PROPOSITION XIX. A sçauoir si l'on peut connoistre asseurément quel est le graue ou l'aigu du son que l'on oit. Ceste difficulté est si grande, que plusieurs Musiciens se trompent souuent en iugeant des sons, car ils croyent & iugent que le son qu'ils oyent est plus bas [p028] ou plus haut d'vne Octaue qu'il n'est. Ce qui arriue particulierement aux sons des chordes, des Orgues, ou des petits enfans, qui font souuent l'Octaue en haut ou en bas auec le son, lequel nous pensions estre à l'Vnisson desdites voix ou des sons.
Or l'vn des moyens pour le connoistre [le grave ou l’aigu] dépend d'vne autre voix, ou d'vn autre son, qu'il faut mettre à la Quinte, ou a la Quarte du son, ou de la voix, dont l'on doute ; car si l'on pense faire la Quinte en bas, & neantmoins que le son soit plus bas d'vne Octaue que l'on ne l'auoit imaginé, le son que l'on pensoit estre à la quinte se trouuera à la quarte ; au contraire si l'on pense faire la quarte, l'on fera la quinte ; & parce que la quarte est plus dure & plus rude que la quinte, elle pourra facilement estre discernee ; & si le son estoit plus bas d'vne quinziesme que l'on ne s'imagine, on feroit l'Vnziesme au lieu de la Douziesme : ce qui se peut expliquer par nombres en ceste maniere ; si le son est 3 au lieu de 6 que l'on s'imagine, il faudra toucher 4 pour faire la quinte auec 6, & parce que l'on a pris 6 pour 3, l'on fera la quarte, & non la quinte ; par où l'on peut entendre le reste du discours.
L'autre maniere [de connaître le grave ou l’aigu] dépend des chordes ; car si nous croyons par exemple faire la Douziesme, & neantmoins que nous fassions l'Vnziesme, c'est à dire, si le son est plus bas d'vne Quinziesme que nous ne l'imaginons, quand nous toucherons la chorde qui nous trompe, elle ne fera pas trembler l'autre chorde si sensiblement, comme elle feroit si elle faisoit la Douziesme, & non l'Vnziesme : il faut dire la mesme chose à proportion de la Quinte & de la Quarte : I'ay dit à proportion, car la chorde qui fait la Douziesme estant touchee, fait trembler plus fort la chorde qui est à la Douziesme, que celle qui est à la Quinte, comme i'ay prouué ailleurs.
Mais il y a d'autres manieres de renforcer la voix qui dépendent des corps exterieurs, comme l'on experimente aux chordes que l'on [p030] touche dans l'air qui est libre, lors qu'elles ne sont pas attachees sur vn instrument, & qu'il n'y a nul corps qui en conserue le son, qui paroist fort foible & petit en comparaison de ce qu'il est, quand on entend la mesme chorde sur vn corps concaue, comme sur le Luth, & sur les autres instrumens à chorde.
D'où l'on peut conclure que tous les lieux qui sont creux & concaues renforcent la voix, dautant qu'ils conseruent plus long-temps le mouuement de l'air, ou qu'ils sont cause qu'vne plus grande quantité d'air se meut & tremble plus long-temps : Et puis que les contraires viennent des causes contraires, il faut aduoüer que la voix est d'autant plus foible, que le lieu où elle se fait est moins concaue, & plus solide : de là vient que la table des Luths resonne mieux quand elle est plus mince & plus deliee, & que les sons deuiennent plus sourds lors qu'elle est plus épaisse : & consequemment que les tables d'or, d'argent, d'yuoire, de büis, ou d'autre bois solide & massif, ne sont pas si bonnes que celles de cedre, de sapin, ou des autres bois qui sont plus legers, plus poreux, & plus rares ; ce qui leur donne vne certaine espece de concauité, & vn tremblement qui apporte de la grace & de la force aux sons. Et si nous n'auions point de palais, & que le son se fist simplement par la languette sans estre retenu & conserué dans la bouche, il paroistroit beaucoup moindre & plus foible. Quant aux autres manieres de renforcer la voix, qui dependent de la reflexion qui se fait par le moyen des corps formez & figurez en ouale, en parabole, ou en hyperbole, nous en parlerons apres. Il y a encore vne autre maniere qui sert à renforcer la voix, à sçauoir la continuation des corps qui seruent à faire le son, on qui le conseruent dans vn long espace, comme l'on experimente aux poûtres, au bout desquelles on oit les moindres coups dont on les frappe à l'autre bout, & aux voûtes et arcades des ponts, qui portent la voix & les autres bruits par toute l'arcade, beaucoup plus loin qu'ils n'iroient sans ceste aide. Ie laisse mille autres manieres dont on peut aider la voix, parce qu'elles peuuent estre rapportees aux precedentes, ou qu'il en faudra traiter dans vn autre lieu.
