure [de la Vielle], si on la regarde du costé D T en voyant les lettres selon leur disposition ordinaire, on la verra de la mesme façon dont ceux qui en ioüent la tiennent & l'enuisagent, car ils mettent le bras gauche dessouz, afin de pousser les marches de la main gauche, & faire tels interualles qu'ils veulent par le mouuement des doigts, tandis que la main droite torne la maniuelle, & consequemment la rouë, qui fait sonner les chordes, ausquelles on attache de petits morceaux, ou floccons de cotton [p214] vis à vis de la rouë, afin d'adoucir son frayement & ses sons. Mais parce que la main gauche ne peut faire les gentillesses du manche des Violes sur le clauier de la Vielle, elle est priuée de plusieurs beautez, dont elle seroit capable, si l'on pouuoit suppleer tous les tremblemens, & les coups rauissans de l'archet par quelque industrie, que plusieurs ont recherchée en collant vn escheueau de crin de cheual, ou de soye cruë, ou filée sur la rouë, & en faisant des archets mobiles, ou immobiles de plusieurs façons, mais l'on n'a peu suppleer les mouuemens de la sçauante main de ceux qui charment les oreilles par les instrumens à manches touchez, & non touchez, dont i'ay parlé dans les discours precedens. La tablature de la Vielle n'est pas differente de celle de la Musique, quoy que l'on en puisse inuenter vne autre propre pour les aueugles, puis que l'on peut leur enseigner à lire & à escrire, comme i'ay dit ailleurs, où i'ay monstré la maniere d'enseigner à lire & à escrire aux sourds, pour lesquels i'ay dressé de la tablature dans la 17. Proposition du troisiesme liure.
LIVRE CINQVIESME DES INSTRVMENS A VENT. Encore que tous les instrumens de Musique puissent estre appellez à vent, puis qu'il n'est pas possible de faire des sons sans le mouuement de l'air, qui est vne espece de vent, neantmoins l'on a coustume de donner ce nom à ceux que l'on embouche, ou que l'on fait sonner auec des soufflets, afin de les distinguer d'auec ceux qui vsent de chordes, ou que l'on bat comme le Tambour. Or i'ay voulu faire vn liure particulier de ces instrumens, à raison de leur grande multitude, & des difficultez particulieres qui se rencontrent dans leurs proportions, & dans la maniere dont il en faut vser pour faire toutes sortes de sons, afin que ceux qui les preferent aux instrumens à chorde, y trouuent dequoy se contenter, & que la confusion ne s'introduise pas dans nos traitez. Mais auant que d'expliquer les instrumens à vent, il faut dire ce que c'est que le vent dont on vse pour en sonner, ce que ie fais dans la premiere Proposition.
PREMIERE PROPOSITION. Expliquer la nature du vent, qui sert pour faire sonner les instruments à vent, & si l'on peut vser d'eau au lieu de vent pour ce suiet. Il est certain que les instrumens (dont nous parlons) peuuent sonner auec toute sorte de vent, soit qu'il ne vienne d'ailleurs que de la simple émotion de l'air, comme celuy des soufflets qui seruent aux Orgues, & aux Musettes, ou qu'il soit meslé de vapeurs & de l'eau, comme celuy de la bouche, lequel est si plein d'eau, que les anches & les canaux des instrumens en deuiennent tous moites & moüillez. Or encore que les vents viennent d'en-haut, ou d'en-bas, ou de tel autre costé que l'on voudra, & qu'on les excite auec les Aeolopiles, auec la poudre à canon, le salpestre, ou de telle autre maniere que l'on voudra, ils ne sont pas differens du mouuement de l'air, qui peut estre consideré en deux manieres, à sçauoir en sa pureté & auec le meslange des vapeurs & des exalaisons qu'il contient ordinairement dans l'atmosphere, ou l'estenduë qui reçoit les vapeurs, soit qu'elle aille aussi haut que les plus grandes montagnes, (comme est celle de Tenerif, dont le pied commence à la ville de Garachico, d'où il faut cheminer deux iournées & demie pour arriuer au haut) ou qu'elle soit plus ou moins grande. Quant à la pureté de l'air, l'on peut dire qu'elle commence où finit l'estenduë desdites vapeurs, & qu'elle finit à l'atmosphere des Planettes, quoy que nous ne sçachions pas si ledit air est trop rare & trop delié pour produire des sons, si ce n'est que l'on en iuge à proportion de celuy qui est eschauffé par le feu, & qui est rarefié par les rayons du Soleil, qui s'amassent dans le foyer des [p226] miroirs paraboliques & des spheriques : car si les rarefactions sont semblables, il n'y a nul doute que l'on peut sonner des instrumens dans tous les endroits de l'air, où ils peuuent subsister sans estre consommez par l'ardeur de la flamme. Mais on ne sçait pas encore si la nature de l'air est differente de celle de l'eau, & s'il n'est autre chose qu'vne eau rarefiée, ou s'il est composé de tous les petits corps qui exhalent, & qui s'esleuent de tous les grands corps du monde, & particulierement de l'eau & de la terre : de mesme que l'on peut dire que le corps de chaque animal exhale vne certaine quantité de vapeurs tout autour de soy, qui font son atmosphere, semblable à celle de l'aymant, qui remplit sa sphere d'actiuité d'vne quantité de rayons magnetiques : d'où l'on peut tirer la raison de plusieurs vertus particulieres des plantes, & des animaux qui seruent, ou nuisent à la santé, comme il arriue que le raisin pourry gaste les autres, suiuant ce vers, Vuâ conspectâ liuorem ducit ab vuâ.
