[…] toute l’eschole des Musiciens ne resonne & ne vous bat les oreilles d’autre chose plus souuent, que de la qualité, nature, & effect des Modes de Musique : L’vne est graue, l’autre legere ; & ainsi, selon leur diuerse qualité, plaisent aussi à diuers, suyua[n]t les diuerses humeurs & co[m]plexions des personnes.
Abregé de la Musique speculatiue. Article I. Le son n'est autre chose qu'un battement d'air, que l'oüye apprehende lors qu'elle en est touchée. Or les deux principales proprietez du son consistent dans la force & dans les qualitez que nous appellons graue & aigu. Sa force est d'autant plus grande qu'il est fait par vn batement d'air plus violent : & ce batement est d'autant plus violent, que l'on frappe vne plus grande quantité d'air en mesme temps. Quant à sa grauité, elle est d'autant plus grande, qu'il se fait par des batemens plus tardifs ; & par consequent il est d'autant plus aigu qu'il se fait par des batemens plus vistes ; par exemple s'il se fait vn son dans vn temps donné par 50. batemens, & un autre son en un temps égal par 100. batemens, ce dernier son sera deux fois plus aigu que le premier.
[Article] II. Lors que deux ou plusieurs sons se font ensemble & en mesme temps, on les appelle Cosonans, quand ils s'accordent bien, & qu'ils plaisent à l'ouye & à l'esprit. Or, la raison de ces accords se prend de l'vnion desdits sons, de sorte qu'ils font des accords d'auta[n]t plus doux, qu'ils ont leur vnion plus estroite & plus grande, comme l'on espreuue à l'Vnisson, à l'Octaue, au Diapente, &c. L'Vnisson est l'Vnion ou le meslange de deux sons faits par un nombre égal de batemens d'air ; L'Octaue est le meslange de deux sons, dont le plus graue est fait par vn batement, & le plus aigu par deux ; & le Diapente est le mélange de deux sons, dont le plus graue se fait par deux batemens, & le plus aigu par trois. Toutes les simples consonances sont comprises & expliquées par les 6. premiers nombres 1. 2. 3. 4. 5. & 6. car l'Octave est d'un à 2., la Quinte de 2. à 3. la Quarte ou le Diatessaron de 3. à 4. le Diton ou la Tierce majeure de 4. à 5. & la mineure de 5. à 6. Or ils representent le nombre & la comparaison de leurs batemens.
[Article] III. L'octave est la plus douce de toutes [les consonances], après l'Vnisson ; parce que ses batemens s'vnissent plus souuent ensemble : car le premier batement du son aigu s'vnit auec la premiere partie du batement du son graue, & le second batement auec la derniere partie : où bien ses batemens s'vnissent de 2. coups en 2. coups : ceux de la Quinte de 3. coups en 3. coups, &c. Et lors que l'vnion est égale de la part du son aigu, & inégale de la part du grave, la Consonance qui vnit également ses sons de la part de l'vn & de l'autre est plus douce : par exemple les batemens de la Quinte s'vnissent de 3. coups en 3. coups, à l'égard du son aigu, & de 2. en 2. à l'égard du grave. Mais la Douziesme vnit ses sons à chaque coup, à l'égard du graue : c'est pourquoy elle est plus douce.
[Article] IV. Puisque le poids ne peut faire monter vne chorde à l'Octaue, s'il n'est quadruple, l'on peut dire que le son aigu de l'Octave est 4. fois plus pesant que le son graue. Mais quand les chordes sont differentes en longueur, & d'égale grosseur & matière, le poids qui doit faire monter la chorde 2. fois plus longue à l'octaue, doit estre Octuple, parce que le quadruple met seulement la chorde double à l'Vnisson de la souzdouble ; & puis le quadruple la fait monter à l'Octaue.
Proposition XXXI. A sçauoir si le Son aigu est plus agreable & plus excellent que le graue. Cette question peut estre decidée par l’experience & par la raison, mais il faut prendre le graue, & l’aigu d’vn mesme genre ; c’est à dire sur vn mesme instrument, ou dans les voix humaines, car ce seroit vne autre difficulté, si l’on vouloit faire comparaison de la voix aiguë d’vn homme, & du son graue d’vne Viole, ou d’vn Luth. L’on peut donc entendre cette difficulté de la comparaison du Son graue, & de l’aigu d’vn mesme instrument, par exemple du Luth, de la Viole, de l’Epinette, ou de l’vn des ieux d’Orgues, ou de la voix humaine : & la comparaison des voix se peut faire en deux manieres, à sçauoir de la voix graue de celuy qui fait la Basse, & de l’aiguë d’vn enfant, ou de la voix graue et aiguë d’vne mesme personne. Mais il ne faut pas comparer vne bonne voix auec vne mauuaise, car la bonté de la voix graue doit estre esgale à celle de l’aiguë, afin que la comparaison soit parfaite.
PROPOSITION VII. La Voix des animaux sert pour signifier les passions de l'ame, mais elle ne signifie pas tousiours le temperament du corps. L'experience enseigne la premiere partie de cette Proposition ; car les oiseaux, les chiens, & les autres animaux font vn autre cry quand ils se faschent, qu'ils se plaignent, ou qu'ils sont malades, que quand ils se réjoüissent, & se portent bien ; & la voix est plus aiguë en la tristesse & en la cholere, que hors de ces passions ; car la bile fait la voix aiguë, la melancholie, & le phlegme la fait graue, & l'humeur sanguin la rend temperée. De là vient que l'aiguë est comparée au feu, la graue à la terre & à l'eau, & la temperée à l'air.
Et l'experience fait voir que du Caurroy, Claudin, Guedron, Boësset, Moulinié, & les autres Compositeurs, ont fait de tres-bonnes pieces de Musique, & de bons airs, quoy qu'ils n'ayent pas sceu l'Astrologie. Quant aux voix differentes des animaux, il faudroit faire de particulieres obseruations pour sçauoir combien la voix des vns est plus aiguë que celle des autres lors qu'ils sont en cholere, & qu'ils sont emportez de quelqu'autre passion, & voir ce qui se peut connoistre de leurs temperamens, ou du degré de leurs passions par leurs cris differens, ou par leurs voix naturelles, dont on peut remarquer les interualles : par exemple, le coucou fait vne Tierce mineure en chantant, dont la premiere syllabe est plus aiguë que la seconde : & le muglement des vaches est composé de la dixiesme majeure, dont la premiere partie est la plus graue, & la seconde est la plus aiguë.
La 2. partie de ceste Proposition est éuidente, car tel est d'vn temperament chaud & bilieux, qui a la voix aussi graue & aussi forte que celuy qui a le temperament froid & terrestre : & l'on trouue des Chantres dont la Basse est égale, qui ont le temperament bien different ; de sorte qu'il faut conclurre que le graue & l'aigu de la voix n'est pas vn signe infallible du temperament, ny de la force de l'homme, ou de l'animal ; & plusieurs ont la voix forte & grosse, qui sont plus foibles que ceux qui l'ont plus foible & plus aiguë. De là vient que la grauité de la voix ne conclud autre chose qu'vne plus grande ouuerture de la glotte ; & que la force de la voix n'est signe que de la grandeur du thorax, ou de celle du poulmon, ou de la force des muscles du larynx. Neantmoins l'on peut dire que les plus grosses & les plus fortes voix sont souuent accompagnées d'vne plus grande force de corps, dont elles sont comme le symbole & la marque.
Or il faut remarquer que la longueur de l'artere ne sert de rien pour rendre la voix plus basse ou plus haute, c'est à dire plus graue ou plus aiguë, comme i'ay desia dit dans la quatriesme Proposition, quoy que s'imaginent les Anatomistes, d'autant qu'elle ne sert pas dauantge à la languette du larynx, que le pied du tuyau, qui porte le vent des soufflets iusques à la lumiere où se rencontre la languette taillee en bizeau qui coupe l'air, car l'artere porte seulement le vent du poulmon au larynx, dont la languette demeure tousiours au mesme ton tandis qu'elle a vne mesme ouuerture, & que le vent est poussé d'vne égale force, de sorte que ce ton ne changeroit pas, encore que l'artere eust vne toise, ou qu'elle n'eust qu'vn poulce de longueur, comme l'on demonstre par le pied d'vn tuyau qui n'en change pas que le ton, quoy que l'on en diminuë la longueur tant que l'on veut.
