Or ceux qui apprendront la Musique en ceste maniere [en utilisant l'orgue pour apprendre à chanter], feront les interualles plus iustes que ceux qui ont appris des Maistres, pourueu que le clauier & les tuyaux soient disposez comme ceux que i'ay expliquez au traité de l'Orgue, dans lequel les tons & les demitons majeurs & mineurs, les dieses, & toutes les consonances sont dans leur iustesse & dans leur perfection ; & consequemment celuy qui aura appris à chanter sans Maistre enseignera mieux à entonner iuste que nul autre. Mais il ne pourra pas donner la grace aux chants & aux passages qui dépendent des roulemens de gorge, & des autres delicatesses & tremblemens dont on vse maintenant pour porter la voix du graue à l'aigu, & de l'aigu au graue ; c'est pourquoy s'il veut perfectionner sa voix, il a besoin de Maistre, à raison que les Instrumens ne peuuent enseigner de certains charmes que l'on inuente tous les iours pour embellir les chants, & pour enrichir les Concerts. Il y a vne autre maniere d'apprendre qui est plus Philosophique, mais elle est plus difficile, car elle consiste à faire trembler l'air qui sort de l'ouuerture du larynx autant de fois que la chorde qui fait le son que l'on veut imiter, & que l'on fait sans le sçauoir lors que l'on chante à l'vnisson d'vn autre son, & lors que l'on le fera par science l'on chantera plus raisonnablement.
Quant au chant que l'on considere comme oüy, & receu par les oreilles d'autruy, il n'est pas plus aysé de le rendre parfait que quand il est consideré en l'autre façon ; car les temperaments particuliers, & les humeurs & inclinations des hommes estant aussi differentes qu il y a de personnes au monde, il est impossible de trouuer vn Air qui plaise également à tous, & d'apporter ce souuerain degré de plaisir que l'on attend d'vn chant de Musique parfaitement agreable. Tel se plaist à vne seule voix qui ne peut goûter la perfection d'vn Concert, & vn autre au contraire : l'vn n'estime pas les voix si elles ne sont iointes aux Instruments, & vn autre n'approuue ny les Instruments à vent, ny ceux qui se seruent de chordes. Quelques-vns se plaisent à vne Musique douce, les autres à vne plaine, forte, & massiue : il en est comme des viandes, chacun a son goust, ou pour mieux dire, comme de l'Eloquence, l'vn l'aime plaine, & diffuse, l'autre concise & nerueuse : Tel se plaist aux vers lyriques, qui ne sçauroit goûter les heroïques : A peine se trouue-t'il deux hommes qui aiment & qui suiuent vn mesme stile. Il en est ainsi de la Musique, car le melancholique aime vn autre air que le bilieux ; & entre les diuersitez des melancholiques il se rencontre diuerses inclinations aux airs & aux chants de Musique.
I'ay encore traité de plusieurs autres difficultez touchant ce sujet, dans deux liures particuliers, à sçauoir dans les Preludes de l'harmonie, & dans les Questions Harmoniques l'an 1634, par exemple quel doit estre l'Horoscope du parfait Musicien, où ie monstre par les principes de l'Astrologie que l'on ne peut rien predire du temperament, ou de la vie des hommes par la cognoissance que l'on a des Astres, & où ie mets trois horoscopes d'vn parfait Musicien selon l'opinion de trois excellens Astrologues de ce siecle. I'ay traité aussi du temperament, de la capacité & de la science que doit auoir vn parfait Musicien ; du Iuge des concerts, si c'est l'oreille, ou l'entendement ; s'il est expedient d'vser du genre Enharmonic, par quel endroit se romperoit vne chorde esgale en toutes ses parties, laquelle seroit tirée esgalement : pourquoy les Grecs ont reglé toute leur Musique sur les Quartes ; pourquoy les Sons seruent à former les mœurs des hommes : quel iugement l'on doit faire de ceux qui hayssent la Musique, & si elle merite l'attention des hommes d'vn grand iugement & d'vn bon esprit : s'il appartient aux sçauans ou aux ignorans de iuger de la bonté des concerts : si la Theorie est preferable à la Pratique : fi les Grecs ont esté meilleurs Musiciens que les François, & d'où vient que la nature & les hommes se plaisent à la diuersité, dont ie parle dans la 14 Question Physique. le laisse ce que i'ay dit des raisons, des proportions, des medietez, des tons, & de tous les autres moindres, ou plus grands interualles de la Musique dans le second liure de la Verité des Sciences imprimé l'an 1625, & dans la 56 & 57 question diuisée en dix-sept Articles, inserée dans le Commentaire sur la Genese, où l'on void quasi tout ce qui concerne l'harmonie.
[…] ceux qui preferent l'harmonie à la Physique pourront commencer […] par ces quatre liures des Consonances, qui a esté en effet le premier imprimé ; auquel succedent celuy des Dissonances, des Genres, des Especes de chaque Consonance, des Modes & de la Composition. Et puis il sera bon de lire le liure de la voix & des Chants ; & ceux des instrumens à chordes, à vent & de percussion : & finalement celuy des Sons, & du mouuement de toutes sortes de corps, par lesquels ceux qui ayment mieux la Physique, & les Mechaniques pouront commencer, de sorte qu'ils pourront mettre le liure du Mouuement de toutes sortes de corps le premier : celuy du mouuement & des autres proprietez des chordes le second : celuy des Sons le troisiesme : celuy des Chants le quatriesme : celuy de l'Art de bien chanter, &c. lecinquiesme : celuy des Consonances le septiesme : celuy des Dissonances le huictiesme : celuy des Genres & des Modes le neufiesme : celuy de la Composition le dixiesme : & puis les quatre des instrumens à chordes, & les trois autres des Instrumens à vent & de percussion, de sorte que cet ouurage contiendra 17, ou 18 liures s'il s'accomplit.
Soient donc les treize lettres de ladite figure circulaire C, cx, &c. où il faut remarquer que les deux G ne sont differents que d'vn comma, & qu'ils ne sont pris que pour vne seule chorde, ce que i'explique si clairement dans le troisiesme liure des Genres, & dans ceux des instrumens, qu'il n'est pas besoin d'en parler maintenant. I'adiouste seulement que ledit sieur a tellement compris le secret de ces deux G, qu'il à fort bien remarqué que l'on n'a point de Diapente en haut, ny de Diatessaron en bas lors qu'il n'y a qu'vn G, & que l'on fait les interualles iustes : car quant aux Facteurs d'Orgues ils diminuent vn peu chaque ton maieur, & augmentent le mineur pour distribuer le comma, qui est entre ces deux G, dont ie monstre l'vsage dans la 25 & 26 Proposition du liure des Genres.
Et puis, quel plaisir y a t'il d'apperceuoir que l'air est battu deux ou trois fois par vne chorde, pendant qu'il est battu quatre ou six fois par vn autre ? L'oreille & l'imagination n'est-elle pas plus contente de demeurer en repos que d'estre trauaillee par quarante-huit battemens d'air d'vn costé, & par nonante & six de l'autre, comme il arriue lors qu'on fait l'Octaue ? D'ailleurs, pourquoy les battemens qui font la Seconde ou la Septiesme mineure, sont-ils plus des-agreables que ceux qui font la Quinte ou la Tierce ? Certainement cette difficulté n'est pas l'vne des moindres de la Musique ; car si le vray plaisir consiste à conseruer ou à faire croistre ce que nous auons, il est difficile de monstrer que les battemens d'air qui font les Consonances, aident à nostre conseruation, et augmentent la perfection du corps ou de l'esprit, puis que l'on experimente que ceux qui n'aiment pas la Musique, & qui la tiennent inutile, ou tout au plus indifferente, ne sont pas moins parfaits du corps & de l'esprit que ceux qui l'aiment auec passion. Neanmoins il est bien difficile de rencontrer des hommes qui prennent autant de plaisir à oüir vne Dissonance, par exemple la Seconde, ou le Triton, comme à oüir l'Octaue & la Quinte. Et bien que l'on en puisse trouuer qui maintiennent qu'il n'y a point de plaisir à oüir les Consonances, ou qu'il n'y a point de Consonances, ny de Dissonances, ils seront contraints d'auoüer que le Triton, ou les Secondes sont plus des-agreables que la Douziesme, ou l'Octaue, s'ils se donnent le loisir de considerer & d'oüir ces interualles, et consequemment s'ils ne veulent pas confesser qu'il y a des interualles agreables, ils auoüeront qu'il y en a de plus agreables les vnes que les autres, ou qu'ils s'imaginent [p002] quelque chose de moins des-agreable dans l'Octaue que dans le Triton ; & s'ils n'osent rien asseurer, de peur de faire tort à la liberté Pyrrhonienne, & de perdre l'Vnisson & l'equilibre de leur esprit, dont ils vsent pour suspendre leur iugement, ils n'oseront pas nier que les interualles dissonans ne soient des-agreables, & que les Consonances ne soient agreables, puis qu'ils craignent autant l'affirmation que la negation.
Mais afin que l'on ait quelque legere connoissance des Consonances dont nous parlerons desormais, ie les expliqueray icy briefuement dans les tables qui suiuent, & qui font voir toutes les simples Consonances, dont la premiere explique tellement leurs termes, que le plus grand nombre represente la plus longue ou la plus grosse chorde, & commence par l'Vnisson qui est marqué par l'vnité, & puis les autres suiuent depuis la moindre Consonance, à sçauoir depuis la Tierce mineure iusques à l'Octaue. Mais la seconde qui commence par l'Octaue, & finit par la Tierce mineure, represente les mouuemens ou les battemens de l'air qui font lesdites Consonances. C'est pourquoy ses moindres nombres qui sont en bas representent les plus grandes chordes, dont les retours sont plus lents ; & les plus grands nombres qui sont en haut signifient le plus grand nombre des retours & des battemens que font les moindres chordes. [Vnisson. Tierce mineure. Tierce maieure. Quarte. Quinte. Sexte mineur. Sexte maieur. Octaue.]
Or ie donneray la raison pourquoy la Trompette fait plustost ces interualles que nuls autres dans le discours particulier de la Trompette ; car il suffit maintenant de marquer tous ces interualles dans la table qui suit, dont le premier rang contient les trois clefs de la Musique ; le second les notes ordinaires ; le troisiesme les nombres, qui monstrent tellement la raison des 6 consonances, que les plus grands signifient les plus grandes chordes : mais le dernier rang contient les nombres qui continuent tellement les raisons, que les moindres nombres signifient les retours des plus grandes chordes ; et parce qu'ils sont beaucoup moindres que ceux du 3 rang, quoy qu'ils soient les moindres de tous ceux qui peuuent continuer les raisons de toutes les consonances, il s'ensuit que la representation des battemens de l'air est plus excellente que celle de la longueur des chordes, puis que les nombres qui signifient lesdits battemens s'éloignent moins de l'vnité, qui est la source de la science, de la perfection, & du plaisir.
