[…] si on veut co[n]siderer la nature du diapason, on trouuera qu’il n’est point seulement le fondement, ains la mesure essentielle, & la perfection mesme de la musique : Car si nous disons la ligne circulaire estre parfaite, par-ce qu’elle retourne à son principe, & au mesme poinct où elle a commencé : aussi pouuons nous dire, le diapason estre parfaict, par-ce qu’il retourne à son principe, & à son mesme poinct, d’où il a commencé ; d’autant que le diapason contient tout ce qu’il y a d’vne lettre à vne autre semblable, si comme d’Are en alamire.
Et [le diapason] est aussi la mesure essentielle [de la musique], par-ce que ce qui est pardessus le diapason, est le mesme que ce qui est contenu en iceluy : ce qui se voit [p4] clairement, par les sept lettres premieres de l’alphabeth (comme a esté dict) A. B. C. D. E. F. G. par lesquelles il faut passer pour former un diapason, d’autant que du diapason en auant, il faut repeter de nouueau les mesmes lettres : qui nous signifie, que ce sont aussi les mesmes consonances, & les mesmes voix, que les premieres.
[…] plusieurs autres donnent tesmoignage des sept voix differentes susdites, par-ce que la viij. respond à la premiere, la ix. à la ij. & ainsi des autres. Qui est cause, que Pline […] appelle le diapason l’assemblee de tous les accords ; Et Pythagore estimoit (comme dict Plutarque) que c’estoit assez, d’arrester & diffinir de la Musique, iusque au composé du diapason, d’autant que ce qui est pardessus, est de mesme nature & condition que ce qui [p5] est contenu en iceluy.
Et pour ceste cause est appelé diapason, qui signifie, par tous les sons ; pour monstrer qu’il contient entierement tout ce qui est de la musique : d’autant que tout ce qui est pardessus, n’est qu’vne repetition de ce qui est contenu en iceluy. Ce que nous veut signifier le prouerbe ancien, qui dict : De octauis idem iudicium. Par où on voit manifestement, que le diapason n’est le vray fondement (comme encore plus amplement se voira cy apres) ains sert de compas tres-certain, & de mesures tres asseuree, pour demonstrer & definir les bornes & limites du bastiment musical : c’est à dire, d’vne musique parfaicte & accomplie.
Et d’autant que la mode nous doit furnir & representer vne telle musique (à sçauoir parfaicte & entiere) de là vient, qu’il nous la faut mesurer à l’aulne du diapason, &, suyuant le nombre de ses especes, conclure, qu’il y a autant de modes.
[...] soubs la musique artificielle comprendrons la theorique et pratique. La musique artificielle, donc, est vne science (comme dict Thiard, et Pierre Gregoire) qui considere, auec sens et raison, la difference des sons.
Le sujet, & le premier element de la musique, est le son : non tel quel, mais seulement celuy qui est d'vne harmonieuse estenduë (com[m]e dict Thiard) entendant par ce mot, harmonieuse, que la voix puisse estre baissee, ou haussee ; & par ce mot, estenduë, ou duree, qu'elle demeure ferme & stable en vn mesme estat, affin d'exclure le tonnere, ou tel autre extreme bruict inconstant, duquel on ne peut comprendre l'estat : com[m]e aussi vn son si infirme, qu'on n'en pourroit remarquer la continuation ou estat : lesquels ne peuuent de rien seruir à ceste science.
[...] comme nature ne faict rien sans cause, aussi que ceste composition [le diapason] a esté ainsi naturellement ordonnee, pour le plus grand ornement de la musique. Car comme nous voyons, que la varieté cause vn embellissement & bien-seance en toute chose (comme il se voit és fleurs, peintures, tapisseries, et autres choses semblables) aussi est-il certain, que de ceste varieté de tons, et demy tons, procede toute la beauté, toute la douceur, & toute l'harmonie qu'il y a en la musique. Car si le diapason eut esté composé de six tons entiers, sans demy tons, il n'y eut eu qu'vne sorte de chant, qu'vne espece de consonance, sans aucune harmonie, d'autant que c'est le demy ton qui cause la difference entre les consonances, la varieté du chant, & finalement toute l'harmonie de la musique [...]
[...] la quarte (qui est le premier nombre composé de pair) & la quinte (qui est le premier nombre composé de pair & impair, qui sont les deux premiers nombres en proportion superparticuliere, à sçauoir, sesquitierce, & sesquialtere) viennent à composer le premier nombre, en proportion double, qui est [p16] l'octaue ou diapason, auecq ceste forme si excellente, & si admirable, qu'elle sert d'idee, & de patron, à toute sorte de musique qu'on sçauroit imaginer [...]
Ioannes Froschius, chap. 14. de sa musique, dit, que la nature de la mode consiste en la proportion double qui est entre les deux extremitez du diapason, & en la proportion simple qu'il y a des deux extremitez susdites à la mediation.