Ceux qui croyent que l'air est composé d'atomes, peuuent dire que les instrumens à vent sonnent lors qu'ils sont frappez par vne assez grande multitude de ces petits corps, qui se meuuent iusques à l'oreille des auditeurs, & que si la terre ne les pousse pas plus loin que chaque animal pousse les siens, que la sphere de l'air est fort petite : à laquelle succede le vuide ou l'ether, dans lequel les instrumens ne peuuent sonner. Mais il est plus vray semblable que l'air est continu depuis la terre iusques au firmament, & peut-estre par de là iusques à l'infiny, où iusques où il a pleu à Dieu de l'estendre, & que celuy que nous respirons n'est different de l'autre qu'en ce qu'il est meslé de plusieurs corps heterogenes, que l'on appelle vapeurs & exhalaisons, lesquelles sont peut-estre autour de la Lune, du Soleil & des Estoilles, comme autour de nostre terre, laquelle nous metterions entre les Planettes, si nous estions dans le Soleil, ou dans Mars. Reste maintenant à considerer si l'eau peut seruir pour faire sonner ces instrumens ; ce qui est tres-aysé à resoudre par l'experience, qui monstre qu'il n'est pas possible de les faire parler, de quelque maniere qu'on les embouche entre deux eaux, car ils ne font nul son lors que leur lumiere, ou leur emboucheure est enfoncée dans l'eau, qui peut seulement seruir pour les faire gazoüiller & fredonner, quand la lumiere est hors de l'eau ; comme il arriue aux petits instrumens dont on vse pour imiter le chant du Rossignol, ou des autres oyseaux, parce que le vent que l'on pousse s'insinuë dans l'eau, & la fait sousleuer en quantité de petites particules, qui sont cause de la diminution, & des tremblemens & martelemens du son.
Ie laisse plusieurs sons que produisent les vents à la rencontre des rochers, & des autres corps, parce qu'ils ne sont pas dans nostre disposition, & qu'ils ne peuuent seruir à la Musique, encore qu'il puisse arriuer qu'ils fassent toutes les parties d'vn concert par le moyen de plusieurs trous, qui se rencontrent quelquefois dans les rochers, & dans les montagnes : de sorte que l'on peut se tromper en s'imaginant que la douce confusion des sons que l'on oyt pres des bois, des forests, des rochers, des cauernes, &c. vienne de quelque Musique esloignée. Ce qu'il faut remarquer afin de ne faire pas passer pour miracle, ou pour prodige ce qui n'est que naturel, & que nostre religion, dont l'essence est si saincte & si veritable, qu'elle est digne de Dieu, ne soit pas mesprisée, lors que l'on veut l'appuyer, ou la confirmer par des actions que les ignorans publient quelquefois pour extraordinaires & miraculeuses, quoy qu'elles n'ayent rien de surnaturel, comme ie fais voir en plusieurs endroits de cet oeuure, qui peut seruir pour destruire la superstition, & pour affermir la vraye deuotion qui consiste particulierement à aymer Dieu de toute nostre affection & nostre prochain, c'est à dire tous les autres hommes, autant que nous mesmes, & à pratiquer toutes les actions que prescrit la vraye Religion, soit du corps, ou de l'esprit, auec la sincerité & la pureté que Dieu desire de la creature raisonnable.