Or puis que nous auons parlé des Dissonances dans ce discours, il est raisonnable de les expliquer dans la table qui suit, & qui contient les six simples Dissonances qui sont comprises par l'Octaue. Où il faut remarquer que les moindres termes signifient les plus grandes chordes, parce qu'elles ne battent pas tant de fois l'air que les moindres qui sont representees par les plus grands nombres. [Dissonances. Semidiapente. Seconde mineure. Seconde maieure. Triton. Faussequinte. Septiesme mineure. Septiesme maieure]
Mais ie veux encore donner vne autre figure qui contiendra les trois precedentes, & tous les degrez qui sont dans la [p004] Vingtdeuxiesme, dont la premiere colomne a 22 notes, la seconde contient les nombres qui expliquent les raisons de chaque degré suiuant la vraye Theorie, qui met l'inégalité des sons, c'est à dire qui met le ton majeur & le mineur, & consequemment les Tierces & les Sextes iustes, & qui vsent des moindres nombres pour signifier le moindre nombre des retours que font les plus longues ou les plus grosses chordes, & des plus grands pour exprimer le plus grand nombre des retours que font les moindres chordes ; ce qui n'arriue pas à la troisiesme colomne, à raison qu'elle a les nombres Pythagoriques, qui n'ont que le ton majeur, & qui n'ont point d'autre demiton que le Pythagorique, dont nous parlerons ailleurs. [Consonances. Nombres Legitimes. Nombres Pythagoriques. Notes. Consonances. Dissonances. VT, RE, MI, FA, SOL, LA, BI]
Mais il semble que le nom d'Octaue que l'on luy a donné ne luy conuient pas trop bien, dautant que la raison double peut aussi bien estre diuisee en dix ou en plusieurs sons comme en huit, & qu'en effet elle est diuisee en 25 chordes ou sons dans le genre Enharmonique, & en 16 dans le Chromatique, comme nous dirons apres : mais l'on respondra peut-estre qu'elle n'a que huit sons au genre Diatonic qui est le naturel & le premier de tous les genres. Ce qui ne demeurera pas sans replique, dautant que ce genre doit auoir neuf sons pour estre parfait.
D'ailleurs, le genre dont on se sert maintenant aux compositions des Motets & des Airs a 19 chordes, ou 18 interualles, comme ie monstreray au liure des differentes notes, & de tous les characteres dont on peut vser en composant, soit pour chanter, ou pour ioüer sur les Instrumens. Il faut donc voir quel nom l'on luy [le diapason] peut donner, & s'il est plus à propos de l'appeller Neufiesme, ou Seiziesme, ou de quelqu'autre nom, pour les raisons que ie viens de deduire.
Car bien que les compositions que l'on fait maintenant ayent besoin de 9 ou 12 chordes, comme sont celles de la Viole, du Luth, de l'Epinette ; ou de 16, de 19, ou de 25, comme ie diray ailleurs, neanmoins cela n'oste pas le nom à l'Octaue, dont il y a d'autres raisons, quand on ne les prendroit que des effets du nombre de huit qui a d'admirables rencontres dans la Musique, puis qu'il n'y a que huit accords & huit raisons qui les contiennent, à sçauoir l'Vnisson qui contient la raison d'egalité ; le Diapason dont la raison double est la premiere des multiples ; la Quinte qui contient la premiere des raisons surparticulieres, que l'on appelle Sesquialtere ; la Quarte qui a la sesquitierce, que les Grecs appellent Epitritos ; la Tierce majeure qui comprend la Sesquiquarte ; la Tierce mineure qui a la Sesquiquinte ; la Sexte majeure qui contient la Surbipartiente-trois ; et la Sexte mineure qui a la Surtripartiente-cinq : à quoy l'on peut ajoûter que le nombre huit represente le premier cube dont la racine est deux, & la beatitude qui est signifiee par l'Octaue, car plusieurs Psalmes ont pro octaua dans leur inscription, particulierement quand ils parlent de la beatitude, comme sainct Ambroise a remarqué au cinquiesme liure qu'il a fait sur le sixiesme chapitre de sainct Luc.
Quelques-vns croyent que de l'appeller [l'octave] Diapason, comme ont fait les Grecs, c'est donner vn nom general à vne chose particuliere, & le nom du genre à l'espece ; & que les facteurs d'Orgues & d'Epinettes ont mieux appellé leur clauier, ou la mesure de leurs tuyaux & de leurs chordes du nom de Diapason, qui contient quarante & neuf marches, chordes, ou tuyaux pour faire autant de tons, à sçauoir 29 qui vont par degrez naturels pour faire quatre Octaues, & vingt autres qui seruent pour faire les Tierces mineures en de certains endroits (comme il sera expliqué dans le troisiesme liure de l'Epinette) & les majeures en dautres, & pour trouuer les Sextes majeures ou mineures, & les Quintes parfaites aux endroits où elles se doiuent rencontrer, quand on passe d'vne Octaue à l'autre ; car ce clauier contient tous les tons par le moyen desquels l'on peut faire toutes sortes de chants simples, ou d'accord, qui peuuent estre agreables à l'oüye, ou à l'entendement qui en iuge. Quant aux autres diuisions des sons elles ne sont pas naturelles, puis que nulle oreille ne s'y plaist : & comme la nature a mis des bornes à la mer que tous les flots les plus orageux ne peuuent outrepasser, aussi nul entendement humain ne peut faire qu'vne fausse Quinte, c'est à dire moindre qu'elle ne doit estre, ou qu'vne fausse Octaue puisse donner du plaisir, dautant qu'il ne peut passer les bornes que la nature a prescrit aux tons sans renuerser la nature.
Ces raisons ont empesché les Grecs d'appeller l'Octaue δἰ ἑπτα, c'est à dire par sept, encore qu'elle n'eust que sept chordes du temps de Terpandre, ou qu'elle n'ait maintenant que sept interualles naturels ; & de la nommer δἰ ἀκτώ, c'est à dire par huit, bien quelle contienne huit sons, & qu'ils ayent donné des noms à la Quinte, & aux autres Consonances qu'ils ont pris du nombre de leurs chordes, ou de leurs sons : dautant que les anciens ne mettoient que sept chordes à leurs Instrumens, comme remarque Aristote au 32 probleme de la 19 section, afin que les sept planettes eussent leurs sieges sur les chordes des Instrumens ; car la plus grosse representoit le mouuement de Saturne qui est le plus lent, & la plus deliee representoit la Lune comme la plus viste ; & celle du milieu, dont Aristote parle si souuent, comme au probleme 20, 25, 30, & 45, representoit le Soleil. L'Octaue peut donc estre nommee Diapason, puis que nous iugeons de toute la Musique par l'Octaue, comme nous iugeons d'vn bastiment entier par son fondement, et que l'on peut restablir la Musique par sa seule connoissance, comme tout l'edifice par celle de son fondement. Et puis les Facteurs d'Orgues & d'Epinettes reglent tout leur clauier sur vne mesme Octaue, qu'ils prennent ordinairement vers le milieu, comme ie diray en parlant de l'industrie dont il faut vser pour accorder l'Orgue & l'Epinette.
Or pour parler comme il faut de l'Epinette, nous deuons considerer sa matiere, sa figure, ses parties, ses chordes, ses sons, son harmonie & son vsage tant ez concerts, que lors qu'elle est consideree toute seule, ce que nous ferons succinctement, & le plus clairement qu'il nous sera possible. Quant à la Matiere, il faut considerer trois choses aux Instrumens à chorde, & comme les Anatomistes diuisent le corps humain en la teste, au thorax & aux membres, dont la teste est le siege de la raison, & le domicile des sens, & le thorax est le lieu des parties vitales, aussi peut-on diuiser toute sorte d'Instrumens de Musique en corps, en table & en manche, comme font les ouuriers.
Quant à la table, elle doit estre de bois resineux, comme de cyprez ou de cedre, & principalement de sapin, qui est le plus estimé de tous les bois pour cet vsage. Son espaisseur est d'vne ligne ou enuiron, & quand elle est bien collee & appuyee sur les tringles ou sommiers, c'est elle proprement qui compose l'instrument, car si l'on tend des chordes sur vne table de sapin de cette espaisseur, elle rend du son, encore qu'il n'y ait derriere ou dessus nulle boëte, nul coffre, ou corps d'instrumens, le reste ne seruant quasi que pour la tenir en estat, afin qu'elle puisse supporrer la tension des chordes. Toutesfois les parois d'alentour en augmentent le son, & luy donnent quelque qualité, en le rendant plus doux, plus aigre, plus perçant, plus creux, ou plus sec, & mieux prononçant qu'il ne seroit autrement.
Que si quelqu'vn demande si en faisant la table de bois de chesne, l'instrument n'auroit point de son, il luy faut respondre qu'il en auroit, pourueu que les parrois & le fonds de l'instrument fussent plus espais, & plus forts qu'à l'ordinaire, & que les chordes fussent beaucoup plus grosses, plus longues & plus fortes. Neantmoins le son seroit peu intelligible, & au dessous de la portee de la voix. Car il faut que les chordes ayent la force d'ébranler la table de l'instrument, & l'air qui est au derriere, pour rendre du son ; par consequent si la table est bien solide, il faut que la chorde soit bien forte : & si la table est immobile elle ne fera point de son.
L'on peut dire la mesme chose de toute autre sorte de matiere, comme du metal, des pierres, du verre, qui auroient par dessus le bois de chesne, qu'il seroit mal aysé de les assembler, à raison que ces matieres ne se lient pas bien ensemble : & tout au plus on pourroit faire vne meschante Epinette auec beaucoup de temps, d'industrie, de peine & d'argent : comme il est arriué à celuy de nostre temps, qui a fait vn tres-beau Luth d'or, & peu bon. La table des Epinettes doit estre percee de plusieurs ouuertures arrangees en escharpe, ou en biais tout au trauers d'icelle pour faire passer les sautereaux qui touchent les chordes pour les faire trembler & sonner.
La prominence qui excede le corps de l'instrument, & qui semble continuer ledit corps en droite ligne, est appellee le manche par les ouuriers, & ioüeurs d'instrumens, & sert pour estendre les chordes dessus, afin qu'elles [p103] ayent vne longueur suffisante, & que le Musicien pose les doigts dessus pour faire faire diuersitez de tons à vne mesme chorde ; or il y a autant de cheuilles au bout des manches qu'il y a de chordes sur l'instrument, afin qu'on les puisse hausser ou baisser à volonté, comme l'on void au luth, aux violes, aux mandores, aux guiterres & aux violons […]
[…] Et bien que l'Epinette semble manquer de manche, sa figure estant toute d'vne venuë & vniforme, & n'ayant aucune prominence, neantmoins si nous considerons l'vsage du manche, nous treuuerons que le sommier qui reçoit les cheuilles, fait le mesme office que la queuë du manche fait au luth ; & les Clauecins ont vne queuë quasi toute semblable ; finalement ledit sommier a deu estre vn manche continu & vniforme à la table, à raison de la multitude des chordes.
Nous parlerions icy des chordes de l'Epinette, de la matiere dont elles doiuent estre faites, & de leurs grosseurs, longueurs & tensions : mais il faut premierement expliquer comme elle doit estre touchee, car encore que l'on fasse l'archet qui sert à toucher la Viole ou le Violon, apres qu'ils sont montez de leurs chordes, il n'en est pas de mesme de l'Epinette, dont il faut faire le clauier, & les sautereaux qui luy seruent comme d'archet, auant que de poser & de coller la table en sa place.
Or ce que l'on appelle le Clauier en l'Epinette, est composé de plusieurs morceaux de bois longs & plats par le bout, qui sont arrangez selon l'ordre des tons & des demy tons de Musique, & se meuuent de haut en bas entrans dans le corps de l'Epinette ; & sur l'extremité du bout, qui est caché au dedans, il y a vn autre petit morceau de bois qui sert à toucher les chordes, & qui se nomme sautereau, à cause de son vsage, car il saute quand on iouë de l'Epinette.