Plutarque, au 9. chapitre de sa musique, dit expressement, que l'harmonie consiste en la proportion double, & qu'il faut prendre les medietez en proportion sesquitierce, & sesquialtere : & de faict, le monstre par exemple, prennant l'interualle qu'il y a depuis l'hypate des moyens, iusques à la nete des disioints, que nous disons, depuis Elamy iusques elamy. Les méditez qu'il prend en proportion sesquitierce & sesquialtere, sont meze & parameze, que nous disons alamire et ♭ fa ♮ my, comme on peut veoir plus ampleme[n]t par tout le 9. & 10. chapitre de sa musique.
Abregé de la Musique speculatiue. Article I. Le son n'est autre chose qu'un battement d'air, que l'oüye apprehende lors qu'elle en est touchée. Or les deux principales proprietez du son consistent dans la force & dans les qualitez que nous appellons graue & aigu. Sa force est d'autant plus grande qu'il est fait par vn batement d'air plus violent : & ce batement est d'autant plus violent, que l'on frappe vne plus grande quantité d'air en mesme temps. Quant à sa grauité, elle est d'autant plus grande, qu'il se fait par des batemens plus tardifs ; & par consequent il est d'autant plus aigu qu'il se fait par des batemens plus vistes ; par exemple s'il se fait vn son dans vn temps donné par 50. batemens, & un autre son en un temps égal par 100. batemens, ce dernier son sera deux fois plus aigu que le premier.
C'est vne chose ordinaire de demander au commencement des traitez que l'on fait des sciences, si elles ont quelque veritable object, et quel il est, […] il est donc à propos auant que passer outre de sçavoir si le Son, qui est le suiet, ou l'obiet de la Musique & de l'ouye, a un estre reel, & quel il est : car il s'en trouue plusieurs qui croyent que le Son n'est rien, s'il n'est entendu, & que c'est vne simple impression de l'air qui ne doit point estre appelée Son, s'il n'y a quelque oreille qui l'entende & qui la distingue d'auec les autres choses ; certainement si cela est, il faut que l'ouye luy donne la nature de Son, comme l'imagination & l'entendement donnent l'estre aux pensées imaginaires & aux fantosmes, que l'on appelle estres de raison. Quant à mon particulier, i'estime que le Son n'est pas moins reel deuant qu'il soit entendu, que la lumiere, ou les couleurs, & les obiets des autres sens exterieurs auant qu'ils soient apperceus, & que les Sons ne laisseroient pas d'estre ce qu'ils sont, encore qu'il n'y eust nulle oreille. Ce que ie dirois tousiours, bien que i'eusse aduoüé que le Son ne fust pas different d'auec le mouuement de l'air.
L'on peut se servir des Sons de chaque instrument de Musique, & des differens mouuemens que l'on leur donne pour discourir de toutes sortes de suiets, & pour enseigner & apprendre les sciences. Cette proposition est excellente, car elle enseigne la maniere de discourir de toutes choses en ioüant des instrumens, encore que celuy qui les touche, ou qui en oyt ioüer soit muet, car l'on peut discourir auec vn autre en ioüant de l'Orgue, de la Trompette, de la Viole, de la Fleute, du Luth & des autres instrumens, sans que nul puisse entendre le discours, que celuy qui sçait le secret, ce qui se peut pratiquer en plusieurs manieres. En premier lieu si le ioüeur d'instrumens, & l'auditeur se seruent d'vne tablature qui contienne toutes les lettres de l'alphabet : car chaque Son exprimera chaque lettre ; par exemple, les trois notes, ou les trois voix qui se treuuent dans G, re, sol, vt, pourront seruir pour ces trois lettres R, S, V, &c. & l'auditeur ayant son Luth, ou sa tablature deuant les yeux verra clairement les dictions que formera le ioüeur auec les Sons de son instrument, auquel il pourra respondre en ioüant d'vn autre instrument.
Ces 24 changemens monstrent que l'on peut faire vingt-quatre chants differents auec quatre chordes d'vne Epinette, quatre tuyaux d'Orgue, ou autres quatre Sons, sans repeter deux fois vn mesme Son ; la Quinte donne six vingt chants tous differents : la Sexte maieure ou mineure 720 : la Septiesme 5040. & l'Octaue 40320 : d'où il s'ensuit que l'on peut faire des harangues entieres auec la seule Quarte sur le Luth, sur l'Orgue, sur les Cloches, sur la Trompette, &c. qu'auec l'Octaue l'on peut exprimer tous les characteres des Chinois, pourueu qu'ils ne surpassent pas le nombre de quarante mille trois cens vingt : & que celuy qui cognoistroit toutes les especes des plantes, des animaux, des mineraux & des pierres, pourroit les exprimer & enseigner toutes les sciences auec toutes sortes d'instrumens de Musique.
Certainement ceste speculation ne doit pas estre negligée à cause du rencontre lequel est semblable aux Consonances, comme aux aspects benins, & aux Dissonances, comme aux aspects que l'on appelle mauuais. Mais il n'est nullement necessaire que le Musicien connoisse la proprieté des Planettes pour composer de bons chants : car l'on peut composer toutes sortes de pieces de Musique sans connoistre les Planettes, qui n'ont point de particuliere influence sur la voix.