COROLLAIRE L'on pout considerer plusieurs choses sur ce sujet, particulierement que Dieu ne nous a pas donné deux ou plusieurs ouuertures du larynx, ou plusieurs arteres pour faire deux ou plusieurs sons en mesme temps, parce qu'ils nous eussent esté inutiles, & que l'vn eust peu empescher l'autre ; & puis l'harmonie de deux ou plusieurs parties qu'vn mesme homme eust peu faire, ne luy est pas necessaire ; & Dieu a voulu que ce plaisir dépendist des autres, afin que l'harmonie des voix inuitast les hommes à l'harmonie des moeurs, & à vne amitié reciproque, qui est representee par les Consonances. Il ne nous a pas aussi donné la voix si forte qu'elle puisse estre oüye par tout le monde, afin que chacun ait des lieux dans l'air où il puisse exercer sa voix sans qu'elle soit empeschee par d'autres bruits, dont l'air seroit tousiours meu si les voix penetroient toute son estenduë. Ie laisse mille autres considerations qui peuuent seruir de sujet pour admirer la sagesse du Souuerain ouurier.
C'est chose asseuree que l'anche du larynx, c'est à dire sa languette, ou son ouuerture, contribuë plus immediatement aux passages & aux fredons que les autres parties, dautant qu'il faut marquer les degrez & les interualles que l'on fait en soustenant le passage ; ce qui ne peut arriuer que par les differentes ouuertures de la languette, comme i'ay monstré en parlant du son graue & de l'aigu.
Car le chant du demiton est propre pour exprimer la tristesse, & celuy du diton est propre pour expliquer la ioye : & si l'on auoit examiné la nature de tous les interualles, l'on trouueroit la conformité qu'ils peuuent auoir auec chaque chose, de sorte que l'on en pourroit vser au lieu de nos dictions ordinaires pour nous faire entendre & pour exprimer la nature des choses : mais ils seroient incommodes, parce qu'il faudroit chanter en parlant, & ceux qui n'ont point la voix propre pour faire les interualles des sons, ne pourroient expliquer leurs [p042] pensées ; c'est pourquoy l'on peut conclure que les paroles, dont les discours sont faits, sont plus excellentes que les chants, si ce n'est que l'on les fasse seruir de paroles, quoy que l'on puisse dire qu'ils sont plus excellens, parce qu'ils ont tout ce qu'a la parole, & qu'ils sont mieux reglez qu'elle, à raison des iustes proportions que gardent leurs interualles ; mais les paroles & les discours ont des interualles qui peuuent estre aussi bien reglez que ceux des chants.
Or ceux qui apprendront la Musique en ceste maniere [en utilisant l'orgue pour apprendre à chanter], feront les interualles plus iustes que ceux qui ont appris des Maistres, pourueu que le clauier & les tuyaux soient disposez comme ceux que i'ay expliquez au traité de l'Orgue, dans lequel les tons & les demitons majeurs & mineurs, les dieses, & toutes les consonances sont dans leur iustesse & dans leur perfection ; & consequemment celuy qui aura appris à chanter sans Maistre enseignera mieux à entonner iuste que nul autre. Mais il ne pourra pas donner la grace aux chants & aux passages qui dépendent des roulemens de gorge, & des autres delicatesses & tremblemens dont on vse maintenant pour porter la voix du graue à l'aigu, & de l'aigu au graue ; c'est pourquoy s'il veut perfectionner sa voix, il a besoin de Maistre, à raison que les Instrumens ne peuuent enseigner de certains charmes que l'on inuente tous les iours pour embellir les chants, & pour enrichir les Concerts. Il y a vne autre maniere d'apprendre qui est plus Philosophique, mais elle est plus difficile, car elle consiste à faire trembler l'air qui sort de l'ouuerture du larynx autant de fois que la chorde qui fait le son que l'on veut imiter, & que l'on fait sans le sçauoir lors que l'on chante à l'vnisson d'vn autre son, & lors que l'on le fera par science l'on chantera plus raisonnablement.
PROPOSITION XLIV. Expliquer pourquoy quelques-vns parlent du nez, s'il y a moyen d'y remedier, & quels sons l'on peut faire auec le nez. […] [p060] Quant aux sons qui sortent du nez, le premier est celuy qui fait la respiration, dont la forte inspiration produit le ronflement. L'on en rencontre aussi qui ioüent des instrumens à vent auec le nez, par exemple du flageollet & des flustes, ou qui chantent la Musique à deux parties, l'vne auec la bouche, & l'autre auec le nez. Quelques-vns imitent aussi le ieu d'Orgues, que l'on appelle le nazard, en pressant l'vne des narines auec l'vne des mains, & en frappant de l'autre main contre l'autre narine.
C'est pourquoy la Musique est vne imitation, ou representation, aussi bien que la Poësie, la Tragedie, ou la Peinture, comme i'ay dit ailleurs, car elle fait auec les sons, ou la voix articulee ce que le Poëte fait auec les vers, le Comedien auec les gestes, & le Peintre auec la lumiere, l'ombre, & les couleurs : voyons maintenant la diuersité des Airs, & des Chants, & particulierement ceux dont on vse en France, afin que le Musicien n'ignore rien de tout ce qui appartient à l'Harmonie. Et apres nous verrons ce qui est necessaire pour faire de beaux Airs, & s'il est possible d'en faire vn qui soit le plus beau de tous ceux qui peuuent estre faits sur quelque sujet, ou sans sujet.
