C'est pourquoy les airs peuuent representer les diuers mouuemens de la mer, des cieux, & des autres choses de ce monde, d'autant qu'on peut garder les mesmes raisons dans les interualles de la Musique qui se rencontrent aux mouuemens de l'ame, du corps, des Elemens, & des cieux. De là vient que la Musique sert plus à la vie Morale, & est plus propre pour les moeurs que la peinture, laquelle est comme morte, mais la Musique est viuante, & transporte en quelque façon la vie, l'ame, l'esprit & l'affection du Chantre, ou du Musicien, aux oreilles & dans l'ame des auditeurs.
Ce qui a peut estre esté cause que l'Eglise des Iuifs, & des Chrestiens en la Loy écrite, & en celle de grace s'est seruie de la Musique, afin de transporter les esprits des fideles iusques au ciel, & de faire vne heureuse alliance de nos coeurs & de nos voix auec la Musique celeste des Bien-heureux, car il est raisonnable que toutes les creatures se seruent d'vn mesme concert pour chanter les loüanges, & pour annoncer les grandeurs & les merueilles de leur Createur.
On peut reduire toutes les sortes de chants à trois genres, à sçauoir à la Chanson, ou Vaudeuille, au Motet, ou à la Fantaisie, & à toutes les especes de danceries ; ou à douze sortes de compositions de Musique, à sçauoir aux Motets, Chansons, Passemezzes, Pauannes, Allemandes, Gaillardes, Voltes, Courantes, Sarabandes, Canaries, Branles, & Balets, dont ie mets icy la definition ou la description, & l'origine auec vn exemple de chacune, afin que tous les puissent comprendre tres-aisément.
Or cette grande facilité fait appeller les chansons Vaudeuilles, parce que les moindres artisans sont capables de les chanter, dautant que l'autheur n'y obserue pas ordinairement les curieuses recherches du contre-point figuré, des fugues, & des syncopes, & se contente d'y donner vn mouuement & vn air agreable à l'oreille ; ce que l'on nomme du nom d'Air, comme de sa principale, & presque seule partie : au lieu que le Motet ou la Fantaisie est vne pleine Musique figuree, & enrichie de toutes les subtilitez de cette science.
On l'appelle Motet, parce que l'on vse d'vne periode fort courte, comme s'il n'y auoit qu'vn mot à dire ; ce qui arriue quand on veut signifier quelque discours fort bref, lequel mot estant mis en Musique s'appelle Motet. Et lors que le Musicien prend la liberté d'y employer tout ce qui luy vient dans l'esprit sans y exprimer la passion d'aucune parole, cette composition est appellee Fantaisie, ou Recherche.
Quant aux danceries, il y a plusieurs especes qui appartiennent à la Musique Metrique, dautant qu'elles sont sujettes à de certaines mesures, ou pieds reglez & contez : & l'on en peut inuenter vn nombre infiny selon les inuentions qui naissent tous les iours dans les esprits de ceux qui s'en meslent. I'expliqueray seulement dans cette proposition, & dans les deux autres qui suiuent celles qui nous sont connuës, & qui sont particulieres à la France, ou naturelles aux autres nations dont nous les auons tirees.
Cette Proposition n'est pas inutile, car estant bien expliquée elle nous fera cognoistre la nature de l'homme, ou de la Musique. Or il semble que l'on ne doit pas douter que les chansons gayes ne soient plus agreables que les tristes, puis que tous les hommes desirent de se resiouyr, & fuyent la tristesse qui ruine la santé & l'oeconomie du corps ; de là vient que le Sage a dit que la tristesse desseiche les os, Tristitia exsiccat ossa.
Quant aux raisons contraires que i'ay rapportées en faueur des Chants gays, l'on peut premierement respondre que la tristesse que l'on conçoit des chants lamentables, ne destruit pas le temperament, & que si elle l'altere, que l'esprit ayme mieux frustrer le corps de quelque volupté, & luy faire perdre quelque chose de son temperament, que de se priuer du grand contentement qu'il reçoit des Chants lugubres. Mais pour entendre cecy, il faut remarquer que la Musique separe en quelque maniere l'esprit du corps, & le met dans vn estat, où il est plus propre à la contemplation qu'à l'action, & consequemment que le Chant venant à cesser, il se trouue tout estonné de se voir priué du grand contentement qu'il receuoit dans l'estat d'abstraction, où la Musique l'auoit transporté.
Or l'on peut conclure de tout ce discours, que les airs gays sont plus propres pour exciter la ioye exterieure, qui empesche les fonctions de l'esprit, & particulierement celle de la contemplation : & que les tristes sont plus propres pour produire la ioye interieure, que l'entendement reçoit dans son abstraction, & dans sa retraite. Car les humeurs terrestres & grossieres se dissipent & tombent en bas à la presence des airs lugubres, comme les vapeurs qui obscurcissent l'air, tombent à terre, & s'esuanouyssent à la presence du Soleil : de sorte que l'esprit demeure libre, & gouste mieux le plaisir de la Musique ; & comme s'il commençoit à se separer du corps, il est rauy par vn eschantillon de la beauté des idées eternelles.
Surquoy il est bon d'auertir les Maistres de Chœur qui composent les motets, & les autres pieces de Musique, dont la lettre est latine, que tout ce qu'ils feront chanter aura beaucoup plus de grace s'ils obseruent les syllabes longues & briefues, d'autant qu'ils rencontreront quasi toutes sortes de vers sans les chercher, dont Ephestion & les autres ont vsé : quoy qu'ils ne soient pas tellement obligez à faire toutes les longues & les brefues, qu'ils ne s'en puissent dispenser, comme ils font en allongeant la premiere syllabe briefue de chaque diction, en imitant la prononciation de la Prose, par exemple, on allonge la premiere syllabe de Dominus, & de Deus, &c.. Or ceux qui entendent le Latin receuront vn singulier plaisir à la lecture des six liures que sainct Augustin a fait de la Musique, & verront l'estat qu'il fait des mouuemens Rythmiques, comme il les trouue, & les remarque en toutes les choses du monde, & comme il esleue l'esprit à Dieu par leur moyen ; c'est ce que ie desire semblablement que facent ceux qui liront ces liures des Chants, afin qu'il n'y ayt nulle recreation, d'où l'on ne tire du secours pour porter la volonté à son deuoir, qui consiste particulierement à adorer les Decrets eternels de la Diuine maiesté. Ceux qui voudront apprendre les regles particulieres qui seruent à faire des airs, & des chants propres pour esleuer l'esprit à Dieu, les trouueront dans les liures de la Composition & de l'art, ou de la Methode de bien chanter. F I N.