Et l'experience fait voir que du Caurroy, Claudin, Guedron, Boësset, Moulinié, & les autres Compositeurs, ont fait de tres-bonnes pieces de Musique, & de bons airs, quoy qu'ils n'ayent pas sceu l'Astrologie. Quant aux voix differentes des animaux, il faudroit faire de particulieres obseruations pour sçauoir combien la voix des vns est plus aiguë que celle des autres lors qu'ils sont en cholere, & qu'ils sont emportez de quelqu'autre passion, & voir ce qui se peut connoistre de leurs temperamens, ou du degré de leurs passions par leurs cris differens, ou par leurs voix naturelles, dont on peut remarquer les interualles : par exemple, le coucou fait vne Tierce mineure en chantant, dont la premiere syllabe est plus aiguë que la seconde : & le muglement des vaches est composé de la dixiesme majeure, dont la premiere partie est la plus graue, & la seconde est la plus aiguë.
PROPOSITION XV. Que l'on peut chanter la Musique Chromatique, & l'Enarmonique, & faire le ton maieur & le mineur, & mesme le comma en tous lieux où l'on voudra.
Il est tres-aisé de prouuer ceste Proposition, car si l'on suit les sons de l'Instrument, ou du systeme parfait, & particulierement ceux de l'Orgue, qui contient les trois genres de Musique, l'on chantera tous les interualles de la Chromatique & de l'Enarmonique ; & lors que l'on aura accoustumé la voix à ces interualles, elles les chantera aussi aisément que ceux de la Diatonique. Il faut dire la mesme chose des interualles qui sont dans les especes des trois genres ; car il n'y a point d'interualles ausquels la voix humaine ne puisse s'accommoder, pourueu qu'ils ne passent pas sa portée & son estenduë. Et si les Practiciens prennent la peine d'instruire quelques enfans auec l'Orgue diuisé en ces interualles, ils auront le contentement de faire chanter l'Enharmonique. L'on peut aussi contraindre les Chantres de faire lesdits interualles, pourueu qu'ils veüillent chanter ce qu'ils sçauent ; car si l'on prend le mesme chant plus haut ou plus bas qu'eux d'vne diese Enharmonique, l'on entendra tousiours ceste diese.
PROPOSITION XX. L'on peut apprendre à bien parler & à bien prononcer par le moyen de la Musique. Puis que la parole consiste à battre l'air, & que l'on parle bien lors que l'on accentuë, & que l'on prononce les dictions comme il faut, il n'est pas mal-aisé de comprendre comme la Musique peut seruir à bien parler, car elle traicte des accents, & nous ferons voir dans la 47 Proposition, que le Musicien parfait peut inuenter la meilleure langue de toutes les possibles, & qu'il la peut faire parler en perfection.
[…] il suffit maintenant de monstrer que la Musique peut apprendre à bien parler, & à corriger les mauuais accents que l'on a, pourueu que l'on demeure d'accord de la meilleure maniere de parler, car l'on peut aussi aisément apprendre à parler comme les Normans, ou les Prouençaux, par le moyen de la Musique, que comme ceux de Blois, d'Orleans, & de Paris ; ce que ie prouue en ceste maniere : Ce qui est des-agreable dans la parole, ou dans le discours, ne peut venir de nulle autre cause que des syllabes que l'on fait trop longues, ou trop courtes, & trop graues ou trop aiguës ; comme l'on experimente en ceux qui traisnent trop quelques parties de certaines dictions, ou qui se precipitent en prononçant ; or la Musique qui traite de la valeur des notes, & de toutes sortes de temps, enseigne quant & quant le temps qu'il faut employer sur chaque syllabe, & consequemment quelle proportion doit garder le temps de chaque syllabe, donnee auec le temps de toutes les autres.
Mais de toutes les Nations qui apprennent à chanter, & qui font les passages de la gorge, les Italiens mesme qui font vne particuliere profession de la Musique, & des recits, auoüent que les François font le mieux les passages, dont il n'est pas possible d'expliquer la beauté & la douceur, si l'oreille ne les oit, car le gazoüil ou le murmu[re] des eaux, & le chant des rossignols n'est pas si agreable ; & ie ne trouue rien dans la nature, dont le rapport nous puisse faire comprendre ces passages, qui sont plus rauissans que les fredons, car ils font la quinte-essence de la Musique.