Or l'on peut s'imaginer ces tuyaux [de Fluste] auec des lumieres semblables à celles des Flageollets, soit que Pan n'ayt vsé que d'vn simple trou dans chaque chalumeau, ou qu'il y ayt mis des tampons, dont ie parleray apres. Quant à la matiere de cet instrument, elle peut estre de cuiure & de fer blanc, comme elle est maintenant ; ou d'or, d'argent, de bois & de toutes autres choses qui peuuent estre percées & creusées, par exemple, il se peut faire de l'aisle d'vne Oye, en couppant chacun de ses tuyaux par le milieu ; ou de verre, de terre cuite, &c. on l'appelle ordinairement sifflet de chaudronnier, par ce que ceux qui sont de ce mestier en vsent & en sonnent par les ruës. Or l'on peut rapporter [p229] les tuyaux bouchez des Orgues à cet instrument, qui peut encore estre comparé à plusieurs clefs percées. Le plus grand tuyau A B fait la Douziesme de trois à vn auec le moindre D C, & B D monstre la lame qui est soudée souz les douze tuyaux pour les boucher. E est l'anse par laquelle on le pend. Les douze nombres monstrent les douze trous d'enhaut, & A C signifie la lame, ou la barre qui entoure les trous d'vn costé & d'autre, & qui renforce les tuyaux qui sont tous soudez ensemble souz cette lame. Quant aux douze notes qui sont sur les six regles, elles monstrent le ton, ou le son de chaque tuyau ; & les trois clefs de la Musique, dont la premiere s'appelle de Nature, la seconde de ♮ quarre, & l'autre de ♭ mol, enseignent qu'il les faut entonner auec ces notes vt, re, mi, fa, sol, re, mi, fa, re, mi, fa, sol, qui respondent a ces nombres harmoniques,
PROPOSITION IV. Expliquer les Chalumeaux à vn, ou plusieurs trous, & leur vsage. Les cinq Chalumeaux ou Flustes qui suiuent sont les plus simples de toutes, d'autant qu'elles n'ont qu'vn, deux, ou trois trous, dont la premiere à main gauche est faite de l'escorce de saule, ou de quelqu'autre arbre, laquelle on leue quand il est en seve : de sorte que l'on en fait vn chalumeau qui est ouuert tant en haut qu'en bas, comme l'on void en A B. La seconde fluste n'a point d'autres trous que celuy d'en haut par où on l'embouche marqué d'A, celuy d'en bas marqué par B, & celuy de la lumiere marqué par C : or ces deux flustes ne peuuent faire de sons differens, si ce n'est par la differente force du vent qu'on leur donne. Quant au 3. & 5. Chalumeau, qui est fait de bled, il est aysé de comprendre comme l'on en sonne, car l'A & le 1 du 3 monstre les deux trous que l'on fait aux deux bouts, & B fait voir la maniere dont il faut coupper le chalumeau, afin que la partie qui s'esleue, serue d'emboucheure pour pousser le vent, ou de languette pour le battre, tandis que l'on tient les deux doigts sur les deux trous A, I, dont on fredonne en les bouchant, & en [p230] les ouurant le plus viste que l'on peut. Le cinquiesme chalumeau a sa languette en haut, comme monstre A : mais il faut remarquer que le haut de ce chalumeau se termine par vn noeud qui sert de tampon, afin que le vent n'eschappe pas, & qu'il descende aux trois trous d'en bas, qui seruent pour faire trois tons differens ; quoy que l'on puisse faire dix ou douze tons differens par le moyen de ces trois trous, comme ie monstreray en parlant de la fluste à trois trous, que l'on accompagne du Tambour.
