Le second Bransle s'appelle Gay, & se danse plus viste que le premier : il est composé de six mouuemens, de trois pas, & de deux mesures, & suit le battement du tambour de Suisse, c'est à dire qu'il se danse souz l'Ionique mineur ∪ ∪ − −. Son Exemple est aussi du septiesme Mode transposé comme le precedent, & sa mesure est ternaire.
Le troisiesme se nomme Bransle à mener, ou de Poitou, sa mesure est sesquialtere, ou hemiolia. Il a neuf pas, six mesures & dix-huict mouuemens : sa mesure est Peonique. Or chacun meine le Bransle à son tour, & le premier qui le meine quitte la main gauche & fait la reuerence à la personne qu'il tient de la main droite ; & apres auoir baisé la main, il la reprend & meine le Bransle, qui coule fort viste, & ayant fait vn ou deux tours par la sale, il quitte la personne qu'il tenoit par la main, afin d'aller chercher la queuë du Bransle, & de donner la main gauche à la personne qu'il trouue au bout ; & si tost que chacun a mené quelqu'vn à son tour, on se remet en rond pour dancer les [p168] autres Bransles. Quelques-vns rapportent le mouuement de cette dance au battement du Mareschal : son Exemple est encore du septiesme Mode.
Si nos Compositeurs ont l'oreille si delicate qu'ils craignent que ces vocables Grecs ne la blesse, ils peuuent vser de tels noms qu'il leur plaira, par exemple de ceux qui donnent à leurs airs, dont ils disent que ceux-cy ont le mouuement de la Courante, ceux-là de la Sarabande, & ainsi des autres : ou de ceux qui se remarquent aux differens battemens des Tambours, des mareschaux, des fleaux dont plusieurs battent ensemble les bleds dans les granges, & dans les aires, & plusieurs autres que l'on obserue dans plusieurs arts. Quoy qu'il en soit, il est necessaire que tous les airs, & toutes les danses se facent souz les mouuemens precedens, dont chaque partie peut estre appellée pied, pas, ou point.
Il faut encore remarquer qu'ils font durer vne mesure plus ou moins comme [p138] ils veulent : mais il est necessaire d'establir vn temps certain & determiné pour la mesure, si l'on veut sçauoir combien l'on peut faire de sons, c'est à dire combien l'on peut chanter de notes dans le temps d'vne mesure : & parce que les Astronomes ont diuisé chaque minute de temps en 60 parties, & que chaque 60 partie de minute, qu'ils nomment seconde, est esgale à vn battement ordinaire du poux, comme i'ay desia dit ailleurs, ie suppose maintenant qu'vne mesure dure vne seconde minute, & dis qu'il n'y a point de main si viste qui puisse toucher plus de 16 fois vne mesme chorde, ou plusieurs, ny voix qui puisse chanter plus de 16 notes ou doubles crochuës dans le temps d'vne seconde minute, & consequemment que ceux qui font 32 notes à la mesure employent 2 secondes dans la mesure, & que ceux qui en font 64 font la mesure de 4 secondes ou de 4 battemens de poux : ce que i'ay obserué dans l'experience des meilleurs ioüeurs de Viole & d'Epinette, & ce que chacun remarquera en faisant reflexion sur le ieu de ceux que l'on estime auoir la main tres-viste & tres-legere, quand ils vsent de toute la vistesse qui leur est possible.
PROPOSITION XV. Determiner si l'on peut toucher les chordes des instrumens, ou leurs touches si viste que l'oreille ne puisse discerner si le son est composé d'autres sons differens, ou s'il est vnique & continu. Cette difficulté me semble tres-grande, car l'on peut acquerir vne tresgrande vistesse de main par vn long exercice, & l'on n'a peut-estre pas encore experimenté toute la puissance de l'art en cette matiere. Or nous pouuons iuger de quelle vistesse il faudroit toucher les chordes pour faire vn son composé de plusieurs sons de differentes chordes, par la vistesse des retours, qui representent tellement le son à l'oreille, qu'elle ne peut discerner s'il est fait d'vn seul tremblement, & s'il est continu, ou s'il est faict par plusieurs tremblemens interrompus. L'experience enseigne que les plus grosses chordes des plus grands instrumens, par exemple celles de l'Epinette & des Tuorbes, descendent iusques à l'vnisson d'vn tuyau d'Orgue de 8 pieds de long, & consequemment que leur son se fait par 30 retours ou enuiron ; or l'oreille ne peut apperceuoir si ce son est fait de differents retours, c'est à dire par vn mouuement interrompu, ou par vn mouuement continu, d'où ie conclus que si l'on touche vne mesme chorde 30 fois, tandis que ces 30 retours se feront, que l'oreille ne pourra distinguer si elle est touchée plusieurs fois, & qu'elle apprehendera ce son comme s'il estoit vnique & continu, car puis que l'on ne peut discerner les battemens, ou les tours & retours de la chorde qui est à l'vnisson d'vn tuyau de 8 pieds, l'on ne pourra semblablement discerner les [p139] mouuemens de l'archet, qui touchera vne mesme chorde aussi souuent, & aussi viste comme se font lesdits retours. Car si l'archet, ou le doigt qui se meut 30 fois dans vne seconde minute, faisoit vn son que l'on peust ouyr, c'est chose asseurée qu'il seroit à l'vnisson de ladite chorde, puis que leurs retours seroient esgaux, & consequemment l'on auroit deux sons à l'vnisson, à sçauoir celuy de la chorde, & celuy de l'archet, qui seroit beaucoup plus foible que celuy de la chorde, parce qu'il toucheroit moins d'air : quoy que l'on puisse dire qu'il ne se feroit qu'vn mesme son composé du mouuement de la chorde, & de celuy de l'archet : d'autant que ses allées & ses venuës responderoient iustement aux tours & retours de la chorde.
PROPOSITION XVII. L'on peut sçauoir combien de fois les chordes du Luth, de l'Epinette, des Violes & des autres instrumens battent l'air : c'est à dire, combien de fois elles tremblent, ou combien elles font de tours & de retours durant vn concert, ou en tel autre temps que l'on voudra determiner. Il est tres-aysé de cognoistre le nombre des battemens, ou retours de toutes les chordes de tel instrument que l'on voudra, si l'on a compris ce que i'ay dit de ces tremblemens dans vn autre lieu, pourueu que l'on sçache le nombre des instrumens dont on vse, & l'espace du temps que dure le concert. Neantmoins ie veux icy repeter ce qui est necessaire pour l'intelligence de cette proposition ; & premierement que la chorde, qui est à l'vnisson d'vn tuyau d'Orgue de 4 pieds ouuert, fait 48 retours dans l'espace de la trois mille [p141] sixcentiesme partie d'vne heure, c'est à dire dans l'espace d'vne seconde minute, qui est la durée d'vn battement du coeur, ou du poux tres-lent & paresseux. Secondement, que les retours des chordes se multiplient en mesme proportion que les sons deuiennent plus aigus ; & consequemment lors que l'on sçait le nombre des retours d'vne chorde, dont on cognoist le son, on sçait quant & quant le nombre des retours de toutes sortes de chordes, dont on cognoist les sons.