Neanmoins auant que de nombrer les diuerses especes de Chansons dont on vse maintenant il faut proposer vne difficulté qui nous donnera peut-estre vne nouuelle definition du Chant, à sçauoir quand, & à quel moment le son, ou la voix commence à estre chant, ce qui semble fort difficile à determiner, car le commencement des choses naturelles est ordinairement imperceptible, neanmoins le chant ayant quelque chose d'artificiel aura peut-estre son commencement plus facile à reconnoistre, que s'il estoit simplement naturel.
S'il est tres-difficile de remarquer le commencement du mouuement, & du temps, & par consequent celuy du son, qui n'est autre chose qu'vn mouuement, il n'est ce semble pas moins difficile de determiner quand le son commence d'estre Chant : car si toutes les parties d'vn Chant sont homogenes, c'est à dire de mesme nature, comme celle du son, & de l'air, il faut conclure que chaque partie du son, qui est perceptible, contient la nature du Chant, & qu'elle peut estre appellé Air.
Et quand on se sert de cette intonation, on dit aussi bien qu'on commence à chanter que quand on se sert des Tons qui varient leurs interualles. La difficulté consiste donc en deux points, à sçauoir si le son qui ne hausse ny ne baisse point, peut estre appellé, & est en effet vn chant : & si chaque partie de ce son est Chant, [p094] ou quel espace de temps le son doit durer pour estre chant.
Si nous voulons apporter quelques distinctions ou diuisions entre les chants, il semble que l'on peut accorder toutes les pensees des Musiciens sur cette difficulté : Car si nous disons que le son, contre lequel se peuuent chanter vne ou plusieurs parties qui facent des consonances & de l'harmonie, est vn chant, l'on peut tenir que le simple son qui tient ferme, & consequemment que les discours des Orateurs, & de ceux qui font des interualles sensibles, comme les Italiens, & quelques Predicateurs qui chantent en parlant, peuuent estre nommez chants, lors qu'on peut faire quelque partie de Musique contre lesdits sons, ou discours.
Mais si nous parlons d'vn chant parfait, il desire des changements de son, & de differens interualles, comme sont les Diatoniques, & de certaines parties qui ne sont pas Homogenes, & de mesme nature, comme sont les differentes parties de l'eau, & de l'air : parce que le commencement doit estre different du milieu, & la fin doit estre differente de l'vn & de l'autre.
Il faut neantmoins auoüer que l'on peut trouuer des regles si certaines, que l'on ne manquera iamais à faire de bons chants sur toutes sortes de sujets, pourueu que l'on entende la lettre ; car si le Musicien François qui n'entend que sa langue vouloit mettre de l'Espagnol ou de l'Italien en Musique, il ne pourroit pas accommoder la note à la lettre. I'auoüe qu'il est difficile de trouuer & de pratiquer les regles dont nous parlons, dautant qu'elles requierent vne parfaite connoissance de la nature des sons, & de leurs interualles, & des passions & affections que l'on desire exciter ou appaiser. Mais peut-estre que cette connoissance n'est pas impossible, soit que les anciens l'ayent euë, comme tiennent ceux qui croyent qu'Aristote, Plutarque, & les autres Autheurs ne proposent rien des especes & des effets de la Musique que ce qui est veritable, & qui disent que les Grecs auoient la connoissance du temperament des auditeurs, de la nature des passions, & des interualles ; ou que lesdits anciens n'ayent point eu d'autre connoissance que nous, ou plustost qu'ils ayent moins connu dans la Musique que les Maistres qui composent maintenant, & qui enseignent la pratique & la theorie de l'Harmonie, comme croyent plusieurs, qui ne deferent pas tant aux anciens que les autres. Car puis que l'inuention des regles pour faire de bons chants dépend de la raison, du iugement, & de l'experience, il faudroit que nous fussions dépourueus de ces facultez, & instrumens, si nous ne pouuions rien establir que par emprunt des anciens, dont ie ne veux pas icy parler dauantage, dautant que i'ay fait vn discours particulier pour examiner s'ils estoient plus sçauans que nous dans la Musique, & s'ils faisoient de meilleurs Chants, & de meilleurs Concerts.
PROPOSITION VI. Determiner de quelles regles & maximes l'on doit vser pour faire de bons chants, & en quoy les sons & les chants sont semblables aux couleurs. Si nous pouuons trouuer & establir des regles infallibles pour faire de bons chants sur toutes sortes de sujets, nous ferons ce qui est de plus difficile & de plus [p099] excellent dans la Musique : car quant à la composition de deux, ou plusieurs parties, l'on en trouue assez qui y reüssissent, mais l'on n'en trouue point, ou du moins l'on en rencontre fort peu qui fassent de bons chants sur tous les sujets qu'on leur propose. Et si l'on demande pourquoy il est plus difficile de faire vn bon chant que d'ajoûter des parties au chant qui est déja fait, & de composer à deux, ou plusieurs parties, ie responds qu'il faut estre plus sçauant pour faire de bons chants, que pour composer à plusieurs parties, comme l'on pourra facilement conclure du discours qui suit.
Ie ne crois pas qu'il faille d'autres regles pour faire de bons chants sur toutes sortes de sujets, car la suite des degrez & des interualles des sons qui composent le chant, & la cognoissance du mode dont il faut vser, sont comprises dans la seconde regle [de cette proposition] ; & toutes sortes de vers, & de mouuements sont contenus dans la premiere : quant à la bonté de la voix, & à la prononciation, elles n'appartiennent pas aux regles des chants, mais à la methode, & à la maniere de chanter, & au Chantre, dont nous parlerons ailleurs. Quant à la relation des sons qui composent le chant, comme celle du Triton, & de la fausse Quinte, qui sont quasi les seules relations mauuaises tant au plain chant, que dans la Musique (encore que ces interualles, & tous les autres puissent entrer dans les recits, lors que le sujet le requiert) il en faudra parler dans le liure de la Composition.