Le quatriesme Chalumeau est appellé Eunuque par quelques-vns, mais la difference de ses sons ne vient pas de celle de ses trous, ny de sa longueur, comme il arriue aux autres : car elle ne fait point d'autre son que celuy de la bouche, ou de la langue qui parle, dont elle augmente la force & la resonance par le moyen de sa longueur & de sa capacité, & par vne petite peau de cuir mince, & deliée comme la peau d'vn oignon, dont on affuble le haut, où l'on void A, afin que le vent & la voix que l'on pousse par le trou B, qui fait l'emboucheure, aille frapper cette peau comme vn petit tambour, qui donne vn nouuel agreement à la voix par ses petits tremblemens qui la reflechissent. La boëtte ou le pauillon A B, sert à couurir ladite peau, & ses trous donnent l'issuë à la voix, quoy qu'ils ne soient pas necessaires. Or l'on fait quatre ou cinq parties differentes de ces Flustes pour vn concert entier, qui a cela par dessus toutes les autres Flustes, qu'il imite dauantage le concert des voix, car il ne luy manque que la seule prononciation, dont on approche de bien pres auec ces Flustes. Ce que les Organistes & les Facteurs doiuent soigneusement remarquer, afin d'inuenter des ieux nouueaux, qui imitent beaucoup mieux les voix humaines que leurs Regales, & de tromper tellement leurs Auditeurs, qu'ils croyent entendre vn meilleur concert que celuy des voix, qui sont priuées de la douceur de l'harmonie, & des charmes qui viennent des petites peaux que l'on peut adiouster en diuers endroits des tuyaux & des Flustes.
PROPOSITION V. Expliquer la figure, l'estendüe, la tablature, & l'vsage de la Fluste à trois trous. Encore que l'on puisse ioindre cet instrument auec les precedens, parce qu'il n'a que trois trous, à sçauoir deux deuant marquez par deux & trois, & l'autre derriere marqué par vn, (si ce n'est que l'on vueille conter le premier trou du tampon A, par où on l'embouche, le second B qui sert de lumiere, & le dernier de la pate C, afin de trouuer six trous) neantmoins ie l'ay voulu separer, tant à raison de sa grande estenduë, que de sa tablature que ie mets icy en deux manieres, à sçauoir par les notes ordinaires de la Musique, & par les marques dont vsent ceux qui ne cognoissent pas la valeur, & l'vsage des notes ordinaires. Or il est si aysé d'entendre cette tablature, qu'il n'est pas besoin de l'expliquer, si ce n'est pour l'instruction de ceux qui n'en ont iamais veu, ou qu'ils ne sçauent nullement sonner des Flustes, & du Flageollet : c'est donc en leur faueur que ie dis premierement que les notes contiennent l'estenduë d'vne Dix-septiesme, & que i'ay changé de clef, à raison que l'on ne peut monter que d'vne Dixiesme auec la premiere clef de F vt fa, en n'vsant que de cinq [p231] regles, où il faut remarquer que plusieurs ne mettent pas les quatre premieres notes dans l'estenduë de cette tablature, parce qu'elles n'ont pas de suite par tous les degrez de l'Octaue, car apres la Quarte, ou les quatre sonsvt, re, mi, fa, que font les quatre notes les plus basses de cet instrument, l'on ne peut faire les quatre autres notes pour arriuer à la Quinte d'en haut, qui acheue l'Octaue. C'est pourquoy l'on peut commencer cette tablature par la cinquiesme note, qui est à l'Octaue de la premiere, & qui se rencontre en G re sol, afin qu'elle ayt seulement l'estenduë de l'Onziesme, qui contient tout ce que l'on peut faire ordinairement auec cette Fluste.
Les notes qui sont precedées de ♭ mols signifient les feintes, les accidents, ou les demy-tons, que l'on fait en moderant le vent, ou par l'industrie des doigts, dont on bouche plus ou moins les trous [de la Fluste], afin de sonner les chansons qui sont par ♭ mol. Or la note qui est sur la clef de C sol vt fa, & qui recommence en bas sur la premiere ligne, continuë les tons que nous auons commencez sur l'autre clef, & sert comme de racine pour acheuer le reste de l'estenduë, comme monstrent les notes qui suiuent. Quant aux autres caracteres il faut les expliquer si clairement, qu'il ne soit plus besoin d'en parler dans les discours des autres Flustes qui s'en seruent : ie dis donc en second lieu que les lignes noires, qui tombent perpendiculairement sur les trois regles de la tablature, signifient le nombre des trous, qu'il faut boucher pour faire les sons marquez par les notes de dessouz : par exemple, les trois premieres, qui sont sur les trois regles, signifient que l'on fait la premiere note en bouchant les trois trous, & en poussant le vent le plus foiblement que l'on peut : les deux autres lignes qui suiuent monstrent qu'il faut boucher les deux trous marquez vn & deux, & deboucher le dernier trou marqué par trois pour faire le re, ou la seconde note ; la petite ligne qui suit encore, signifie qu'il faut seulement boucher le premier trou pour faire le mi, ou la troisiesme note : & les trois zero, ou les trois cercles enseignent qu'il faut deboucher tous les trous pour faire la quatriesme note, ou le fa. Mais l'on ne peut continuer le sol iusques à l'Octaue, & l'on est contraint de passer tout d'vn saut à la Quinte en haut, afin de prendre l'Octaue de la premiere note, qui a son Octaue en haut, lors que l'on recommence à boucher les trous, & que l'on renforce le vent : ce qu'il faut remarquer d'autant plus soigneusement que la mesme chose arriue à plusieurs autres instrumens à vent, comme au Flageollet & aux Flustes, qui montent à l'Octaue, & quelquefois à la Quinziesme, & à la Vingt-deuxiesme, selon que l'on augmente le vent ; de sorte qu'il se rencontre des hommes qui font l'estenduë d'vne Vingt-deuxiesme sur la [p232] Fluste à trois trous, dont i'ay veu l'experience en Iean Price Anglois. Or c'est chose asseurée que l'on peut faire toutes les parties de Musique auec plusieurs Flustes à trois trous, comme auec les autres, quoy que ces concerts ne soient pas en vsage, c'est pourquoy ie n'en donne point d'exemples.