La seconde [chose], à laquelle on doit prendre garde, est que ie ne repete point icy plusieurs choses que l'on pourroit desirer, parce que i'en ay fait des Traitez particuliers : par exemple ie ne mets pas les diuisions, les definitions & les descriptions des differentes especes de Musique, d'autant que ie les ay données dans les 17 premiers Theorêmes du premier liure du Traité de l'Harmonie Vniuerselle imprimé l'an 1627, où ie les explique si amplement qu'il est difficile d'y adiouster, soit qu'on regarde le sujet, & l'objet tant materiel que formel de la Musique, à sçauoir le Son dont ie parle tout au long dans le 7, 8, 9 & 10 Theorême : ou que l'on considere l'Harmonie Speculatiue, Diuine, Creée, Mondaine, humaine, Instrumentale, &c. A quoy l'on peut adiouter les deux Autheurs Grecs que i'ay torné en François, à sçauoir Bacchius & Euclide, dont i'ay donné la Musique toute entiere dans le 17 Theorême auec des Tables particulieres pour en faciliter l'intelligence. Et puis i'ay donné tous les principes de la Musique tant Theorique que Practique dans les autres Théorèmes qui fuiuent, iusques au 30, qui comprend ce que Salinas a de meilleur dans ses liures. Quant au second liure il contient toutes les comparaisons qui se peuuent faire des Sons, & de l'harmonie auec toutes les choses du monde qui sont proportionnées, de sorte qu'il n'est pas aysé d'adiouster aux 15 Theoremes dudit liure.
I'ay encore traité de plusieurs autres difficultez touchant ce sujet, dans deux liures particuliers, à sçauoir dans les Preludes de l'harmonie, & dans les Questions Harmoniques l'an 1634, par exemple quel doit estre l'Horoscope du parfait Musicien, où ie monstre par les principes de l'Astrologie que l'on ne peut rien predire du temperament, ou de la vie des hommes par la cognoissance que l'on a des Astres, & où ie mets trois horoscopes d'vn parfait Musicien selon l'opinion de trois excellens Astrologues de ce siecle. I'ay traité aussi du temperament, de la capacité & de la science que doit auoir vn parfait Musicien ; du Iuge des concerts, si c'est l'oreille, ou l'entendement ; s'il est expedient d'vser du genre Enharmonic, par quel endroit se romperoit vne chorde esgale en toutes ses parties, laquelle seroit tirée esgalement : pourquoy les Grecs ont reglé toute leur Musique sur les Quartes ; pourquoy les Sons seruent à former les mœurs des hommes : quel iugement l'on doit faire de ceux qui hayssent la Musique, & si elle merite l'attention des hommes d'vn grand iugement & d'vn bon esprit : s'il appartient aux sçauans ou aux ignorans de iuger de la bonté des concerts : si la Theorie est preferable à la Pratique : fi les Grecs ont esté meilleurs Musiciens que les François, & d'où vient que la nature & les hommes se plaisent à la diuersité, dont ie parle dans la 14 Question Physique. le laisse ce que i'ay dit des raisons, des proportions, des medietez, des tons, & de tous les autres moindres, ou plus grands interualles de la Musique dans le second liure de la Verité des Sciences imprimé l'an 1625, & dans la 56 & 57 question diuisée en dix-sept Articles, inserée dans le Commentaire sur la Genese, où l'on void quasi tout ce qui concerne l'harmonie.
Cevx qui ne prennent nul plaisir à la Musique, ou qui tiennent toutes choses indifferentes, nient qu'il y ait des Consonances, ou des Dissonances, tant parce qu'ils ne prennent nul plaisir aux vnes et aux autres, que parce qu'ils n'estiment rien d'agreable ou de des-agreable dans la nature, dautant que ce qui plaist à l'vn déplaist à l'autre.
Et puis, quel plaisir y a t'il d'apperceuoir que l'air est battu deux ou trois fois par vne chorde, pendant qu'il est battu quatre ou six fois par vn autre ? L'oreille & l'imagination n'est-elle pas plus contente de demeurer en repos que d'estre trauaillee par quarante-huit battemens d'air d'vn costé, & par nonante & six de l'autre, comme il arriue lors qu'on fait l'Octaue ? D'ailleurs, pourquoy les battemens qui font la Seconde ou la Septiesme mineure, sont-ils plus des-agreables que ceux qui font la Quinte ou la Tierce ? Certainement cette difficulté n'est pas l'vne des moindres de la Musique ; car si le vray plaisir consiste à conseruer ou à faire croistre ce que nous auons, il est difficile de monstrer que les battemens d'air qui font les Consonances, aident à nostre conseruation, et augmentent la perfection du corps ou de l'esprit, puis que l'on experimente que ceux qui n'aiment pas la Musique, & qui la tiennent inutile, ou tout au plus indifferente, ne sont pas moins parfaits du corps & de l'esprit que ceux qui l'aiment auec passion. Neanmoins il est bien difficile de rencontrer des hommes qui prennent autant de plaisir à oüir vne Dissonance, par exemple la Seconde, ou le Triton, comme à oüir l'Octaue & la Quinte. Et bien que l'on en puisse trouuer qui maintiennent qu'il n'y a point de plaisir à oüir les Consonances, ou qu'il n'y a point de Consonances, ny de Dissonances, ils seront contraints d'auoüer que le Triton, ou les Secondes sont plus des-agreables que la Douziesme, ou l'Octaue, s'ils se donnent le loisir de considerer & d'oüir ces interualles, et consequemment s'ils ne veulent pas confesser qu'il y a des interualles agreables, ils auoüeront qu'il y en a de plus agreables les vnes que les autres, ou qu'ils s'imaginent [p002] quelque chose de moins des-agreable dans l'Octaue que dans le Triton ; & s'ils n'osent rien asseurer, de peur de faire tort à la liberté Pyrrhonienne, & de perdre l'Vnisson & l'equilibre de leur esprit, dont ils vsent pour suspendre leur iugement, ils n'oseront pas nier que les interualles dissonans ne soient des-agreables, & que les Consonances ne soient agreables, puis qu'ils craignent autant l'affirmation que la negation.