Il faut seulement icy remarquer que les chants sont semblables aux nuances des couleurs, qui se suiuent tellement que l'on ne passe pas d'vne extremité à l'autre sans passer par celle du milieu. C'est pourquoy l'on peut s'instruire pour faire de bons chants par la consideration desdites nuances ; car comme l'on a sept interualles, ou huit sons dans l'estenduë de l'Octaue, dont on a coustume d'vser ; de mesme l'on prend pour l'ordinaire sept ou huit couleurs pour chaque nuance, comme l'on experimente à la nuance du pourpre, du bleu, & du vert de tulipe, ou de citron ; de sorte que l'on peut comparer chaque chant à chaque nuance, si n'est que l'on veüille rapporter tous les chants de l'vn des genres de Musique à vne espece de nuance : par exemple, les chants dont on vse dans nostre Diatonique, à la nuance de verd, & ceux des autres especes du genre Diatonique aux autres sortes de nuances.
Or l'on pourroit choisir les huit principales especes de nuances, à sçauoir les trois des trois sortes de verds, & les nuances du bleu, du iaune, du rouge, du colombin, & du pourpre, pour les comparer aux huit especes de la Diatonique : si ce n'est que l'on aime mieux diuiser toutes les nuances, comme toutes les especes de Musique, en trois genres, à sçauoir en la nuance du verd, du iaune, & du rouge, dont chacune en contiendra plusieurs autres, comme chaque genre de Musique contient plusieurs especes. A quoy l'on peut ajoûter que si l'on fait des chants de douze degrez dans l'Octaue en la diuisant par demitons, que l'on a semblablement des nuances de douze couleurs, comme celle du rouge ; & qu'vne nuance peut auoir autant de couleurs que l'Octaue de sons, ou d'interualles, car l'vne & l'autre peuuent estre diuisees en vne infinité de degrez.
En effet s'il est permis de s'instruire par l'analogie des autres choses, l'on peut comparer les simples sons aux simples couleurs, les interualles des sons aux meslanges desdites couleurs, & les chants aux tableaux ; car comme les Peintres, les Teinturiers & les Floristes remarquent qu'il y a des couleurs simples & premieres, dont les autres sont composees ; de mesme les Musiciens considerent qu'il y a des sons plus simples les vns que les autres ; ce que l'on peut dire du proslambanomenes, parce que les battemens ou mouuemens d'air dont il est composé sont plus proches de l'vnité & du repos, dont la nete est la plus éloignee ; de sorte que les sons du milieu sont composez de ces deux extremes, à raison qu'ils participent de la tardiueté & de la pesanteur de l'vn, & de la vitesse de l'autre, comme les couleurs du milieu participent des deux extremes, à sçauoir du blanc & du noir, dont on peut s'imaginer que les deux premieres couleurs des Peintres, c'est à dire le bleu & le iaune, sont composees, desquelles on fait apres toute sorte de verd.
D'où l'on peut conclure que la Mese est le son le plus agreable de tous, puis qu'il participe également du ciel & de la terre, comme fait le verd naissant, lequel est composé d'égales parties du bleu & du iaune. Mais si l'on compare les interualles de Musique à deux couleurs, l'on peut considerer si le bleu ou le iaune estant comparé auec le verd font aussi bon effet que le proslambanomene, ou la Nete comparees à la Mese, auec laquelle elles font l'Octaue ; & si l'on compare les chants aux nuances des couleurs, l'on peut supputer de combien de sortes de couleurs il faut vser depuis le bleu, ou le iaune iusques audit verd pour y passer insensiblement, ou le plus agreablement qui se puisse faire ; & qu'elle proportion il y a entre ces couleurs d'approche, afin de remarquer si les passages que l'on fait du proslambanomene ou de la Nete à la Mese, doiuent estre remplis dautaut d'interualles, & qui ayent des raisons égales ausdites couleurs, afin de faire le plus beau chant de tous les possibles, & de le chanter parfaitement.
L'on peut donc examiner de combien de couleurs il faut nuer le iaune, ou le bleu, duquel on veut passer au verd gay, ou dudit verd au iaune, & au bleu, ou de l'vn de ceux-cy à l'autre, & faire autant d'interualles depuis le son graue iusques à celuy du milieu, & du milieu iusques à l'aigu, afin de voir si le chant qui sera conduit par ces nuances sera le meilleur de tous. Et parce que l'on aime la diuersité des chants, comme celle des tableaux (à raison de l'estat de changement dans lequel nous viuons assujetis à sa vanité malgré que nous en ayons) lors que l'on diuersifiera les chants, & que l'on quittera la precedente nuance pour passer à des couleurs éloignees, ou à des sons separez, & dis-joints, il faut que le son ou la couleur ayent de l'analogie, & de la conuenance auec les autres ausquels nous passons.