PROPOSITION VII. Expliquer le Diapason des Flageollets, & la maniere d'en sonner en perfection à vne ou plusieurs parties, auec vn exemple de Musique. C'est chose asseurée que le Diapason de cet instrument ne suit pas la proportion des consonances des interualles & des autres Diapasons, comme l'on peut voir dans la figure precedente, dans laquelle les distances des trous n'ont pas mesme raison entr'eux que les tons qu'ils font : ce qui est aysé à prouuer par l'experience, car si les Facteurs gardoient cette proportion, le Flageollet monteroit du moins à l'Octaue du son qu'il fait, quand ses six trous sont bouchez, lors que l'on ne bouche plus que le cinq & le 6 : d'autant que le corps du Flageollet, qui se prend depuis le haut de la lumiere C iusques au B de la pate, est double de C 4 ; & neantmoins cette partie de corps ne monte que d'vne Quinte : d'où il est euident que le reste du corps contribüe à la grauité du ton, & consequemment que le vent qui sort par le quatriesme trou, quand on bouche seulement le 5 & le 6, ne sort pas tout par ledit trou, & que quelques parties s'en vont par les autres trous qui suiuent, à sçauoir par le 3, 2, &c. & par l'ouuerture de la pate, comme l'on experimente en mettant la main vis à vis desdits trous.
Secondement, il faut remarquer qu'il y a deux manieres de sonner de cet instrument [le Flageollet], & des autres qui ont des lumieres, dont l'vne vient du seul souffle, ou du vent que l'on pousse, & l'autre de l'articulation & du mouuement de la langue : celle-là imite l'Orgue, & celle-cy represente la voix : celle-là est pratiquée par les villageois & par les apprentifs, & celle-cy par les Maistres ; & finalement celle-là ressemble aux choses mortes, ou muettes, & celle-cy aux viuantes, parce qu'elle suppose le mouuement des organes, & particulierement celuy du bout de la langue, & l'autre peut se pratiquer auec vn soufflet au lieu de la bouche. Or encore que chaque trou ne fasse qu'vn ton, & que le Flageollet n'ayt aussi qu'vn ton quand tous ses trous sont bouchez, & qu'il monte à l'Octaue, quand on pousse le vent plus fort, sans qu'il passe par les interualles du milieu, neantmoins ie fais tous les sons de l'Hexachorde, à sçauoir vt, re, mi, fa, sol, la, sans deboucher aucun trou, soit que la pate soit ouuerte ou bouchée, comme l'on experimentera, pourueu que l'on pousse premierement le vent tres-foiblement, & qu'il s'augmente tousiours peu à peu iusques à ce que le Flageollet fasse son ton naturel & ordinaire, c'est à dire ledit la : quoy que ces sons ne puissent seruir à la Musique, à raison de leur foiblesse & de leur inconstance, car ils ressemblent aux bruits que l'on oyt au dedans de l'oreille. Ie fais aussi l'estenduë de la Tierce maieure en bouchant peu à peu la pate, encore que l'on s'en serue seulement pour descendre plus bas d'vn demy-ton ou d'vn ton : ce que i'ay voulu remarquer, afin que l'on considere que ce que disent les excellens Maistres, qui sonnent de quelque instrument en perfection, n'est pas esloigné de la raison, à sçauoir que l'vsage & la perfection de chaque instrument s'estend à l'infiny, d'autant que l'on y remarque tousiours quelque chose de nouueau selon les differens biais dont on en vse. Mais i'ay essayé de faire le mesme Hexachorde auec d'autres Flageollets, sans me seruir des trous, ce qui ne m'a pas reussi : c'est pourquoy l'on n'en doit pas faire vne regle generale ; i'adiouste seulement que celuy auec lequel i'ay fait cette experience est de buis, & a quatre pouces & cinq lignes de longueur, comme l'on void dans les deux figures precedentes qui ont esté faites dessus ledit Flageollet.