Mais puis que tous les autres auoüent & asseurent que les interualles que nous appellons consonans sont agreables, & que les dissonans sont des-agreables, et que nous auons d'assez bonnes raisons pour prouuer cette verité, il n'y a nul danger d'asseurer qu'il y a des Consonances et des Dissonances, dont ie traiteray amplement dans ce liure, quand i'auray respondu aux obiections precedentes, dont la premiere oppose tous ceux qui ne trouuent rien d'agreable dans la nature, ce qui ne peut arriuer […] Ceux qui desireront voir d'où l'on doit prendre le iugement des sons, et de leur agreement, pourront lire la 6 question des Preludes de l'Harmonie, où ie determine si le sens de l'oüye doit estre le iuge de la douceur des Concerts, ou si cét office appartient à l'entendement : & puis i'ay rapporté beaucoup de choses sur ce sujet dans la premiere question Harmonique, dans laquelle i'examine fort amplement si la Musique est agreable, si les hommes sçauans y doiuent prendre plaisir, et quel iugement l'on doit faire de ceux qui ne s'y plaisent pas, ou qui la mesprisent. […] Quant aux raisons pour lesquelles les battemens d'air qui font les Consonances sont agreables, & ceux qui font les Dissonances sont des-agreables, ie les expliqueray dans le discours particulier de chaque Consonance, et dans celuy que ie feray de la Beauté & de la Proportion qui rend les choses agreables.
Or ie donneray la raison pourquoy la Trompette fait plustost ces interualles que nuls autres dans le discours particulier de la Trompette ; car il suffit maintenant de marquer tous ces interualles dans la table qui suit, dont le premier rang contient les trois clefs de la Musique ; le second les notes ordinaires ; le troisiesme les nombres, qui monstrent tellement la raison des 6 consonances, que les plus grands signifient les plus grandes chordes : mais le dernier rang contient les nombres qui continuent tellement les raisons, que les moindres nombres signifient les retours des plus grandes chordes ; et parce qu'ils sont beaucoup moindres que ceux du 3 rang, quoy qu'ils soient les moindres de tous ceux qui peuuent continuer les raisons de toutes les consonances, il s'ensuit que la representation des battemens de l'air est plus excellente que celle de la longueur des chordes, puis que les nombres qui signifient lesdits battemens s'éloignent moins de l'vnité, qui est la source de la science, de la perfection, & du plaisir.
COROLLAIRE I. Si l'on entend la derniere figure de cette proposition, & particulierement la 2 colomne qui contient les moindres nombres, l'on pourra restituer toute la Musique, encore qu'elle fust perduë ; et l'on sçaura mieux la Theorie que tous ceux qui nous ont precedez, & qui en ont escrit : car le moindre nombre exprime le nombre des battemens de l'air, qui font le son d'vn tuyau d'Orgue de 8 pieds ; & le plus grand nombre signifie le moindre des battemens du tuyau d'vn pied : d'où l'on peut conclure le nombre des battemens que font les autres sons de la Vingt-deuxiesme, & mesmes ceux qui sont necessaires pour faire tel son que l'on voudra.
PROPOSITION VIII. A sçauoir si les moindres raisons prennent leur origine des plus grandes, ou les plus grandes des moindres ; & consequemment si les moindres interualles de la Musique, comme les tons & les demitons, viennent des plus grands, par exemple de l'Octaue, ou si l'Octaue prend son origine desdits interualles.
Cette difficulté [de savoir si les moindres raisons prennent leur origine des plus grandes ou bien le contraire] n'est pas la moindre de la Musique, car il y en a qui tiennent que les plus grandes raisons, par exemple les multiples dependent & prennent leur origine des moindres, c'est à dire des surpaticulieres, ou surpartientes, & consequemment que l'Octaue depend de la Quinte & de la Quarte, comme la raison double de la sesquialtere & de la sesquitierce, quoy que plusieurs autres soient de contraire aduis. Or ceux-là se fondent premierement sur ce que les plus grandes raisons & Consonances sont semblables aux grands nombres qui sont composez des moindres, & qui dependent de l'vnité : De là vient que le nom des Consonances est pris des nombres dont elles sont composees ; c'est pourquoy il semble que l'vnité doiue leur seruir de mesure commune, car les Tierces, la Quarte & la Quinte sont ainsi appellees à raison de leurs trois, quatre, ou cinq sons : & puis les petits interualles sont deuant les plus grands, comme l'vnité est deuant les nombres.
Il est a propos de parler de cette difficulté [déterminer si l'accord dont la raison de deux à un est appellé Octave ou Diapason], puis que nous essayons de rapporter la raison de tout ce qui se rencontre dans la Musique, dont le Diapason est l'vne des plus excellentes parties, que les Grecs ont appellé Διάπασω̃ν, parce qu'il comprend toutes les simples Consonances & les Dissonances.
Car bien que les compositions que l'on fait maintenant ayent besoin de 9 ou 12 chordes, comme sont celles de la Viole, du Luth, de l'Epinette ; ou de 16, de 19, ou de 25, comme ie diray ailleurs, neanmoins cela n'oste pas le nom à l'Octaue, dont il y a d'autres raisons, quand on ne les prendroit que des effets du nombre de huit qui a d'admirables rencontres dans la Musique, puis qu'il n'y a que huit accords & huit raisons qui les contiennent, à sçauoir l'Vnisson qui contient la raison d'egalité ; le Diapason dont la raison double est la premiere des multiples ; la Quinte qui contient la premiere des raisons surparticulieres, que l'on appelle Sesquialtere ; la Quarte qui a la sesquitierce, que les Grecs appellent Epitritos ; la Tierce majeure qui comprend la Sesquiquarte ; la Tierce mineure qui a la Sesquiquinte ; la Sexte majeure qui contient la Surbipartiente-trois ; et la Sexte mineure qui a la Surtripartiente-cinq : à quoy l'on peut ajoûter que le nombre huit represente le premier cube dont la racine est deux, & la beatitude qui est signifiee par l'Octaue, car plusieurs Psalmes ont pro octaua dans leur inscription, particulierement quand ils parlent de la beatitude, comme sainct Ambroise a remarqué au cinquiesme liure qu'il a fait sur le sixiesme chapitre de sainct Luc.