Et parce que l'on fait les sauts de l'Octaue, de la Quinte, de la Quarte, des Tierces, & des Sextes, il faut voir les transitions des couleurs qui respondent à ces passages, afin de sçauoir si leur agreement est semblable, & si ce qui se trouue beau dans la suite des sons a vne égale beauté dans la suite, & la liaison des couleurs.
Or il n'y a rien dans la Musique plus semblable à la lumiere que le son aigu, parce qu'il comprend tous les autres qui viennent de sa diuision, ou de sa diminution iusques à ce qu'il retourne dans le silence ; car s'il perd vne 24 partie de son mouuement il fait le demiton mineur ; s'il en perd vne 15 il fait le majeur ; si vne 9, [p102] ou 10, il fait le ton mineur, ou majeur, & s'il en perd la moitié, il fait l'Octaue, & ainsi des autres, iusques à ce que les rayons, ou les influences de ses mouuements, qu'il depart aux autres sons, soient tellement diminuez qu'il paruiennent au proslambanomene, qui tient le plus du silence, comme le noir tient plus des tenebres que nulle autre couleur, à raison de l'affoiblissement des rayons lumineux qui le produisent, ou qui le font paroistre.
Il faut encore remarquer qu'il y a plusieurs couleurs qui se nuent, comme il y a plusieurs genres & especes de Musique ; & que l'on peut comparer les degrez de chaque espece de Musique auec la nuance de chaque couleur ; par exemple, la nuance du verd, du iaune, & du rouge auec les degrez du genre Diatonic, Chromatic, & Enharmonic, car les chants peuuent finir par la voix la plus graue, ou la plus aigue, comme la nuance de chaque couleur finit d'vn costé par le noir, qui represente l'ombre, les tenebres, & le silence ; & de l'autre costé par le blanc, qui represente l'esclat de la couleur, la lumiere, & la vistesse des sons aigus.
D'ailleurs, le son du milieu que les Grecs appellent la Mese, represente la couleur qui est nüee ; & comme l'on vse ordinairement de sept couleurs dans chaque nuance, de mesme l'on vse de 7 interualles ou degrez dans chaque Octaue, dont il y en a 2, 3 ou 4 dessus, & trois ou quatre dessous ladite Mese : i'ay dit 3 ou 4 dessus, ou dessous, parce qu'il y en a 4 dessous, lors que la Quinte est dessous, & 3 lors qu'elle est dessus ; ce que les Musiciens appellent diuision Harmonique. C'est pourquoy il faudroit voir si la nuance d'vne couleur est plus agreable lors qu'il y a plus de degrez de nuance en bas iusques au noir, qu'en haut iusques au [p103] blanc, comme l'Octaue est plus agreable lors qu'elle a plus de degrez en bas, c'est à dire lors qu'elle a la Quinte dessous.
Il faut encore considerer si toutes les principales couleurs qui se nuent peuuent estre reduites à 7, comme les Octaues, afin que chaque espece d'Octaue qui a 8 sons & 7 interualles, soit comparee à chaque couleur principale, & aux 7 ou 8 couleurs qui luy seruent de nuance ; & finalement si les nuances sont dautant plus ou moins agreables, qu'elles ont vn plus grand nombre de couleurs, & qu'elles paroissent moins distinctes, comme les chants ont coustume d'estre plus ou moins agreables, selon que leurs degrez sont moindres ou plus grands : comme il arriue lors qu'au lieu des 8 sons Diatoniques de l'Octaue, on la diuise en 12 demitons sur l'Orgue & sur le Luth, par le moyen des degrez Chromatiques, ou qu'on la diuise en 24 interualles par le moyen des degrez Enharmoniques, car les nuances des couleurs peuuent estre de 12, & de 24 differentes couleurs, que l'on peut mettre entre le vray verd, & le verd le plus brun d'vn costé, & le verd le plus foible de l'autre.
Or l'on peut considerer le Chant ou l'Air en deux manieres ; premierement en sa composition, & puis apres sa composition ; qui peut estre faite en tant de façons (comme il appert par le grand nombre de chants qui se rencontrent dans l'estenduë d'vne double, triple, & quadruple Octaue, encore que l'on ne parle point des diuers mouuemens, ou des differentes mesures) qu'il est presque incroyable, & qu'il semble estre impossible qu'vn homme puisse composer tous les Airs qui se rencontrent dans le nombre des sons dont on vse ordinairement dans les chansons, encore qu'il composast l'espace de cent ans sans cesser. Ce seroit donc par hazard s'il rencontroit le plus beau chant de tous ceux qui se peuuent faire, & ne pourroit connoistre s'il seroit le plus excellent, puis que la connoissance d'vne chose qui vient en comparaison auec d'autres, ne peut s'acquerir qu'en la comparant auec celles qui luy sont rapportees.
L'on doit encore considerer le suiet de la chanson ; car si l'air est lié à quelque matiere, soit prose, ou vers, il sera plus agreable que s'il estoit separé de toute sorte de sujet, dautant que le iugement de l'oüie se faisant dans le sens commun, & non seulement dans les replis & les cauernes des oreilles, si l'air ne porte rien auec soy que le son, il ne peut estre si bien goûté de l'esprit, que lors que le son est joint à quelque parole qui a conformité & analogie auec le chant.