Or cecy estant presupposé, Ie veux dresser vne table, par le moyen de laquelle l'on cognoistra tout aussi tost combien les chordes de tous les instrumens d'vn concert font de retours, ou combien de fois elles battent l'air ; & parce que chaque periode de la chorde comprend son allée & son retour, le nombre des battemens d'air est deux fois plus grand que celuy de ses retours, c'est pourquoy la table qui suit, monstrera seulement les retours, dont les nombres doublez donneront le nombre des battemens. Et parce que les concerts à plusieurs parties contiennent ordinairement l'estenduë de 2, 3, ou 4 Octaues, & que tous les instrumens pris ensemble peuuent s'estendre iusques à 8 Octaues, comme i'ay monstré dans vn discours particulier ; la table qui suit contient 8 colomnes, dont chacune a vne Octaue entiere. Mais il faut remarquer que la premiere colomne, qui est à la marge, sert de conduite aux 8 suiuantes, dont les nombres qui representent les retours, ou les battemens des chordes, sont en mesme raison que ceux de ladite colomne ; quant à la premiere colomne des retours, elle comprend la plus basse Octaue, & la huictiesme contient la plus aiguë.
Or chaque Octaue a 19 chordes, notes, ou caracteres, d'autant qu'on ne peut marquer la Musique à plusieurs parties sans se seruir de ce nombre dans chaque Octaue, comme i'ay prouué dans vn autre lieu. Quant à l'vsage de cette table, il est si aysé, qu'il n'est quasi pas besoin de l'expliquer, car le premier nombre de la premiere colomne, à sçauoir 6, signifie que le son le plus graue de tous les instrumens, à sçauoir le son du tuyau d'Orgue de 32 pieds, se fait par les 6 retours de la chorde, qui bat 12 fois l'air dans l'espace d'vn battement de coeur ; & les autres nombres qui suiuent, tant dans cette Octaue, que dans les 7 autres, representent tousiours le nombre des retours de chaque chorde, qui respond à chaque note, ou lettre de l'Octaue, qui est marquée à la marge : par exemple, le premier ou le moindre nombre de la 8 Octaue signifie que la plus basse chorde de la 8 Octaue fait 768. retours dans l'espace d'vn battement de poux, c'est à dire dans le temps d'vne seconde minute : & le 2 nombre de la mesme colomne, à sçauoir 800, signifie que la chorde qui a ce son, fait 800 retours dans le mesme temps. [Tablature du nombre des tremblemens que font les chordes - demy-ton mai. - demy-ton min. - comma - diese]
D'où il s'ensuit que l'on sçaura combien de fois l'air est battu par chaque chorde en regardant cette table, car si l'on veut cognoistre le nombre des battemens de chaque chorde de l'vne des Octaues, par exemple de la Cinquiesme, qui monstre le nombre des retours, il faut prendre les nombres de la 6 Octaue, qui sont doubles de ceux de la 5, d'autant que i'ay desia dit que chaque periode de la chorde est composée du tour & du retour, & consequemment contient deux battemens d'air : mais si l'on prend l'vne des colomnes pour les battemens, & non pour les retours, la colomne precedente donnera le nombre des retours : par exemple, si la 6 colomne est prise pour le nombre des battemens, la 5. donnera le nombre des retours, qui sont tousjours [p142] la moitié de chaque nombre des battemens, de sorte que les deux colomnes qui se touchent, sont reciproques. Or puis que les nombres de ces 8. colomnes suiuent, ou contiennent les raisons des degrez de la Musique, l'on en peut vser pour composer telle piece que l'on voudra, comme nous nous sommes seruis ailleurs d'autres nombres, qui ont les mesmes raisons, pour le mesme sujet ; par dessus lesquels ceux-cy ont le priuilege de monstrer tous les [p143] retours de chaque chorde, & tous les battemens d'air, dont se forment les sons & la Musique, & consequemment ils sont plus propres pour expliquer la nature de l'Harmonie, que nuls autres nombres.
Quant à la voix plus aiguë du Dessus, elle est plus haute d'vne Vingtiesme maieure que la voix precedente de la Basse, & consequemment les 4 parties de cet air comprennent la 4 & 5 colomne toutes entieres, & la 6 iusques à son A mi la re. Or la table qui suit, fait voir les mesures de chaque Partie, & les retours de chaque chorde, car la premiere colomne de chaque partie represente les chordes, ou les lettres d'où dependent les notes ; la seconde contient le temps, ou la mesure des notes qui sont sur chaque lettre ; & la troisiesme comprend le nombre des retours que font les chordes qui appartiennent à la mesme lettre. Or parce que toutes les parties chantent tousiours ensemble sans se reposer, elles ont chacune 22 mesures, comme l'on void en adioustant toutes les mesures de chaque partie. Tablature des retours ou mouuemens que font les chordes, ou les voix qui chantent l'air d'Anthoine Boësset Intendant de la Musique de la chambre du Roy, & de la Reyne. [Basse - Taille - Haute-contre - Dessus - lettres - mesures - retours].
[p144] Or si l'on adiouste les battemens, ou retours de ces 4 parties, l'on en trouuera 12560 1/3, & l'on aura tous les retours de cette chanson : ce qui est si aysé à faire à ceux qui sçauent l'Arithmetique, qu'il n'est pas besoin de nous y arrester.
COROLLAIRE II L'on peut tirer de l'vtilité de ces tremblemens, & particulierement la comparaison des mouuemens du cœur & du poux, & de plusieurs autres choses naturelles auec lesdits tremblemens ; or l'on peut considerer de combien chaque partie de Musique doit faire plus ou moins de retours l'vne que l'autre pour rendre vn concert parfait ; quoy que cette difficulté ne soit pas differente de celle que l'on propose, lors qu'on demande combien les parties doiuent estre esloignées les vnes des autres, c'est à dire combien elles doiuent estre graues ou aiguës pour faire vne excellente Musique, puis que les sons plus aigus se font par la multiplication, ou l'addition des retours, comme les plus graues se font par la diuision ou la souz-traction des mesmes retours, car toute la Musique n'est autre chose que l'addition, ou la soubtraction desdits retours, ou des battemens de l'air, comme i'ay desia remarqué dans vn autre discours.
COROLLAIRE III. Il y a de l'apparence que ceux qui prennent plaisir à esleuer leur esprit à Dieu, & qui desirent de luy offrir autant de mouuemens de leur amour & d'actes d'adoration, comme les chordes des instrumens qu'ils oyent, font de retours, ne diront pas que la cognoissance du nombre des battemens d'air soit inutile, & que ceux qui auront assez de iugement pour considerer que la Musique n'est autre chose que le nombre des differens battemens de l'air, & que le son, à proprement parler, n'est rien, si l'oreille ne luy donne la nature du son, & qu'il seroit plus veritable de dire que nous sentons des mouuemens d'air, que de dire que nous oyons des sons, aduoüront franchement qu'il [p145] n'est pas possible d'auoir vne parfaite cognoissance de la Musique, & mesme que l'on ne peut cognoistre ses principes, si l'on ne sçait ce que nous auons dit des retours & des battemens.