Quant au septiesme son d'apres ce graue, ils l'ont trouué de mesme nature que le second, & l'ont mis au rang de ceux dont il ne falloit rien esperer de bon. [p041] Mais ayant consideré le huictiesme ils l'ont trouué si semblable au graue, qu'il est plustost le mesme qu'vn autre. Or apres auoir consideré tous les autres qui suiuent, ils ont trouué qu'ils faisoient le mesme effet contre le 8, que les precedens contre le graue, aussi ils se sont arrestez à ce 8, & ont creu que se seroit en vain de proceder plus auant, puis que l'on peut suffisamment considerer tous les effets des sons dans l'estenduë de ces huit premiers tons, & tenans pour certain que tout ce qui arriue aux sons qui montent par dessus l'Octaue, est semblable à ce qui arriue à ceux qui sont au dessous, ils ne leur ont peu bailler de noms qui les designassent mieux que ceux de leur situation de Seconde, Tierce, Quarte, Quinte, Sexte, Septiesme, & Octaue, lesquels on ne peut changer sans mettre vne confusion dans la connoissance ordinaire de la Musique Pratique.
Neanmoins de tous les autres noms que l'on peut donner à l'Octaue, celuy des Grecs [le diapason] est l'vn des plus propres, & puis il est déja receu, car l'on sçait que le Diapason signifie l'Octaue, ou l'accord qui contient tous les simples interualles de la Musique, comme le nombre denaire contient tous les nombres ; car ceux que l'on ajoûte à dix ne sont que repetitions des autres nombres qui le precedent, comme les sons que l'on ajoûte à l'Octaue ne sont que les repetitions de ceux qui la precedent. L'Octaue peut donc estre appellee Diapason, puis que cette diction Grecque [p042] signifie par tous, dautant que l'Octaue comprend tous les sons, comme la lumiere toutes les couleurs, le cercle tous les plans, & la sphere tous les corps ; car si la lumiere produit toutes les couleurs par les differentes diuisions ou conjonctions de ses rayons (comme l'on voit dans l'arc en ciel) & la sphere tous les corps, l'Octaue produit aussi toutes les Consonances & les Dissonances par ses differentes diuisions.
Ces raisons ont empesché les Grecs d'appeller l'Octaue δἰ ἑπτα, c'est à dire par sept, encore qu'elle n'eust que sept chordes du temps de Terpandre, ou qu'elle n'ait maintenant que sept interualles naturels ; & de la nommer δἰ ἀκτώ, c'est à dire par huit, bien quelle contienne huit sons, & qu'ils ayent donné des noms à la Quinte, & aux autres Consonances qu'ils ont pris du nombre de leurs chordes, ou de leurs sons : dautant que les anciens ne mettoient que sept chordes à leurs Instrumens, comme remarque Aristote au 32 probleme de la 19 section, afin que les sept planettes eussent leurs sieges sur les chordes des Instrumens ; car la plus grosse representoit le mouuement de Saturne qui est le plus lent, & la plus deliee representoit la Lune comme la plus viste ; & celle du milieu, dont Aristote parle si souuent, comme au probleme 20, 25, 30, & 45, representoit le Soleil. L'Octaue peut donc estre nommee Diapason, puis que nous iugeons de toute la Musique par l'Octaue, comme nous iugeons d'vn bastiment entier par son fondement, et que l'on peut restablir la Musique par sa seule connoissance, comme tout l'edifice par celle de son fondement. Et puis les Facteurs d'Orgues & d'Epinettes reglent tout leur clauier sur vne mesme Octaue, qu'ils prennent ordinairement vers le milieu, comme ie diray en parlant de l'industrie dont il faut vser pour accorder l'Orgue & l'Epinette.
Mais ie parleray encore de l'Octaue en expliquant si sa raison est de deux à vn, ou à 4, ou à 8, & du nombre des tons qu'elle contient ; i'ajoûte seulement que l'on peut tirer vne nouuelle raison pour le nom de l'Octaue, de la proportion qui se garde aux tuyaux d'Orgues, & aux cloches qui font l'Octaue, car le poids & la solidité du plus grand tuyau, ou de la plus grande cloche est octuple du poids & de la solidité du moindre tuyau, & de la moindre cloche. Il faut donc retenir le nom d'Octaue pour signifier le meilleur & le plus agreable accord de la Musique, sans neanmoins rejetter le nom de Diapason.
L'Epinette tient le premier, ou le second lieu entre les Instrumens qui sont harmonieux, c'est à dire qui expriment plusieurs sons ensemble, & qui chantent plusieurs parties, & font diuerses consonances ; ie dis le premier, ou le second lieu, parce que si on la considere bien, & si l'on iuge de la dignité des Instrumens de Musique par les mesmes raisons que l'on iugeroit de la bonté des voix, sans doute on la preferera au Luth, qui est son Compediteur ; mais la commodité du Luth, sa bonne grace, & sa douceur luy ont donné l'auantage.
Or pour parler comme il faut de l'Epinette, nous deuons considerer sa matiere, sa figure, ses parties, ses chordes, ses sons, son harmonie & son vsage tant ez concerts, que lors qu'elle est consideree toute seule, ce que nous ferons succinctement, & le plus clairement qu'il nous sera possible. Quant à la Matiere, il faut considerer trois choses aux Instrumens à chorde, & comme les Anatomistes diuisent le corps humain en la teste, au thorax & aux membres, dont la teste est le siege de la raison, & le domicile des sens, & le thorax est le lieu des parties vitales, aussi peut-on diuiser toute sorte d'Instrumens de Musique en corps, en table & en manche, comme font les ouuriers.
Or ce que l'on appelle le Clauier en l'Epinette, est composé de plusieurs morceaux de bois longs & plats par le bout, qui sont arrangez selon l'ordre des tons & des demy tons de Musique, & se meuuent de haut en bas entrans dans le corps de l'Epinette ; & sur l'extremité du bout, qui est caché au dedans, il y a vn autre petit morceau de bois qui sert à toucher les chordes, & qui se nomme sautereau, à cause de son vsage, car il saute quand on iouë de l'Epinette.
Quant au clauier, il a esté ainsi nommé à cause qu'il contient toutes les clefs de la Musique : mais il est difficile de l'expliquer, & malaisé à comprendre à ceux qui n'en ont point veu, c'est pourquoy i'en donneray la figure dans les Propositions qui suiuent. Or l'on donne telle figure que l'on veut à l'Epinette, car il en arriue de mesme qu'aux horloges scioteriques, ou au Soleil, que l'on peut tracer & descrire de telle figure que l'on veut, sans preiudicier aux heures que l'on y a marquees.