C'est pourquoy il arriue souuent que les airs ne peuuent estre si bien retenus quand ils sont chantez sans sujet, que quand ils ont vne lettre, ou vn sujet, parce que les syllabes des dictions nous font ressouuenir des sons qu'il faut éleuer, ou baisser & des temps qu'il faut faire longs ou briefs. A quoy l'on peut ajoûter que les refreins & les reperises des airs se font plus sensiblement & plus agreablement reconnoistre sur vne lettre, laquelle sert beaucoup pour les faire estimer & agreer.
PROPOSITION PREMIERE. La Chanson ou l'Air est une deduction de la voix, ou des autres sons, par de certains interualles naturels ou artificiels, qui sont agreables à l'oreille & à l'esprit, & qui signifient la ioye, la tristesse, ou quelqu'autre passion par leurs diuers mouuemens.
Secondement i'ay dit, ou des autres sons, parce qu'on peut ioüer les Airs sur les Instrumens de Musique. Tiercement i'ay ajoûté, par de certains interualles naturels ou artificiels, ce qui fait que les chants sont differens d'auec les discours qui n'ont point d'interualles certains, par lesquels nous montions ou descendions en parlant, encore que la voix monte ou descende sans qu'on prenne garde aux interualles qu'elle fait. Neanmoins quelques-vns croient que si nous éleuions nos voix selon que requiert le discours que nous tenons, & que nous fissions tous les interualles necessaires pour persuader ce que nous disons, que nous ferions des merueilles ; particulierement si nous aioûtions les accens propres à cet effet, comme i'ay dit dans le traité de la Musique Accentuelle.
Il faut neanmoins remarquer qu'il n'est pas tellement necessaire de changer les interualles des sons graues & aigus, qu'on ne puisse trouuer quelque espece d'air sans eux, si nous parlons de tout ce qui peut estre appellé air, ou chant en quelque maniere que ce soit : car quelques vns disent qu'on peut sonner vn air sur le Tambour, encore que tous ses tons soient vnison, dautant que les diuers mouuemens ou les diuerses mesures qu'on donne aux sons du Tambour peuuent representer quelque chanson, ou quelque fantaisie. Ce qui conuient pareillement à la voix qui peut representer plusieurs choses par les diuerses mesures, & par tous les mouuemens de la Rythmique : ce qui arriue aussi à plusieurs Pseaumes, qui commencent, finissent, & sont chantez sur vne mesme note, ou sur vne mesme interualle, & au chant dont plusieurs Religieux se seruent : Mais les autres aiment mieux l'appeller vn simple recit qu'vn chant, comme est le chant dont nous nous seruons, & plusieurs autres à nostre imitation, comme les Capucins, Carmes déchaux, &c. dautant que nous ne faisons aucuns interualles, & que nous n'obseruons point d'autre mesure que celle des syllabes.
Ce qu'Euclide a reconnu & remarqué au commencement de son traité de la Musique, quand il dit que le discours se sert d'vne voix continuë, qui ne cesse & ne se repose point iusques à ce que le discours soit acheué, & qui ne garde aucune regle certaine aux interualles en haussant ou baissant le son : mais le mouuement ou la deduction de la voix, ou du son qui fait les airs & les chansons, & qu'Euclide appelle Diastematique, ou Interuallaire, ne se conduit pas par des interualles continus, mais elle passe tantost d'vn ton à vn diton, tantost de la Tierce à la Quarte, ou à la Quinte, &c. & s'arreste quelquefois l'espace d'vn, [p092] deux, trois ou quatre battemens du poux, selon les regles & les pauses de la Musique, & selon la dignité du sujet.
PROPOSITION II. L'air est vn mouuement, vne conduite, ou saillie des sons, ou de la voix par les interualles artificiels que les Musiciens ont estably, à sçauoir par les Demitons, les Tons, les Tierces, &c. dont nous expliquons les mouuemens & les passions de nostre ame, ou celles du sujet & de la lettre.
La Sarabande a esté inuentée par les Sarrazins, ou Mores, dont elle a pris son nom ; car on tient que la Comedienne nommée Sarabande la dança la premiere en France : quelques-vns croyent qu'elle vient du mot Espagnol Sarao, lequel entr'autres significations veut dire Bal en Espagnol, ou de Banda qui signifie assemblée, comme si plusieurs se deuoient assembler pour cette sorte de dance : ce que les Mores obseruoient peut-estre, encore que les François & les Espagnols ne la dancent qu'à deux. Son mouuement est Hegemeolien ∪ ∪ ∪ − ∪. Elle se dance au son de la Guiterre, ou des Castaignettes, & ce par plusieurs couplets sans nombre : ses pas sont composez de tirades, ou de glissades : son Exemple est de l'onziesme Mode transposé vn ton plus bas : sa mesure est Hemiolia, & suit le battement du Mareschal.
D'abondant l'on experimente que les airs des Balets, & des Violons excitent dauantage à raison de leur gayeté qui vient de la promptitude de leurs mouuemens, ou de leurs sons aigus, que les airs que l'on iouë sur le Luth ou sur les basses des Violes, lesquels sont pour l'ordinaire plus graues & plus languissans.