I'ay dit cy-dessus, pourueu que le vent soit poussé d'vne égale force, à raison que la mesme ouerture & la mesme languette d'vn tuyau fait plusieurs tons differens par le moyen de la differente force du vent que l'on pousse auec la bouche, ou auec des soufflets : d'où l'on peut semblablement conclurre que la mesme ouuerture de la languette du larynx peut seruir à plusieurs tons differens, lors que l'on pousse le vent auec vne plus grande violence, quoy qu'il ne soit pas certain si ladite ouuerture s'estressit tousiours à chaque ton plus aigu, & si elle s'élargit à chaque ton plus bas, & plus graue.
Or il n'est pas icy necessaire de repeter ce que nous auons dit des parties, des vsages, & de la composition de la languette ou de la glotte dans la troisiesme Proposition ; c'est pourquoy ie m'arreste seulement dans celle-cy à expliquer les mouuemens qu'elle a, ou la figure qu'elle prend en faisant les voix graues & aiguës, & dis qu'il faut necessairement que la languette soit plus ouuerte aux sons graues qu'aux aigus, ou si elle garde vne mesme ouuerture en faisant deux, ou plusieurs voix differentes quant au graue, & à l'aigu, qu'il faut que le vent soit poussé differemment, à sçauoir plus fort pour faire la voix aiguë, & plus foiblement pour faire la voix graue.
Si la languette du larynx est semblable a l'anche des flustes, & qu'elle [p018] face la voix graue & aiguë, de mesme maniere il est tres-aisé d'expliquer comme elle fait ceste difference de voix ; car nous experimentons que ladite anche fait le son par ses tremblemens, comme font les chordes des autres Instrumens, & qu'elle les fait d'autant plus graues ou aigus, qu'elle tremble plus lentement ou plus viste ; de sorte que si la raison du son graue à l'aigu est double, c'est à dire de 2 à 1, il est certain que l'anche tremble deux fois plus viste en faisant le son aigu, & consequemment qu'elle tremble cent fois en faisant le son aigu, lors qu'elle tremble cinquante fois en faisant le son graue.
[…] il suffit maintenant de monstrer que la Musique peut apprendre à bien parler, & à corriger les mauuais accents que l'on a, pourueu que l'on demeure d'accord de la meilleure maniere de parler, car l'on peut aussi aisément apprendre à parler comme les Normans, ou les Prouençaux, par le moyen de la Musique, que comme ceux de Blois, d'Orleans, & de Paris ; ce que ie prouue en ceste maniere : Ce qui est des-agreable dans la parole, ou dans le discours, ne peut venir de nulle autre cause que des syllabes que l'on fait trop longues, ou trop courtes, & trop graues ou trop aiguës ; comme l'on experimente en ceux qui traisnent trop quelques parties de certaines dictions, ou qui se precipitent en prononçant ; or la Musique qui traite de la valeur des notes, & de toutes sortes de temps, enseigne quant & quant le temps qu'il faut employer sur chaque syllabe, & consequemment quelle proportion doit garder le temps de chaque syllabe, donnee auec le temps de toutes les autres.
C'est chose asseuree que l'anche du larynx, c'est à dire sa languette, ou son ouuerture, contribuë plus immediatement aux passages & aux fredons que les autres parties, dautant qu'il faut marquer les degrez & les interualles que l'on fait en soustenant le passage ; ce qui ne peut arriuer que par les differentes ouuertures de la languette, comme i'ay monstré en parlant du son graue & de l'aigu.
PROPOSITION XXXVII. Expliquer comme l'on peut apprendre à chanter par toutes sortes de degrez & d'interualles sans maistre. Cette proposition ne promet rien qui ne soit bien aysé, car celuy qui veut apprendre à chanter sans Maistre, & qui ne veut pas que personne sçache qu'il apprend à chanter, n'a besoin que d'vne chorde tenduë sur vn morceau de bois de trois pieds de long, & d'vn ou deux poulces de large ; à quoy peuuent seruir toutes sortes de bastons portatifs, dans lesquels on peut tellement cacher, & couurir ladite chorde, que nul ne la pourra voir ; car les petits cheualets que l'on coulera souz la chorde suiuant les degrez diatoniques, ou ceux des autres genres, conduiront la voix comme l'on voudra, ou si l'on ne vent qu'vn cheualet, il monstrera tous les interualles, & les degrez possibles, dont on remarquera les raisons par le moyen des nombres qui seront escrits dessous la chorde, ou auec le compas. Or ce baston peut encore seruir à plusieurs autres vsages, car ceux qui voyagent peuuent remarquer l'estenduë de la voix de toutes sortes de personnes, et combien elle est graue, ou aiguë […]
L'on peut donc examiner de combien de couleurs il faut nuer le iaune, ou le bleu, duquel on veut passer au verd gay, ou dudit verd au iaune, & au bleu, ou de l'vn de ceux-cy à l'autre, & faire autant d'interualles depuis le son graue iusques à celuy du milieu, & du milieu iusques à l'aigu, afin de voir si le chant qui sera conduit par ces nuances sera le meilleur de tous. Et parce que l'on aime la diuersité des chants, comme celle des tableaux (à raison de l'estat de changement dans lequel nous viuons assujetis à sa vanité malgré que nous en ayons) lors que l'on diuersifiera les chants, & que l'on quittera la precedente nuance pour passer à des couleurs éloignees, ou à des sons separez, & dis-joints, il faut que le son ou la couleur ayent de l'analogie, & de la conuenance auec les autres ausquels nous passons.
Il faut encore remarquer qu'il y a plusieurs couleurs qui se nuent, comme il y a plusieurs genres & especes de Musique ; & que l'on peut comparer les degrez de chaque espece de Musique auec la nuance de chaque couleur ; par exemple, la nuance du verd, du iaune, & du rouge auec les degrez du genre Diatonic, Chromatic, & Enharmonic, car les chants peuuent finir par la voix la plus graue, ou la plus aigue, comme la nuance de chaque couleur finit d'vn costé par le noir, qui represente l'ombre, les tenebres, & le silence ; & de l'autre costé par le blanc, qui represente l'esclat de la couleur, la lumiere, & la vistesse des sons aigus.
Il faut neanmoins remarquer qu'il n'est pas tellement necessaire de changer les interualles des sons graues & aigus, qu'on ne puisse trouuer quelque espece d'air sans eux, si nous parlons de tout ce qui peut estre appellé air, ou chant en quelque maniere que ce soit : car quelques vns disent qu'on peut sonner vn air sur le Tambour, encore que tous ses tons soient vnisons, dautant que les diuers mouuemens ou les diuerses mesures qu'on donne aux sons du Tambour peuuent representer quelque chanson, ou quelque fantaisie. Ce qui conuient pareillement à la voix qui peut representer plusieurs choses par les diuerses mesures, & par tous les mouuemens de la Rythmique : ce qui arriue aussi à plusieurs Pseaumes, qui commencent, finissent, & sont chantez sur vne mesme note, ou sur vne mesme interualle, & au chant dont plusieurs Religieux se seruent : Mais les autres aiment mieux l'appeller vn simple recit qu'vn chant, comme est le chant dont nous nous seruons, & plusieurs autres à nostre imitation, comme les Capucins, Carmes déchaux, &c. dautant que nous ne faisons aucuns interualles, & que nous n'obseruons point d'autre mesure que celle des syllabes.