Quant à celles [les chordes] d'or & d'argent, il n'est pas necessaire de les employer aux instrumens, d'autant que celles de leton ne leur cedent en rien, & qu'elles montent plus haut. Le nombre des chordes est esgal au nombre des touches, de sorte que si l'on augmente les vnes, il faut aussi augmenter les autres : par exemple, si l'on fait vne Epinette iuste, qui ayt toutes les consonances, & les dissonances en leur perfection, il faut 73. chordes, afin que chaque octaue en ait 19. comme nous monstrerons en expliquant les clauiers de l'Epinette, & au traicté de l'orgue parfait, où nous ferons voir qu'il faut 97. chordes sur l'Epinette, & autant de tuyaux sur l'orgue pour iouër à toutes sortes de tons, toutes sortes de pieces de Musique, & pour vser du genre chromatic & enarmonic.
Puis il faut tellement diuiser les Quintes en Tierces maieures & mineures, que les maieures soient vn peu affoiblies, & les mineures vn peu plus fortes que ne desire leur iustesse : & ces 10. ou 12. touches estant d'accord l'on doit mettre les autres à leurs Octaues : mais il faut expliquer plus particulierement de quelle methode l'on doit vser pour accorder cet instrument bien viste & iustement, ce que les ioüeurs estiment vn grand secret de l'art : car puis que nous traictons les sciences liberalement, nous ne deuons rien oublier de ce qui peut seruir à la perfection de la Musique. C'est pourquoy nous apporterons la maniere la plus iuste, & la plus prompte de toutes celles qui ont esté experimentees iusques à maintenant en expliquant la figure de l'Epinette.
Les Allemans sont pour l'ordinaire plus inuentifs & ingenieux dans les Mechaniques que les autres Nations, & particulierement ils reüssissent mieux à l'inuention des instrumens de Musique : ce que ie peux confirmer par la maniere qu'ils ont treuuee depuis quelque temps, pour faire ouyr des ieux entiers de Violes sur les Clauecins, quoy qu'vn seul homme en touche le clauier, comme celuy d'vne autre Epinette. Mais ils n'ont nul besoin d'archet, d'autant qu'ils mettent quatre ou cinq rouës paralleles aux touches, quoy que plus hautes que les touches : or on presse les chordes si peu que l'on veut sur lesdites rouës, qui font durer le son aussi long-temps que le doigt demeure sur la touche, & qui le renforcent ou l'affoiblissent selon que l'on presse la touche plus ou moins fort.
PROPOSITION II. Expliquer la figure de l'Epinette, & la science du Clauier tant parfaict, qu'imparfaict, & quel il doit estre pour ioüer toutes sortes de compositions de Musique dans leur parfaicte iustesse, sans vser du temperament.
Il est bien aysé de marquer toutes les Dissonances, puis qu'elles se trouuent en tous les endroits que ie n'ay pas mis. Mais puis qu'il y a tant de touches ou de lettres qui n'ont pas toutes les Consonances, & que la Quarte ou la Quinte, ou l'vne des Tierces & des Sextes manquent si souuent, il est euident que ce Clauier n'est pas assez parfait, & qu'il y faut encore adiouster de nouuelles touches, si l'on veut pratiquer le genre Diatonic en sa perfection : comme il arriuera si l'on vse du Clauier, ou de l'Octaue qui a dix-neuf marches, dont i'ay expliqué l'vsage dans les discours que i'ay fait des trois genres de Musique : c'est pourquoy ie n'en parle pas icy, & l'on peut voir ce que i'en dis dans le Liure des Orgues.
PROPOSITION IX. A sçauoir si l'on peut cognoistre la grosseur d'vne chorde d'instrument de Musique sans en faire comparaison auec d'autres chordes. Le son ne nous peut seruir pour la resolution de cette difficulté, d'autant que nous ne pouuons comparer la chorde auec d'autres chordes, ny auec d'autres sons ; & les compas sont trop grossiers pour mesurer le diametre des [p128] chordes, qui seruent aux instrumens, comme i'ay desia remarqué ; il faut donc prendre plusieurs parties de la mesme chorde, & les arranger les vnes pres des autres, iusques à ce qu'elles couurent quelque partie notable d'vn pied de Roy, ou de quelqu'autre mesure cogneuë ; par exemple, supposé qu'il faille 3 chordes pour couurir vne ligne, qui est la 1/12 partie d'vn poulce, la chorde proposée aura 1/3 de ligne de diametre : & ce qui n'estoit pas assez sensible pour estre mesuré, sera rendu tres-sensible, & facile à mesurer en cette façon : ce qui arriue semblablement à plusieurs autres choses ; par exemple, l'on a de la peine à voir, & à mesurer vn grain de sable tres-menu, & quand on le prend auec plusieurs autres, il est facile à mesurer. Mais si l'on veut empescher que la chorde ne se gaste, il faut auoir vn cylindre, sur lequel le pied de Roy soit marqué & diuisé en lignes, afin d'enuironner ledit cylindre de plusieurs tours de chorde pour couurir tout le pied de Roy, ou vne partie notable, comme le poulce, la ligne, &c.
Busbeque Ambassadeur à Constantinople pour Ferdinand Roy des Romains, recite vne chose tres-remarquable sur ce sujet dans sa premiere Epistre, à sçauoir qu'vn ingenieur, qui auoit entrepris de leuer vn obelisque sur vn piedestal, ayant recogneu que les chordes de ses Machines estoient trop longues d'vn poulce, les arrosa d'eau, laquelle les feist accourcir autant comme il falloit pour faire reüssir heureusement son entreprise, ce qui luy donna vn grand credit parmy le peuple, qui commençoit à se mocquer de luy ; & ce qui fait voir la difference d'vn ingenieur ordinaire, d'auec celuy qui cognoist la nature des choses. Quant à la grosseur, on peut trouuer de combien elle s'augmente, lors que l'on sçait le racourcissement : car supposé, par exemple, qu'elle s'acourcisse d'vne 20. partie, elle se grossira aussi d'vne 20. partie ; & si elle s'acourcit de moitié, elle se grossit de moitié ; si ce n'est qu'elle reçoiue seulement des condensations differentes souz mesme volume, de sorte qu'elle soit tousiours de mesme grosseur, & que cette grosseur soit seulement plus rare en temps sec, & plus dense & solide en temps humide. Quant à la tension, l'on en peut iuger en deux façons, premierement par le son, car si la chorde d'vn instrument de Musique monte plus haut d'vne Quarte, elle enseignera de combien sa tension s'est augmentée, c'est à dire que la tension de la chorde en temps humide sera à la tension de la mesme chorde en temps sec, comme 16 est à 9, car il faut que les tensions, & les forces qui font les tensions, soient doublées des simples raisons que gardent les interualles harmoniques, comme i'ay demonstré dans vn autre lieu.