COROLLAIRE IIII Or s'il faut conclure de cette proposition, que si quelques-vns pouuoient toucher 64 crochuës dans l'espace d'vne mesure, qui dure 1/60 de minute, qu'ils mouueroient les doigts, la main, ou l'archet autant de fois comme la chorde de B fa, qui est dans la 3. Octaue de la table precedente, fait de tours & de retours dans vne seconde minute, & consequemment qu'il ne seroit pas possible de distinguer ou de conter les mouuemens de l'archet, ou des doigts, ou les fredons de la gorge, que feroient lesdites 64 crochuës : car l'imagination ne peut conter distinctement que 10 battemens de la chorde dans vne seconde minute, quoy que l'on puisse iuger confusément d'vn plus grand nombre. Mais il est difficile d'expliquer comme se fait le son de la chorde que l'archet touche 64 fois dans vne mesure, car si cette chorde ne tremble pas dauantage de fois qu'elle est touchée, il semble que le mouuement de l'archet, ou du doigt qui touche la chorde, soit vne mesme chose auec lesdits tremblemens : en suite de quoy il faut dire que la chorde auroit le mesme son, quoy qu'elle ne tremblast point, d'autant que celuy qui la touche, supplée le tremblement qui vient de la tension de la chorde, puis qu'il luy fait faire 64 tours & autant de retours dans l'espace d'vne mesure : mais ie traicteray de cette difficulté dans le discours de la Lyre.
COROLLAIRE V Si l'on comprend la tablature du retour, ou du battement des chordes, l'on peut dire le son que peut faire chaque chorde, encore que l'on n'oye nullement le son qu'elle a, pourueu que l'on voye ses retours ; car si, par exemple, elle fait seulement 6 retours dans l'espace de la mesure de ladite tablature, on est asseuré qu'elle fait la Vingt-deuxiesme contre la plus basse note de l'air precedent : & si l'on tendoit vn chable qui ne feist que trois retours dans le mesme temps, il feroit vn son plus bas de 4 Octaues que la plus basse note dudit air ; mais i'ay desia traicté de cette difficulté dans la 12. Proposition.
COROLLAIRE VI Ce qui a esté dit iusques à present peut aussi seruir pour la tablature du tremblement ou fremissement des cloches, & du mouuement de tous les autres corps, par exemple du mouuement des fueilles d’arbres, des oyseaux qui volent, & des autres corps qui battent l’air, parce que lors qu’vn corps bat autant de fois l’air que les chordes des instrumens, l’on peut dire qu’il fait l’vnisson auec lesdites chordes. De là vient que l’on ne peut apporter d’autre raison formelle & immediate, pourquoy vne cloche a le son plus graue ou plus aigu que l’autre, sinon parce que les parties de l’vne fremissent plus viste, & consequemment battent l’air plus souuent. Il faut neantmoins remarquer que l’on n’oyt pas les battemens d’air de toutes sortes de corps, quoy qu’ils soient [p146] aussi frequents que ceux de la chorde du Luth, de la Viole & des Cloches, comme il arriue quand l’air battu n’est pas enfermé, & que ses mouuemens ne sont pas reflechis, comme ils sont par la table & par le corps des instrumens : de là vient que l’on a de la peine à ouyr les chordes de Luth qui se meuuent dans vn air libre, tandis que l’on les tient par les deux extremitez auec les doigts, d’autant que le son n’estant pas reflechy n’est pas assez fort pour estre ouy, comme i'ay desia remarqué dans vn autre lieu.
COROLLAIRE VII Il est aysé de conclure de tout ce discours que l'on peut determiner les sons, les consonances & les dissonances que font les mouuemens du vent, du tonnerre, de la gresle, des boulets de canon, & des flesches, pourueu que l'on cognoisse combien de fois l'air est battu par ces corps : car on cognoist le nombre de ces battemens, quand on oyt le son ou le bruit desdits corps, si l'on a l'oreille assez bonne pour iuger de la grauité, ou de l'aigu du son. Il faut conclure la mesme chose du bruit que fait la flamme de la chandelle, & des bruits differents que l'on remarque dans l'art, ou dans la nature : ce qui peut encore seruir pour iuger de la legereté & de la pesanteur des corps qui se meuuent, ou de la force dont ils sont poussez ; comme ie monstre dans vn autre discours.
PROPOSITION XVIII. Tous les Musiciens du monde feront chanter vne mesme piece de Musique selon l'intention du Compositeur, c'est à dire au ton qu'il veut qu'elle se chante, pourueu qu'ils cognoissent la nature du son. Vne nouuelle maniere de marquer, & de battre la Mesure est icy expliquée. Cette proposition est l'vne des plus belles de la Musique Pratique, car si l'on enuoyoit vne piece de Musique de Paris à Constantinople, en Perse, à la Chine, ou autre part, encore que ceux qui entendent les notes, & qui sçauent la composition ordinaire, la puissent faire chanter en gardant la mesure, neantmoins ils ne peuuent sçauoir à quel ton chaque partie doit commencer, c'est à dire combien la premiere, ou les autres notes de la basse doiuent estre graues ou aiguës, d'autant que si les Chinois, par exemple, ont la voix plus graue & plus basse que les François, ils commenceront chaque partie plus bas que nous ne faisons, & s'ils l'ont plus aiguë ils commenceront plus haut. Ie sçay que l'on peut aduertir au commencement de la piece de Musique qu'elle doit estre chantée au ton de Chappelle, ou plus haut ou plus bas d'vn demy-ton, &c. Mais plusieurs ne sçauent que c'est que le ton de Chappelle, & il est trop difficile de transporter vn tuyau d'Orgue, ou quelqu'autre instrument, & bien qu'on l'enuoyast en telle façon qu'il ne perdist nullement sa forme, il parleroit plus haut ou plus bas selon le vent que l'on luy peut donner, & consequemment l'on n'auroit pas vne entiere certitude du graue & de l'aigu du son. Or le Compositeur donnera vn signe certain & vniuersel du ton, auquel il desire que l'on chante sa Musique, ou telle autre qu'il voudra, s'il met vis à vis de l'vne des notes de la Basse, ou des autres parties, le nombre des battemens de l'air qui fait le son ; par exemple s'il met 96 vis à vis de la premiere note de l'air du Sieur Boësset, dont i'ay parlé dans la Proposition precedente, tous ceux qui sçauront la nature du son, ou la maniere dont il se fait, chanteront la Musique proposée selon son intention, ou celle de quelqu'autre Compositeur, & chaque partie prendra le ton suiuant leur desir.