Le sixiesme [Bransle] s'appelle la Gauote, c'est à dire la dance aux chansons : sa mesure est binaire assez graue, & se peut rapporter au mouuement Choreobacchique ∪ ∪ ∪ ∪ − −, il a huict pas, quatre mesures, & seize mouuemens ; son Exemple est aussi de l'onziesme Mode transposé vn ton plus bas. Il fait la conclusion des Bransles, & apres auoir esté dancé vne fois, ou deux en rond, celuy qui a commencé le Bransle à mener, fait la reuerence à sa Dame, deuant laquelle il dance seulement huict pas, & l'ayant prise souz le bras droit, il luy fait faire vn tour, & puis vn autre du bras gauche auec chacun huict pas, & luy ayant fait la reuerence il la remet en sa place, & reprend la sienne ; & apres que chacun a fait la mesme chose à son tour, on fait la reuerence generale, & chaque homme remene sa femme au lieu où il l'auoit prise pour dancer : or il faut remarquer que l'on peut faire vne infinité de Bransles souz chacune de ces especes, & que l'on en peut adiouster tant d'autres que l'on voudra : par exemple les Passe-pieds de Bretagne […]
D'abondant l'on experimente que les airs des Balets, & des Violons excitent dauantage à raison de leur gayeté qui vient de la promptitude de leurs mouuemens, ou de leurs sons aigus, que les airs que l'on iouë sur le Luth ou sur les basses des Violes, lesquels sont pour l'ordinaire plus graues & plus languissans.
A quoy l'on peut adiouster que les sons, & les mouuemens des chansons gayes approchent plus pres de la vie, que ceux des airs tristes, puis que la vie consiste dans vn mouuement perpetuel & continu, car les battemens d'air qui font les sons aigus, & les mouuemens rythmiques qui sont plus frequens, s'approchent plus pres de la continuité que ceux des sons graues, & des mouuemens pesans & tardifs des airs tristes, qui representent vne vie interrompuë & mourante. Et l'on experimente que les chansons gayes sont si propres à danser, que ceux mesmes qui n'ont iamais apris cet exercice se mettent à danser, ou tesmoignent par quelque mouuement du corps le contentement qu'ils reçoiuent de ces Chansons : ce qui n'arriue point aux airs tristes & lugubres, qui sont plus propres pour faire pleurer & mourir les Auditeurs, que pour les faire rire, ou les faire viure : car ces airs sont composez de mouuemens propres pour engendrer la tristesse, & consequemment pour faire tomber des defluxions sur les membres, qui les rendent enfin paralytiques & incapables de mouuement.
Quant aux repliques ou repetitions des Consonances, i'en parleray dans vn autre lieu. Neanmoins ie veux remarquer toutes les Consonances qui sont naturelles, afin de confirmer qu'il y a des Consonances dans la nature, puis que la Trompette nous les apprend, car lors qu'on en joüe, & que l'on commence par le son le plus graue de tous ceux qu'elle peut faire, l'on ne sçauroit passer de ce premier son à aucun son plus proche qu'à celuy de l'Octaue ; si l'on veut monter plus haut que le second son il faut faire vne Quinte entiere ; & si l'on passe outre, l'on ne peut faire vn moindre interualle que la Quarte : de sorte que ces trois interualles suiuent le progez naturel des nombres ; & si l'on fait vn 4 et vn 5 interualle, l'on fera la Tierce majeure & la mineure, dont le son aigu est éloigné d'vne Douziesme du plus graue de la Trompette.
Les arts ne peuuent iamais mieux proceder que quand ils imitent la nature, dont les sciences considerent les actions : les noms qui expriment le mieux ses effets sont les mieux donnez, & les mieux imposez. Or les sons qui ne consistent que dans les mouuemens de l'air, ne peuuent mieux estre distinguez par aucune difference interne, ou qualité exterieure, que par le graue & l'aigu ; ce qui apporte vne grande confusion : car supposant vn ton graue, tous les autres tons iusqu'à l'infiny seront aigus, & supposant vn aigu tous les autres seront graues ; c'est pourquoy les Musiciens ont osté contraints de dire le second d'apres le graue ; comme le troisiesme, le quatriesme, le cinquiesme, le sixiesme, le septiesme, & le huitiesme. Ils eussent passé outre, comme les Arithmeticiens ont monté iusques à dix : mais considerans tous ces sons, ils ont trouué que le second d'apres le graue ne faisoit rien qui fust bon ; ils l'ont passé, & remarqué comme nuisible : ils ont trouué que le troisiesme se mesloit aisément auec le graue, & qu'en le tenant plus foible ou plus fort il auoit toujours de l'harmonie, & ont appellé le foible Tierce mineure, & le fort Tierce maieure. Ils sont venus à considerer le quatriesme son aigu d'apres ce mesme son graue, & l'ont trouué bon. Et puis ils ont consideré le cinquiesme qu'ils ont encore trouué meilleur, parce qu'il fait vn meslange plus parfait que le quatriesme, & plus ferme que le troisiesme : mais il ne peut estre plus haut ny plus bas qu'il faut. Ils ont aussi consideré le sixiesme, & l'ont trouué de mesme nature que le troisiesme, & qu'il pouuoit estre plus fort ou plus foible sans estre des-agreable, c'est pourquoy ils l'ont appllé Sexte mineure, & majeure.
Quant à la tension des chordes, elles doiuent estre tenduës sur les deux cheualets qui sont collez sur la table. Or les ouuriers ont seulement de 7 ou 8 grosseurs de chordes, & consequemment font seruir vne mesme grosseur à 6. ou 7. sons differens. Mais si l'on vouloit monter vne Epinette auec toute sorte de perfection selon les regles harmoniques, il faudroit autant de differentes grosseurs de chordes, comme l'Epinette a de sons, à sçauoir 49 ; car la proportion de ces grosseurs & longueurs doit suiure la raison des interualles, qui sont entre les sons : de sorte que si la plus grosse a 16. parties en sa circonference, la moindre doit seulement auoir vne partie, parce que 16. est à 1. comme le son plus graue de l'Epinette est au plus aigu.
Or voicy les regles generales, dont il faut vser pour faire toutes sortes d'accords, lesquels seruiront icy de preuue, & de Demonstration, d'autant que nous auons fait voir ailleurs, qu'elles sont veritables & infaillibles. Premiere Regle. Si les chordes sont esgales en longueur & grosseur, & que l'vne fasse le son graue qui est en C fa vt, quand elle est tenduë auec le poids d'vne liure, il faut tendre l'autre auec quatre liures pour la faire monter à l'octaue, d'autant que les poids sont en raison doublée des interualles harmoniques, ausquels on fait monter les chordes ; or l'interualle de l'octaue est de 2. à 1. dont la raison de 4. à 1. est doublée.
Neantmoins parce que la chorde, dont on s'est desia seruy, & qui s'est estenduë & alongée, à souffert de l'alteration, & qu'elle s'estend plus facilement la seconde fois que la premiere, & la troisiesme fois plus facilement que la seconde, & ainsi consequemment, comme on remarque à toutes sortes de chordes, qui s'alongent de plus en plus auec le temps, encore qu'on ne leur donne point de nouuelle tension, il n'est pas possible d'accorder vn instrument par la cognoissance des premieres tensions que l'on a experimentées aux chordes, si quant & quant l'on ne sçait de combien l'extension de chaque chorde doit estre plus grande à la 2, 3, ou 5 fois, qu'à la premiere : c'est pourquoy il suffit icy de remarquer combien chaque chorde s'estend depuis son ton plus graue iusques à son plus aigu, auant qu'elle rompe, afin que l'on puisse conclure par la diuision de l'extension en esgales parties, combien chaque ton ou demy-ton fait plus, ou moins estendre la chorde : toutes-fois les extensions ne sont pas tousiours esgales, encore que l'on y adiouste des forces esgales, car les dernieres sont quasi tousiours plus grandes que les premieres.