Et les Trompettes nous font encore voir cette verité, quand ils se seruent du premier Mode, qui est le plus gay de tous, & qui excite toutes sortes d'hommes à se resiouyr : car nous experimentons en nous mesmes que les mouuemens du coeur & de l'imagination suiuent les sons & les mouuemens de la Trompette.
A quoy l'on peut adiouster que les sons, & les mouuemens des chansons gayes approchent plus pres de la vie, que ceux des airs tristes, puis que la vie consiste dans vn mouuement perpetuel & continu, car les battemens d'air qui font les sons aigus, & les mouuemens rythmiques qui sont plus frequens, s'approchent plus pres de la continuité que ceux des sons graues, & des mouuemens pesans & tardifs des airs tristes, qui representent vne vie interrompuë & mourante. Et l'on experimente que les chansons gayes sont si propres à danser, que ceux mesmes qui n'ont iamais apris cet exercice se mettent à danser, ou tesmoignent par quelque mouuement du corps le contentement qu'ils reçoiuent de ces Chansons : ce qui n'arriue point aux airs tristes & lugubres, qui sont plus propres pour faire pleurer & mourir les Auditeurs, que pour les faire rire, ou les faire viure : car ces airs sont composez de mouuemens propres pour engendrer la tristesse, & consequemment pour faire tomber des defluxions sur les membres, qui les rendent enfin paralytiques & incapables de mouuement.
Il faut donc considerer la nature des airs tristes, qui consiste en plusieurs choses : car la voix des airs tristes represente la langueur & la tristesse, par sa continuation, par sa foiblesse & par ses tremblemens : & les demitons & dieses representent les pleurs & les gemissemens à raison de leurs petits interualles qui signifient la foiblesse : car les petits interualles qui se font en montant ou descendant, sont semblables aux enfans, aux vieillards & à ceux qui reuiennent d'vne longue maladie, qui ne peuuent cheminer à grand pas, & qui font peu de chemin en beaucoup de temps ; par exemple lors que l'on fait le demiton maieur en montant, l'on fait vn mouuement qui ne monte que de la quinziesme partie de la voix precedente, & quand l'on monte d'vn demiton mineur, l'on n'aduance son chemin que d'vne vingt-quatriesme partie du son qui precede.
Et parce que les sons & les mouuemens des airs tristes font vne plus forte impression sur l'esprit, ils le rauissent dans vne plus profonde speculation ; & lors qu'il est contraint de la quitter, il luy semble qu'il sort d'vne grande lumiere pour rentrer dans des tenebres fort espaisses. Cecy estant posé, ie dis que l'on n'ayme pas la tristesse, quand l'on ayme les airs lamentables, mais que l'on ayme l'estat de separation, auquel se trouue l'ame dans la contemplation de ces airs.
La seconde [chose], à laquelle on doit prendre garde, est que ie ne repete point icy plusieurs choses que l'on pourroit desirer, parce que i'en ay fait des Traitez particuliers : par exemple ie ne mets pas les diuisions, les definitions & les descriptions des differentes especes de Musique, d'autant que ie les ay données dans les 17 premiers Theorêmes du premier liure du Traité de l'Harmonie Vniuerselle imprimé l'an 1627, où ie les explique si amplement qu'il est difficile d'y adiouster, soit qu'on regarde le sujet, & l'objet tant materiel que formel de la Musique, à sçauoir le Son dont ie parle tout au long dans le 7, 8, 9 & 10 Theorême : ou que l'on considere l'Harmonie Speculatiue, Diuine, Creée, Mondaine, humaine, Instrumentale, &c. A quoy l'on peut adiouter les deux Autheurs Grecs que i'ay torné en François, à sçauoir Bacchius & Euclide, dont i'ay donné la Musique toute entiere dans le 17 Theorême auec des Tables particulieres pour en faciliter l'intelligence. Et puis i'ay donné tous les principes de la Musique tant Theorique que Practique dans les autres Théorèmes qui fuiuent, iusques au 30, qui comprend ce que Salinas a de meilleur dans ses liures. Quant au second liure il contient toutes les comparaisons qui se peuuent faire des Sons, & de l'harmonie auec toutes les choses du monde qui sont proportionnées, de sorte qu'il n'est pas aysé d'adiouster aux 15 Theoremes dudit liure.
I'ay encore traité de plusieurs autres difficultez touchant ce sujet, dans deux liures particuliers, à sçauoir dans les Preludes de l'harmonie, & dans les Questions Harmoniques l'an 1634, par exemple quel doit estre l'Horoscope du parfait Musicien, où ie monstre par les principes de l'Astrologie que l'on ne peut rien predire du temperament, ou de la vie des hommes par la cognoissance que l'on a des Astres, & où ie mets trois horoscopes d'vn parfait Musicien selon l'opinion de trois excellens Astrologues de ce siecle. I'ay traité aussi du temperament, de la capacité & de la science que doit auoir vn parfait Musicien ; du Iuge des concerts, si c'est l'oreille, ou l'entendement ; s'il est expedient d'vser du genre Enharmonic, par quel endroit se romperoit vne chorde esgale en toutes ses parties, laquelle seroit tirée esgalement : pourquoy les Grecs ont reglé toute leur Musique sur les Quartes ; pourquoy les Sons seruent à former les mœurs des hommes : quel iugement l'on doit faire de ceux qui hayssent la Musique, & si elle merite l'attention des hommes d'vn grand iugement & d'vn bon esprit : s'il appartient aux sçauans ou aux ignorans de iuger de la bonté des concerts : si la Theorie est preferable à la Pratique : fi les Grecs ont esté meilleurs Musiciens que les François, & d'où vient que la nature & les hommes se plaisent à la diuersité, dont ie parle dans la 14 Question Physique. le laisse ce que i'ay dit des raisons, des proportions, des medietez, des tons, & de tous les autres moindres, ou plus grands interualles de la Musique dans le second liure de la Verité des Sciences imprimé l'an 1625, & dans la 56 & 57 question diuisée en dix-sept Articles, inserée dans le Commentaire sur la Genese, où l'on void quasi tout ce qui concerne l'harmonie.