Mais pourueu que la figure de l'Epinette ne nuise point à la disposition des chordes necessaires, il importe fort peu qu'elle soit ronde, quarree, en ouale, ou parallelogramme, qui est sa forme ordinaire. Et la largeur de ce quarré longuet, ou parallelogramme est d'vn pied & demy ou enuiron, & sa longueur selon que l'on veut allonger la chorde, & baisser le ton auquel on la veut mettre. Certainement il ne seroit pas inutile de rechercher la figure la plus propre de toutes pour ayder les sons, & d'experimenter si la ronde, qui a tant de priuileges és autres choses, seroit la meilleure pour cet effet : ce qui se peut aussi rechercher pour la figure des autres instrumens, mais i'en laisse la curieuse recherche aux ouuriers.
Les chordes de l'Epinette sont pour l'ordinaire de leton & d'acier, car de 49. chordes que l'on tend sur l'Epinette commune, les 30. premieres ou plus grosses sont de leton, & les autres plus deliees sont d'acier ou de fer, parce qu'elles montent plus haut que celles de leton, encore qu'elles leurs soient esgales en longueur & grosseur, comme nous auons remarqué au discours de la difference des sons que font les chordes de toutes sortes de metaux. [p104] On peut aussi mettre des chordes de boyau, de soye, d'or & d'argent sur l'Epinette, mais l'on experimente que celles de boyau ne sont pas si propres que celles de leton, parce qu'elles changent trop facilement de ton en temps sec & humide, & ne sont pas si vniformes & si esgales en toutes leurs parties que celles de metal : & celles de soye sont encore plus inegales que celles de boyau.
Quant à celles [les chordes] d'or & d'argent, il n'est pas necessaire de les employer aux instrumens, d'autant que celles de leton ne leur cedent en rien, & qu'elles montent plus haut. Le nombre des chordes est esgal au nombre des touches, de sorte que si l'on augmente les vnes, il faut aussi augmenter les autres : par exemple, si l'on fait vne Epinette iuste, qui ayt toutes les consonances, & les dissonances en leur perfection, il faut 73. chordes, afin que chaque octaue en ait 19. comme nous monstrerons en expliquant les clauiers de l'Epinette, & au traicté de l'orgue parfait, où nous ferons voir qu'il faut 97. chordes sur l'Epinette, & autant de tuyaux sur l'orgue pour iouër à toutes sortes de tons, toutes sortes de pieces de Musique, & pour vser du genre chromatic & enarmonic.
Quant à la tension des chordes, elles doiuent estre tenduës sur les deux cheualets qui sont collez sur la table. Or les ouuriers ont seulement de 7 ou 8 grosseurs de chordes, & consequemment font seruir vne mesme grosseur à 6. ou 7. sons differens. Mais si l'on vouloit monter vne Epinette auec toute sorte de perfection selon les regles harmoniques, il faudroit autant de differentes grosseurs de chordes, comme l'Epinette a de sons, à sçauoir 49 ; car la proportion de ces grosseurs & longueurs doit suiure la raison des interualles, qui sont entre les sons : de sorte que si la plus grosse a 16. parties en sa circonference, la moindre doit seulement auoir vne partie, parce que 16. est à 1. comme le son plus graue de l'Epinette est au plus aigu.
Il faut dire la mesme chose de la longueur des chordes, dont la proportion est vn peu mieux gardee par les ouuriers, que celle de la grosseur, mais non parfaitement. Or il n'est pas besoin d'expliquer ces proportions plus particulierement, parce qu'elles dependent de la cognoissance du monochorde, dont nous auons desia parlé dans vn autre lieu. Et qui sçait la raison des degrez de l'octaue, à sçauoir d'vt, re, mi, fa, sol, &c. sçait la raison des grosseurs & des longueurs qu'il faut donner aux chordes ; par exemple, si la plus longue est de quatre pieds, la plus courte doit estre d'vn demy pied. Il faut dire la mesme chose de la Harpe, dont les chordes sont esgalement disposees, de sorte que l'on peut dire que l'Epinette est vne harpe couchee & renuersee, ou au contraire, que la harpe est vne Epinette renuersee quant aux chordes, car elles sont differentes quant aux autres choses : mais ie feray vn discours particulier de la longueur & grosseur que doiuent auoir les chordes de l'Epinette, & des autres instrumens pour rendre vne harmonie parfaite, & donneray deux tables pour ce sujet dans la suite de ce Liure.
Quant à l'accord, qui depend dudit temperament, il n'est pas aysé de le representer, [p105] tant parce que les Maistres se seruent de differentes methodes pour accorder l'Epinette, que par ce que cet accord suppose vne oreille iuste & delicate, n'y ayant nulle science qui apprenne à accorder cet instrument sans le iugement de l'oreille, si ce n'est que les poids attachez au bout de chaque chorde nous donnent tous les sons iustes, mais les chordes s'aslongent tousjours, & ne peuuent subsister long-temps sans rompre ; & puis elles deuroient auoir vne parfaite proportion en longueur & en grosseur, & vne parfaite esgalité, & finalement les poids apporteroient vn trop grand embarras & trop d'incommodité, neantmoins i'expliqueray apres ce qui appartient à ces poids, & aux tensions qu'ils donnent aux chordes.
Or c'est chose asseuree qu'il n'y a point d'autre meilleur moyen d'accorder l'Epinette qu'en supposant vne bonne oreille, qui entende la iustesse des accords : ce que l'on fait en cette maniere. Premierement il faut commencer à la premiere touche ou chorde de la seconde octaue, & accorder les 10. ou 12. chordes qui suiuent en montant de Quinte en Quinte : de sorte que l'on approche le plus pres de la iuste Quinte qu'il sera possible pour treuuer les autres accords.
Quelqu'vn pourroit dire que sçachant la grosseur des cheuilles, & la longueur des chordes, l'oeil sans l'oreille pourroit tesmoigner la tension de chaque chorde, en voyant combien de tours feroit la chorde autour de chaque cheuille, & par consequent combien chaque chorde auroit de tension, laquelle semble estre aussi grande comme le volume de la chorde s'est diminué. Car il faut remarquer que la chorde que l'on bande, deuient plus deliee à proportion que l'on la bande dauantage : de sorte que si, par exemple, elle deuient plus courte de moitié par la tension, elle sera aussi plus deliee de moitié qu'auparauant.
Mais ie responds que l'oeil n'est pas assez subtil quoy qu'aydé du compas, ou des autres instrumens, pour discerner combien la tension de chaque chorde la rend plus deliee que deuant, n'y quelle longueur de chorde enuironne les cheuilles. Et puis quand l'on sçauroit ces particularitez, elles ne suffiroient pas pour venir à l'accord de l'Epinette, d'autant qu'il y a des chordes qui font plus de tours de cheuille que les autres, & consequemment qui deuiennent plus deliees, encore qu'elles ne montent pas tant, comme demonstre l'experience aux chordes plus deliees, qui montent beaucoup plus haut à proportion, que ne font les plus grosses, encore qu'on ne leur donne pas tant de tours de cheuille : mais ie parleray encore de cette maniere d'accorder.
Or le secret du temperament consiste à sçauoir qu'elles consonances l'on doit tenir iustes, fortes, ou foibles, afin de temperer tout le Systeme, ou le Clauier : c'est pourquoy chaque note, ou chaque son qu'il faudra fortifier, ou diminuer, [p106] ou tenir iuste, aura pour marque l'vne de ces trois dictions, fort, iuste, ou foible. Il faut maintenant voir si l'on peut mettre les ieux differents, que plusieurs ont essayé d'introduire dans l'Epinette, comme l'on a fait dans l'orgue, afin qu'elle comprint toutes sortes d'instrumens à chorde, comme l'orgue contient toutes sortes d'instrumens a vent, mais l'vn n'a pas reüssi comme l'autre, quelques Panodions & autres instrumens que l'on ayt inuenté pour ce sujet.
Or le ieu des Violes est le plus excellent de tous ceux que l'on y peut augmenter, car quant à celuy des Luths & des Harpes, l'Epinette les imite assez, lors qu'elle est montee de chordes à boyau.
L'on peut encore adiouster vn autre ieu de Tierce ou de Quinte, dont les vns pourront auoir des chordes de luth, & les autres de leton ou d'acier. Voila tous les ieux dont on s'est seruy iusques à present, lesquels on peut appeller double, ou triple Epinette. Et ces ieux se ioüent tous ensemble, ou separément comme l'on veut, en les ouurant ou fermant par de certains ressorts & registres que l'on tire, ou que l'on pousse selon la volonté du facteur & du Musicien. Quant au ieu de Violes, l'on peut se seruir de chordes à boyau ou de leton, mais la difficulté consiste à treuuer le moyen de faire vn archet, qui touche les chordes aussi fort, ou aussi doucement que l'on desire.
Or la main du Musicien peut suppleer à cela [treuuer le moyen de faire vn archet, qui touche les chordes aussi fort, ou aussi doucement que l'on desire], car à proportion que l'on baissera ou que l'on haussera les chordes, afin de rencontrer l'archet, elles seront touchees plus rudement, ou plus delicatement. Et l'on peut s'imaginer vn mouuement par des ressorts, ou auec le pied, qui fera tousiours cheminer l'archet, afin qu'il touche chaque chorde aussi long-temps que l'on voudra. Mais ie ne croy pas que l'on puisse suppleer les gentillesses de la main gauche, ny les fredons, & les douceurs & rauissements des coups de l'archet, dont les excellens ioüeurs de Violes & de Violons, comme les Sieurs Maugards, Lazarin, Bocan, Constantin, Leger & quelques autres, rauissent l'esprit des auditeurs.
Les Allemans sont pour l'ordinaire plus inuentifs & ingenieux dans les Mechaniques que les autres Nations, & particulierement ils reüssissent mieux à l'inuention des instrumens de Musique : ce que ie peux confirmer par la maniere qu'ils ont treuuee depuis quelque temps, pour faire ouyr des ieux entiers de Violes sur les Clauecins, quoy qu'vn seul homme en touche le clauier, comme celuy d'vne autre Epinette. Mais ils n'ont nul besoin d'archet, d'autant qu'ils mettent quatre ou cinq rouës paralleles aux touches, quoy que plus hautes que les touches : or on presse les chordes si peu que l'on veut sur lesdites rouës, qui font durer le son aussi long-temps que le doigt demeure sur la touche, & qui le renforcent ou l'affoiblissent selon que l'on presse la touche plus ou moins fort.
Or i'ay choisi la moindre Epinette de toutes celles que l'on a coustume de faire, pour en representer icy la figure : car sa plus grosse chorde n'a guere qu'vn pied de long entre ses deux cheualets. Elle n'a que 31. marche dans son clauier, & autant de chordes sur sa table ; de sorte qu'il y a cinq touches cachees à raison de la perspectiue, à sçauoir trois des principales, & deux feintes, dont la premiere est couppee en deux ; mais ces feintes seruent pour descendre à la Tierce, & à la Quarte de la premiere marche, ou du C sol, afin d'arriuer [p108] iusques à la 3. octaue, car les 18. marches principales font seulement la Dix-huictiesme, c'est à dire la Quarte sur deux octaues.