PROPOSITION XXXV. Determiner quels sont les vices & les imperfections de la voix ; & si l'on peut faire chanter la Musique à vne voix mauuaise & inflexible. […] [p044] Iosquin a fait voir qu'vne voix inflexible & mauuaise peut chanter sa partie, car ayant promis à Louys XII, dont il estoit Musicien, de luy faire chanter sa partie, quoy qu'il eust la voix discordante, & tres-mauuaise, il fit vne composition à quatre parties, & fit aduoüer au Roy qu'il pouuoit chanter en Musique. Il faut neantmoins remarquer qu'il est necessaire que la voix tienne ferme sur vn ton, ou sur vne chorde, & qu'elle soit constante ; car si elle varie tellement qu'elle n'ait nul arrest, il n'est pas possible qu'elle chante sa partie quoy qu'vniforme, si ce n'est qu'en variant elle face de certains tons dont on puisse remarquer les differences, & que cette varieté garde quelque sorte d'vniformité ; car l'on ne peut regler ce qui est dereglé & des-ordonné que par le moyen de ce qui est reglé & ordonné, comme l'on ne peut soudre les difficultez des nombres irrationels, & de l'algebre que par les rationels, & par les equations : ce qui monstre que toute sorte de diuersité dépend de l'vnité à laquelle toutes choses doiuent retourner comme à leur source & à leur origine. Ie donne donc la piece de Musique dont i'ay parlé, afin de ioindre l'exemple au discours. [p045] Or il n'y a voix si mauuaise qu'elle ne puisse chanter cette Taille ; car si elle est entierement inflexible, elle ne peut manquer à tenir ferme ; & si l'on a peur qu'elle ne tienne pas ferme, & qu'en haussant ou baissant elle fasse des Dissonances, l'on peut faire souuent sonner vn tuyau d'Orgue pour la contraindre à tenir le mesme ton. L'on peut faire chanter le Dessus ou la Basse à la mesme voix, suiuant le ton qu'elle a : mais parce que la voix du Roy estoit propre pour le Tenor, Iosquin luy donna cette partie.
Or ceux qui apprendront la Musique en ceste maniere [en utilisant l'orgue pour apprendre à chanter], feront les interualles plus iustes que ceux qui ont appris des Maistres, pourueu que le clauier & les tuyaux soient disposez comme ceux que i'ay expliquez au traité de l'Orgue, dans lequel les tons & les demitons majeurs & mineurs, les dieses, & toutes les consonances sont dans leur iustesse & dans leur perfection ; & consequemment celuy qui aura appris à chanter sans Maistre enseignera mieux à entonner iuste que nul autre. Mais il ne pourra pas donner la grace aux chants & aux passages qui dépendent des roulemens de gorge, & des autres delicatesses & tremblemens dont on vse maintenant pour porter la voix du graue à l'aigu, & de l'aigu au graue ; c'est pourquoy s'il veut perfectionner sa voix, il a besoin de Maistre, à raison que les Instrumens ne peuuent enseigner de certains charmes que l'on inuente tous les iours pour embellir les chants, & pour enrichir les Concerts. Il y a vne autre maniere d'apprendre qui est plus Philosophique, mais elle est plus difficile, car elle consiste à faire trembler l'air qui sort de l'ouuerture du larynx autant de fois que la chorde qui fait le son que l'on veut imiter, & que l'on fait sans le sçauoir lors que l'on chante à l'vnisson d'vn autre son, & lors que l'on le fera par science l'on chantera plus raisonnablement.
PROPOSITION XLIV. Expliquer pourquoy quelques-vns parlent du nez, s'il y a moyen d'y remedier, & quels sons l'on peut faire auec le nez. […] [p060] Quant aux sons qui sortent du nez, le premier est celuy qui fait la respiration, dont la forte inspiration produit le ronflement. L'on en rencontre aussi qui ioüent des instrumens à vent auec le nez, par exemple du flageollet & des flustes, ou qui chantent la Musique à deux parties, l'vne auec la bouche, & l'autre auec le nez. Quelques-vns imitent aussi le ieu d'Orgues, que l'on appelle le nazard, en pressant l'vne des narines auec l'vne des mains, & en frappant de l'autre main contre l'autre narine.
Mais les Musiciens ont tousiours vsé des interualles Diatoniques, & particulierement ceux qui font profession de cet Art parmy les Chrestiens, encore qu'ils eussent pû choisiir d'autres interualles, par exemple [p093] ceux des differentes especes de Tetrachorde, que i'explique ailleurs. Et puis la suite des interualles de l'Air & de toute la Musique est artificielle ; car l'on ne peut s'en seruir si on ne l'a apprise par science, ou par exercice, & par la pratique : i'ay encore aioûté l'explication des mouuemens du suiet, d'autant qu'il n'est pas necessaire que nous exprimions nos propres mouuemens, ou passions, il suffit que nous imitions les passions des autres, ou du sujet proposé, comme il arriue presque tousiours à ceux qui chantent pour donner du plaisir aux auditeurs, car encore qu'ils soient tristes, ils peuuent chanter des Airs fort gays, ou des Airs tristes, encore qu'ils soient pleins d'alegresse.