Semblablement si la chorde est trop courte, & qu'elle n'ayt qu'vn poulce, c'est à dire que la douziesme partie d'vn pied de Roy, c'est chose asseurée que l'oreille ne pourra iuger du son qu'elle fera, mais si on luy donne l'estenduë [p135] de 15 pieds, & que l'on treuue qu'elle tremble 10 fois comme deuant, l'on trouuera son ton par la regle de 3, car les retours de la chorde d'vn poulce de long sont aux retours de celle de 15 pieds, comme 15 est à 1/12, c'est à dire comme 180 est à 1, c'est pourquoy la chorde d'vn poulce fera 1800 retours, tandis que celle de 15 pieds n'en fera que 10, & consequemment le son de la chorde d'vn poulce sera de 180, quand celuy de la chorde de 15 pieds sera 1, de sorte que ces deux sons feront la Cinquante-troisiesme, c'est à dire la Quarte augmentée d'vn comma sur 8 Octaues. Or il est tres-aysé d'accommoder ce discours à toutes sortes d'autres chordes, puis qu'il n'y a nul son si graue, ou si aigu, que l'on ne puisse treuuer par le moyen des tremblemens & des retours. Où il faut encore remarquer que l'oreille commence à iuger de l'aigu du son de la chorde, qui a deux poulces de long, & consequemment qui est 96 fois plus longue que large, supposé qu'elle ayt 1/4 de ligne en diametre ; & parce que ce nombre approche de cent, l'on peut prendre pour fondement de ce discours, que la longueur des chordes doit estre centuple de leur diametre pour faire le premier son, c'est à dire le plus aigu, dont l'oreille puisse iuger.
Or chaque Octaue a 19 chordes, notes, ou caracteres, d'autant qu'on ne peut marquer la Musique à plusieurs parties sans se seruir de ce nombre dans chaque Octaue, comme i'ay prouué dans vn autre lieu. Quant à l'vsage de cette table, il est si aysé, qu'il n'est quasi pas besoin de l'expliquer, car le premier nombre de la premiere colomne, à sçauoir 6, signifie que le son le plus graue de tous les instrumens, à sçauoir le son du tuyau d'Orgue de 32 pieds, se fait par les 6 retours de la chorde, qui bat 12 fois l'air dans l'espace d'vn battement de coeur ; & les autres nombres qui suiuent, tant dans cette Octaue, que dans les 7 autres, representent tousiours le nombre des retours de chaque chorde, qui respond à chaque note, ou lettre de l'Octaue, qui est marquée à la marge : par exemple, le premier ou le moindre nombre de la 8 Octaue signifie que la plus basse chorde de la 8 Octaue fait 768. retours dans l'espace d'vn battement de poux, c'est à dire dans le temps d'vne seconde minute : & le 2 nombre de la mesme colomne, à sçauoir 800, signifie que la chorde qui a ce son, fait 800 retours dans le mesme temps. [Tablature du nombre des tremblemens que font les chordes - demy-ton mai. - demy-ton min. - comma - diese]
Mais afin que l'on comprenne mieux l'vsage de cette table, par exemples que par discours, ie prends l'vn des airs du Sieur Boësset imprimé l'an 1630. qui commence par ces paroles, Diuine Amaryllis. qui est à 4 parties ; dont chacune chante 22 mesures sans pauses. La voix, ou la note la plus graue de la Basse est sur F vt fa ; & parce que ceux qui font la Basse dans la chambre, ne vont pas ordinairement plus bas qu'vn tuyau d'Orgue de 4 pieds ouuert, qui est à l'vnisson de la plus grosse chorde de l'Epinette, qui a 3 pieds de long, il s'ensuit que la plus basse note de l'air susdit respond au premier, ou moindre nombre de la 4 Octaue, qui est dans la 4 colomne de la table precedente, c'est à dire au nombre 48.
COROLLAIRE II L'on peut tirer de l'vtilité de ces tremblemens, & particulierement la comparaison des mouuemens du cœur & du poux, & de plusieurs autres choses naturelles auec lesdits tremblemens ; or l'on peut considerer de combien chaque partie de Musique doit faire plus ou moins de retours l'vne que l'autre pour rendre vn concert parfait ; quoy que cette difficulté ne soit pas differente de celle que l'on propose, lors qu'on demande combien les parties doiuent estre esloignées les vnes des autres, c'est à dire combien elles doiuent estre graues ou aiguës pour faire vne excellente Musique, puis que les sons plus aigus se font par la multiplication, ou l'addition des retours, comme les plus graues se font par la diuision ou la souz-traction des mesmes retours, car toute la Musique n'est autre chose que l'addition, ou la soubtraction desdits retours, ou des battemens de l'air, comme i'ay desia remarqué dans vn autre discours.
COROLLAIRE VI Ce qui a esté dit iusques à present peut aussi seruir pour la tablature du tremblement ou fremissement des cloches, & du mouuement de tous les autres corps, par exemple du mouuement des fueilles d’arbres, des oyseaux qui volent, & des autres corps qui battent l’air, parce que lors qu’vn corps bat autant de fois l’air que les chordes des instrumens, l’on peut dire qu’il fait l’vnisson auec lesdites chordes. De là vient que l’on ne peut apporter d’autre raison formelle & immediate, pourquoy vne cloche a le son plus graue ou plus aigu que l’autre, sinon parce que les parties de l’vne fremissent plus viste, & consequemment battent l’air plus souuent. Il faut neantmoins remarquer que l’on n’oyt pas les battemens d’air de toutes sortes de corps, quoy qu’ils soient [p146] aussi frequents que ceux de la chorde du Luth, de la Viole & des Cloches, comme il arriue quand l’air battu n’est pas enfermé, & que ses mouuemens ne sont pas reflechis, comme ils sont par la table & par le corps des instrumens : de là vient que l’on a de la peine à ouyr les chordes de Luth qui se meuuent dans vn air libre, tandis que l’on les tient par les deux extremitez auec les doigts, d’autant que le son n’estant pas reflechy n’est pas assez fort pour estre ouy, comme i'ay desia remarqué dans vn autre lieu.
PROPOSITION XVIII. Tous les Musiciens du monde feront chanter vne mesme piece de Musique selon l'intention du Compositeur, c'est à dire au ton qu'il veut qu'elle se chante, pourueu qu'ils cognoissent la nature du son. Vne nouuelle maniere de marquer, & de battre la Mesure est icy expliquée. Cette proposition est l'vne des plus belles de la Musique Pratique, car si l'on enuoyoit vne piece de Musique de Paris à Constantinople, en Perse, à la Chine, ou autre part, encore que ceux qui entendent les notes, & qui sçauent la composition ordinaire, la puissent faire chanter en gardant la mesure, neantmoins ils ne peuuent sçauoir à quel ton chaque partie doit commencer, c'est à dire combien la premiere, ou les autres notes de la basse doiuent estre graues ou aiguës, d'autant que si les Chinois, par exemple, ont la voix plus graue & plus basse que les François, ils commenceront chaque partie plus bas que nous ne faisons, & s'ils l'ont plus aiguë ils commenceront plus haut. Ie sçay que l'on peut aduertir au commencement de la piece de Musique qu'elle doit estre chantée au ton de Chappelle, ou plus haut ou plus bas d'vn demy-ton, &c. Mais plusieurs ne sçauent que c'est que le ton de Chappelle, & il est trop difficile de transporter vn tuyau d'Orgue, ou quelqu'autre instrument, & bien qu'on l'enuoyast en telle façon qu'il ne perdist nullement sa forme, il parleroit plus haut ou plus bas selon le vent que l'on luy peut donner, & consequemment l'on n'auroit pas vne entiere certitude du graue & de l'aigu du son. Or le Compositeur donnera vn signe certain & vniuersel du ton, auquel il desire que l'on chante sa Musique, ou telle autre qu'il voudra, s'il met vis à vis de l'vne des notes de la Basse, ou des autres parties, le nombre des battemens de l'air qui fait le son ; par exemple s'il met 96 vis à vis de la premiere note de l'air du Sieur Boësset, dont i'ay parlé dans la Proposition precedente, tous ceux qui sçauront la nature du son, ou la maniere dont il se fait, chanteront la Musique proposée selon son intention, ou celle de quelqu'autre Compositeur, & chaque partie prendra le ton suiuant leur desir.