En effet l'on ne peut mieux representer le son que par le nombre desdits battemens, puis qu'ils ne sont nullement differens du son, que l'on appelle nombre sonant ou sonore, & si l'on vouloit composer auec des notes de mesme valeur, par exemple auec celles que l'on nomme semibreues, qui valent ordinairement vne mesure entiere, l'on pourroit vser de toutes sortes de temps, en faisant que la valeur des notes suiuist le graue, ou l'aigu des sons, c'est à dire la multitude des battemens de l'air ; ce qui peut arriuer en deux façons, car l'on peut diminuer la valeur des notes en mesme raison que le nombre des battemens s'augmente ; d'où il s'ensuiura que le Dessus ira plus viste que la Basse, car quand le Dessus chantera plus haut d'vne Octaue, la note semibreue ne vaudra qu'vne minime, c'est à dire vne demie mesure ; & s'il chante vne Quinziesme, elle vaudra seulement 1/4 de mesure, d'autant que le nombre des battemens qui font le Dessus est 2 ou 4 fois plus grand que celuy des battemens qui font la Basse.
Mais il n'est pas necessaire de sçauoir le nombre des battemens pour faire seruir les mesmes notes à des temps differents, car il suffit de sçauoir combien [p148] les notes sont plus hautes, & plus aiguës les vnes que les autres pour diminuer leur valeur d'autant de degrez, que l'on augmente leur aigu. L'on peut semblablement augmenter la valeur des notes à proportion que leur aigu s'augmente ; & si l'on veut on augmentera ou l'on diminuera la valeur desdites notes en raison doublée, ou triplée du nombre des battemens de l'air, qui font les sons de chaque Partie : or la maniere la plus naturelle, dont on peut vser pour la valeur des notes, ou des voix & des sons, est celle qui donne les mesures les plus lentes & plus tardiues aux notes de la Basse, & les plus vistes à celles du Dessus, car puis que les battemens des sons du Dessus sont plus vistes que ceux de la Basse, il est raisonnable que le mouuement de ces notes soit aussi plus viste, afin que ces deux vistesses s'approchent de l'vnisson qu'elles feroient, si le mouuement des notes estoit aussi viste que celuy des battemens de l'air. Quant à la maniere dont on vse pour trouuer le son, lors que l'on a le nombre des battemens d'air dans vn temps donné, ie l'ay expliquée dans vn autre lieu, c'est pourquoy ie diray seulement icy qu'vne chorde longue de 48, ou de 24 pieds estant tenduë par vne force donnée, ou par vn poids cogneu tel que l'on voudra, monstre le nombre des battemens d'air, qui font chaque son, car les battemens se multiplient à proportion que l'on accourcit la chorde : de sorte que si elle bat trois fois l'air dans vn moment, lors qu'elle a 24 pieds de long, elle ne le bat que 72 fois quand elle n'a plus qu'vn pied de long.
COROLLAIRE I Puis que les Musiciens cognoissent combien il faut de battemens d'air pour faire toutes sortes de sons, par le moyen des propositions precedentes, il est raisonnable qu'ils offrent autant de mouuemens de leur coeur, & autant d'actes de reuerence & d'adoration à Dieu, qui est le premier moteur, & dont l'ordre & la conduite est necessaire à chaque tremblement de chorde, & à chaque mouuement d'air ; & que le mouuement des chordes qui est si prompt & si viste que l'on ne le peut apperceuoir ou mesurer, nous fasse haster le pas pour nous approcher de celuy à qui appartiennent tous nos mouuemens & toutes nos pensées.
COROLLAIRE II Si l'on veut determiner le ton de la voix, auquel l'on veut que la note, ou la partie proposée se chante, il n'y a nul moyen plus general & plus asseuré que de donner vn nom propre à chaque ton, qui soit pris du nombre des battemens d'air qui font toutes sortes de tons, ou de sons. Par exemple, si l'on veut chanter l'air precedent du Sieur Boësset, & que l'on vueille commencer par la premiere note de la Basse, il faut dire qu'elle est au ton de 48, d'autant que la chorde qui fait ce son, tremble 48 fois dans le temps d'vne mesure, qui dure 1/60 de minute, c'est à dire dans vne seconde.
COROLLAIRE IIII L'on peut encore marquer la mesure, selon laquelle on veut faire chanter la Musique, par les battemens ou les tremblemens des chordes, dont on vse pour representer le ton ; par exemple, si l'on veut que chaque mesure dure 1/30 de minute, c'est à dire 2 secondes, & que le ton de la premiere note soit 50, il faut seulement marquer 100 à costé de la Musique, pour signifier que la mesure [p150] dure cent tremblemens de la chorde : & si la mesure dure 3", il faut marquer 150.
COROLLAIRE VII Il n'y a nulle difficulté à trouuer le nombre des retours de chaque chorde proposée, car si on l'estend de 10 ou 12 toises de long sur vn Monochorde, ou sur quelqu'autre plan, ou si on la suspend de haut en bas, de sorte qu'elle soit attachée & arrestée par les deux bouts, soit des deux costez auec deux cheualets, soit d'vn costé auec vn clou, & de l'autre auec vn poids, l'on contera aysément ses retours, d'autant qu'elle en fera vn fort petit nombre, par exemple 2 ou 3 dans chaque seconde. Mais il faut estre 2 ou 3 pour remarquer exactement le nombre de ces retours, dont l'vn conte les retours tandis que l'autre contera les secondes, car si l'on diuise le nombre des secondes par celuy des retours, l'on sçaura combien elle en fait en chaque seconde. Et si l'on estend vne chorde d'Epinette ou de Luth de 100, ou de 120 pieds, comme i'ay fait, l'on trouuera que chaque retour de cette chorde se fait dans vne seconde, & que la moitié de la mesme chorde fait deux retours en vne seconde, que le quart en fait 4, la huictiesme partie 8, la seiziesme 16, la 32, trente deux, & ainsi des autres, car le nombre de ces retours croist en mesme raison que la longueur de la chorde se diminuë : de sorte que quand la chorde de 100. pieds de long fait vn retour dans vne seconde, ou dans vn battement du cœur & du poux, elle en fait 100. lors qu'elle n'a plus qu'vn pied de long, & 200. quand elle n'a plus qu'vn demy pied : mais i'ay expliqué ces retours si amplement dans vn autre lieu, qu'il n'est pas necessaire d'en parler icy.
COROLLAIRE VIII Il faut encore remarquer que lors que i'ay dit qu'vne chorde de Luth fait vn certain nombre de retours, par exemple, quand celle qui est à l'vnisson d'vn tuyau de 8 pieds ouuert fait 24 retours dans vne seconde, que cela s'entend de 24 retours, dont chacun est composé d'vne allée & d'vne venuë, que l'on peut comparer au flux & reflux de la mer : ce que i'explique par cette figure A B C D, dans laquelle la chorde A B estant tirée en C retourne en D, & de D en F, & ainsi consequemment iusques à ce qu'elle se repose : de maniere que le chemin qu'elle fait de D en C, & de C en D, se prend pour vn seul retour ; d'où il s'ensuit qu'il y a tousiours deux fois autant de battemens d'air que de retours, & que quand la chorde A B frappe 24 fois le point D, ou l'espace qui est entre E & D, qu'elle bat 48 fois l'air au point E, puis qu'elle bat le point C autant de fois que le point D.
