Combien s'estend le mot de Musique, et combien telle discipline est subtile, et estimable, je le pourray [p9] dire ailleurs, et d'en toucher ici davantage seroit répeter ce que j'ay ja escrit en l'un de mes discours Filozophiques, auquel j'essaye de prouver la Musique contenir toute discipline et la Temperance toute vertu. Aussi meintenant veu-je seulement traiter celle partie de Musique qui s'excerce par la voix [...]
Ce commencement de harangue melancolique et pleintive (dit elle) tend bien loin du musical entretien, lequel vous m'avez promis. L'ocasion de ma promesse (ajoutay-je) fondee sus une melancolie aparue au dehors, par l'abondance du dedens, n'auroit vray efet si je la déguisois : aussi ne sont plus vivement les pleintes exprimees qu'alors que la Musique veut servir de truchement, tant elle est propre à emouvoir comme à moderer les passions.
Nonobstant que la Musique (dit elle) soit en basse et vulgaire estime pour ce tems, si me donnez vous envie d'en ouir quelques chose : puis que sa connoissance est de si excellente eficace en l'elevacion de l'ame par aliance avec la fureur Poétique, et de ce, Solitaire, je vous prie de me satisfaire.
[...] vray est que je debatrois une chose trop confessee entre les doctes si je me travaillois de recueillir les argumens desquelz l'honneur et le merite de la Musique et de la Poësie sont soutenuz : mais aussi je me declairerois homme de trop fraile connoissance, doutant que l'une et l'autre ne soient en ce tems deprisées, et contees pour un rien [...]
Mais la Musique, demeuree par je ne say que desastre sans plus louable nom, que celui qu'un chantre vagabond et sans savoir, ou un mercenaire menestrier lui en aura aquiz, me semble traitee trop indinement : et ne puis ne me pleindre, de voir entre les notres si bon commencement d'introduccion aus autres disciplines, et en cete, rien : comme si nous en estions incapables, ou si les Grecs et les Latins devoient defendre cette partie [p11] de Filozofie, à ceus qui ne seroient adoptez en leur famille.
Aussi savez vous qu'ainsi que la luite, la course, le saut, l'escrime et telz autres excercices, estoient reçuz pour necessaire entretien de la santé corporelle, la Musique servoit d'excercice pour reduire l'ame en une parfette temperie de bonnes, louables, et vertueuses meurs, emouvant et apaisant par une naive puissance et secrette energie, les passions et afeccions, ainsi que par l'oreille les sons estoient transportez aus parties spirituelles [...]
[Le mot de Musique] est quelquefois miz en usage pour ce que vous diriez une proporcion, symmetrie, concorde, et amitié des corps celestes et de Nature universelle, tant en l'Univers universellement que particulierement d'un particulier à un particulier corps, d'où procèdent sous les noms de Musique mondeine et Musique humeine, certeines les plus curieuses que necessaires consideracions [...]
[...] aussi n'en alleguè je davantage pour ne faire ainsi que quelques uns, qui se vantans de parler de Musique, apres un grand amaz de telz noms, se sont tuz, pensans nous avoir apris un aussi grand secret que les marteaus, à Pythagore.
Il seroit long à dire comme la Musique ha esté traitee diversement, ayant un tems demeuree contente d'une seule voix, ou pour le moins d'une simple mesure egale, telle que le plein chant de noz chantres, et l'exclamacion des sept voyelles aspirees par les premiers et religieus Egypciens pour la sainte louenge du nom secret de Dieu.
Mais à fin que telle diversité vous soit evidente, ayez en memoire que les Musiciens en faveur de la facilité de leur discipline connoissans les voix (nommees par les premiers phtongues) elemens de Musique, estre nues, et simplement voyelles prononcees sans ordre, loix, ou aucune regle : inventererent des noms, sillabes, et sines, pour plus facilement discerner la diversité des voix : comme les premiers disoient Hypate, Mese, Nete : les autres Archos, Deoteros, et ainsi de suite : et meintenant les sillabes entre nous sont, ut, re, mi, fa, sol, la.
Musique est une disposicion de sons proporcionnables, separez par propres intervalles, laissant aus sens et à la raison une vraye preuve de certeins nombres et mesures de voix, et de son, pour s'accomplir elle considere, les sons, harmonies, consonances, tons, intervalles, diastemes, systemes, genres, ou especes, muances, modulacions, et autres telz mots propres à elle, desquelz les sinifiances ne vous demeureront inconnues.