C'est pourquoy la Musique est vne imitation, ou representation, aussi bien que la Poësie, la Tragedie, ou la Peinture, comme i'ay dit ailleurs, car elle fait auec les sons, ou la voix articulee ce que le Poëte fait auec les vers, le Comedien auec les gestes, & le Peintre auec la lumiere, l'ombre, & les couleurs : voyons maintenant la diuersité des Airs, & des Chants, & particulierement ceux dont on vse en France, afin que le Musicien n'ignore rien de tout ce qui appartient à l'Harmonie. Et apres nous verrons ce qui est necessaire pour faire de beaux Airs, & s'il est possible d'en faire vn qui soit le plus beau de tous ceux qui peuuent estre faits sur quelque sujet, ou sans sujet.
Plusieurs tiennent que chaque partie de Musique est vn Chant, & neanmoins il y a des parties qui tiennent tousiours ferme sur vn mesme ton, sans hausser ou baisser, comme il arriue quelque fois à la Taille : & entre les Chants dont on vse pour chanter les Psalmes dans les Eglises Catholiques l'vne des intonations ne se sert point d'interualles : quoy que personne ne die que l'on ne chante pas quand on vse de ce ton.
Si nous voulons apporter quelques distinctions ou diuisions entre les chants, il semble que l'on peut accorder toutes les pensees des Musiciens sur cette difficulté : Car si nous disons que le son, contre lequel se peuuent chanter vne ou plusieurs parties qui facent des consonances & de l'harmonie, est vn chant, l'on peut tenir que le simple son qui tient ferme, & consequemment que les discours des Orateurs, & de ceux qui font des interualles sensibles, comme les Italiens, & quelques Predicateurs qui chantent en parlant, peuuent estre nommez chants, lors qu'on peut faire quelque partie de Musique contre lesdits sons, ou discours.
A quoy l'on peut rapporter la diuision [des chants] que l'on en fait maintenant en trois genres, dont l'vn est le Vaudeuille ou la Chanson, l'autre est le Motet ou la Fantaisie, & le troisiesme genre contient toutes les especes de Danseries. Et finalement si l'on veut vne diuision plus particuliere, l'on peut mettre douze sortes de compositions de Musique qui se pratiquent en France, à sçauoir les Motets, les Chansons, ou les Airs, les Passemezzes, les Pauannes, les Allemandes, les Gaillardes, les Voltes, les Courantes, les Sarabandes, les Canaries, les Branles, & les Balets, dont l'on void des exemples à la fin de ce liure, où i'en mets les definitions, ou les descriptions.
C'est pourquoy ie ne mets pas icy les tons ordinaires du chant Gregorien ; & puis ie les ay déja donnez dans la 29 proposition du second liure de la Musique imprimé l'an 1627, à la fin duquel i'ay encore mis 12 chants à deux parties sur les 12 modes : & à la fin du second liure i'ay mis vn chant figuré à deux parties du premier mode, & vn autre du second, & finalement vn autre air spirituel à 4 parties. L'on trouuera aussi les exemples des 12 tons des chants de l'Eglise à la fin du sixiesme liure Latin, qui traite des genres & des modes. I'ajoûte seulement que le 5, le 6, & le 12 me semblent les plus beaux : mais chacun peut choisir celuy qui luy agreera dauantage pour sa consolation particuliere, & mesme il en peut faire tant de nouueaux qu'il voudra.
PROPOSITION V. A sçauoir si l'on peut trouuer & prescrire des regles & des maximes infallibles selon lesquelles on fasse de bons Chants sur toutes sortes de lettres & de suiets, & si les Musiciens en ont quand ils font des Airs & des Chants. Cette difficulté est l'vne des plus grandes de toutes celles de la Musique, car puis que personne n'a encor estably de certaines regles propres pour faire de beaux chants sur toutes sortes de sujets, c'est signe que l'on n'en peut establir, car il n'est pas ce semble probable que les Musiciens qui ont vescu depuis vne si longue suite d'annees & de siecles n'en eussent estably, tant pour s'en seruir aux rencontres, que pour en faire part à leurs successeurs, comme ils ont fait des autres preceptes de cét Art. En effet les plus excellens Maistres preuueut tous les iours par experience qu'ils n'ont point de regles asseurees pour faire de bons chants, puis qu'ils ne les rencontrent le plus souuent que par boutades, & par hazard, comme ils confessent eux-mesmes ; de là vient qu'ils sont quelquefois des iours entiers sans pouuoir faire vn air, ou vn chant qui leur plaise, & qui leur satisfasse ; & d'autrefois ils en font plusieurs en peu de temps, qui leur naissent dans l'esprit suiuant les differentes dispositions de leur imagination, & de leur santé.