Et puis qu'il faut limer lesdites cheuilles en tournant la lime en forme d'helice ou de vis, afin qu'elles tiennent mieux dans leurs trous, & qu'on les puisse tirer plus viste & plus aysément pour changer les chordes, & mille autres choses que l'exercice apprendra. Il faut seulement remarquer que l'vn des principaux secrets de l'Epinette consiste à barrer la table, dont la bonté depend de l'excellente barrure, qui a esté pratiquée en perfection par Anthoine Potin, & Emery ou Mederic, que l'on recognoist auoir esté les meilleurs Facteurs de France, ausquels les meilleurs Facteurs de maintenant, à sçauoir Iean Iacquet, le Breton, & Iean Denys ont succedé, lesquels sont excellents en leur art : & peut-estre que ce siecle en produira qui adiousteront de nouueaux secrets, & de nouueaux charmes aux instrumens : par exemple, l'on peut faire toucher les chordes par quelques corps qui imiteront la douceur des doigts, & l'harmonie du Luth : l'on peut imiter les battemens, le flattement & tous les autres charmes des autres instrumens sur l'Epinette, que quelques-vns montent de chordes de Luth, afin d'en rendre l'harmonie plus douce.
Ie viens maintenant à l'autre partie de cette Proposition, & dis que les methodes & les manieres de toucher les instrumens sont aussi differentes que celles d'escrire, car l'on remarque que ceux qui touchent le Luth & l'Epinette [p162] sont quasi aussi differens à leur toucher qu'à leurs vsages. Mais quoy qu'il en soit, il suffit de remarquer ce qui est necessaire pour le beau toucher du Clauecin ; lequel consiste premierement à porter tellement les deux mains ensemble sur le clauier, qu'elles ne soient nullement forcées ny contrefaites, & que leur mouuement reglé ne donne pas moins de contentement que le son des chordes. En second lieu, que la gauche touche deux, ou trois bons accords, lors que la droite fait des diminutions & des passages, & au contraire. En troisiesme lieu, il faut faire les cadences tant simples que doubles & triples, si nettement que la confusion n'en obscurcisse point la beauté, & les charmes. En quatriesme lieu, il faut garder la mesure le plus iustement qui se puisse faire, & consequemment l'on doit passer 16 doubles, ou 32 triples crochuës en mesme temps que 4 noires dans la mesure binaire, & 12 doubles ou 24 triples crochuës dans la ternaire en mesme temps que l'on en fait trois noires. Quant aux tremblemens, battemens, martelemens, myolemens, accents plaintifs, &c. l'on peut quasi les faire sur le clauier comme sur le manche du Luth, dont il n'est pas besoin de repeter les discours qui sont dans le liure precedent.
PROPOSITION XXIII. Expliquer la Tablature du Clauecin, & tout ce qui luy appartient. L'on peut vser des lettres de la tablature du Luth, & des autres instrumens du second liure pour celle de l'Epinette, puis que tous ces instrumens diuisent l'Octaue en douze demy-tons, mais puis que l'on a coustume d'vser des notes ordinaires de la Musique, tant pour le Clauecin que pour l'Orgue, ie ne veux pas changer cette pratique, quoy que ceux qui n'ont point apris la Musique se puissent seruir de nombres, ou de lettres, car puis [p163] qu'il y a 50 marches dans le Clauecin, chaque nombre signifiera chaque marche, par exemple 40 representera le son de la 40, & ainsi des autres. Or la piece de Musique qui suit a esté composée par le Roy, & mise en tablature d'Epinette par Monsieur de la Barre Organiste & ioüeur d'Epinette du Roy & de la Reyne, dont le beau toucher peut seruir d'exemple & de regle à ceux qui desirent acquerir la perfection de cet instrument, dont on peut conclure l'excellence par cette composition, dans laquelle il y a plusieurs mesures à 32, & à 64 notes : c'est pourquoy i'vse de triples & quadruples crochuës pour marquer la grande vistesse de la main qui touche souuent 32, ou 64 notes ou touches du clauier dans le temps d'vne mesure, comme i'ay souuent experimenté, c'est pourquoy ie donne icy le temps de cette mesure qui dure vn peu moins qu'vne seconde minute, c'est à dire que la 3600. partie d'vne heure, de sorte que l'autheur de cette tablature touche souuent 32 notes, & quelquefois 64 dans le temps d'vn battement de cœur, ou de poux : ce qui est tres-remarquable.
Car pour vser de la sesquialtere, il faudroit que le frapper durast vne fois & demie autant que le leuer : ou au contraire, c'est à dire qu'il faudroit faire deux notes contre trois, & consequemment que la mesure fust composée de cinq notes, pour respondre à la raison du Diapente que l'on appelle Hemiolia : & pour faire la mesure triple qui respond à la Douziesme, il faudroit que le battement durast trois fois autant que le leuer, & que l'on feist trois notes contre vne : & finalement pour battre la mesure sesquitierce, il faudroit faire 4 notes en baissant, contre 3 notes en leuant, afin de composer la mesure de 7 notes, & d'imiter la raison du Diatessaron dans le temps. Et si l'on vouloit passer outre pour trouuer les deux Tierces, & les deux Sextes dans l'ordre des mesures & des diminutions, il faudroit faire cinq ou six notes en baissant contre 3, 4, ou 8 notes en leuant : ce qui n'est pas si malaysé que l'on ne puisse y accoustumer l'imagination & les doigts : & l'on en trouue desia quelques vns qui font tel nombre de notes que l'on veut en baissant contre tout autre nombre proposé en leuant. Mais le principal ornement depend du beau toucher, & de l'entretien que l'on fait des beaux chants qui doiuent perpetuellement seruir de sujet, tandis que l'on fait entendre les differentes parties, & les contre-batteries, autrement tout ce que l'on fait ressemble à vn corps sans ame, & à vn tintamare qui fait plus de bruit qu'il ne donne de plaisir à ceux qui cherchent la proportion dans l'harmonie, & qui preferent l'ordre à la confusion.
L'on peut encore remarquer plusieurs choses pour l'intelligence du Violon : par exemple qu'vn mesme doigt touchant les deux chordes prochaines, à sçauoir la quatriesme & la troisiesme, la 3 & la 2, ou la 2 & la chanterelle fait tousiours la Quinte sur tous les endroits de la touche : & si le Violon estoit autrement accordé, par exemple de Quinte en Quarte, le mesme doigt pourroit faire de perpetuels accords en touchant tousiours deux ou trois chordes, mais il faudroit que le cheualet fust plus bas qu'il n'est, & qu'il imitast celuy de la Lyre, dont ie parleray en vn autre lieu. Quant aux differens tremblemens que l'on peut faire de la main gauche, ie les explique dans le traité du Luth : il faut seulement remarquer que l'on doit vser d'autant de coups d'archet, que de battemens du doigt qui martele, si l'on veut que le martelement soit agreable : mais il faut seulement le faire couler aux tremblemens qui se font sans marteler.