PROPOSITION XII. Determiner quelle grosseur, & longueur doiuent auoir les chordes des instrumens pour faire des sons agreables, & dont on puisse iuger à l'oreille : & comme l'on peut sçauoir le ton, ou le son de toutes sortes de chordes, quand elle sont trop longues, trop lasches, ou trop courtes pour faire des sons, qui puissent estre ouys. L'Experience fait voir que les chordes qui sont trop longues, ou trop courtes ne font point de ton sensible, ou qu'il n'est pas agreable si elles en font ; par exemple, si l'on estend vne chorde de Luth de 12 pieds de long, elle ne peut faire de son dont l'oreille puisse iuger, c'est pourquoy ceux qui font les instrumens de Musique les proportionnent à la longueur & à la grosseur des chordes. Or la chorde dont le diametre est 1/6, ou 1/5 de ligne, comme est la plus grosse des Epinettes ordinaires, à 4, ou 5 pieds de long, & les autres sont longues & grosses à proportion de celle-la, qui leur sert de regle : de sorte qu'il faut que la longueur de la chorde soit à sa grosseur comme 3456 à 1, puis qu'il y a 3456/6 de ligne dans 4 pieds : & si l'on mesure les plus grosses chordes des plus grands Tuorbes, & des Luths, l'on trouuera qu'elles n'ont pas plus de 4 pieds de long depuis le sillet iusques au cheualet, & l'on sçaura la raison de leur longueur à leur grosseur, lors que l'on aura pris leur diametre. Mais pour sçauoir la vraye raison que doit auoir la longueur de la chorde à sa grosseur pour faire les meilleurs sons de tous les possibles, il faut supposer l'experience ; & parce que les Epinettiers disent que les chordes de mesme grosseur que les plus grosses de l'Epinette, ou du Clauecin ordinaire sonnent parfaitement quand on leur donne 4, ou 4 & demy, ou 5 pieds de long, l'on peut retenir l'vne de ses proportions ; & parce que la chorde de 5 pieds de long peut auoir 1/4, ou 1/3 de ligne en diametre, la meilleure proportion de la longueur à la grosseur sera de 2440, ou de 2160 à 1.
PROPOSITION XIII. Determiner pourquoy il y a des chordes meilleures les vnes que les autres sur les instrumens ; ce qui rend les chordes fausses : comme l'on peut sçauoir si vne chorde sonne mieux sur vn instrument que sur les autres : & comme l'on cognoist les chordes fausses. Il y a deux principales raisons pour lesquelles les chordes sonnent mieux les vnes que les autres, dont l'vne se tient de la part des chordes, à sçauoir lors qu'elles sont mal-faites, soit que la faute vienne de la part de l'ouurier, ou du temps mal propre dans lequel elles ont esté faites, ou de la matiere qui est trop seiche, ou trop humide, ou qui a d'autres mauuaises qualitez qui rendent la chorde inesgale & fausse : de là vient que l'on rencontre des chordes dont on ne peut nullement vser, à raison que l'on ne peut leur faire prendre vn ton qui soit propre à la Musique, parce que le son en est trop sourd & trop obscur. Or l'on cognoist qu'vne chorde est fausse auant que de la tendre sur les instrumens, lors qu'estant tirée par les deux bouts, elle ne fend pas l'air esgalement, & qu'elle ne fait pas paroistre vne figure semblable à vn plan parallelle [p136] ou perpendiculaire à l'horizon, quand la tension de la chorde est horizontale ou perpendiculaire.
PROPOSITION XVI. Determiner de quelle vistesse les chordes des instrumens se doiuent mouuoir pour faire vn son. Cette proposition est l'vne des plus difficiles de la Musique, d'autant que l'oreille ne peut apperceuoir les sons qui sont trop foibles, comme l'on experimente en plusieurs, qui ont l'ouye plus ou moins subtile, quoy que l'on puisse dire que toute sorte de mouuement fait du son, particulierement lors que l'air est tant soit peu violenté. Mais parce qu'il est difficile, & peut-estre impossible de prouuer que le mouuement fasse vn son, quand nulle oreille ne le peut ouyr, il suffit de monstrer quel doit estre le mouuement des chordes pour faire des sons que l'oreille puisse apperceuoir, ce qui est tres-aysé si l'on comprend ce que i'ay dit ailleurs, car puis que l'experience fait voir que les retours des chordes se diminuent selon la proportion de 12 à 11 ; & que i'ay monstré que le 132 retour n'est que la cent milliesme partie de la premiere traction, & que l'on oyt assez clairement le son d'vne chorde l'espace de 2, ou 3 secondes minutes, quoy qu'elle soit touchée tres-foiblement, & que la premiere traction ou impulsion ne soit que du quart d'vne ligne, il s'ensuit que les chordes font des sons fort sensibles, encore que leur mouuement soit bien tardif, car supposé que l'on oye lesdits sons tandis que la chorde tremble 132 fois, elle ne fera pas l'espace d'vn poulce dans le temps d'vne seconde minute, & consequemment elle ne fera pas l'espace de cinq pieds dans le temps d'vne minute, qui dure assez long-temps pour faire vne promenade de soixante pas, encore que l'on marche assez lentement, comme chacun peut experimenter.