PROPOSITION VIII. Expliquer la figure, l'estenduë, la tablature, & l'vsage des Flustes d'Angleterre, que l'on appelle douces, & à neuf trous, auec vn exemple à quatre parties. Ces Flustes sont appellées douces, à raison de la douceur de leurs sons, qui representent le charme & la douceur des voix : on les appelle à neuf trous, parce que le huictiesme, qui est proche de la pate, est double, afin que cet instrument puisse seruir aux gauchers & aux droictiers. Or l'on embouche cette Fluste comme les precedentes, & le premier trou est marqué d'vn zero blanc, afin de signifier qu'il est derriere, & qu'il doit se boucher du pouce de la main gauche, dont les trois doigts suiuans seruent pour boucher le deuxiesme, le troisiesme, & le quatriesme trou, comme les trois de la droite bouchent le cinq, six & septiesme, car le huictiesme est destiné pour le petit doigt, que l'on appelle auriculaire, ce qui est representé si clairement par cette figure, qu'il n'est pas besoin d'vn plus long discours, car les huict nombres monstrent l'ordre des huict trous ; A signifie l'emboucheure, dont la fente est representée par le bout D. B C signifie la longueur de son corps, & le bout E F monstre encore vne autre sorte d'emboucheure, qui sert aux Tailles & aux Basses, qui ont deux pieds & 3/4 de longueur ; la Taille a vn pied cinq pouces, & le Dessus n'a qu'onze lignes. Mais pour entendre l'accord de toutes les parties, il faut remarquer que leur huictiesme trou estant ouuert, le Dessus est à la Neufiesme, & la Taille auec la Haute-contre est à la Quinte [p238] de la Basse : car la Haute-contre n'est pas differente de la Taille, d'autant que l'estenduë de l'vne suffit pour faire les deux parties, comme il arriue à plusieurs autres instrumens à vent & à chordes. Or ces Flustes font le petit ieu, comme celles qui suiuront apres font le grand ieu, mais elles se peuuent toutes accorder ensemble, comme font les grands & les petits ieux des Orgues.
Quant à leur estenduë & leur tablature [celles des Flustes douces] qui suit tant par ♭ mol que par ♮ quarre, elle n'est pas plus difficile que celle du Flageollet, car chaque petite ligne perpendiculaire, qui tombe sur les lignes de Musique, monstre les trous qu'il faut boucher pour faire les sons representez par les notes qui sont vis à vis : & les zero ou les lettres o signifient les trous debouchez, & quand ils sont pochez ou noirs, il les faut boucher. Ie donneray seulement vn ou deux exemples pour faire entendre cette pratique, dont le premier sert pour l'VT, ou pour le RE de G re sol vt, que l'on fait en bouchant les quatre premiers trous & le septiesme, & en ouurant les autres. Et pour faire le FA qui est plus haut d'vne Quarte, l'on bouche seulement le premier, le troisiesme & le septiesme : comme pour faire le SOL qui suit, l'on bouche seulement le troisiesme & le septiesme trou. [p239] La tablature monstre clairement combien il faut boucher ou deboucher de trous pour faire tous les autres tons, & l'estenduë de cet instrument, qui est d'vne Quinziesme, comme celle du Flageollet, encore que quelques-vns ne luy donnent qu'vne Treziesme d'estenduë. Mais il faut remarquer que l'on peut sonner vn air, ou vne chanson sur la Fluste douce, & en mesme temps chanter le chant de la Basse, sans toutesfois articuler les voix, car le vent qui sort de la bouche en chantant est capable de faire sonner la Fluste, de sorte qu'vn seul homme peut faire vn Duo.