Il faut neantmoins auoüer que l'on peut trouuer des regles si certaines, que l'on ne manquera iamais à faire de bons chants sur toutes sortes de sujets, pourueu que l'on entende la lettre ; car si le Musicien François qui n'entend que sa langue vouloit mettre de l'Espagnol ou de l'Italien en Musique, il ne pourroit pas accommoder la note à la lettre. I'auoüe qu'il est difficile de trouuer & de pratiquer les regles dont nous parlons, dautant qu'elles requierent vne parfaite connoissance de la nature des sons, & de leurs interualles, & des passions & affections que l'on desire exciter ou appaiser. Mais peut-estre que cette connoissance n'est pas impossible, soit que les anciens l'ayent euë, comme tiennent ceux qui croyent qu'Aristote, Plutarque, & les autres Autheurs ne proposent rien des especes & des effets de la Musique que ce qui est veritable, & qui disent que les Grecs auoient la connoissance du temperament des auditeurs, de la nature des passions, & des interualles ; ou que lesdits anciens n'ayent point eu d'autre connoissance que nous, ou plustost qu'ils ayent moins connu dans la Musique que les Maistres qui composent maintenant, & qui enseignent la pratique & la theorie de l'Harmonie, comme croyent plusieurs, qui ne deferent pas tant aux anciens que les autres. Car puis que l'inuention des regles pour faire de bons chants dépend de la raison, du iugement, & de l'experience, il faudroit que nous fussions dépourueus de ces facultez, & instrumens, si nous ne pouuions rien establir que par emprunt des anciens, dont ie ne veux pas icy parler dauantage, dautant que i'ay fait vn discours particulier pour examiner s'ils estoient plus sçauans que nous dans la Musique, & s'ils faisoient de meilleurs Chants, & de meilleurs Concerts.
PROPOSITION VI. Determiner de quelles regles & maximes l'on doit vser pour faire de bons chants, & en quoy les sons & les chants sont semblables aux couleurs. Si nous pouuons trouuer & establir des regles infallibles pour faire de bons chants sur toutes sortes de sujets, nous ferons ce qui est de plus difficile & de plus [p099] excellent dans la Musique : car quant à la composition de deux, ou plusieurs parties, l'on en trouue assez qui y reüssissent, mais l'on n'en trouue point, ou du moins l'on en rencontre fort peu qui fassent de bons chants sur tous les sujets qu'on leur propose. Et si l'on demande pourquoy il est plus difficile de faire vn bon chant que d'ajoûter des parties au chant qui est déja fait, & de composer à deux, ou plusieurs parties, ie responds qu'il faut estre plus sçauant pour faire de bons chants, que pour composer à plusieurs parties, comme l'on pourra facilement conclure du discours qui suit.
Ie ne crois pas qu'il faille d'autres regles pour faire de bons chants sur toutes sortes de sujets, car la suite des degrez & des interualles des sons qui composent le chant, & la cognoissance du mode dont il faut vser, sont comprises dans la seconde regle [de cette proposition] ; & toutes sortes de vers, & de mouuements sont contenus dans la premiere : quant à la bonté de la voix, & à la prononciation, elles n'appartiennent pas aux regles des chants, mais à la methode, & à la maniere de chanter, & au Chantre, dont nous parlerons ailleurs. Quant à la relation des sons qui composent le chant, comme celle du Triton, & de la fausse Quinte, qui sont quasi les seules relations mauuaises tant au plain chant, que dans la Musique (encore que ces interualles, & tous les autres puissent entrer dans les recits, lors que le sujet le requiert) il en faudra parler dans le liure de la Composition.
Il faut seulement icy remarquer que les chants sont semblables aux nuances des couleurs, qui se suiuent tellement que l'on ne passe pas d'vne extremité à l'autre sans passer par celle du milieu. C'est pourquoy l'on peut s'instruire pour faire de bons chants par la consideration desdites nuances ; car comme l'on a sept interualles, ou huit sons dans l'estenduë de l'Octaue, dont on a coustume d'vser ; de mesme l'on prend pour l'ordinaire sept ou huit couleurs pour chaque nuance, comme l'on experimente à la nuance du pourpre, du bleu, & du vert de tulipe, ou de citron ; de sorte que l'on peut comparer chaque chant à chaque nuance, si n'est que l'on veüille rapporter tous les chants de l'vn des genres de Musique à vne espece de nuance : par exemple, les chants dont on vse dans nostre Diatonique, à la nuance de verd, & ceux des autres especes du genre Diatonique aux autres sortes de nuances.
Or l'on pourroit choisir les huit principales especes de nuances, à sçauoir les trois des trois sortes de verds, & les nuances du bleu, du iaune, du rouge, du colombin, & du pourpre, pour les comparer aux huit especes de la Diatonique : si ce n'est que l'on aime mieux diuiser toutes les nuances, comme toutes les especes de Musique, en trois genres, à sçauoir en la nuance du verd, du iaune, & du rouge, dont chacune en contiendra plusieurs autres, comme chaque genre de Musique contient plusieurs especes. A quoy l'on peut ajoûter que si l'on fait des chants de douze degrez dans l'Octaue en la diuisant par demitons, que l'on a semblablement des nuances de douze couleurs, comme celle du rouge ; & qu'vne nuance peut auoir autant de couleurs que l'Octaue de sons, ou d'interualles, car l'vne & l'autre peuuent estre diuisees en vne infinité de degrez.