Or chaque Octaue a 19 chordes, notes, ou caracteres, d'autant qu'on ne peut marquer la Musique à plusieurs parties sans se seruir de ce nombre dans chaque Octaue, comme i'ay prouué dans vn autre lieu. Quant à l'vsage de cette table, il est si aysé, qu'il n'est quasi pas besoin de l'expliquer, car le premier nombre de la premiere colomne, à sçauoir 6, signifie que le son le plus graue de tous les instrumens, à sçauoir le son du tuyau d'Orgue de 32 pieds, se fait par les 6 retours de la chorde, qui bat 12 fois l'air dans l'espace d'vn battement de coeur ; & les autres nombres qui suiuent, tant dans cette Octaue, que dans les 7 autres, representent tousiours le nombre des retours de chaque chorde, qui respond à chaque note, ou lettre de l'Octaue, qui est marquée à la marge : par exemple, le premier ou le moindre nombre de la 8 Octaue signifie que la plus basse chorde de la 8 Octaue fait 768. retours dans l'espace d'vn battement de poux, c'est à dire dans le temps d'vne seconde minute : & le 2 nombre de la mesme colomne, à sçauoir 800, signifie que la chorde qui a ce son, fait 800 retours dans le mesme temps. [Tablature du nombre des tremblemens que font les chordes - demy-ton mai. - demy-ton min. - comma - diese]
D'où il s'ensuit que l'on sçaura combien de fois l'air est battu par chaque chorde en regardant cette table, car si l'on veut cognoistre le nombre des battemens de chaque chorde de l'vne des Octaues, par exemple de la Cinquiesme, qui monstre le nombre des retours, il faut prendre les nombres de la 6 Octaue, qui sont doubles de ceux de la 5, d'autant que i'ay desia dit que chaque periode de la chorde est composée du tour & du retour, & consequemment contient deux battemens d'air : mais si l'on prend l'vne des colomnes pour les battemens, & non pour les retours, la colomne precedente donnera le nombre des retours : par exemple, si la 6 colomne est prise pour le nombre des battemens, la 5. donnera le nombre des retours, qui sont tousjours [p142] la moitié de chaque nombre des battemens, de sorte que les deux colomnes qui se touchent, sont reciproques. Or puis que les nombres de ces 8. colomnes suiuent, ou contiennent les raisons des degrez de la Musique, l'on en peut vser pour composer telle piece que l'on voudra, comme nous nous sommes seruis ailleurs d'autres nombres, qui ont les mesmes raisons, pour le mesme sujet ; par dessus lesquels ceux-cy ont le priuilege de monstrer tous les [p143] retours de chaque chorde, & tous les battemens d'air, dont se forment les sons & la Musique, & consequemment ils sont plus propres pour expliquer la nature de l'Harmonie, que nuls autres nombres.
Quant à la voix plus aiguë du Dessus, elle est plus haute d'vne Vingtiesme maieure que la voix precedente de la Basse, & consequemment les 4 parties de cet air comprennent la 4 & 5 colomne toutes entieres, & la 6 iusques à son A mi la re. Or la table qui suit, fait voir les mesures de chaque Partie, & les retours de chaque chorde, car la premiere colomne de chaque partie represente les chordes, ou les lettres d'où dependent les notes ; la seconde contient le temps, ou la mesure des notes qui sont sur chaque lettre ; & la troisiesme comprend le nombre des retours que font les chordes qui appartiennent à la mesme lettre. Or parce que toutes les parties chantent tousiours ensemble sans se reposer, elles ont chacune 22 mesures, comme l'on void en adioustant toutes les mesures de chaque partie. Tablature des retours ou mouuemens que font les chordes, ou les voix qui chantent l'air d'Anthoine Boësset Intendant de la Musique de la chambre du Roy, & de la Reyne. [Basse - Taille - Haute-contre - Dessus - lettres - mesures - retours].
[p144] Or si l'on adiouste les battemens, ou retours de ces 4 parties, l'on en trouuera 12560 1/3, & l'on aura tous les retours de cette chanson : ce qui est si aysé à faire à ceux qui sçauent l'Arithmetique, qu'il n'est pas besoin de nous y arrester.
COROLLAIRE II L'on peut tirer de l'vtilité de ces tremblemens, & particulierement la comparaison des mouuemens du cœur & du poux, & de plusieurs autres choses naturelles auec lesdits tremblemens ; or l'on peut considerer de combien chaque partie de Musique doit faire plus ou moins de retours l'vne que l'autre pour rendre vn concert parfait ; quoy que cette difficulté ne soit pas differente de celle que l'on propose, lors qu'on demande combien les parties doiuent estre esloignées les vnes des autres, c'est à dire combien elles doiuent estre graues ou aiguës pour faire vne excellente Musique, puis que les sons plus aigus se font par la multiplication, ou l'addition des retours, comme les plus graues se font par la diuision ou la souz-traction des mesmes retours, car toute la Musique n'est autre chose que l'addition, ou la soubtraction desdits retours, ou des battemens de l'air, comme i'ay desia remarqué dans vn autre discours.
COROLLAIRE III. Il y a de l'apparence que ceux qui prennent plaisir à esleuer leur esprit à Dieu, & qui desirent de luy offrir autant de mouuemens de leur amour & d'actes d'adoration, comme les chordes des instrumens qu'ils oyent, font de retours, ne diront pas que la cognoissance du nombre des battemens d'air soit inutile, & que ceux qui auront assez de iugement pour considerer que la Musique n'est autre chose que le nombre des differens battemens de l'air, & que le son, à proprement parler, n'est rien, si l'oreille ne luy donne la nature du son, & qu'il seroit plus veritable de dire que nous sentons des mouuemens d'air, que de dire que nous oyons des sons, aduoüront franchement qu'il [p145] n'est pas possible d'auoir vne parfaite cognoissance de la Musique, & mesme que l'on ne peut cognoistre ses principes, si l'on ne sçait ce que nous auons dit des retours & des battemens.