Quant à la perfection de la Pratique, elle consiste au beau toucher, lequel est la base & le fondement du plaisir qui doit contenter l'oreille : & parce que cet instrument n'a point de touches, il faut tellement aiuster les doigts sur chaque lieu du manche, que les sons persuadent vne proportion aussi bien reglée que s'il y auoit des touches comme à la Viole. En second lieu, il faut addoucir les chordes par des tremblemens, que l'on doit faire du doigt qui est le plus proche de celuy qui tient ferme sur la touche du Violon, afin que la chorde soit nourrie. Mais il faut appuyer les bouts des doigts le plus fort que l'on peut sur la touche, afin que les chordes fassent plus d'harmonie, & les leuer fort peu de dessus le manche, afin d'auoir assez de temps pour les porter d'vne chorde à l'autre. En troisiesme lieu, si l'on veut parfaitement reüssir, la main qui tient l'archet doit estre du moins esgale en vistesse à la gauche, d'autant qu'elle fait paroistre tous les mouuemens differens qui enrichissent les airs, & qui donnent de la beauté aux chants. En quatriesme lieu, il faut traisner l'archet sur les chordes, & repeter plusieurs fois le battement du doigt sur vn mesme ton, & puis sur vn autre, en continuant ainsi depuis le haut iusques en bas, pour faire les mignardises qui sont fort agreables, à raison de la belle modulation qui donne vn grand plaisir à l'ouye, quoy qu'il faille y proceder auec iugement. Or le Violon à cela par dessus les autres instrumens qu'outre plusieurs chants des animaux tant volatiles que terrestres, il imite & contrefait toutes sortes d'instrumens, comme les voix, les Orgues, la Vielle, la Cornemuse, le Fifre, &c. de sorte qu'il peut apporter de la tristesse, comme fait le Luth, & animer comme la Trompette, & que ceux qui le sçauent toucher en perfection peuuent representer tout ce qui leur tombe dans l'imagination. Ie laisse vne infinité d'autres remarques qui appartiennent à cet instrument, par exemple, que l'on peut sonner vne Courante, & plusieurs autres pieces de Musique auec vn seul coup d'archet : que l'on peut flatter les chordes de 8, de 16, ou de 32 coups de doigt dans l'espace d'vne mesure : qu'il faut mettre les trois doigts de la main gauche, c'est à dire l'index, celuy du milieu, & l'annulaire [p184] si pres de la chorde que l'on veut toucher, qu'il ne s'en faille qu'vne demie ligne qu'ils n'y touchent, afin que ce petit esloignement n'empesche point la vistesse du toucher & des tremblemens.
Or il y a plusieurs choses à considerer dans les sons que fait l'archet [de la Viole] en touchant & en pressant la chorde, car les tours & retours de la chorde se peuuent aussi bien faire de haut en bas, & de bas en haut, que de droit à gauche, comme il arriue lors que l'on pese sur la chorde, ou qu'on la frappe, ou que l'on la tire de haut en bas, & au contraire : c'est pourquoy il faut voir comme l'archet luy fait faire ses retours ; s'il les luy fait faire plus ou moins grands que quand on la touche du doigt, & s'il en diminuë, ou s'il en augmente le nombre : Et puis il faut rechercher la raison pourquoy le son que fait la chorde par le moyen de l'archet, est different de celuy qu'elle fait quand on la touche du doigt ou de la plume, car puis que la chorde fait tousiours vn nombre esgal de tours, & de retours dans vn temps esgal, il semble que le son deuroit estre esgal, ce qui n'arriue pas, & consequemment l'archet y contribuë quelque chose de particulier, ce qu'il fait en froissant la chorde & en renfermant de l'air entre elle & luy, lequel est contraint de receuoir autant d'allées & de venuës comme en fait la chorde, qui frappe seulement l'air libre quand on la touche sans archet. C'est pourquoy l'on peut dire que le son de la Viole, & des autres instrumens à archet, est composé de trois ou quatre sortes de mouuemens, à sçauoir de celuy de la chorde & de l'air libre, & de celuy de l'air contraint ou enfermé, & de l'archet qui gouuerne celuy de la chorde comme l'on veut, car il empesche qu'elle ne fasse ses tours aussi grands comme elle les feroit si elle estoit touchée aussi fort du doigt que de l'archet, & parce qu'il la retient en telle distance de sa ligne de direction que l'on veut, il en renforce ou en adoucit le son comme il plaist à celuy qui le tient, & qui le meut. Or l'on peut expliquer ce que fait l'archet aux tremblemens de la chorde par ce que fait le doigt que l'on passe fort viste sur les trous d'vn Flageollet tandis que l'on en sonne, car il ne change pas le nombre des tremblemens, ou des battemens du vent, ny consequemment l'aigu du son, mais il luy donne vn nouueau mouuement qui est quasi semblable aux fredons que l'on fait de la gorge, qui ne changent pas les tons ou l'aigu de la voix, & qui luy seruent seulement d'vn nouuel ornement.
D'abondant la raison d'Aristote n'est pas vniuerselle, car encore que la chorde soit deux fois plus grosse, ou plus longue, elle peut faire des sons plus aigus qu'vne plus deliée & plus courte, ce qui arriue par les differentes tensions, ou les differentes matieres, comme i'ay demonstré clairement dans le troisiesme liure. Et puis la cause immediate des sons se prend du nombre des battemens de l'air, comme i'ay demonstré dans le mesme lieu, & non de la longueur des chordes. C'est pourquoy il faut examiner comme il se peut faire [p210] que la mesme chorde batte l'air differemment en mesme temps, car puis qu'elle fait les cinq ou six sons dont i'ay parlé, il semble qu'il est entierement necessaire qu'elle batte l'air 5, 4, 3 & 2 fois en mesme temps qu'elle le bat vne seule fois, ce qui est impossible de s'imaginer, si ce n'est que l'on die que la moitié de la chorde le bat deux fois tandis que la chorde entiere le bat vne fois, & qu'en mesme temps la 3, 4 & 5 partie le battent 3, 4 & 5 fois, ce qui est contre l'experience, qui monstre euidemment que toutes les parties de la chorde font vn nombre esgal de retours en mesme temps, car toute la chorde estant continuë n'a qu'vn seul mouuement, quoy que ces parties se meuuent d'autant plus lentement qu'elles sont plus proches des cheualets. D'où il est aysé de conclure ce que i'ay desia demonstré dans le 2, 3 & 4 liure, à sçauoir que le son graue ne vient pas absolument de la lenteur ou tardiueté du mouuement, puis que les parties de la chorde qui se meuuent plus lentement que celles du milieu ne font pas des sons plus graues, que le naturel, qui procede particulierement desdites parties du milieu, puis qu'estant le plus fort il doit venir du plus grand mouuement : car l'on entend tousiours les sons en haut à l'aigu du naturel, & iamais en bas comme i'ay dit cy-dessus.