Les grandes Flustes qui suiuent ont esté enuoyées d'Angleterre à l'vn de nos Rois. Mais i'ay fait grauer deux ieux differents dans cette planche, à sçauoir le petit ieu composé des trois Flustes A B, & C D, dont les tampons & le lieu par où entre le vent se voyent aux figures K & G, & sont cachez souz les boëttes A & C. La Basse de ce petit ieu A B sert de Dessus au grand ieu, qui commence où l'autre finit. Il n'est pas necessaire de marquer ou d'expliquer les trous, parce qu'ils sont icy representez au naturel, dont les blancs sont derriere. Or les plus grandes ont des boëttes, afin d'enfermer les clefs, sans lesquelles on ne peut fermer les trous, à raison que les doigts de la main ne peuuent auoir vne si grande estenduë : c'est pourquoy la Basse A B a la clef f, laquelle on presse auec le petit doigt pour ouurir le trou qui est souz la boëtte vis à vis de g. Mais la Basse du grand ieu L N a trois boëttes, à sçauoir la plus grande Y Z, & les deux autres b, c. Quant à la grande, ie l'oste & la transporte en O Q, afin que l'on considere tous ses ressorts à descouuert, & que nos Facteurs en puissent faire de semblables. P Q monstrent la disposition des deux clefs qui paroissent au haut de la boëtte Y Z, & selon que le petit doigt presse la premiere ou la seconde, le trou S ou T s'ouurent pour faire leurs sons. V & X [p240] font voir les ressorts cachez souz les petites boëttes b & c, qui se touchent auec le pied, lequel presse de petits quarrez de cuiure qui se voyent sur ces boëttes vis à vis de b & de c, pour faire hausser les ressorts, comme ie monstre à la queuë du ressort b, que l'on pousse perpendiculairement sur la lame K, afin de la faire hausser, & d'ouurir le trou qui est aussi grand qu'vne fenestre : ce qui se peut iuger par les ouuertures qui sont proportionnées à ses figures. Il faut dire la mesme chose de la Taille & a, qui a autant de trous & de clefs, & qui sert aussi de Haute-contre.
Quant au canal ou à l'emboucheure e d, qui entre dans la Fluste par le trou I, lequel est caché & couuert par la boëtte L M, l'on s'en sert pour pousser le vent dans la Fluste par l'ouuerture d, à raison que ces Flustes sont si hautes que la bouche ne peut atteindre iusques à la lumiere M, ou à l'emboucheure L ou I de la Basse, ny à celle de la Taille marquée par K, car la Basse a de 7 à 8 pieds de haut depuis le haut de la boëtte L, iusques à la pate N. D'où l'on doit iuger la grandeur & la distance de ses onze trous, & de ceux de la Taille, qui garde icy sa iuste grandeur en petit volume. Le canal e d s'accroche à vne boucle de fer vis à vis du second trou d'enhaut, comme l'on void vis à vis de d & de l. Il n'est pas necessaire de parler de leur tablature, parce qu'elle se regle selon la precedente, c'est pourquoy ie remarque seulement que le son de ces Flustes est iugé si doux par quelques-vns, qu'il merite le nom de charmant & de rauissant, quoy que ie n'estime pas que cette maniere de parler appartienne à d'autres plaisirs qu'à ceux du Ciel, qui descouurent l'obiet rauissant des bien-heureux, qui ne lassent & qui ne cessent iamais, au lieu que tous les autres ennuyent incontinent, & se tournent en des desplaisirs & des douleurs insuportables, comme sçauent tres-bien les plus solides esprits. Cette planche contient encore la figure du Fifre E F, dont ie parle dans la Proposition qui suit, mais auant que de quitter celle-cy, ie donne vn exemple à quatre parties pour les Fleutes douces. [Gauote pour les Flustes douces].
Quant à l'estenduë & à la tablature de cette Fluste [Fluste d'Allemand], qui peut seruir pour le Fifre, qui luy est entierement semblable, ie l'ay mise par des cercles blancs & noirs, afin de retenir celle qui est en vsage, ce qui n'empesche nullement que l'on ne la puisse marquer auec les petites lignes de la tablature de la Fluste à neuf trous, ou de telle autre maniere que l'on voudra. Or i'ay mis chaque rond vis à vis de chaque trou, afin que l'on sçache les trous qu'il faut boucher ou deboucher pour faire les sons marquez par les notes qui sont dessus, dont chacune respond à chaque rang de cercles, qui monstrent que tous les trous estant bouchez elle fait la plus basse note, à sçauoir l'VT de G re sol vt, & le [p242] RE qui suit en debouchant le sixiesme trou, & ainsi des autres iusques au 19. son, qui se fait en ouurant seulement le troisiesme trou, car elle a vne Dix-neufiesme d'estenduë, comme l'on void par les notes de la Musique. Si cette Fluste suiuoit la precedente dans ses mouuemens, il ne seroit pas necessaire de fermer tous ses trous excepté le premier, pour faire l'Octaue, car tous ses trous estant ouuerts monteroient à ladite Octaue, quoy qu'il soit difficile de donner la vraye raison de cette difference, & des autres qui se rencontrent entre cette tablature & les precedentes. [Tablature & Estenduë de la Fluste d'Allemand].