Les chordes H N M sont attachees par vn bout aux petites pointes de fer que l'on void au long du dos sur la table E G M C, & de l'autre bout elles sont entortillees aux cheuilles de fer E F : mais leur longueur qui sert à l'harmonie est bornée & determinée par le cheualet E N, dont les deux bras font vn angle obtus, & L M monstre l'autre cheualet chargé de petites pointes qui bornent la longueur, & l'harmonie des chordes. G H fait voir les mortaises par où passent les sautereaux. Le P & l'O seruent de couuercle aux deux petits coffres, esquels on met les chordes, le marteau de l'Epinette, ou ce que l'on veut.
Quant aux sautereaux R Q, qui sont quasi paralleles au second cheualet droit, duquel ils sont fort proches, ils entrent par 49. petits trous, dont on perce vne regle de bois qui s'appelle mortaise ; or chaque sautereau à deux morceaux d'escarlate ou d'autre drap, afin d'estouffer & d'amortir le son des deux rangs de chordes. Et parce que la perspectiue n'a pas permis de les representer de telle sorte que ceux qui n'en ont point veu puissent comprendre leur figure, i'en ay mis vn tout entier à costé gauche, à sçauoir K O, qui porte perpendiculairement sur le bout k de la marche g h k, dont g h est le bout, sur lequel frappe le doigt pour le faire baisser, & pour faire sauter le sautereau K O, mais l'on double le bout de la marche K d'vn morceau de drap, afin que le sautereau ne fasse point de bruit en retombant : i monstre le lieu de la pointe qui arreste la marche.
Quant au sautereau, il est difficile de comprendre toutes ses parties, si l'on ne le considere de bien pres, car il est composé de sept pieces, à sçauoir du bras K O, de la languette l m, qui a vn petit ressort fait de soye de porc, ou de quelque autre crin assez fort, lequel va rencontrer la pointe l, apres qu'il a esté passé par deux petits trous que l'on fait dans le sautereau, fort pres du petit bois l m. La quatriesme partie est vne pointe de fer qui passe à trauers le sautereau & le petit bois, auquel il sert d'essieu ; la plume m est la cinquiesme qui touche les chordes & les fait sonner. La sixiesme consiste en vn petit morceau de cuir collé sur la graueure du bas de la vuideure, afin d'empescher le bruit de la pointe l, qui retombe dessus apres auoir frappé la chorde, & la septiesme est le morceau de drap n, qui est dans vn trait de sie fait au haut de l'vne des dents du sautereau.
PROPOSITION III. Expliquer la figure, les parties, le Clauier & l'estenduë du Clauecin. Cette figure represente le double Clauecin, comme l'on void aux deux rangs de chordes qu'il contient, dont le premier est entortillé aux premieres cheuilles Z Z, & l'autre aux secondes L L. De là vient qu'il y a quatre cheualets, à sçauoir deux droits N M, & P O : & les deux autres, à sçauoir S T & V X, qui determinent la longueur harmonique des deux rangs de chordes. On les appelle cheualets à crosse à raison de leur figure. Les moindres chordes sont arrestées par les pointes T T, & les plus grandes par celles qui suiuent la ligne G B, dont celles de dessouz B H &c. ne paroissent pas, à raison du costé du Clauecin qui les couure. G F E signifie le costé continué, lequel n'a peu estre veu sans mettre le Clauecin de biais & de trauers, comme il est icy en Perspectiue.
Or apres auoir expliqué les principales parties du Clauecin, qui a ordinairement cinquante marches, il ne faut pas oublier le marteau f c d, puis qu'il sert à l'accorder & à la monter, car l'on fait les boucles de la chorde auec son petit crochet, comme l'on void à la chordeb. Sa teste c sert à frapper sur les cheuilles L L, & Z Z pour les faire entrer dans le sommier : a en marque la panne, & e f le manche qui est percé en quarré au bout f, afin qu'il torde les cheuilles qui sont rondes, sans qu'elles puissent couler.
Les instrumens antiques qui sont en haut, à sçauoir S Z Y, & p q r monstrent les formes particulieres de leurs Harpes ou Cithares, qui ont esté prises sur les marbres anciens d'Italie, comme i'ay desia dit en expliquant les autres. Mais celle qui a ses chordes disposées en triangles, & qui commencent à n, est extraordinaire.
Or il n'est pas necessaire de remarquer que l'on fait maintenant des Clauecins, qui ont sept ou huict sortes de ieux, & deux ou trois clauiers, & que ces ieux se varient, & se tirent, se ioignent, meslent ensemble comme ceux de l'Orgue, par le moyen de plusieurs petits registres, cheuilles & ressorts, qui font que les sautereaux ne touchent qu'vn seul rang de chordes, ou qu'ils en touchent deux, ou plusieurs, par ce que la veüe & l'experience en fera plus comprendre que le discours : c'est pourquoy ie viens à l'explication d'vne autre sorte d'Epinette, dont on n'vse pas en France, & qui est en vsage dans l'Italie, apres auoir remarqué que plusieurs ayment mieux se seruir du seul Clauier qui se pousse, & se tire pour changer les ieux, que des susdits ressorts, qui ne sont pas ordinairement si iustes ; que d'autres vsent de 2. ou 3. clauiers pour varier les ieux, & qu'il y a encore plusieurs inuentions qui se peuuent adiouster à cet instrument, dans lequel on a remarqué plus de quinze cens pieces toutes differentes.
COROLLAIRE. Expliquer vne nouuelle forme d'Epinette dont on vse en Italie. Cette figure monstre la forme de l'Epinette D A B C E, dont il n'y a que 19 marches qui se voyent mais il ne faut pas prendre garde à ce nombre, ny à celuy des chordes, par ce qu'il suffit qu'elle serue pour en comprendre la construction. Or elle se tient perpendiculairement comme la Harpe, lors que l'on iouë : de sorte que les sautereaux K N viennent par vn mouuement parallele de derriere en deuant, lors qu'on pese sur les marches D M. Il n'y a point d'autre table que F H G, dont I est la Rose, car les chordes sont toutes perpendiculaires en l'air, de sorte qu'elles [p114] font vne tres-douce harmonie, quand le vent vient à les frapper, & qu'il ayde aux sons naturels que font les plumes des sautereaux. L'on peut faire vne infinité d'autres sortes d'Epinettes, dont ie laisse la recherche aux Facteurs, afin d'expliquer plus particulierement ce qui est en vsage, tant en la France, que dans les autres lieux de l'Europe Chrestienne.
PROPOSITION IV. Expliquer la figure, la matiere, & les parties du Manichordion. Le Manichordion a son clauier de quarante neuf ou cinquante touches ou marches, comme le Clauecin, quoy qu'il soit different en beaucoup de choses, comme l'on void dans cette figure A B C D, dont les deux costez sont A C E, & C H T B, & les deux autres, qui sont de B à D, & de D à E ne paroissent pas. La table R D M soustient les cinq cheualets, marquez par 1, 2, 3, 4, & 5, dont le premier est le plus haut, & les autres vont en se diminuant. Les 70. chordes sont entortillées aux 79. cheuilles R S, & toutes les chordes passent & sont appuyées sur les cheualets. Les sept petites mortaises M K seruent pour faire sortir les sons, & les chordes vont aboutir à P Q O.
Or encore qu'il y ayt 70. chordes, neantmoins chaque marche ou sautereau n'a pas la sienne particuliere, d'autant qu'il y a plusieurs rangs de deux chordes à l'vnisson, & que le 37. & 38. n'ont qu'vn mesme rang de chordes : ce qui arriue semblablement à la 39. 40. 42. 43. 44. 45. 47. 48. & 49. Toutes les autres marches ont vn rang particulier de chordes. Quant aux cheualets, le premier porte six rangs de chordes, c'est à dire 12. Le second en a 9. rangs, ou 18. dont les 8. premieres sont redoublées & retorces, de sorte qu'il y a 20. chordes en double. Le 3. cheualet soustient 8. rangs de chordes, c'est à dire 16. Le 4. contient trois rangs, ou 6. chordes, & le cinquiesme en a 9. rangs : or l'on peut faire vn seul cheualet au lieu de ces cinq.
Il faut encore remarquer que la perspectiue cache les cinq premieres marches, car le clauier [du manichordion] est esgal à celuy du Clauecin. Mais les marches qui sont attachees auec les pointes de fer I L, n'ont pas des sautereaux comme luy, mais ils ont des crampons comme celuy d'airain Y V, qui touchent & haussent les chordes. L'on void les 49. crampons dans la ligne M N. X monstre la pointe de la marche Z, que l'on met dans le diapason, qui paroist vn peu par delà les crampons, R L monstrent les pointes qui attachent les marches à vne barre de dessouz : & les lignes tortuës qui vont depuis ces pointes iusques aux crampons, signifient les branches des marches. A B I & H peuuent seruir de coffrets pour mettre des chordes, des cheuilles, vn marteau & plusieurs autres choses.
Mais il faut remarquer ce qui est de plus particulier en cet instrument [le manichordion], à sçauoir les morceaux d'escarlatte ou d'autre drap, qui couurent toutes les chordes dans l'espace compris entre O N P M, & qui estouffent tellement leur son, qu'il ne se peut entendre de loin, & qu'il est fort doux : c'est pourquoy il est fort propre pour ceux qui desirent d'apprendre à ioüer de l'Epinette sans que les voisins le puissent apperceuoir ; de là vient que l'on peut la nommer Epinette sourde, ou muette.
Quant aux chordes [du manichordion], leur son est determiné par la partie qui est depuis les [p116] crampons iusques aux cheualets, car la partie qui reste entre les crampons, & l'escarlate ne sonne point : de là vient qu'vne mesme chorde peut seruir à plusieurs crampons, dont chacun fait vn son different selon la distance du point où il touche la chorde, iusques au cheualet de ladite chorde. Il n'est pas necessaire d'expliquer l'estenduë de cet instrument qui est en bas, par ce qu'elle ne differe qu'en disposition de clefs d'auec celle du Clauecin, c'est pourquoy ie viens à son estenduë d'enhaut, laquelle i'ay mise tout au long sans laisser aucune note : c'est à dire que i'ay remply les quatre Octaues d'en bas, en mettant onze notes entre les deux notes de chaque Octaue.
Il faut encore remarquer le petit cheualet droit O P, lequel est couuert de pointes de fer, qui determinent la longueur harmonique des chordes, qui passent iusques à Q O, où leurs boucles sont attachées a d'autres pointes de fer. Quant aux morceaux de drap qui sont signifiez par tous les points compris entre P O N, on les entortille autour des chordes, afin de les assourdir, & d'empescher qu'elles ne sonnent depuis le drap iusques aux crampons marquez dans la ligne N M, dont chacun est de leton semblable au crampon Y V. L'on a coustume de leuer le petit couuercle D S pour mettre des chordes dans son petit coffre : mais ces menuës pratiques dependent de la volonté du Facteur.
Car i'ay mis les nombres Harmoniques de chaque son, ou de chaque chorde sur les 13. marches, afin que l'on sçache la distance des sons, & que l'on voye clairement qu'il est impossible de ioüer iustement de l'Epinette, si l'on ne met vn plus grand nombre de marches sur son clauier. Car soit que l'on dispose les interualles suiuant les nombres de ce premier clauier, qui sont sur chaque marche, ou selon les nombres de cet autre clauier qui suit, c'est chose asseuree que l'on ne peut trouuer les Tierces & les Sextes, tant maieures que mineures, en plusieurs endroits, où elles sont necessaires ; ce que i'explique tres-clairement dans le liure des Orgues : c'est pourquoy ie n'en parle pas icy.