Or puis que chaque son est determiné quant au graue, ou à l'aigu par le nombre des battemens de l'air, & que la chorde ne le peut battre qu'vn certain nombre de fois dans vn mesme temps, il est necessaire que l'air ayant esté battu se reflechisse sur la chorde, & qu'en faisant son retour elle luy donne vn nouueau mouuement ; ce que l'on peut conceuoir en deux manieres, car l'on peut dire que l'air a vne plus grande tension, c'est à dire qu'il est tellement disposé, que quand il est frappé il va plus viste, & a ses retours plus frequens que la chorde, ou les autres corps par lesquels il est frappé ; de mesme que la chorde qui est tenduë sur vn instrument, va beaucoup plus viste que le doigt, la plume, ou l'archet dont elle est touchée, à raison de la disposition qu'elle a acquise par sa tension : ou bien l'on peut dire que l'air ayant esté frappé & enuoyé, par exemple, à costé droit de la chorde reuient apres qu'elle s'en va à main gauche, de sorte qu'elle le trouue en chemin, & qu'elle le repousse pour la seconde fois en luy adioustant vn nouueau mouuement, afin qu'il face desormais l'Octaue en haut auec le mouuement, ou le son naturel de la chorde, qui garde tousiours vn mesme temps pour vn mesme nombre de retours, tandis que l'air fait deux retours contre vn : mais quand la chorde le rencontre la troisiesme fois, elle luy imprime encore vn 3. mouuement, de sorte qu'il a trois retours contre vn pour faire la Douziesme, & puis la Quinziesme, & la Dix-septiesme. A quoy l'on peut adiouster que l'air ayant esté frappé par la chorde, se diuise premierement en deux parties, puis en 3, 4, 5, &c. qui font les sons precedens, parce que cette diuision est la plus aysée de toutes : & si l'on admet les atomes de Democrite, l'on peut dire que les differentes parties de la chorde qui frappent l'air differemment, diuisent & rompent la Sphere de l'air en 2, 3, 4 & 5 parties, ou que la mesme partie de la chorde le rompt differemment selon ses differentes dispositions ; de sorte que l'vne des parties de l'air se rompt en deux, l'autre en trois, quatre ou cinq parties, &c.
Quant à l'inuention des Epinettes qui seruent pour les ieux de Violes, l'on s'est seruy iusques à present d'vne grande rouë toute seule, sur laquelle portent toutes les chordes de l'Epinette, comme font les quatre de la Vielle, ou de cinq rouës differentes paralleles, comme l'on fait en Allemagne. Mais vn archet de crin bandé dessus ou dessous les chordes imiteroit mieux la Viole, si l'on pouuoit remedier à tous les accidens qui en empeschent le mouuement. Or ie ne doute nullement que l'industrie des Facteurs ne les puissent euiter, d'autant qu'il y a moyen de faire tellement perdre les crins de la soye les vns dans les autres, ou d'en faire passer vne partie dessus, tandis que l'autre passe dessous, qu'il ne s'y rencontrera point de noeuds. Et puis on peut tenir l'archet esgalement bandé par le moyen des poulies sur lesquelles il passe, parce qu'on peut les approcher ou les esloigner auec des vis, afin de bander la soye lors qu'elle se sera laschée. Surquoy il faut remarquer que les chordes doiuent estre fort proches des rouës, ou de la soye de l'archet, afin qu'elles parlent aussi tost que l'on touchera le clauier, dont les touches peuuent estre plus ou moins abaissées, pour faire parler les chordes plus ou moins fort. L'on peut y adiouster de petits ressorts pour faire des battemens sur les chordes, afin d'imiter les tremblemens & les flatemens de la main gauche ; & si l'on y accommode des mouuemens pour faire tourner les roües ou l'archet, l'on n'aura pas besoin d'vn homme, ou du pied pour iouër de cet instrument : mais seulement de la main pour toucher le clauier, comme celuy des Clauecins ordinaires, laquelle fera entendre vn concert de cinq ou six Violes, lors qu'on touchera cinq ou six parties dessus. Il n'est pas necessaire de mettre icy de la tablature pour cette sorte d'Epinette, ny pour la Vielle augmentée de tant de chordes que l'on voudra, parce que celle que i'ay donnée pour l'Epinette, & pour les Violes y peuuent seruir. Quant aux Tambours ou Barillets, dont on vse pour faire iouër les Epinettes toutes seules, i'en parleray dans le liure des Orgues.
Il est certain qu'il n'y a nulle addition plus courte, & plus aysée que celle qui se fait d'vn à vn, d'vn à deux, d'vn à trois, &c. or quand la Trompette passe par les interualles que i'ay expliquez, elle ne fait autre chose que d'aiouster vn à vn, vn à deux, &c. il est donc necessaire qu'elle passe par ces interualles, si l'on ne l'en empesche en la forçant contre son naturel. La maieure est si euidente qu'elle n'a pas besoin d'estre prouuée, si l'on ne veut esclairer le Soleil en plein midy : quant à la mineure elle est tres-aysée à prouuer, car supposé que le son le plus graue, c'est à dire le premier ton de la Trompette se fasse par vn seul retour, ou battement d'air, si l'on adiouste vn autre battement, on fera l'Octaue, & si l'on adiouste encore vn battement aux deux precedens, l'on fait le troisiesme ton de la Trompette, qui est à la Douziesme du premier, & à la Quinte du second. Et puis si l'on adiouste vn battement aux trois precedens, l'on fait le quatriesme ton, qui fait la Quinziesme, ou la double Octaue auec le premier, l'Octaue auec le second, & la Quarte auec le troisiesme. Si l'on adiouste encore vn autre mouuement pour auoir le cinquiesme ton de la Trompette, lequel est composé de cinq battemens d'air, qui se font en mesme temps que le seul battement du premier ton, ou que les deux du deuxiesme ton, &c. il fait la Dix-septiesme maieure auec le premier ton, & la Tierce maieure auec le quatriesme. Et si l'on adiouste vn autre battement aux cinq precedens, l'on fait la Tierce mineure. Par où l'on void que le progrez de la nature est amy de l'harmonie, qu'elle [p251] gouuerne ou dont elle depend : de sorte qu'il semble que la nature ou ses mouuemens ne soient autre chose qu'vne rauissante harmonie, qui nous inuite à considerer la premiere source, dont elle prend sa naissance, c'est à dire à contempler Dieu, qui en est l'Autheur, & à l'aymer sur toutes choses. D'où il est aysé de conclure que l'ordre des Consonances est naturel, & que la maniere dont nous contons en commençant par l'vnité iusques au nombre de six, & au delà, est fondée dans la nature.