PROPOSITION XIX. L'on peut monter l'Epinette de chordes d'or, d'argent, de cuiure & des autres metaux, dont les plus pesans descendent plus bas, c'est à dire font les sons plus graues, à raison qu'ils ont plus de mercure, & moins de souphre fixe. Ie prouue cette Proposition par l'experience que i'ay faite, & par la raison : quant à l'experience, elle fait voir que les metaux plus pesants ont le son plus graue, car si l'on tend des chordes d'or, d'argent, de cuiure ou de fer, qui soient parfaitement esgales en grosseur & en longueur, sur deux cheualets, & que l'on laisse pendre vn poids esgal à l'extremité de chaque chorde, afin qu'elles soient bandées esgalement, l'on trouue que le son de l'or est plus graue, & ainsi des autres.
Or il faut remarquer que les plus grands nombres signifient les sons plus sourds ou plus graues, & les moindres les plus aigus : & qu'il est tres-facile de sçauoir quelles consonances ou dissonances font tous ces metaux les vns auec les autres, car puis que l'on void les nombres qui representent leurs sons, il faut seulement considerer la raison de ces nombres. Quant au iugement de l'oreille, la chorde d'or fait la Quinte forte auec la chorde de fer : auec lequel l'or meslé fait la Quinte foible. L'argent fait le ton maieur auec le fer, auec lequel le cuiure fait le semiton maieur : l'argent auec le cuiure fait le ton mineur. L'or fin fait la Quinte diminuée auec le cuiure, qui fait le Triton auec l'or meslé. Finalement l'or fin fait la Quarte iuste auec l'argent, & la diminuée auec l'or meslé : mais si l'on veut trouuer ces comparaisons plus iustement que par l'oreille, il se faut seruir des nombres qui ont tous esté marquez par le moyen de l'vnisson ; ce que les Practiciens comprendront plus aysément par les notes qui suiuent, & qui monstrent le son de chaque chorde du metal, dont le nom est dessouz.
Il faut maintenant expliquer la seconde partie de cette Proposition, laquelle enseigne que les sons des metaux qui ont plus de Mercure, ont leurs sons plus graues ; que ceux qui ont plus de souphre fixe, rendent des sons plus aigus, & que le corps est plus pesant qui a plus de mercure, & que celuy qui a plus de souphre est plus leger, & consequemment que les sons aigus suiuent la legereté, & les graues la pesanteur des corps.
Or l'experience nous apprend que les metaux les plus parfaits sont les plus pesants, & qu'ils rendent des sons plus graues ; & que ceux qui ont plus de souphre, font des sons plus aigus, d'autant que le souphre est sec & chaud, & participe plus de la nature de l'air que le mercure, qui est aqueux, humide & froid : de là vient que les corps sont plus rares, & ont leurs parties plus esloignées & plus meslées d'impuretez & d'air, ce qui les rend propres pour le son : le mercure au contraire fait que les parties du corps sont plus compactes & plus serrées, & qu'elles ne sont pas meslées de tant de parties d'air, lequel est le principal suiet du son.
L'on peut neantmoins faire vne obiection en faueur du plomb, qui est plus pesant, & qui rend vn son plus sourd que les autres metaux, encore qu'il soit plus imparfait qu'eux, quant à sa solidité metallique ; toutesfois il n'a pas cette imperfection à raison de l'abondance du souphre combustible, mais à cause de la crudité de son mercure qu'il a plus grande que les autres metaux imparfaits : c'est pourquoy il a le son aussi graue ou plus que l'or, car comme l'excez du chaud & du sec fait que le corps à le son aigu, de mesme l'excez de l'humide, du froid & de l'aqueux, qui se trouue au plomb, fait qu'il a le son plus graue & plus sourd. Quant au cuiure franc, il est plus parfait & moins souphreux que le cuiure iaune, qui a plus de souphre aërien, impur & combustible : en suitte dequoy il doit, ce semble, auoir le son plus sourd, encore que l'on ne remarque pas de difference entre les sons de la chorde de cuiure & de leton, à cause, peutestre, qu'elle n'est pas sensible, non plus que la difference de leurs poids, comme l'on peut voir aux tables precedentes.
COROLLAIRE Si les Alchymistes nous pouuoient donner la cognoissance certaine du temperament de chaque corps par leurs trois principes : par exemple, quel principe predomine en l'homme, qui a 4. degrez de cholere, de ioye, ou de tristesse ; & supposé qu'vn homme pese cent liures, combien il a de liures de chaque espece de sel, combien de souphre & de mercure tant en poids qu'en grandeur ; quel principe se diminuë, s'altere ou s'augmente en toutes sortes de maladies & de passions de l'ame, combien chaque repas augmente les trois principes, combien il s'en dissipe tous les iours ; en quel poids & en quelle quantité les trois principes se doiuent rencontrer en celuy qui a les qualitez d'vn Musicien, & en quelle quantité & en quel poids ils sont en chaque metal, ils nous soulageroient grandement, & nous obligeroient à suiure la maniere de raisonner tant en ce qui appartient aux sons & aux pesanteurs, qu'aux autres qualitez des corps, dont i'ay desia traisté dans les liures de la Theorie selon leurs principes. Mais si l'on veut donner la raison de la diuersité des sons sans sortir de la Philosophie, ou de la Medecine ordinaire, il faut dire que le son le plus graue vient du metal, ou du corps le plus terrestre & le plus pesant, & qui à plus d'eau meslée auec sa terre, & que le son aigu vient du feu & de la chaleur qui est dans chaque corps : car l'on experimente que plus vn homme à de bile & de cholere, & plus il parle haut & aigu ; ce qui est representé par les chordes des instrumens qui sont les plus deliées & les plus courtes, & par toutes sortes de mouuements qui sont brusques & legers.
Les petits fers N O, qui ont trois trous, & qui sont faits en forme de lis, attachent le couuercle qui ferme le Psalterion, lequel a ce priuilege par dessus les autres instrumens, que l'on apprend a en sonner dans l'espace d'vne ou deux heures, ce qui le fait estimer de ceux qui n'ont pas dauantage de temps pour l'employer à cet exercice. Or ces premieres chordes sont de leton, & les autres d'acier, lesquelles ont vne certaine pointe & gayeté qui ne se rencontre pas dans les autres instrumens, tant à raison des petits sauts & reiallissemens du baston, que de la briefuetè & tension des chordes, qui sont capables de toutes sortes de chansons, pourueu que l'on y mette toutes les chordes necessaires ; car encore que cettuy-cy soit accordé par ♭ mol, il est tres-aysé de l'accorder par ♮ quarre, si l'on veut sonner deux ou plusieurs parties ensemble sur cet instrument, l'on peut auoir deux bastons, ou toucher vne, deux, ou plusieurs parties de la main gauche, tandis que la main droite frappe les chordes auec le baston. Quant à sa fabrique & à sa matiere elle n'est pas differente de celle de l'Epinette, dont ie parleray apres. Mais l'on peut faire le Psalterion double ou triple, par le moyen de trois ou plusieurs cheualets trauersans, afin de sonner les trois genres de Musique sur vn mesme instrument ; il peut aussi seruir pour apprendre à chanter & à entonner iuste. Or on le peut toucher auec tant d'industrie & d'adresse, qu'il ne donnera pas moins de plaisir que les autres instrumens. Quant à sa Tablature on la peut marquer par les notes de la Musique, ou par les lettres de la main Harmonique, A, B, C, &c. ou par les nombres dont se seruent quelques-vns en chantant vn, deux, trois, quatre, cinq, &c. au lieu d'vt, re, mi, fa, sol, &c. de sorte que les treize premiers nombres peuuent seruir pour tous les chants, dont cet instrument est capable : car pourueu que l'on sçache le son de chaque chorde, l'vnité seruira au plus graue, le binaire au second, le ternaire au troisiesme, & ainsi des autres iusques au treziesme qui signifie le son le plus aigu.