La table qui suit contient les grosseurs, & les longueurs que doiuent auoir les chordes ; mais il faut supposer la longueur, & la grosseur de la premiere, c'est à dire de la plus grosse, afin de regler toutes les autres sur elle. L'on peut aussi prendre la derniere, c'est à dire la plus deliee, & la plus courte pour fondement de l'harmonie, car l'on peut commencer par telle chorde que l'on voudra. Or la table qui suit, & qui suppose que la plus grosse chorde a 1/5 de ligne, & 5. pieds de longueur, comme a pour l'ordinaire la plus grosse chorde des Epinettes & des Clauecins, monstre la grosseur & la longueur de chaque chorde […]
[…] car la premiere colomne contient le nombre des chordes : la seconde, la proportion que les chordes ont entr'elles, c'est à dire la proportion des sons : la troisiesme, la longueur des chordes : la quatriesme, la grosseur desdites chordes diuisees en miliesmes, c'est à dire en mille parties : la cinquiesme reduit les grands nombres de la precedente en moindres termes : la sixiesme contient les diametres desdites chordes qui sont diuisez en miliesmes : & la septiesme les reduit en moindres nombres. Or puis que le diametre de la 1, ou plus grosse chorde est 1/5 de ligne, soit la ligne diuisée en 1000. parties, le diametre de ladite chorde sera 200, & son Tour ou sa grosseur sera 629. & ainsi des autres chordes iusques à la 4. Octaue en haut, selon la proportion qui suit, auec la reduction en moindres parties de proche en proche.
Il y a ordinairement quatre Octaues entieres sur l'Epinette, & vingt-neuf touches sur son Clauier, sans conter les Feintes, qui sont simples ou doubles : quand elles sont simples, il y en a cinq sur chaque Octaue, de sorte que l'Octaue de l'Epinette est diuisee en treize sons, chordes, ou marches : par consequent il faut que les treize chordes soient toutes differentes en longueur & grosseur, si l'on veut auoir vne parfaite harmonie […]
[…] & par ce qu'il y a quarante neuf marches en quatre Octaues [sur l'Epinette], il faut quarante neuf sortes de chordes, dont les longueurs & les grosseurs diminuent tousiours depuis la plus grosse iusques à la plus deliee, car bien que la tension puisse suppleer la longueur ou la grosseur, comme l'on experimente sur les Epinettes, les Harpes, & les autres instrumens à chorde, dont on vse maintenant : neantmoins l'harmonie sera plus parfaite, si l'on obserue les raisons harmoniques à la longueur, & à la grosseur des chordes.
Quant à la longueur [des chordes d'Epinette], elle approche plus pres de cette proportion, quoy que la difference de ces longueurs ne soit pas harmonique, car la chorde qui fait C fa vt, n'est pas sesquidixiesme de celle, qui fait D sol re, & celle-cy n'est pas sesquineufiesme de celle qui fait l'E la mi, &c. Quant à la grosseur, on obserue encore moins la proportion harmonique dans la difference des grosseurs, qu'en celle des longueurs, car les chordes de mesme grosseur seruent souuent à sept ou huict touches : au lieu qu'elles deuroient garder la mesme raison que les longueurs, pour rendre vne parfaite harmonie.
Mais parce que les chordes [de l'Epinette] sont quelquesfois plus grosses que de 3/5 de ligne, comme il arriue aux Clauecins de 12, de 15, ou de 20. pieds, ie mets icy vne autre table, qui commence par la plus grosse chorde de la table precedente de 3/5 de ligne, & contient toutes les chordes qui ont mesme raison entr'elles que les sons des instrumens ; & parce qu'il ne se rencontre tout au plus que quinze differentes grosseurs de chordes, i'adiousteray deux autres Colomnes dans cette table, afin qu'elle ayt sept colomnes, dont la premiere est pour le nombre des chordes : la seconde pour la grosseur, dont la moindre est de 3/5 de ligne : la troisiesme donne la mesme chose en moindres termes : la quatriesme contient leur diametre en grands termes, & la cinquiesme les reduit en moindres termes ; or toutes ces Colomnes appartiennent aux quatre dernieres colomnes de la table precedente, auec lesquelles elles pouuoient estre continuées.
Quant à la 6. Colomne de cette table, elle contient le diametre des chordes [p122] de l'Epinette diuisé en 80. parties ; de sorte que chaque nombre represente combien le diametre de chaque chorde contient de 80. parties : & parce qu'il n'y a que quinze sortes de nombres, à raison qu'il n'y a que quinze grosseurs de chordes, le mesme nombre monstre à combien de sons, & pour combien de chordes chaque grosseur peut seruir : par exemple, 4. estant repeté trois fois, & 3. quatre fois, &c. signifie que la chorde, dont le diametre est de 4/80 peut seruir pour trois chordes de l'Epinette, & celle dont le diametre est de 3/80, pour quatre chordes, &c. La septiesme Colomne contient la grosseur de chaque chorde, qui est semblablement expliquée par 80 ; de sorte que si la premiere contient 50/80, la seconde a 45/80, & ainsi des autres iusques à la fin de la table.
Or ce que i'ay dit de la grosseur, & du diametre des chordes de l'Epinette, & de la Harpe dans ces deux tables, peut estre appliqué aux chordes du Luth, & des Violes, quoy que leurs chordes ne soient pas ordinairement differentes en longueur : car si l'accord des Violes va de Quarte en Quarte, la seconde doit estre moins grosse d'vn tiers que la premiere ; c'est à dire que si la premiere chorde a quatre parties de grosseur, la seconde en doit auoir trois ; & si l'accord [p123] estoit de ton en ton, comme dans la Gamme, ou de demy ton en demy ton, comme sur l'Epinette, la seconde chorde doit estre moins grosse que la premiere d'vne huictiesme, ou d'vne quinziesme partie ; c'est à dire que la diminution des grosseurs suit la raison des interualles harmoniques, si l'on veut que l'instrument rende vne parfaite harmonie, particulierement lors que l'on touche les chordes à vuide, comme l'on fait sur la Harpe, & sur l'Epinette, & quelquefois sur le Luth, sur la Viole, & sur la Guiterre.
Seconde Regle. Il faut encore adiouster au susdit poids la seiziesme partie du plus grand poids, ou 1/4 du plus petit, afin que l'accord soit iuste : par exemple, il faut adiouster quatre onces aux quatre liures precedentes pour faire l'octaue iuste : par consequent 4 1/4 liures contre 1, estant suspenduës à deux chordes esgales font l'Octaue parfaite.
Troisiesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Quand les chordes sont esgales en grosseur, & inesgales en longueur, & que l'on veut les mettre à l'vnisson, les forces qui tendent les chordes, doiuent estre en raison doublée de la longueur des chordes : par exemple, si l'vne a deux pieds de long, & l'autre vn pied, & que celle-cy soit tenduë par vne force, il faut tendre celle-là auec 4. liures, & adiouster 1/4 de liure, comme i'ay dit dans l'autre regle, pour la faire monter de l'Octaue qu'elle faisoit en bas, iusques à l'vnisson de la plus courte.
PROPOSITION VII. Vn homme sourd peut accorder le Luth, la Viole, l'Epinette, & les autres instrumens à chorde, & treuuer tels sons qu'il voudra, s'il cognoist la longueur, & la grosseur des chordes : de là vient la Tablature des sourds.
L'on peut auoir de plusieurs sortes de chordes, qui soient esgales en longueur & grosseur, comme celle des Monochordes ; ou inesgales en longueur & esgales en grosseur : ou inesgales en longueur & grosseur, comme celles des Harpes & de l'Epinette ; ou esgales en longueur, & inesgales en grosseur, comme celles des Violes, & du Luth. Or de quelque maniere qu'elles soient differentes, l'homme sourd les peut mettre à tel accord qu'il voudra, pourueu qu'il sçache leurs differences tant en matiere, qu'en longueur, & grosseur. Ce que ie demonstre premierement aux chordes, qui sont esgales en toutes choses, afin de commencer par les plus simples, parce que lors qu'elles sont tenduës par des forces esgales, elles font l'vnisson, puisque choses esgales adioustees à choses esgales, les laissent esgales.
Or voicy les regles generales, dont il faut vser pour faire toutes sortes d'accords, lesquels seruiront icy de preuue, & de Demonstration, d'autant que nous auons fait voir ailleurs, qu'elles sont veritables & infaillibles. Premiere Regle. Si les chordes sont esgales en longueur & grosseur, & que l'vne fasse le son graue qui est en C fa vt, quand elle est tenduë auec le poids d'vne liure, il faut tendre l'autre auec quatre liures pour la faire monter à l'octaue, d'autant que les poids sont en raison doublée des interualles harmoniques, ausquels on fait monter les chordes ; or l'interualle de l'octaue est de 2. à 1. dont la raison de 4. à 1. est doublée.
Quatriesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Quand les chordes sont esgales en grosseur, & esgales en longueur, les forces qui ont mesme raison que les grosseurs, les mettent à l'vnisson ; par exemple, si l'vne a 2. de grosseur, & l'autre 3. & que la premiere soit tenduë auec 2. forces, la 2. estant tenduë auec 3. forces sera à l'vnisson : & si la chorde estoit cent fois plus grosse, la force centuple la metteroit à l'vnisson.
Cinquiesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Si les chordes sont esgales en grosseur & en longueur, il faut recompenser la longueur, & la grosseur pour les mettre à l'vnisson, suiuant la simple raison des interualles pour la grosseur, & la raison doublée des mesmes interualles pour la longueur ; c'est à dire que la raison des forces doit estre composée de la simple raison, & de la doublée des interualles. Par exemple, si l'vne est grosse & longue comme 2, & l'autre comme 1, & que l'on vueille les mettre à l'vnisson, si celle qui est comme 1. est tenduë par vne liure, celle qui est comme 2. doit estre tenduë par 6 1/4 liures, par ce que la raison d'vn a 6 1/4 est composée de la raison d'vn à deux, qui recompense la double grosseur de la chorde, & de celle d'vn à 4 1/4, qui recompense la double longueur.
Sixiesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Si les chordes sont esgales en longueur, & inesgales en grosseur : par exemple, si l'vne est grosse de trois parties, & l'autre d'vne, & que l'on vueille faire descendre, ou monter celle de trois à quelque interualle, comme à l'Octaue, il faut premierement les mettre à l'vnisson par la 4. regle, en tendant celle de 3. parties auec 3. liures, & celle d'vne auec vne liure ; & pour faire monter la chorde de trois à celle d'vne, la raison de la force doit estre doublée de la raison de l'Octaue, & consequemment il la faut tendre auec la force, ou le poids de douze liures, & de douze onces, ou de la seiziesme partie de douze liures, comme i'ay dit dans la seconde Regle. Et si l'on veut la faire descendre à l'Octaue d'en bas, la force doit estre sousquadruple de trois, à sçauoir 11. 1/4 onces, car il faut diminuer douze onces d'vne seiziesme partie, comme il faut augmenter douze liures d'vne seiziesme partie. Finalement, si l'on veut faire monter la chorde 1. à l'Octaue en haut, de la chorde 3, quand elles sont à l'vnisson, il la faut tendre auec 4 1/4 forces, si l'autre est tenduë auec trois.
Septiesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Si les chordes sont inesgales en grosseur & longueur, il les faut premierement mettre à l'vnisson, par la cinquiesme Regle ; puis il faut prendre les 2. chordes de cette 5. Regle, qui sont à l'vnisson, quand l'vne est tenduë par vne liure, & l'autre par 6 1/4. En troisiesme lieu les forces doiuent estre en raison doublée des interualles, ausquels on veut faire monter l'vne des chordes : par exemple, si l'on veut monter la chorde tenduë auec 6 1/4 liures iusques à l'Octaue, il la faut tendre auec 26. liures, & 9. onces, car 26. 3/5 liures contiennent 4. fois 6 1/4 liures, & la seiziesme partie de 25. liures.
Huictiesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Il faut obseruer la mesme Methode dans la diminution des forces, des poids, ou des tensions, quand on lasche les chordes pour les faire descendre, laquelle on garde à l'augmentation des poids, qui font monter les mesmes chordes ; mais il faut que les raisons soient soudoublées des interualles pour recompenser les differentes longueurs, & non doublées, comme deuant : c'est à dire qu'il faut diminuer les forces en mesme raison que l'on les augmentoit, [p125] de sorte que pour baisser les chordes, il faut faire en diminuant, ce que l'on faisoit en augmentant, pour les hausser.
Neufiesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Si les chordes sont de differente matiere ; par exemple de leton, de boyau, d'acier, d'or & d'argent, il faut premierement les mettre à l'vnisson auec des forces cogneuës, puis il faut suiure les regles precedentes. Or pour les mettre à l'vnisson, ie suppose l'experience, qui monstre que le son de celle d'acier tenduë auec 3 liures à mesme raison au son des chordes d'or, d'argent & de cuiure, que les nombres qui sont vis à vis de chaque chorde de la table qui suit, par lesquels on void que l'or fait la Quarte en bas auec celle d'argent, que celle d'argent fait le ton maieur auec l'acier, qui fait le semi-ton maieur en haut auec celle de cuiure, laquelle fait le Triton auec l'or, qui fait la Quinte auec l'acier ; les lettres E, A, B, ♮ monstrent que le son de la chorde d'or est en E mi la, de l'argent en A mi la re, du cuiure en B fa, & de l'acier en ♮ mi. Mais pour les mettre à l'vnisson, supposé que la chorde d'acier soit tenduë auec 3 liures, il faut tendre celle d'or auec 6 3/4 liures, & 1/16 : c'est à dire 6 onces, vn gros & demy, qui font 7 liures, 2 onces, vn gros, & 1/2 : celle d'argent doit estre tenduë auec vn poids, qui soit à 3 liures, comme 81 est à 64, suiuant la raison doublée du ton maieur, & ainsi des autres. Or la tablature qui suit, contient 4 tables pour seruir aux sourds, laquelle est si facile qu'il n'est pas besoin de l'expliquer.
Tablature harmonique pour les sourds. [Les 8 sons, ou notes de l'Octaue : VT, RE, MI, FA, SOL, RE, MI, FA - Les 7 degrez de l'Octaue : ton mi., ton mai., sem. mai., ton mai., ton mi., ton mai., semi. maj. - Table I. La tension des chordes proportionnées selon la raison doublée des interualles. - Table II. La grosseur des chordes proportionnée selon la raison simple des interualles. - Table III. La longueur des chordes proportionnées selon la raison simple des interualles. - Table IV. La Tension des chordes proportionnées selon la raison simple des interualles].
L'Vsage des Tables precedentes. Premierement si les chordes sont esgales en grosseur & longueur, il faut proportionner leurs tensions suiuant la premiere table. 2. si elles sont esgales en longueur & tension, il faut proportionner leur longueur suiuant la 2. table. 3. si elles sont inesgales en grosseur, longueur & tension, apres auoir proportionné la grosseur par la 2 table, & la longueur par la 3, il faut proportionner les tensions suiuant la 4. table. Or encore que la raison de la tension des chordes inesgales en longueur & grosseur doiue estre composée des raisons simples, & doublées des interualles pour estre mises à l'vnisson, neantmoins la raison simple suffit pour les mettre aux interualles de l'Octaue suiuant la 4. Table, sans que la pratique de la 5, & 6 regle soit necessaire : car si les chordes A & B esgales en grosseur sont tenduës de mesme force, & que B soit double d'A en longueur, la chorde B fait l'Octaue en bas auec A ; & si la chorde C esgale à B en longueur, mais double en grosseur est mise à l'vnisson de B par vne double force, C fera l'Octaue auec A, si elle est tenduë d'vne force qui soit double de la force qui tend A.
Quant aux chordes de differentes matieres, il ne faut point d'autre table que celle des tensions, qui les mettent à l'vnisson, parce que lors qu'elles sont à l'vnisson, il faut seulement obseruer ce que nous auons dit des autres.
PROPOSITION VIII. Que l'on peut sçauoir la grosseur, & la longueur des chordes sans les mesurer, & sans les voir, par le moyen des sons. L'on peut s'imaginer plusieurs façons pour treuuer la longueur, & la grosseur des chordes : premierement par le compas, dont on vse pour mesurer la grosseur, & la longueur de toutes sortes de corps, mais les chordes des instrumens sont si deliées, que le compas ne peut seruir pour treuuer leur diametre : 2. l'on iuge de leur grosseur par le toucher, car en les maniant on iuge à peu pres de combien les vnes sont plus grosses que les autres ; mais cet examen est trop grossier, & trop incertain. 3. on les mesure par les trous des filieres, car les fils, ou les chordes qui passent, & qui sont tirées par vn mesme trou sont d'esgale grosseur ; mais parce que l'on ne sçait pas la proportion des trous de la filiere, & que quand on la cognoistroit, on n'a point ordinairement de filiere, ny de trous pour mesurer la grosseur des chordes, & que cet instrument ne sert qu'aux chordes de metal, cette maniere ne peut estre vtile aux Musiciens. 4. on les peut mesurer par l'eau, ou par les autres liqueurs, car celle qui fera sortir deux fois autant d'eau d'vn vase plein, sera deux fois aussi grosse, si elles sont de mesme longueur : mais les chordes de boyau se gastent dans l'eau, & cette façon de mesurer les corps est trop difficile, & trop incertaine pour plusieurs raisons, que ie deduis ailleurs. 5. par les balances, car celle qui pesera deux fois autant, sera deux fois aussi grosse, si elle est de mesme matiere, & de mesme longueur : mais le poids d'vne chorde d'instrument, par exemple, de la chanterelle d'vn Luth, est si petit, que l'on a de la peine à [p127] remarquer les differences du poids de telles chordes. C'est pourquoy il faut se seruir d'vne autre maniere pour mesurer la grosseur desdites chordes, car quant aux longueurs, il est tres-facile de les sçauoir par le seul compas, ou par la comparaison des vnes aux autres. Or cette maniere peut estre appellee harmonique, d'autant qu'elle se pratique par les sons en cette façon.
Si l'on veut sçauoir combien de deux chordes de mesme longueur, & de mesme matiere l'vne est plus grosse que l'autre, il faut tendre la plus deliée auec vne force, & il y aura mesme raison de sa grosseur à celle de l'autre, que de la force precedente à la force qui mettra la plus grosse à l'vnisson ; par exemple, si la plus deliée est tenduë d'vne liure, & l'autre de 12, celle-cy sera plus grosse 12 fois. On treuuera la mesme chose si l'on commence par la grosse ; & si on ne veut pas prendre la peine de les tendre, & de les mettre à l'vnisson, il suffit de remarquer l'interualle de leurs sons, & leurs poids, car si celle qui est tenduë d'vn moindre poids, a le son plus aigu, elle est plus deliée ; or l'on treuuera la proportion de leurs grosseurs en considerant la raison des 2 poids, & des 2 sons ; par exemple, quand elles sont tenduës par vn mesme poids, si le son de la plus deliée fait la Quinte en haut, sa grosseur sera à celle de la plus grosse comme 4 à 9, mais parce que nous supposons que leurs tensions sont inesgales, il faut treuuer la raison de leurs tensions ; ie suppose donc que la petite ayt 3 de tension, & la plus grosse 4, leurs tensions seront comme 3 à 4, & consequemment leurs grosseurs seront comme 1 à 3, d'autant que la raison triple est composée de la raison doublée de l'interualle de leurs sons, & de la sesquialtere de leurs tensions.
Ces proportions sont fondées sur les regles de la precedente Proposition, c'est pourquoy il n'est pas necessaire de les expliquer plus amplement, car l'on peut se seruir desdites regles pour treuuer toutes sortes de grosseurs de chordes, sans vser d'autre mesure que de celle des sons, qui est la plus iuste de toutes, pourueu que l'on en vse comme il faut. Quant aux longueurs, elles ne sont pas plus difficiles à treuuer que les grosseurs, car supposé que l'on cognoisse la proportion des grosseurs, l'on treuuera les longueurs par les sons ; par exemple, si les chordes de mesme grosseur sont à l'Octaue l'vne de l'autre auec mesme poids, celle qui fait l'Octaue en haut est plus courte de moitié : mais si les poids sont differents, il en faut sçauoir la difference, puis que toutes sortes de chordes differentes tant en grosseur qu'en longueur peuuent estre mises à l'vnisson, ou à tel interualle que l'on voudra, par le moyen des differentes tensions. Or la seule application des regles de l'autre proposition oste toutes les difficultez, qui peuuent se rencontrer sur ce sujet, & chacun peut dresser des tables semblables aux precedentes, pour treuuer toutes sortes de longueurs, & de grosseurs de chordes par leurs sons.
PROPOSITION IX. A sçauoir si l'on peut cognoistre la grosseur d'vne chorde d'instrument de Musique sans en faire comparaison auec d'autres chordes. Le son ne nous peut seruir pour la resolution de cette difficulté, d'autant que nous ne pouuons comparer la chorde auec d'autres chordes, ny auec d'autres sons ; & les compas sont trop grossiers pour mesurer le diametre des [p128] chordes, qui seruent aux instrumens, comme i'ay desia remarqué ; il faut donc prendre plusieurs parties de la mesme chorde, & les arranger les vnes pres des autres, iusques à ce qu'elles couurent quelque partie notable d'vn pied de Roy, ou de quelqu'autre mesure cogneuë ; par exemple, supposé qu'il faille 3 chordes pour couurir vne ligne, qui est la 1/12 partie d'vn poulce, la chorde proposée aura 1/3 de ligne de diametre : & ce qui n'estoit pas assez sensible pour estre mesuré, sera rendu tres-sensible, & facile à mesurer en cette façon : ce qui arriue semblablement à plusieurs autres choses ; par exemple, l'on a de la peine à voir, & à mesurer vn grain de sable tres-menu, & quand on le prend auec plusieurs autres, il est facile à mesurer. Mais si l'on veut empescher que la chorde ne se gaste, il faut auoir vn cylindre, sur lequel le pied de Roy soit marqué & diuisé en lignes, afin d'enuironner ledit cylindre de plusieurs tours de chorde pour couurir tout le pied de Roy, ou vne partie notable, comme le poulce, la ligne, &c.