Des tons, les Anciens ont dit l'un estre unison assavoir quand il resonne tout un que celui auquel il est raporté : l'autre dissonant assavoir quand il sonne inegalement à celui auquel il est raporté : desquels ceus qui coulent si pres de l'unisonance que l'élongnement de l'un à l'autre est obscur et incomprehensible, ne servent à mon propos, mais ceus que les Anciens ont nommez difiniz, et desquelz l'on peut aisement discerner l'espace du mouvement, servent de fondement necessaire à la Harmonie, et aus acors de Musique : car la Harmonie, naist de proporcion, et la proporcion doit estre raportee à quelque chose : feingnez qu'un ton soit acommodé en proporcion d'un unison, ne demeurera pas tel acouplement de deus sons egaus, sans Harmonie ? il faut donq à fin que de la proporcion des deus, la Harmonie procede, que l'un soit diferent à l'autre [...]
Quant au mot intervalle, il n'est necessaire de declairer en combien de sortes il est pris generalement, et sufira qu'en Musique c'est la distance (quelque difinicion que l'on lui donne autrement) d'entre le ton aigu ou haut, et le ton grave ou bas, diversifiee en plusieurs sortes, ainsi qu'en un ton, qui est l'intervalle d'un Son, à son prochein Son : comme depuis ut, jusques à re. Demi ton petit est l'intervalle d'un Son à son prochein, non entier, comme depuis mi, à fa. Diton, sinifie une tierce parfette de noz Musiciens, contenant deus tons : comme ut, mi, [p17] ou, fa, la et faut noter que cet intervalle est necessaire en une sorte de Musique nommee Enharmonique.
Presquediton, ou Demiditon, sinifie une tierce imparfette, contenant un ton, et un demi ton petit, comme, re, fa, ou, mi, sol, propre à une autre sorte de Musique nommee Chromatique.
[...] espece de Musique est certeine generale façon de melodie, montrant les diferentes formes des Tetracordes diferens l'un de l'autre, par eslongnement ou procheineté des sons.
[différentes espèces de Musique :] L'une est Diatonique, et se poursuit continuellement en un demi ton petit, et deus tons entiers suyvans : la seconde est nommee Chromatique (comme on diroit coloree) et s'eslieve par deus demiz tons inegaus en ses deus premiers intervalles, et au troisieme par un Presquediton ou Demiditon qui sinifie trois demiz tons inegaus : la derniere [...] est Enharmonique (vous pourriez dire de parfette Harmonie) composee en ses deus premiers intervalles, de la moitié d'un demi ton petit, nommee Diese, ou Diachisme ; et au dernier intervalle de son Tetracorde, d'un Diton, c'estadire deus tons.
La Diatonique eslevant sa voix plus vehementement et en plus choisissable proporcion, d'autant qu'elle convient plus à la naturelle prononciacion est demeuree jusques à notre tems et est encores familierement usitee : mais non pas la Chromatique, ni l'Enharmonique : desquelles celle ne se laisse traiter qu'avec tant exquis et dificile artifice, qu'elle semble estre reservee pour les doctes : et cete requiert une tant diligente et laborieuse perspicacité, qu'à peine ha elle esté pratiquee par les plus excellens professeurs de Musique [...]
Mais pour retourner à la diference des intervalles composez, il faut noter que cete diference n'est commune à toutes les Especes de Musique : car en la Diatonique, Presquediton est composé, et non pas en la Chromatique ; le ton est composé en la Chromatique, et non pas en la Diatonique ; En l'Enharmonique, Diton est simple, et non pas en la Diatonique, ni en la Chromatique : d'ou il faut noter que le plus grand intervalle simple, est Diton : et le moindre composé est, Demi ton petit.
Ainsi connoissez vous une autre diference entre les intervalles pour la diversité des Especes de Musique, les uns estans Diatoniques, les autres Chromatiques et les autres Enharmoniques : et ce sufira pour entendre ce mot, si j'ajoute que tout Diasteme peut estre nommé intervalle, et non pas au rebours : car Diasteme est une distance composee de deus ou plusieurs intervalles, et faut que le Diasteme contienne pour le moins entre ses deus extremitez deus intervalles de toute espece que ce soit.
La onzieme [corde], Paranete diezeugmenon, c'estadire la procheine de la plus haute du Tetracorde diezeugmenon est notre D, la, sol, re : et reçoit mesme mutacion selon la diverse espece de Musique que fait Lichanos, observance qu'il ne faut oublier pour entendre la disposicion de la troisieme corde de chacun Tetracorde.
Et parce que la musique ayant quelques temps continué, en fin elle cessa pour laisser ouyr les voix de ceux qui chantoient. Quand ce vint à mon rang, je chantay les vers que je vous vay dire, pour asseurer Florice que tout ce que je luy avois dit estoit veritable. Sonnet […]