PROPOSITION XXVI [XXVII]. Expliquer la figure, la matiere, les parties, l'accord, & l'vsage des Regales de bois, que l'on appelle Claquebois, Patoüilles, & Eschelettes. Pvis que les Flamands se seruent de morceaux de bois pour faire des Regales semblables aux Epinettes, & que ie ne veux rien obmettre de tout ce qui est en vsage chez nos voisins, il est raisonnable de representer cet instrument composé de dix-sept bastons, afin qu'il ayt l'estenduë d'vne Dix-septiesme, dont le son le plus graue est fait par A C, qui doit estre cinq fois aussi long que B D, puis que leurs deux sons suiuent la raison de cinq à vn ; quoy qu'on y puisse adiouster autant de bastons comme il y a de chordes sur l'Epinette. A B G H monstre le parallelogramme qui contient les dix-sept marches du clauier, dont chacune est semblable à la marche E F que i'ay mise à part, afin que l'on comprenne comment la teste F frappe les bastons de ce Claquebois lors que l'on abbaisse la palette E. Or les bastons sont attachez à des clous, ou à des cheuilles en α & β, & sous A & C, afin qu'ils tiennent ferme lors qu'ils sont tendus en l'air. Quant à la matiere on les fait d'vn bois resonnant, comme de hestre, ou de tel autre bois que l'on veut ; mais si on les faisoit d'acier, de leton, ou d'argent, ils rendroient vne harmonie plus agreable. L'accord de ces bastons depend de leurs grandeurs qu'il faut proportionner selon les loix que i'ay prescrit dans les liures de la Theorie : mais leur vsage peut apporter de la lumiere à la Physique, encore que ceux qui en vsent se contentent du plaisir qu'ils reçoiuent des sons, ou de l'apprentissage qu'ils font auec cet instrument pour toucher apres les carillons des cloches, dont [p176] ils se seruent en Flandre pour ioüer toutes sortes de chansons & de concerts, comme ie monstreray dans le liure des Cloches ; d'autant que l'on peut determiner quel est le ton de toutes sortes de corps par le moyen de ces Regales, & par consequent l'on peut sçauoir la raison que leur pesanteur à auec leurs sons, afin de conclure de nouuelles choses de leurs qualitez manifestes ou ocultes ; par exemple si l'on fait des Cylindres de plusieurs sortes de pierres, les sons plus aigus feront voir celles qui seront plus dures, plus seiches, ou plus legeres, &c.
Quant à l'estenduë de chaque partie, elle est de quatre quintes qui font la Dix-septiesme maieure, car outre les trois Quintes qu'elle fait à vuide, elle monte encore d'vne quinte par le moyen du manche que l'on touche. Et les excellens Violons qui maistrisent cet instrument peuuent faire monter chaque chorde iusques à l'Octaue par le moyen du manche, sur lequel ils treuuent 144 demy-tons pour transposer les 12 modes en tel lieu, & à tel ton qu'ils veulent. Or les 2 figures precedentes suffisent pour faire comprendre celles des autres parties, qui ne different que de grandeur, comme il arriue aux autres instrumens, dont les plus grands esbranlent vne plus grande quantité d'air, & font des sons plus graues & plus profonds. Quant à la grosseur & à la longueur des chordes, elles doiuent suiure celles des Violons, & les raisons de l'harmonie : par exemple, celles du Dessus doiuent estre huict fois moindres que celles de [p180] la Basse, lors qu'elles montent plus haut de trois Octaues, si l'on desire que la Musique soit parfaite, encore que ceux qui ioüent de cet instrument n'obseruent pas ces grandeurs si exactement, & que les Facteurs ne fassent pas les tables, les corps, & les manches en mesme raison que les sons qu'ils en veulent tirer, neantmoins s'ils en veulent prendre la peine, il n'est pas si difficile que l'on ne puisse le pratiquer, car si la plus grosse chorde de la Haute-contre est plus basse d'vne Quinte que celle du Dessus, il faut que ces quatre chordes soient sesquialteres de celles du Dessus tant en longueur qu'en grosseur, c'est à dire qu'elles ayent trois pieds de long si celles du Dessus ont deux pieds ; & si la plus grosse de la Taille descend plus bas d'vne Octaue que celle du Dessus, elles doiuent auoir toutes leurs dimensions doubles de celles du Dessus. Finalement, si la plus grosse chorde de la Basse est à la Douziesme, ou à la Quinziesme du Dessus, elle doit auoir ses chordes trois ou quatre fois plus grosses & plus longues. Mais i'ay fait vn discours particulier de la raison de toutes sortes de chordes dans le traité de l'Epinette, où l'on void la iuste proportion de leurs grandeurs.
PROPOSITION IX. Expliquer la capacité des Violes dans les Concerts, la diuision & la science de leurs manches, & les pieces de Musique qui se peuuent ioüer dessus, & la maniere de les accorder pour en faire des Concerts. Encore que les Violes soient capables de toutes sortes de Musique, & que les exemples que i'ay donné pour le concert des Violons leur puissent seruir, neantmoins elles demandent des pieces plus tristes & plus graues, & dont la mesure soit plus longue & plus tardiue ; de là vient qu'elles sont plus propres pour accompagner les voix. Or l'on peut ioüer toutes sortes de pieces non seulement à cinq parties, comme l'on fait ordinairement sur les Violons, mais à six, à sept, à douze, & à tout autant de parties que l'on veut ; ce qui peut semblablement estre executé par tous les autres instrumens, qui ont assez d'estenduë. Mais il suffit de mettre icy le commencement d'vne Composition à six parties, laquelle a deux Dessus, deux Basses, vne Taille & vne Haute-contre. Or il faut remarquer que les Anglois ioüent ordinairement leurs pieces vn ton plus bas que les François, afin d'en rendre l'harmonie plus douce & plus charmante, & consequemment que leur sixiesme-chorde à vuide fait le C sol au lieu que la nostre fait le D re sol, comme l'on void aux notes qui sont à costé de la Viole ; d'où il s'ensuit qu'ils marquent plusieurs ♭ mols & dieses, dont [p199] nous n'vsons pas ordinairement. Quant à la diuision du manche de la Viole, elle n'est pas differente de celle du manche du Luth ; c'est pourquoy i'adiouste seulement icy vne nouuelle maniere pour le diuiser, laquelle depend des onze moyennes proportionnelles, dont i'ay donné l'inuention dans la quatorze & quinziesme Proposition du premier liure, & dans la septiesme du second liure. Mais il faut premierement supposer que la chorde entiere, ou la longueur de la Viole depuis le sillet iusques au cheualet soit diuisée en 200000. parties esgales, dont ayant osté 11230. parties, l'on aura le nombre 188770. pour le lieu de la premiere touche d'enhaut, & ainsi des autres nombres qui sont vis à vis des lettres de chaque touche iusques au dernier 100000, qui donne la derniere touche n, laquelle fait l'Octaue en haut auec la chorde entiere exprimée par l'a. [Ligne Harmonique.]