Si l'on veut se seruir de l'eau pour treuuer la grosseur d'vne chorde qui soit, par exemple, de cuiure, il faut remplir le vaisseau, dans lequel l'on veut enfoncer la chorde, ou marquer le lieu de dedans le vaisseau auquel touche l'eau, afin de voir combien elle fera sortir ou monter d'eau, car ayant treuué la base, ou le diametre du Cylindre d'eau esgal en hauteur à la chorde, l'on aura la grosseur de la chorde. L'on peut encore mesurer la grosseur des chordes de metal en les reduisant premierement en Cube, ou en globe, par le moyen de la fonte : mais puis que la premiere maniere conserue les chordes de metal, & de boyau en leur entier, elle est la plus vtile & la plus facile, encore qu'elle ne soit pas Geometrique, d'autant qu'en tournant les chordes autour du cylindre de bois, ou de metal, l'on peut plus ou moins presser leurs circonuolutions, & faire qu'il y en ayt plus ou moins sur le pied de Roy, selon la force dont elles sont pressées ; neantmoins l'on approchera plus pres de leur veritable grosseur par ce moyen, que par nul autre, ce qui suffit en cette matiere, où les choses ne peuuent pas estre trouuées plus exactement par la mechanique. Mais ie parleray plus amplement de la differente maniere de peser toutes sortes de corps, & d'en sçauoir la grandeur par le moyen de l'eau dans le liure des Cloches : & l'on peut voir ce que i'en ay dit dans les liures de la Theorie.
PROPOSITION X. Determiner si l'on peut accorder le Luth, la Viole, l'Epinette & les autres instrumens à chordes, sans se seruir des sons, ny des oreilles, par la cognoissance des differens alongemens que souffrent les chordes. Cette proposition a besoin de quelques suppositions, dont la verité depend de l'experience & de la raison, car il faut sçauoir qu'elle raison il y a des differens racourcissemens des chordes aux sons differens quant au graue & à l'aigu, c'est à dire qu'il faut cognoistre combien il faut tourner la cheuille pour faire monter la chorde au second, trois, & quatriesme ton, supposé que l'on sçache combien il la faut tourner pour la mettre au premier, ou au second : & si, par exemple, vne force la fait racourcir d'vn doigt, combien 2, 3, ou 4 forces, &c. la feront racourcir : cecy estant posé, l'on peut marquer les chordes auec de petits points à chaque lieu, afin que les points respondent à [p129] certains lieux de l'instrument, qui feront voir quand les chordes seront d'accord, mais vne seule marque imprimée sur la chorde suffit pour cognoistre de combien de tons elle monte, ou descend, pourueu que l'on puisse mesurer son racourcissement, ou son alongement par le moyen de cette marque, ou des tours de la cheuille ; ce que l'on fera aysément si l'on compare la marque de la chorde auec quelqu'autre marque de la Table de l'instrument, qui fera recognoistre combien la chorde s'alonge, on se doit alonger à chaque ton, ou demy-ton.
Neantmoins parce que la chorde, dont on s'est desia seruy, & qui s'est estenduë & alongée, à souffert de l'alteration, & qu'elle s'estend plus facilement la seconde fois que la premiere, & la troisiesme fois plus facilement que la seconde, & ainsi consequemment, comme on remarque à toutes sortes de chordes, qui s'alongent de plus en plus auec le temps, encore qu'on ne leur donne point de nouuelle tension, il n'est pas possible d'accorder vn instrument par la cognoissance des premieres tensions que l'on a experimentées aux chordes, si quant & quant l'on ne sçait de combien l'extension de chaque chorde doit estre plus grande à la 2, 3, ou 5 fois, qu'à la premiere : c'est pourquoy il suffit icy de remarquer combien chaque chorde s'estend depuis son ton plus graue iusques à son plus aigu, auant qu'elle rompe, afin que l'on puisse conclure par la diuision de l'extension en esgales parties, combien chaque ton ou demy-ton fait plus, ou moins estendre la chorde : toutes-fois les extensions ne sont pas tousiours esgales, encore que l'on y adiouste des forces esgales, car les dernieres sont quasi tousiours plus grandes que les premieres.
L'experience fait voir que les chordes de Luth s'estendent pour le moins d'vne vingtiesme partie, auant qu'elles rompent, car la chanterelle qui a cinq pieds de long, & que l'on tend auec vne demie liure, s'estend de trois poulces ou enuiron, depuis l'extension qu'elle reçoit de cette demie liure iusques à ce qu'elle rompe par la force de trois liures & demie. Et apres qu'elle est tenduë par vne demie liure, la seconde demie liure que l'on y adiouste la faict alonger d'vn demy poulce, & la troisiesme la fait encore alonger d'vn autre demy poulce, & ainsi consequemment iusques à ce qu'elle se rompe, n'y ayant point d'autre difference, sinon que les derniers alongemens sont vn peu plus grands que les premiers. Quant aux chordes de leton, & des autres metaux, elles s'alongent beaucoup moins que celles de boyau, d'autant que leurs fibres ne sont pas susceptibles de si grands alongemens, que les filamens de celles de boyau qui s'alongent quasi de la mesme façon que la glus, & les filets des arraignées, parce qu'ils sont composez d'vne grande multitude de parties spermatiques.
PROPOSITION XI. Determiner de combien l'air est plus sec, ou plus humide chaque iour par le moyen des sons, & des chordes. L'Experience fait voir que les chordes de la Viole montent plus haut en temps humide que quand le temps est sec, car elles se haussent d'vn ton, d'vne Tierce, ou d'vne Quarte, quand le temps est humide & pluuieux ; cecy posé, il faut voir si l'on peut dire que l'air, ou le temps soit d'autant plus humide que les chordes montent plus haut : c'est à dire, si quand vne chorde monte plus haut d'vne Tierce maieure, dont la raison est de 4 à 5, l'air est plus humide d'vne quatriesme partie qu'il n'estoit deuant ; car le plus grand terme de la Tierce maieure est plus grand d'vn quart que son moindre terme, or la chorde qui faisoit le moindre terme de cette Tierce en temps sec fait son plus grand terme en temps humide, & consequemment elle bat cinq fois l'air en temps humide, qu'elle ne battoit que 4 fois en temps sec.
Ce qui arriue parce que le temps humide l'enfle & l'acourcit [la chorde], ou la tend dauantage qu'elle n'estoit tenduë en temps sec, de sorte qu'on peut dire que l'humidité la racourcit d'vne quatriesme partie, puis qu'il faut qu'vne chorde soit plus longue d'vn quart pour faire la Tierce maieure, bien que ce racourcissement ne paroisse pas en longueur, d'autant qu'vne plus grande tension recompense ce racourcissement ; car ie parle icy des chordes, qui sont arrestées par deux cheualets, & qui ne peuuent s'alonger. Il n'est pas besoin de considerer si la chorde est plus grosse en temps humide, car cela n'est pas sensible, & si peu de grosseur n'apporte quasi point de difference au son : c'est pourquoy il faut seulement considerer la plus grande tension de la chorde, à laquelle le temps humide apporte autant comme si on augmentoit sa tension, car quand vne chorde est tenduë par le poids d'vne liure, il faut la tendre par vne liure & 9 onces pour la faire monter à la Tierce maieure, d'autant qu'il faut doubler la raison de cette Tierce, comme i'ay dit ailleurs. Et si elle monte d'vn ton maieur, elle fait autant comme si l'on adioustoit 17/64 d'vne liure au poids de la liure qui la tendoit en temps sec.
Il est tres-aysé de treuuer toutes les autres tensions que font les differents degrez de l'humidité, en doublant les raisons comme i'ay dit : mais il est tres-difficile de sçauoir si les degrez de cette humidité suiuent les raisons des sons, ou des poids : c'est à dire si l'humidité est comme 9, & 8, quand elle fait les deux sons du ton maieur, ou si elle suit la raison doublée du ton, ou la raison triplée des solides, de sorte qu'on puisse dire que le temps est plus humide d'vne huictiesme partie, quand la chorde se hausse d'vn ton ; ou plus humide de 17 parties sur 64, parce que la raison sesquioctaue estant doublée fait la raison sur dix-sept partissante soixante quatre : ou plus humide de 217 parties sur 512, parce que la raison sesquioctaue estant triplée donne la raison sur deux cens dix-sept partissante cinq cens douze.
Mais il faut considerer d'autres choses dans la differente matiere des chordes, car les chordes de boyau, ou de fil de chanure s'alterent, & s'enflent plus facilement, & plus sensiblement que les chordes d'acier, d'airain, ou d'argent : d'autant que les metaux ne sont pas si poreux, & si mols comme les chordes de boyau, c'est pourquoy il faut se seruir de celles-cy, pour iuger si l'air est plus humide ou plus sec, parce que celles d'airain ne changent pas leur son si facilement sur l'Epinette, que celles de boyau sur la Viole. D'ailleurs la chorde de boyau peut auoir vne si grande humidité, qu'elle se laschera plustost qu'elle ne se tendra, ce qui monstre qu'il est difficile d'establir quelque chose de certain sur cet accident, & sur cette experience. Or l'on peut icy considerer deux ou trois accidens des chordes, car elles deuiennent plus courtes, ou plus grosses, ou elles font vn son plus aigu. Quant à leur racourcissement on remarque que les chordes, dont on vse pour sonner les cloches, sont plus courtes à l'hyuer qu'à l'esté, ce qui arriue semblablement à celles qui sont suspenduës aux voultes des Eglises pour abbaisser les lampes, comme l'on remarque dans les Eglises Cathedrales, dont les voultes sont fort esleuées, dans lesquelles lesdites chordes s'acourcissent à l'hyuer d'vne toise, ou enuiron.
Busbeque Ambassadeur à Constantinople pour Ferdinand Roy des Romains, recite vne chose tres-remarquable sur ce sujet dans sa premiere Epistre, à sçauoir qu'vn ingenieur, qui auoit entrepris de leuer vn obelisque sur vn piedestal, ayant recogneu que les chordes de ses Machines estoient trop longues d'vn poulce, les arrosa d'eau, laquelle les feist accourcir autant comme il falloit pour faire reüssir heureusement son entreprise, ce qui luy donna vn grand credit parmy le peuple, qui commençoit à se mocquer de luy ; & ce qui fait voir la difference d'vn ingenieur ordinaire, d'auec celuy qui cognoist la nature des choses. Quant à la grosseur, on peut trouuer de combien elle s'augmente, lors que l'on sçait le racourcissement : car supposé, par exemple, qu'elle s'acourcisse d'vne 20. partie, elle se grossira aussi d'vne 20. partie ; & si elle s'acourcit de moitié, elle se grossit de moitié ; si ce n'est qu'elle reçoiue seulement des condensations differentes souz mesme volume, de sorte qu'elle soit tousiours de mesme grosseur, & que cette grosseur soit seulement plus rare en temps sec, & plus dense & solide en temps humide. Quant à la tension, l'on en peut iuger en deux façons, premierement par le son, car si la chorde d'vn instrument de Musique monte plus haut d'vne Quarte, elle enseignera de combien sa tension s'est augmentée, c'est à dire que la tension de la chorde en temps humide sera à la tension de la mesme chorde en temps sec, comme 16 est à 9, car il faut que les tensions, & les forces qui font les tensions, soient doublées des simples raisons que gardent les interualles harmoniques, comme i'ay demonstré dans vn autre lieu.
Mais si l'on suppose que la chorde deuienne plus grosse en temps humide à mesme proportion qu'elle s'acourcit, il faudra autant augmenter sa tension, comme la grosseur s'est augmentée : c'est à dire que si sa grosseur s'est augmentée d'vne vingtiesme partie, il faudra augmenter sa tension d'vne vingtiesme partie pour expliquer les interualles, ausquels la chorde est montée. Par exemple, au lieu d'appliquer les tensions de 16 à 9 à la chorde susdite, si la chorde s'est grossie d'vne 20 partie, il faudra adiouster la raison de 21 à 20 à la raison de 16 à 9, pour sçauoir la tension de la chorde en temps humide, car les [p132] simples raisons des tensions recompensent les differentes grosseurs des chordes. Si les sons montent à mesme proportion que les chordes des cloches, & que toutes les autres s'acourcissent en temps humide, ou en hyuer, il est facile de sçauoir combien les chordes des instrumens monteront, car si elles se racourcissent d'vne 8. partie, les instrumens auront monté d'vn ton maieur, d'autant que la chorde a 9 parties en temps sec, & n'en a que 8 en temps humide : il est facile d'adiouster plusieurs autres exemples.