PROPOSITION XVIII. Tous les Musiciens du monde feront chanter vne mesme piece de Musique selon l'intention du Compositeur, c'est à dire au ton qu'il veut qu'elle se chante, pourueu qu'ils cognoissent la nature du son. Vne nouuelle maniere de marquer, & de battre la Mesure est icy expliquée. Cette proposition est l'vne des plus belles de la Musique Pratique, car si l'on enuoyoit vne piece de Musique de Paris à Constantinople, en Perse, à la Chine, ou autre part, encore que ceux qui entendent les notes, & qui sçauent la composition ordinaire, la puissent faire chanter en gardant la mesure, neantmoins ils ne peuuent sçauoir à quel ton chaque partie doit commencer, c'est à dire combien la premiere, ou les autres notes de la basse doiuent estre graues ou aiguës, d'autant que si les Chinois, par exemple, ont la voix plus graue & plus basse que les François, ils commenceront chaque partie plus bas que nous ne faisons, & s'ils l'ont plus aiguë ils commenceront plus haut. Ie sçay que l'on peut aduertir au commencement de la piece de Musique qu'elle doit estre chantée au ton de Chappelle, ou plus haut ou plus bas d'vn demy-ton, &c. Mais plusieurs ne sçauent que c'est que le ton de Chappelle, & il est trop difficile de transporter vn tuyau d'Orgue, ou quelqu'autre instrument, & bien qu'on l'enuoyast en telle façon qu'il ne perdist nullement sa forme, il parleroit plus haut ou plus bas selon le vent que l'on luy peut donner, & consequemment l'on n'auroit pas vne entiere certitude du graue & de l'aigu du son. Or le Compositeur donnera vn signe certain & vniuersel du ton, auquel il desire que l'on chante sa Musique, ou telle autre qu'il voudra, s'il met vis à vis de l'vne des notes de la Basse, ou des autres parties, le nombre des battemens de l'air qui fait le son ; par exemple s'il met 96 vis à vis de la premiere note de l'air du Sieur Boësset, dont i'ay parlé dans la Proposition precedente, tous ceux qui sçauront la nature du son, ou la maniere dont il se fait, chanteront la Musique proposée selon son intention, ou celle de quelqu'autre Compositeur, & chaque partie prendra le ton suiuant leur desir.
Et si ie voulois faire chanter ce vers hexametre François au mesme ton que ie le chante, lors que ie le commence à vn ton plus haut d'vne Tierce maieure que le plus bas ton de ma voix, & que ie voulusse que les Chinois le chantassent au mesme ton que moy, il suffiroit qu'ils cogneussent que le ton de la premiere note vaut 50, parce que la chorde qui est à l'vnisson de ce ton tremble 50 fois dans vne seconde ; c'est pourquoy 50 est le propre charactere, ou [p149] le propre nom de la premiere note de cet air : car il n'y a point de mesure si propre pour mesurer le graue & l'aigu des sons, que les nombres, par lesquels les Medecins peuuent remarquer le temperament ou la complexion des hommes aux differens tons de leurs voix, ou aux differens battemens de leur poux. L'on peut donc conclure de ce discours que le nombre des retours estant marqué vis à vis de chaque note, que tous les hommes du monde commenceront & chanteront la mesme piece de Musique au mesme ton, & que si tost qu'ils verront 50 à la marge du papier, dans lequel le vers precedent sera escrit, qu'ils le chanteront en mesme ton que moy. Où il faut remarquer que ces nombres de tremblemens peuuent seruir au lieu des notes, ou de la Tablature ordinaire des voix & des instrumens.
COROLLAIRE III Puis que i'ay monstré la maniere de chanter toute sorte de Musique au mesme ton que le Compositeur desire qu'elle soit chantée en tous les lieux du monde, il faut encore expliquer comme l'on peut garder la mesme mesure suiuant l'intention du mesme Compositeur, quoy qu'il soit mort ou absent. Ce qui est tres-aysé par le moyen d'vne chorde suspenduë, dont i'ay donné les vsages ailleurs, car il suffit que le Compositeur ou le Maistre de Musique marque la longueur de la chorde à la marge de la composition, dont chaque retour monstre le temps de la mesure. Par exemple, s'il veut que chaque mesure dure seulement vne seconde, il marquera 3 1/2 qui signifie que la chorde penduë à vn clou, & qui tient vn poids attaché à l'autre bout, fait chacune de ses allées, ou chaque retour dans vne seconde minute. Si l'on veut haster la mesure, & qu'elle ne dure qu'vne demie seconde, il faut accourcir la chorde en raison souz-doublée des temps ou des mesures, c'est à dire qu'il faut la faire 4 fois plus courte ; & si l'on veut qu'elle dure 2 secondes, il la faut faire de quatorze pieds ; si elle doit durer 3 secondes, elle aura 28 pieds 1/2, & pour 4 secondes, elle aura 52 pieds, &c. car les longueurs des chordes sont en raison doublée des temps. Or si tous les Musiciens du monde se communiquoient les differens temps de leurs mesures, & les tons de leurs compositions en cette maniere, ils sçauroient quels mouuemens sont propres pour donner du plaisir à toutes sortes d'hommes, dont ils pourroient sçauoir les inclinations : car 50, qui est à la marge du Chant du 2 Corollaire, signifie le ton, & 14 signifie le temps de la mesure.
COROLLAIRE IIII L'on peut encore marquer la mesure, selon laquelle on veut faire chanter la Musique, par les battemens ou les tremblemens des chordes, dont on vse pour representer le ton ; par exemple, si l'on veut que chaque mesure dure 1/30 de minute, c'est à dire 2 secondes, & que le ton de la premiere note soit 50, il faut seulement marquer 100 à costé de la Musique, pour signifier que la mesure [p150] dure cent tremblemens de la chorde : & si la mesure dure 3", il faut marquer 150.
L'on peut encore rapporter à nostre temps l'inuention des tambours ou barillets, dont on vse pour faire ioüer plusieurs pieces de Musique sur les Epinettes sans l'industrie de la main, car les Allemands sont si ingenieux qu'ils font ioüer plus de 50. pieces differentes par le moyen de plusieurs ressorts, qui font mesme dancer des balets à plusieurs figures qui sautent & se meuuent à la cadence des chansons, sans qu'il soit besoin de toucher l'instrument, apres auoir bandé ses ressorts. Et ie ne doute pas que l'on ne puisse remplir vne ville toute entiere de Musique, de sorte qu'il n'y aura nulle maison qui n'ayt son harmonie, lors qu'on laschera quelque ressort, dont ie parleray peut-estre dans le liure des Orgues. L'on a semblablement inuenté des roüets harmoniques pour filer & pour deuider le fil, qui chantent ou se taisent quand on veut ; & chaque artisan peut mesler la Musique dans ses ouurages par le moyen des roües, des maniuelles, des pignons, des lanternes & de plusieurs sortes de ressorts, qui composent les Automates, que chacun nomme comme il luy plaist, par exemple Mador & Angelique. Quelques-vns font parler deux rangs de chordes auec vne seule plume d'vn sautereau, & d'autres emplument les sautereaux si delicatement que l'harmonie des chordes en est beaucoup plus rauissante, & ie ne doute nullement que l'on ne puisse encore adiouster plusieurs delicatesses, & plusieurs ieux aux Clauecins, dont la recherche appartient aux Facteurs.