PROPOSITION XI [IX]. Determiner pourquoy vne chorde touchée à vuide fait plusieurs sons en mesme temps. Il semble qu'Aristote a cogneu cette experience, lors qu'il a fait la question pourquoy le son graue contient l'aigu dans le 8. Probleme de la 19. Section, pourquoy il deuient plus aigu en finissant, dans l'onziesme : à quoy l'on peut rapporter le 12 & le 13. Probleme, & d'où plusieurs autres Problemes de la mesme Section peuuent estre entendus, de sorte que cette Proposition est fort vtile pour la Philosophie d'Aristote. Mais il faut remarquer qu'il n'a pas sceu que la chorde frappée, & sonnée à vuide fait du moins cinq sons differens en mesme temps, dont le premier est le son naturel de la chorde, qui sert de fondement aux autres, & auquel on a seulement esgard pour le chant & pour les parties de la Musique, d'autant que les autres sont si foibles qu'il n'y a que les meilleures oreilles qui les entendent aysément. Or il faut choisir vn grand silence pour les apperceuoir, encore qu'il ne soit plus necessaire quand on y a l'oreille accoustumée : & si les Musiciens ne peuuent les ouyr aussi tost qu'ils touchent quelque chorde d'vn Luth, d'vne Viole, ou d'vn autre instrument, comme il arriue à plusieurs ioueurs de Luth, qui sont tellement preuenus & preoccupez des sons naturels de la chorde, qu'il n'y a (ce semble) plus de lieu dans leur sens commun, ou dans leur imagination pour receuoir l'idée ou l'espece de ces petits sons delicats, il faut qu'ils ayent patience, ou qu'ils prennent vne Basse de Viole, dont ils touchent la 6, 5, ou 4. chorde la nuit, & qu'ils se rendent grandement attentifs, car il est difficile qu'ils la touchent delicatement auec l'archet, qu'ils n'entendent plusieurs sons en mesme temps. Quant à moy ie n'y ay nulle difficulté, & i'ay rencontré plusieurs Musiciens qui les entendent aussi bien que moy, & ne doute nullement que chacun ne les entende, lors que l'on y apportera l'attention necessaire : c'est pourquoy ie mets icy les obseruations que i'ay iustifiées tres-exactement plus de cent fois, tant sur vne Viole & sur vn Tuorbe, que sur deux Monochordes, dont l'vn a ses chordes de leton, & l'autre de boyau & de leton, & dont l'vn à trois pieds, & l'autre quatre pieds ; de sorte qu'il est tres-certain que ces differens sons ne viennent pas des autres chordes qui sont sur les instrumens, & qui tremblent sans estre touchées, comme i'ay dit ailleurs, puis que la seule chorde des Monochordes fait les mesmes sons.
Or ces sons suiuent la raison de ces nombres l, 2, 3, 4, 5, car l'on entend quatre sons differens du naturel, dont le premier est à l'Octaue en haut, le second à la Douziesme, le 3 à la Quinziesme, & le 4 à la Dix-septiesme maieure comme l'on void par lesdits nombres qui contiennent les raisons de ces consonances en leurs moindres termes. Où il faut remarquer deux choses, à sçauoir que nul son ne s'entend iamais plus bas, ou plus graue que le son naturel de la chorde, car ils sont tous plus aigus ; & que ces sons suiuent le mesme progrez des sauts de la trompette, dont ie parleray dans le liure des instrumens à vent, qui sert pour entendre cette difficulté, c'est pourquoy l'on peut lire & ioindre le traité de la trompette auec cette Proposition. [p209] Outre ces quatre sons extraordinaires, i'en entends encore vn cinquiesme plus aigu, que i'oy particulierement vers la fin du son naturel, & d'autresfois vn peu apres le commencement : il fait la Vingtiesme maieure auec le son naturel, auec lequel il est comme trois à vingt. Mais i'experimente quasi tousjours que la Douziesme, & la Dix-septiesme s'entendent plus distinctement que les autres : de là vient qu'il semble souuent que l'on n'oyt que l'vne des deux, que l'on prend aysément pour la Quinte & pour la Dixiesme, si l'on n'y prend garde fort exactement : & quand on entend l'Octaue & la Quinziesme, celle-cy s'entend plus distinctement que celle-là ; de sorte qu'il faut icy examiner plusieurs difficultez, & particulierement pourquoy les vns s'entendent mieux que les autres, pourquoy tous ne les entendent pas, comme il est possible qu'vne mesme chorde face plusieurs sons en mesme temps, pourquoy elle fait plustost ceux dont i'ay parlé, que les autres qui ne montent pas si haut : pourquoy elle n'en fait point de plus graues que celuy qui est naturel à la chorde, & pourquoy l'on n'entend que la Douziesme dans les tuyaux d'Orgue.
D'abondant la raison d'Aristote n'est pas vniuerselle, car encore que la chorde soit deux fois plus grosse, ou plus longue, elle peut faire des sons plus aigus qu'vne plus deliée & plus courte, ce qui arriue par les differentes tensions, ou les differentes matieres, comme i'ay demonstré clairement dans le troisiesme liure. Et puis la cause immediate des sons se prend du nombre des battemens de l'air, comme i'ay demonstré dans le mesme lieu, & non de la longueur des chordes. C'est pourquoy il faut examiner comme il se peut faire [p210] que la mesme chorde batte l'air differemment en mesme temps, car puis qu'elle fait les cinq ou six sons dont i'ay parlé, il semble qu'il est entierement necessaire qu'elle batte l'air 5, 4, 3 & 2 fois en mesme temps qu'elle le bat vne seule fois, ce qui est impossible de s'imaginer, si ce n'est que l'on die que la moitié de la chorde le bat deux fois tandis que la chorde entiere le bat vne fois, & qu'en mesme temps la 3, 4 & 5 partie le battent 3, 4 & 5 fois, ce qui est contre l'experience, qui monstre euidemment que toutes les parties de la chorde font vn nombre esgal de retours en mesme temps, car toute la chorde estant continuë n'a qu'vn seul mouuement, quoy que ces parties se meuuent d'autant plus lentement qu'elles sont plus proches des cheualets. D'où il est aysé de conclure ce que i'ay desia demonstré dans le 2, 3 & 4 liure, à sçauoir que le son graue ne vient pas absolument de la lenteur ou tardiueté du mouuement, puis que les parties de la chorde qui se meuuent plus lentement que celles du milieu ne font pas des sons plus graues, que le naturel, qui procede particulierement desdites parties du milieu, puis qu'estant le plus fort il doit venir du plus grand mouuement : car l'on entend tousiours les sons en haut à l'aigu du naturel, & iamais en bas comme i'ay dit cy-dessus.
Il faut seulement remarquer que le Diapason des Flageollets ne suit pas celuy des chordes, ny celuy des tuyaux d'Orgues, comme ie monstreray apres, car il suffit d'expliquer icy son estenduë & sa tablature, que le Vacher, qui est le plus excellent Facteur de Flageollets que nous ayons, marque en cette maniere. Par où l'on void que l'on peut vser des notes de la Musique pour marquer les tons, l'estenduë, & les chansons du Flageollet, d'autant qu'elles seruent de tablature vniuerselle pour toutes sortes d'instrumens, comme i'ay monstré dans le liure precedent. [p233] Or les deux premieres lignes contiennent la tablature du Flageollet par ♮ quarre, & les deux dernieres par ♭ mol : mais les quinze dernieres notes, & les quinze rangs des autres caracteres qui leur respondent, suffisent pour expliquer ladite tablature, & l'estenduë de cet instrument, qui consiste dans vne Quinziesme, qui est contenuë par les quinze notes, encore que i'aye mis les dix precedentes, afin d'obseruer la pratique de ceux qui enseignent à ioüer du Flageollet, qui commencent par le G re sol en touchant seulement les trois derniers trous six, cinq & quatre, & en laissant les trois autres ouuerts trois, deux & vn ; & qui mettent les deux dieses que l'on void à la premiere ligne des notes, pour signifier qu'elles se chantent par ♮ quarre, encore qu'elles soient superfluës pour ceux qui entendent la pratique des notes, dans laquelle la seule absence du ♭ mol signifie le ♮ quarre. Mais cette tablature est si aysée, à raison que toutes les regles qui ont des zero, ou qui n'ont point de petites lignes perpendiculaires, signifient que l'on doit ouurir les trous qui respondent à ces lignes, qu'il n'est pas besoin de l'expliquer. Ie donneray seulement vn exemple pour en monstrer la pratique. Si l'on veut faire le ton plus graue, ou le plus bas du Flageollet, qui est marqué par la derniere note, & par le dernier rang des petites lignes, ce rang enseigne qu'il faut boucher les six trous, qui sont representez par les six regles, & qu'il faut boucher le trou de la pate à demy : ce qui est signifié par la ligne qui trauerse le dernier zero : ce que l'on entendra encore mieux par le discours qui suit, d'autant qu'il enseigne la maniere de sonner du Flageollet.