L'on peut donc conclure combien les chordes des instrumens s'acourciroient, si elles n'estoient detenuës par les cheuilles ; par exemple, elles s'acourciroient d'vne qninziesme partie, quand elles montent d'vn semiton maieur. Semblablement l'on peut dire de combien les chordes, qui s'acourcissent à raison qu'elles sont libres, receuroient vne plus grande tension, si elles estoient arrestées, car la raison doublée des longueurs de la chorde en temps sec & humide donnera la tension : par exemple, si la chorde s'acourcit d'vne quinziesme partie, la raison de sa longueur en temps sec & humide sera de 16 à 15, laquelle estant doublée donne la raison de 256 à 225, c'est à dire quasi de 17 à 15 ; par consequent la chorde de la Viole qui monte d'vn demy-ton, est plus tenduë de deux parties sur 15, qu'elle n'estoit deuant, supposé qu'elle ne grossisse point par la tension, autrement il faut adiouster autant de degrez à la susdite tension, comme l'humidité a adiousté de nouuelles parties à sa grosseur.
Or l'on peut disposer les chordes en deux manieres pour treuuer les proportions, & les differences des humiditez du temps ; premierement en les suspendant, comme sont les chordes des cloches & des lampes, car si l'on graduë la muraille ou le bois, à qui elles respondent, c'est à dire, si l'on diuise le plan, vis à vis duquel elles sont suspenduës, en plusieurs parties esgales, dont la plus basse soit à niueau du bout de la chorde, quand elle a sa plus grande longueur, & la plus haute soit à niueau du lieu, où la chorde est la plus courte, les degrez du milieu marqueront les differents racourcissements de la chorde, & consequemment les differents degrez de l'humidité, ou de la seicheresse, comme les degrez du Verre Calendaire, que l'on appelle Themoscope, montrent les degrez du froid & du chaud ; ce que i'explique par la chorde A B C, dont la plus grande longueur est A C, & la moindre A B, de sorte quelle a l'espace B C, pour son racourcissement, lequel on peut diuiser en tant de parties que l'on voudra, afin de sçauoir si le temps est plus humide de 2, 3, ou 4, degrez, quand la chorde s'acourcit d'autant de parties.
Secondement, on peut se seruir des chordes, qui sont arrestées par les deux bouts, comme sont celles de la Viole, du Luth & des autres instrumens à chorde, car si on suspend vn poids au milieu de la chorde, & qu'on diuise le plan, vis à vis duquel la chorde descend qui tient le poids suspendu, de sorte que la plus basse diuision soit à niueau du poids, on verra les differents degrez de l'humidité par les differentes esleuations du poids, comme on recognoist les differents degrez de lumiere, & de chaleur par les differentes esleuations du Soleil. Mais parce que nous ne sçauons pas si de tous les degrez d'humidité chacun fait racourcir les chordes esgalement, c'est à dire si le 2 degré les fait autant racourcir comme le 1, le 3 comme le 2, &c. l'on ne peut determiner cette difficulté qu'en general pour les differents degrez d'humidité.
COROLLAIRE II Quand les chordes s'acourcissent par l'humidité, il semble que toutes leurs parties se r'acourcissent esgalement, supposé que l'air qui les enuironne soit esgalement humide par tout, car il n'y a nulle raison qui empesche cette esgalité lors que la chorde pend librement en bas, ou qu'elle porte vn fardeau bien leger : mais lors qu'elle est arrestée & tenduë sur le Monochorde, ou sur les autres instrumens, elle peut s'enfler dauantage vers le milieu, où il semble qu'elle endure moins de violence, parce qu'elle est plus molle en ce lieu que pres des cheualets, & consequemment elle est plus susceptible de l'humidité de l'air ; quoy que l'on puisse obiecter que la chorde est plus ouuerte & plus poreuse aux lieux où elle est la plus dure, & où elle est, ce semble, plus bandée, mais toutes ces difficultez sont traictées dans vn autre lieu.
COROLLAIRE III Il semble que l'enflement des chordes se fait par l'eau, ou par les vapeurs qui s'insinuent dans les pores des chordes, quand elles ne s'acourcissent point, ce qui fait que toutes les parties de la chorde endurent vne plus grande violence, parce que chaque partie d'humidité contraint chaque partie de la chorde de luy faire place, & de s'estendre plus fort que deuant, ou en d'autres lieux que celuy qu'elle occupoit, & qui luy estoient propres & naturels ; mais quand elles s'acourcissent, il semble qu'elles fassent la mesme chose qu'vn homme qui se racourcit, & qui rassemble les parties de son corps le mieux qu'il peut lors qu'il a grand froid, ou qu'il se prepare au combat : ce que l'on remarque semblablement aux insectes, & aux vers qui rampent sur la terre, car ils se ramassent & s'acourcissent pour se rendre plus forts, pour euiter les coups & pour se conseruer. Or apres auoir consideré toutes ces particularitez des chordes, il faut voir de quelle longueur elles doiuent estre sur l'Epinette, & sur les autres instrumens pour faire des sons dont l'oreille puisse iuger, & comme l'on peut determiner leur ton quand l'oreille ne peut l'apperceuoir.
PROPOSITION XII. Determiner quelle grosseur, & longueur doiuent auoir les chordes des instrumens pour faire des sons agreables, & dont on puisse iuger à l'oreille : & comme l'on peut sçauoir le ton, ou le son de toutes sortes de chordes, quand elle sont trop longues, trop lasches, ou trop courtes pour faire des sons, qui puissent estre ouys. L'Experience fait voir que les chordes qui sont trop longues, ou trop courtes ne font point de ton sensible, ou qu'il n'est pas agreable si elles en font ; par exemple, si l'on estend vne chorde de Luth de 12 pieds de long, elle ne peut faire de son dont l'oreille puisse iuger, c'est pourquoy ceux qui font les instrumens de Musique les proportionnent à la longueur & à la grosseur des chordes. Or la chorde dont le diametre est 1/6, ou 1/5 de ligne, comme est la plus grosse des Epinettes ordinaires, à 4, ou 5 pieds de long, & les autres sont longues & grosses à proportion de celle-la, qui leur sert de regle : de sorte qu'il faut que la longueur de la chorde soit à sa grosseur comme 3456 à 1, puis qu'il y a 3456/6 de ligne dans 4 pieds : & si l'on mesure les plus grosses chordes des plus grands Tuorbes, & des Luths, l'on trouuera qu'elles n'ont pas plus de 4 pieds de long depuis le sillet iusques au cheualet, & l'on sçaura la raison de leur longueur à leur grosseur, lors que l'on aura pris leur diametre. Mais pour sçauoir la vraye raison que doit auoir la longueur de la chorde à sa grosseur pour faire les meilleurs sons de tous les possibles, il faut supposer l'experience ; & parce que les Epinettiers disent que les chordes de mesme grosseur que les plus grosses de l'Epinette, ou du Clauecin ordinaire sonnent parfaitement quand on leur donne 4, ou 4 & demy, ou 5 pieds de long, l'on peut retenir l'vne de ses proportions ; & parce que la chorde de 5 pieds de long peut auoir 1/4, ou 1/3 de ligne en diametre, la meilleure proportion de la longueur à la grosseur sera de 2440, ou de 2160 à 1.
Quant à la seconde partie de la Proposition, elle est tres-aysée à resoudre, puis que nous auons expliqué la maniere de sçauoir combien chaque chorde donnée tremble de fois en vn temps donné, c'est à dire combien elle fait de tours & de retours ; car puis que le graue, ou l'aigu du son est mesuré & determiné par les nombres des tremblemens de chaque chorde, l'on ne peut cognoistre ledit nombre, que l'on ne sçache quant & quant la qualité du son, c'est à dire quel lieu il tient dans le Systeme harmonic. Ce que l'on comprendra plus aysément par exemples, que par de plus longs discours. Ie suppose donc qu'vne chorde de Luth ou d'Epinette ayt 15 pieds de long, & qu'elle soit trop longue pour iuger auec l'oreille du son qu'elle fait : or si on la tend auec vne force de 6 liures, elle fera 10 retours dans vne seconde minute, & parce que le son qui respond au ton de Chappelle est fait par 60 retours dans l'espace de ladite seconde, l'on sçaura que le son de 10 retours est plus bas d'vne dix-neufiesme que ledit ton de Chappelle, puis que les sons sont aux sons, comme les retours aux retours, & qu'il y a mesme raison de 60 à 10, que de 6 à 1, qui contient la raison de la Dix-neufiesme.
Semblablement si la chorde est trop courte, & qu'elle n'ayt qu'vn poulce, c'est à dire que la douziesme partie d'vn pied de Roy, c'est chose asseurée que l'oreille ne pourra iuger du son qu'elle fera, mais si on luy donne l'estenduë [p135] de 15 pieds, & que l'on treuue qu'elle tremble 10 fois comme deuant, l'on trouuera son ton par la regle de 3, car les retours de la chorde d'vn poulce de long sont aux retours de celle de 15 pieds, comme 15 est à 1/12, c'est à dire comme 180 est à 1, c'est pourquoy la chorde d'vn poulce fera 1800 retours, tandis que celle de 15 pieds n'en fera que 10, & consequemment le son de la chorde d'vn poulce sera de 180, quand celuy de la chorde de 15 pieds sera 1, de sorte que ces deux sons feront la Cinquante-troisiesme, c'est à dire la Quarte augmentée d'vn comma sur 8 Octaues. Or il est tres-aysé d'accommoder ce discours à toutes sortes d'autres chordes, puis qu'il n'y a nul son si graue, ou si aigu, que l'on ne puisse treuuer par le moyen des tremblemens & des retours. Où il faut encore remarquer que l'oreille commence à iuger de l'aigu du son de la chorde, qui a deux poulces de long, & consequemment qui est 96 fois plus longue que large, supposé qu'elle ayt 1/4 de ligne en diametre ; & parce que ce nombre approche de cent, l'on peut prendre pour fondement de ce discours, que la longueur des chordes doit estre centuple de leur diametre pour faire le premier son, c'est à dire le plus aigu, dont l'oreille puisse iuger.
Dabondant parce que la chorde n'a point de son qui puisse entrer dans l'harmonie en qualité d'agreable, ou de passable, qu'elle n'ayt pour le moins demy pied de long, il s'ensuit qu'elle doit estre 288 plus longue que large pour commencer à rendre de l'harmonie qui soit supportable ; & parce que ce nombre approche de 300, l'on peut dire que la longueur des chordes doit estre trecentuple de leur diametre pour faire leur premier son : finalement parce que les mesmes chordes peuuent faire des sons dont l'oreille peut iuger, encore qu'elles ayent 12 pieds de long, l'on peut dire que les chordes font des sons, qui ne surpassent pas la capacité de l'oreille, quand leur longueur est à leur diametre, comme 6912 est à 1. Et parce que ce nombre approche de 700, l'on peut mettre ce nombre pour les bornes de la longueur des chordes, par où l'on peut determiner quelle raison il y a de la longueur qu'elles doiuent auoir pour faire le meilleur son, auec leur plus grande & leur moindre longueur.