D'où l'on peut conclure que la Mese est le son le plus agreable de tous, puis qu'il participe également du ciel & de la terre, comme fait le verd naissant, lequel est composé d'égales parties du bleu & du iaune. Mais si l'on compare les interualles de Musique à deux couleurs, l'on peut considerer si le bleu ou le iaune estant comparé auec le verd font aussi bon effet que le proslambanomene, ou la Nete comparees à la Mese, auec laquelle elles font l'Octaue ; & si l'on compare les chants aux nuances des couleurs, l'on peut supputer de combien de sortes de couleurs il faut vser depuis le bleu, ou le iaune iusques audit verd pour y passer insensiblement, ou le plus agreablement qui se puisse faire ; & qu'elle proportion il y a entre ces couleurs d'approche, afin de remarquer si les passages que l'on fait du proslambanomene ou de la Nete à la Mese, doiuent estre remplis dautaut d'interualles, & qui ayent des raisons égales ausdites couleurs, afin de faire le plus beau chant de tous les possibles, & de le chanter parfaitement.
Or il n'y a rien dans la Musique plus semblable à la lumiere que le son aigu, parce qu'il comprend tous les autres qui viennent de sa diuision, ou de sa diminution iusques à ce qu'il retourne dans le silence ; car s'il perd vne 24 partie de son mouuement il fait le demiton mineur ; s'il en perd vne 15 il fait le majeur ; si vne 9, [p102] ou 10, il fait le ton mineur, ou majeur, & s'il en perd la moitié, il fait l'Octaue, & ainsi des autres, iusques à ce que les rayons, ou les influences de ses mouuements, qu'il depart aux autres sons, soient tellement diminuez qu'il paruiennent au proslambanomene, qui tient le plus du silence, comme le noir tient plus des tenebres que nulle autre couleur, à raison de l'affoiblissement des rayons lumineux qui le produisent, ou qui le font paroistre.
Il faut encore remarquer qu'il y a plusieurs couleurs qui se nuent, comme il y a plusieurs genres & especes de Musique ; & que l'on peut comparer les degrez de chaque espece de Musique auec la nuance de chaque couleur ; par exemple, la nuance du verd, du iaune, & du rouge auec les degrez du genre Diatonic, Chromatic, & Enharmonic, car les chants peuuent finir par la voix la plus graue, ou la plus aigue, comme la nuance de chaque couleur finit d'vn costé par le noir, qui represente l'ombre, les tenebres, & le silence ; & de l'autre costé par le blanc, qui represente l'esclat de la couleur, la lumiere, & la vistesse des sons aigus.
Quant au chant que l'on considere comme oüy, & receu par les oreilles d'autruy, il n'est pas plus aysé de le rendre parfait que quand il est consideré en l'autre façon ; car les temperaments particuliers, & les humeurs & inclinations des hommes estant aussi differentes qu il y a de personnes au monde, il est impossible de trouuer vn Air qui plaise également à tous, & d'apporter ce souuerain degré de plaisir que l'on attend d'vn chant de Musique parfaitement agreable. Tel se plaist à vne seule voix qui ne peut goûter la perfection d'vn Concert, & vn autre au contraire : l'vn n'estime pas les voix si elles ne sont iointes aux Instruments, & vn autre n'approuue ny les Instruments à vent, ny ceux qui se seruent de chordes. Quelques-vns se plaisent à vne Musique douce, les autres à vne plaine, forte, & massiue : il en est comme des viandes, chacun a son goust, ou pour mieux dire, comme de l'Eloquence, l'vn l'aime plaine, & diffuse, l'autre concise & nerueuse : Tel se plaist aux vers lyriques, qui ne sçauroit goûter les heroïques : A peine se trouue-t'il deux hommes qui aiment & qui suiuent vn mesme stile. Il en est ainsi de la Musique, car le melancholique aime vn autre air que le bilieux ; & entre les diuersitez des melancholiques il se rencontre diuerses inclinations aux airs & aux chants de Musique.
Or ie croy que toutes les considerations que i'ay rapportees dans ce discours font voir assez clairement que le meilleur chant de tous les possibles ne peut estre fait par nos Musiciens, & qu'ils ne pourroient mesme iuger s'il est le meilleur de tous, encore qu'ils l'eussent rencontré par hazard : C'est pourquoy il n'est pas besoin de nous estendre dauantage sur ce sujet, dont nous parlerons encore ailleurs ; comme lors que nous examinerons si l'on peut iuger quel est le meilleur de deux, ou de plusieurs chants proposez : car bien que l'on ne puisse pas faire le meilleur chant de tous les possibles, parce que si les hommes auoient fait vn chant où ils ne peussent plus rien desirer, nous pourrions encore dire que Dieu ou les Anges le peuuent rendre meilleur. Ce qui n'empesche pas neantmoins que l'on ne puisse establir des regles propres pour faire de bons chants, autrement il faudroit confesser que les Maistres de Musique ne peuuent faire vn bon chant que par rencontre & par hazard, & que les ignorans en peuuent faire d'aussi bons qu'eux, ce qui est difficile à croire : Et l'experience ne nous fait point voir de chants composez par les païsans qui soient aussi bons que ceux de Guedron, & des autres Maistres, dont le principal exercice consiste à composer des chansons & des airs.