Neantmoins les Philosophes qui en voudront rechercher les causes, doiuent les tirer de la fabrique de cet instrument [la Fluste d'Allemand], & de la maniere dont on l'embouche pour pousser le vent, & de toutes les autres circonstances. Ie laisse aussi quelques autres remarques que l'on peut faire sur cette tablature, par exemple, que quelques-vns font de certains tons en bouchant ou en debouchant d'autres trous que ceux qui sont marquez, comme l'on void dans cette autre tablature qui suit : & qu'il est beaucoup plus difficile de faire parler cette Fluste que les autres qui s'embouchent en haut, car tous peuuent vser de celle-cy, & peu sçauent sonner de celle-là, à cause de la difficulté que l'on trouue à disposer les levres comme il faut sur le premier trou, qui sert de lumiere : [p243] ce qui arriue semblablement au Fifre, qui ne differe d'auec la Fluste d'Allemand qu'en ce qu'il parle plus fort, que ses sons sont beaucoup plus vifs & plus esclatans, & qu'il est plus court & plus estroit. C'est le propre instrument des Suisses, & des autres qui battent le Tambour, quoy que les vns le sonnent d'vne façon & les autres d'vne autre, suiuant les differentes coustumes & les differentes tablatures que l'oreille & l'vsage peuuent suppleer. Mais l'on ne fait pas ordinairement toutes les parties de Musique auec les Fifres, comme auec les Flustes d'Allemand, que l'on met au ton de chapelle pour faire des concerts : & parce que l'on ne peut faire de Basse assez longue pour descendre assez bas, l'on vse de la Sacquebute, ou du Serpent, ou de quelqu'autre Basse pour suppleer, car si la Fluste d'Allemand estoit assez longue pour faire cette partie, les mains ne pourroient pas aysément s'estendre iusques aux derniers trous, tandis qu'on l'emboucheroit ; quoy que l'on puisse suppleer ce defaut dans les Basses de ladite Fluste par plusieurs clefs, en les rompant ou redoublant, comme l'on fait aux Bassons, dont nous parlerons apres.
Or il est certain que l'on peut adiouster le ieu des Fifres à l'Orgue, afin de l'enrichir d'vne nouuelle grace, mais il n'est pas possible de suppleer les gentillesses de la bouche, de la langue, & des levres auec les soufflets ordinaires de l'Orgue : i'ay dit Ordinaires, parce que l'on y peut adiouster des ressorts qui seruiront pour donner quelque nouuelle vigueur, ou douceur aux sons. Mais ie parleray plus amplement des Orgues dans vn liure particulier ; cependant les ioüeurs de Fifre & de Fleutes pourront inuenter des moyens pour faire qu'vn seul homme puisse ioüer tout seul de plusieurs instrumens tout à la fois, comme l'on pratique dans la Sicile & ailleurs, où l'on embouche deux ou trois Flustes en mesme temps, qui sont faites de cannes, & dont les sons ont de certains charmes particuliers qui imitent ceux de la voix. Si l'on auoit trauaillé aussi curieusement à perfectionner cet espece d'instrumens comme l'on a fait aux Orgues, l'on auroit peut-estre rencontré la maniere de ioüer quatre ou cinq parties d'vn mesme vent de la bouche : & si l'on vouloit prendre la peine de les percer tellement, que le genre Diatonic estant d'vn costé, comme il est en effet, le Chromatic & l'Enharmonic fussent des deux autres costez, l'on executeroit aysément tout ce que les Grecs ont sceu, auec vn petit morceau de bois : mais ie laisse cette recherche aux Facteurs, aussi bien que la recherche du Diapason necessaire pour les percer iustement, quoy que les precedens monstrent les endroits des trous Diatoniques assez exactement pour en faire d'autres à l'imitation.