Quant à l'estenduë de la Trompette, elle est merueilleusement grande, lors que l'on en sonne en perfection, & que l'on prend tous ses tons depuis le plus graue iusques au plus aigu, car elle fait vne Trente-deuxiesme : de sorte qu'elle surpasse tous les clauiers des Epinettes & des Orgues. Mais parce qu'il se rencontre peu de personnes qui la fassent descendre des deux derniers [p249] tons, qui sont marquez souz le C sol vt fa dans la figure de l'autre Trompette en taille douce que ie donneray apres, il suffit de luy donner l'estenduë d'vne Vingt-neufiesme, c'est à dire des quatre Octaues, qui font l'estenduë des clauiers : & parce que ie veux examiner pourquoy la Trompette fait les interualles des consonances deuant ceux des dissonances, & les plus grandes consonances deuant les moindres, il faut icy considerer les raisons desdits interualles, afin de rechercher pourquoy elle les choisit tellement que l'on n'en peut faire d'autres en leur place. Or ie commence ces interualles par son ton plus graue, qui est en C sol vt fa, dans lequel ie les termine aussi, apres qu'il a esté trois fois repeté : mais il faut remarquer que les premiers nombres à main gauche ne vont que iusques à la Vingt-quatriesme, d'autant que l'on ne peut continuer les raisons des autres interualles sans vser de fraction, lors que l'on retient les termes radicaux : les seconds nombres qui sont à main droite, commencent par le 9, parce qu'il faut multiplier tous les precedens par 9, afin de continuer tous les interualles de l'estenduë d'vne Vingt-neufiesme sans aucune fraction. Or il est si aysé d'en comprendre l'estenduë par cette table, qu'il n'est pas besoin de l'expliquer puis qu'outre les nombres qui sont d'vn costé & d'autre, i'ay marqué chaque interualle par son propre nom : de sorte qu'il ne reste plus qu'à expliquer pourquoy la Trompette passe tout d'vn coup à l'Octaue, & puis à la Quinte sans pouuoir passer par les degrez du milieu : ce qui semble estre contraire à la maxime, qui asseure que l'on ne peut passer d'vne extremité à l'autre sans passer par le milieu : quoy que l'on puisse respondre que cet instrument, & quant & quant la voix, & le vent ont vn mesme priuilege que l'esprit, qui passe souuent d'vne raison à l'autre sans considerer celles qui sont entre-deux : mais cette difficulté merite vne Proposition particuliere. [Estendue de la Trompette - C sol vt fa - Octaue - C sol vt fa - Quinte - G re sol vt - Quarte - C sol vt - Tierce maieure - E mi la - Tierce mineure - G re sol vt - Quarte - C sol vt - ton maieur - D la re sol - ton mineur - E mi la - demiton maieur - F vt fa - ton maieur - G re sol vt - ton mineur - A mi la re - ton maieur - ♮ mi - demiton maieur - C sol vt fa].
Il est certain qu'il n'y a nulle addition plus courte, & plus aysée que celle qui se fait d'vn à vn, d'vn à deux, d'vn à trois, &c. or quand la Trompette passe par les interualles que i'ay expliquez, elle ne fait autre chose que d'aiouster vn à vn, vn à deux, &c. il est donc necessaire qu'elle passe par ces interualles, si l'on ne l'en empesche en la forçant contre son naturel. La maieure est si euidente qu'elle n'a pas besoin d'estre prouuée, si l'on ne veut esclairer le Soleil en plein midy : quant à la mineure elle est tres-aysée à prouuer, car supposé que le son le plus graue, c'est à dire le premier ton de la Trompette se fasse par vn seul retour, ou battement d'air, si l'on adiouste vn autre battement, on fera l'Octaue, & si l'on adiouste encore vn battement aux deux precedens, l'on fait le troisiesme ton de la Trompette, qui est à la Douziesme du premier, & à la Quinte du second. Et puis si l'on adiouste vn battement aux trois precedens, l'on fait le quatriesme ton, qui fait la Quinziesme, ou la double Octaue auec le premier, l'Octaue auec le second, & la Quarte auec le troisiesme. Si l'on adiouste encore vn autre mouuement pour auoir le cinquiesme ton de la Trompette, lequel est composé de cinq battemens d'air, qui se font en mesme temps que le seul battement du premier ton, ou que les deux du deuxiesme ton, &c. il fait la Dix-septiesme maieure auec le premier ton, & la Tierce maieure auec le quatriesme. Et si l'on adiouste vn autre battement aux cinq precedens, l'on fait la Tierce mineure. Par où l'on void que le progrez de la nature est amy de l'harmonie, qu'elle [p251] gouuerne ou dont elle depend : de sorte qu'il semble que la nature ou ses mouuemens ne soient autre chose qu'vne rauissante harmonie, qui nous inuite à considerer la premiere source, dont elle prend sa naissance, c'est à dire à contempler Dieu, qui en est l'Autheur, & à l'aymer sur toutes choses. D'où il est aysé de conclure que l'ordre des Consonances est naturel, & que la maniere dont nous contons en commençant par l'vnité iusques au nombre de six, & au delà, est fondée dans la nature.
PROPOSITION XIV. Expliquer pourquoy la Trompette ne suppose pas chacun de ces tons pour l'vnité, & par consequent pourquoy elle ne fait pas tousiours l'Octaue à chaque interualle. Pvis que l'on peut supposer 2, 4, 8, &c. aussi bien qu'vn pour le premier son de la Trompette, il est ce semble difficile de sçauoir pourquoy elle ne fait pas aussi aysément l'Octaue, ou la Quinte, ou tel autre interualle que l'on veut, au 3 & 4 interualle, &c. comme au 1 & au 2, puis que son 3 & 4 son, &c. peuuent aussi bien estre supposez pour l'vnité, comme le premier. Neantmoins il est aysé d'expliquer cette difficulté, si l'on veut vser de suppositions veritables, & de celles que donne la nature, sans s'amuser aux imaginaires, qui n'ont pas leur fondement dans la realité des choses, d'autant qu'il est certain que le premier son de la Trompette est au second comme vn à deux, car les battemens de l'air, qui font le premier son, durent deux fois autant que ceux qui font le second, c'est à dire que l'air bat deux fois dans le second son, tandis qu'il bat vne seule fois dans le premier son, comme i'ay prouué ailleurs ; de sorte que si l'on prend toute l'estenduë de la Trompette pour son corps entier, l'on trouuera qu'il est impossible que le premier son puisse estre supposé pour autre chose que pour l'vnité, le second pour le binaire, le troisiesme pour le ternaire, &c. Ce que l'on peut entendre par la comparaison d'vn [p254] corps, car si l'on suppose que l'vn de ses costez soit de deux pieds, & qu'il soit cube, c'est chose asseurée que la surface de l'vn de ses costez aura quatre pieds, & que sa solidité en aura huit : mais si apres auoir trouué quatre pour la surface, l'on vouloit encore supposer que cette surface n'a que deux pieds, l'on ne pourroit trouuer son conte, ny la solidité que l'on cherche, ny par consequent la verité. C'est pourquoy il faut tousiours suiure le premier fondement que l'on a pris dés le commencement, si l'on ne veut que tout ce qu'on bastit se ruine de soy-mesme : & consequemment si l'on prend l'vnité pour le premier son de la Trompette, il n'est plus permis de la supposer pour ses autres sons. La mesme chose arriuera, si l'on suppose 2, 3, 4, 5, &c. pour le premier son, car l'on rencontrera tousiours le mesme raisonnement, & les mesmes interualles que i'ay expliquez. Et si l'on obiecte qu'en supposant le premier son pour l'vnité, l'on peut s'en imaginer vn plus graue, qui se fasse par la moitié de l'vnité, & puis vn autre qui se fasse par le quart, & ainsi des autres, suiuant ces nombres 1/2, 1/4, 1/8, 1/16, &c. il faut respondre qu'il ne se peut faire de son d'vn demy, ou d'vn quart de battement ou de retour, car il faut pour le moins battre vne fois l'air pour faire vn son, or l'on ne peut le battre plus d'vne fois, qu'on ne le batte pour le moins deux fois, & puis trois fois, &c.