[…] ceux qui preferent l'harmonie à la Physique pourront commencer […] par ces quatre liures des Consonances, qui a esté en effet le premier imprimé ; auquel succedent celuy des Dissonances, des Genres, des Especes de chaque Consonance, des Modes & de la Composition. Et puis il sera bon de lire le liure de la voix & des Chants ; & ceux des instrumens à chordes, à vent & de percussion : & finalement celuy des Sons, & du mouuement de toutes sortes de corps, par lesquels ceux qui ayment mieux la Physique, & les Mechaniques pouront commencer, de sorte qu'ils pourront mettre le liure du Mouuement de toutes sortes de corps le premier : celuy du mouuement & des autres proprietez des chordes le second : celuy des Sons le troisiesme : celuy des Chants le quatriesme : celuy de l'Art de bien chanter, &c. lecinquiesme : celuy des Consonances le septiesme : celuy des Dissonances le huictiesme : celuy des Genres & des Modes le neufiesme : celuy de la Composition le dixiesme : & puis les quatre des instrumens à chordes, & les trois autres des Instrumens à vent & de percussion, de sorte que cet ouurage contiendra 17, ou 18 liures s'il s'accomplit.
Mais puis que tous les autres auoüent & asseurent que les interualles que nous appellons consonans sont agreables, & que les dissonans sont des-agreables, et que nous auons d'assez bonnes raisons pour prouuer cette verité, il n'y a nul danger d'asseurer qu'il y a des Consonances et des Dissonances, dont ie traiteray amplement dans ce liure, quand i'auray respondu aux obiections precedentes, dont la premiere oppose tous ceux qui ne trouuent rien d'agreable dans la nature, ce qui ne peut arriuer […] Ceux qui desireront voir d'où l'on doit prendre le iugement des sons, et de leur agreement, pourront lire la 6 question des Preludes de l'Harmonie, où ie determine si le sens de l'oüye doit estre le iuge de la douceur des Concerts, ou si cét office appartient à l'entendement : & puis i'ay rapporté beaucoup de choses sur ce sujet dans la premiere question Harmonique, dans laquelle i'examine fort amplement si la Musique est agreable, si les hommes sçauans y doiuent prendre plaisir, et quel iugement l'on doit faire de ceux qui ne s'y plaisent pas, ou qui la mesprisent. […] Quant aux raisons pour lesquelles les battemens d'air qui font les Consonances sont agreables, & ceux qui font les Dissonances sont des-agreables, ie les expliqueray dans le discours particulier de chaque Consonance, et dans celuy que ie feray de la Beauté & de la Proportion qui rend les choses agreables.
Quant aux repliques ou repetitions des Consonances, i'en parleray dans vn autre lieu. Neanmoins ie veux remarquer toutes les Consonances qui sont naturelles, afin de confirmer qu'il y a des Consonances dans la nature, puis que la Trompette nous les apprend, car lors qu'on en joüe, & que l'on commence par le son le plus graue de tous ceux qu'elle peut faire, l'on ne sçauroit passer de ce premier son à aucun son plus proche qu'à celuy de l'Octaue ; si l'on veut monter plus haut que le second son il faut faire vne Quinte entiere ; & si l'on passe outre, l'on ne peut faire vn moindre interualle que la Quarte : de sorte que ces trois interualles suiuent le progez naturel des nombres ; & si l'on fait vn 4 et vn 5 interualle, l'on fera la Tierce majeure & la mineure, dont le son aigu est éloigné d'vne Douziesme du plus graue de la Trompette.
Mais ie veux encore donner vne autre figure qui contiendra les trois precedentes, & tous les degrez qui sont dans la [p004] Vingtdeuxiesme, dont la premiere colomne a 22 notes, la seconde contient les nombres qui expliquent les raisons de chaque degré suiuant la vraye Theorie, qui met l'inégalité des sons, c'est à dire qui met le ton majeur & le mineur, & consequemment les Tierces & les Sextes iustes, & qui vsent des moindres nombres pour signifier le moindre nombre des retours que font les plus longues ou les plus grosses chordes, & des plus grands pour exprimer le plus grand nombre des retours que font les moindres chordes ; ce qui n'arriue pas à la troisiesme colomne, à raison qu'elle a les nombres Pythagoriques, qui n'ont que le ton majeur, & qui n'ont point d'autre demiton que le Pythagorique, dont nous parlerons ailleurs. [Consonances. Nombres Legitimes. Nombres Pythagoriques. Notes. Consonances. Dissonances. VT, RE, MI, FA, SOL, LA, BI]