COROLLAIRE Puis que la beauté des airs consiste particulierement dans leur varieté, & qu'il y en a qui croyent que l'on ne peut plus faire de chants qui n'ayent déja esté faits, il faut considerer cette diuersité, & monstrer que tous les hommes du monde n'ont pû faire tous les airs contenus dans la main Harmonique, ou dans le systeme & l'échele ordinaire de Musique, encore qu'ils eussent fait tous les iours mille chants differens depuis la creation du monde iusques à present, comme il sera aisé de conclure par les propositions qui suiuent […]
IL n'y a rien de plus difficile que de trouuer la definition des choses dont on veut parler ; ce qui arriue icy : car la nature de la chanson est aussi difficile à connoistre, comme elle est facile à oüir. Or il faut remarquer que la diction air dont on vse pour signifier le chant, se prend en plusieurs manieres ; car elle signifie premierement le troisiesme element, qui s'étend depuis la surface de la terre iusques à la Lune […] Secondement, l'air signifie la maniere dont on parle, on interroge, ou l'on répond, particulierement si l'on parle en cholere ; car nous disons qu'on a répondu d'vn tel air, &c. Ce qui signifie presque la mesme chose que le ton de la voix, ou l'accent auec lequel on répond. Cette diction peut auoir plusieurs autres significations, selon les diuerses choses ausquelles on la peut accommoder, par exemple aux visages : car quand quelque tableau ou quelque personne ressemble à vn autre, nous disons qu'il en a de l'air. Mais la troisiesme signification est quand elle exprime la mesme chose que la chanson, ou le chant dont nous nous seruons pour chanter quelques fantaisies, soit que nous prononcions quelques paroles, ou que nous chantions sans paroles auec les notes de la Musique, ou en quelqu'autre maniere. Cecy estant presupposé, ie dy que la definition que i'ay mise dans cette proposition comprend tout ce qui appartient à l'essence du chant : premierement la deduction, ou conduite de la voix est le genre, car le chant a cela de commun auec les harangues, les discours & les paroles dont nous nous seruons en parlant les vns aux autres.
Secondement i'ay dit, ou des autres sons, parce qu'on peut ioüer les Airs sur les Instrumens de Musique. Tiercement i'ay ajoûté, par de certains interualles naturels ou artificiels, ce qui fait que les chants sont differens d'auec les discours qui n'ont point d'interualles certains, par lesquels nous montions ou descendions en parlant, encore que la voix monte ou descende sans qu'on prenne garde aux interualles qu'elle fait. Neanmoins quelques-vns croient que si nous éleuions nos voix selon que requiert le discours que nous tenons, & que nous fissions tous les interualles necessaires pour persuader ce que nous disons, que nous ferions des merueilles ; particulierement si nous aioûtions les accens propres à cet effet, comme i'ay dit dans le traité de la Musique Accentuelle.
Quatriesmement, i'ay dit naturels, ou artificiels [dans le titre de cette proposition], dautant que nous appellons les interualles naturels, qui sont faits par tout le monde, c'est à dire aussi bien par le Berger qui est au bois, ou à la campagne, comme par les Musiciens, tels que sont les interualles de la Diatonique : mais les artificiels ont esté inuentez par les Musiciens pour embellir leur art, & pour enrichir leurs chants, comme sont le demiton mineur, la diese, &c. qui ne se pratiquent point hors de la Musique, si ce n'est par hazard.
Neanmoins il n'y a nul discours tellement reglé qu'il monte ou descende par tous les interualles des airs, à sçauoir par tons, & demitons, &c. car il monte le plus souuent par des interualles insensibles, ou inconnus, quoy que l'on peût les discerner si l'on y prenoit garde : or tous les interualles des airs ou des chansons sont si bien reglez, qu'on ne manque iamais à les faire en tous les lieux où ils sont marquez ; d'où l'on a pris le prouerbe, cela est reglé comme vn papier de Musique : ce qui monstre que les Airs, & par consequent la Musique, garde vn ordre beaucoup mieux reglé que les discours qui n'ont rien d'arresté, & qui suiuent l'imagination, & l'intention de celuy qui parle.
Ce qu'Euclide a reconnu & remarqué au commencement de son traité de la Musique, quand il dit que le discours se sert d'vne voix continuë, qui ne cesse & ne se repose point iusques à ce que le discours soit acheué, & qui ne garde aucune regle certaine aux interualles en haussant ou baissant le son : mais le mouuement ou la deduction de la voix, ou du son qui fait les airs & les chansons, & qu'Euclide appelle Diastematique, ou Interuallaire, ne se conduit pas par des interualles continus, mais elle passe tantost d'vn ton à vn diton, tantost de la Tierce à la Quarte, ou à la Quinte, &c. & s'arreste quelquefois l'espace d'vn, [p092] deux, trois ou quatre battemens du poux, selon les regles & les pauses de la Musique, & selon la dignité du sujet.