L'on peut encore donner la raison de ces interualles par la diuision, d'autant que l'Octaue est engendrée par la diuision d'vne chorde en deux parties esgales, comme i'ay monstré dans le liure des Consonances ; & toutes les autres consonances sont produites par la seconde ou troisiesme bissection : mais l'adition est ce semble plus naturelle que la diuision, parce que la nature s'augmente & se multiplie par celle-là, & se diminuë & s'affoiblit par celle-cy. Quoy que si on considere le suiet ou la matiere des sons, l'on puisse dire qu'il est plus aysé de diuiser vne chorde en deux parties esgales, que de luy adiouster vne autre partie esgale, dont i'ay expliqué la raison dans le liure de la Voix. Mais il y a encore plusieurs autres difficultez dans les autres interualles, & dans les autres tons de la Trompette, dont l'vne est pourquoy elle ne diuise pas la Quarte ou son cinquiesme interualle, lors qu'elle fait le septiesme & le huictiesme ton, comme elle diuise la Quinte en faisant le 5 & le 6 ; c'est à dire pourquoy elle n'adiouste pas vn retour aux 6 precedens du 6 ton pour faire la Sesquisexte, & puis la Sesquiseptiesme, au lieu desquelles elle fait encore la Quarte apres le sixiesme ton, ou apres le cinquiesme interualle de la Tierce mineure, par l'adition de deux battemens qu'elle adiouste aux six precedens. L'autre difficulté consiste à sçauoir pourquoy elle ne fait pas tousiours l'Octaue à chaque saut, ou interualle qu'elle fait, attendu que chacun de ses sons ou de ses tons peut estre supposé pour l'vnité, & pour vn seul battement, aussi bien que le premier. La troisiesme est, pourquoy elle fait quelquefois vn ton plus bas, ou plus haut que le premier ton, dont nous auons parlé, au lieu de faire l'Octaue. Ie laisse plusieurs autres difficultez qui se rencontrent aussi dans les autres instrumens à vent, dont on pourra trouuer la solution dans les discours qui suiuent.
PROPOSITION XIII. Expliquer pourquoy la Trompette ne fait pas la Sesquisexte dans son cinquiesme interualle, & qu'elle quitte le progrez qu'elle auoit suiuy iusques au sixiesme ton pour faire la Quarte qu'elle auoit desia faite au troisiesme interualle. La Sesquisexte deuroit ce semble suiure la Sesquiquinte, puis qu'elle est le moindre interualle, ou la moindre raison qui suit la Tierce mineure, car elle est entre elle & le ton maieur, & est vn peu plus grande que le ton, que i'appelle maxime, de sorte qu'elle peut estre nommée le ton surmaxime. Mais parce qu'elle n'est ny consonance, ny difference des consonances, la nature qui est harmonique, la reiette & ayme mieux rompre la suite de ses interualles & de ses chansons, que de passer par vn interualle qui ne vaut rien, que pour blesser l'oreille & l'esprit, & nous enseigne quant & quant que nous deuons [p252] plustost faire ou endurer toute autre chose, que d'embrasser le vice, lequel est pire que toutes les dissonances, puis qu'il interrompt les mouuemens & les exercices de la vertu. Or elle ayme mieux prendre la peine d'adiouster deux mouuemens, ou battemens d'air tout d'vn coup pour faire la Quarte, que de n'en adiouster qu'vn pour faire la Sesquisexte ; ce qui monstre que la Quarte ne reçoit point de diuision harmonique, puis que la nature ne la diuise point, comme elle diuise la seconde Octaue, & la seconde Quinte en trois tons pour marquer leur commencement, leur milieu & leur fin, & consequemment les principales cadences des modes, qui ont plus de puissance sur l'esprit que les autres chordes, ou les autres sons. L'on peut encore dire que la nature ayant donné les six tons, comme ses six iournées ausquelles elle se repose, qu'elle imite son Autheur qui se reposa à la fin des six iours, & qu'elle ne s'occupe plus qu'à faire paroistre la difference de ses six premiers tons par la diuision de la Quarte en ton maieur, ton mineur, & demi-ton maieur, apres auoir proposé la Quarte entiere, comme l'image de l'Octaue, afin que l'on sçache qu'elle la veut diuiser en trois interualles, comme elle a desia diuisé la seconde Octaue en trois autres interualles ; de sorte qu'elle imite encore son Autheur, qui se contente de faire paroistre la distinction & la diuersité des creatures, (dont il a ietté les premieres semences durant les six iours de la Creation) par les differentes conionctions qu'il en fait à chaque moment : ce qu'il fait par soy-mesme immediatement, ou par l'entremise des autres creatures, afin que l'on ne s'ennuye pas de considerer les principes des choses, qui sont trop simples pour contenter l'imperfection de nos sens, qui preferent les accidens à la substance. C'est peut-estre pour cette mesme raison que les Musiciens meslent des tons & des demitons parmy les consonances, de peur que leur trop grande douceur ne nous apporte du degoust & de l'ennuy, & que la Trompette fait les dissonances apres les consonances.
D'ailleurs si elle [la Trompette] faisoit la Sesquisexte apres la Sesquiquinte, ses battemens seruiroient au nombre Septenaire, qui ne peut estre diuisé que par l'vnité, à laquelle elle ne peut retourner, c'est pourquoy elle quitte ce nombre impair, comme inutile à l'harmonie, pour passer au nombre de huict, qui est le premier cube apres l'vnité, & qui acheue la troisiesme Octaue, comme le 2 & le 4. son, dont il fait la repetition ou le redoublement : par où la nature fait voir combien elle ayme l'Octaue, à laquelle elle est arriuée par l'addition du second battement, au lieu de s'arrester à la Sequisexte par vn seul battement. Finalement quand elle bat l'air huict fois apres l'auoir battu six fois, elle fait la mesme chose que lors qu'elle le bat quatre fois apres l'auoir battu trois fois, d'autant qu'il faut iuger du progrez des consonances par la suite de leurs termes radicaux. Or elle fait le ton maieur apres cette Quarte par l'addition d'vn seul battement, comme elle fait le mineur : car son ton estant composé de huict battemens, fait le ton maieur contre les neuf battemens du huictiesme ton, & cet 8 ton composé de 9 battemens fait le ton maieur contre les 10 battemens de son neufiesme son. Où il faut remarquer que tous les sons qu'elle choisit font des consonances auec ceux qui precedent, par exemple le neufiesme son composé de dix battemens fait l'Octaue auec le cinquiesme son : mais si elle faisoit la Sesquisexte auec son sixiesme son, le septiesme son ne feroit nulle [p253] consonance auec les sons precedens, & seroit semblable à l'Orateur qui agence si mal ses periodes & ses raisons, qu'elles n'ont nul bon rapport ensemble, & qu'elles blessent les oreilles. L'on peut donc conclure par l'experience, que la nature cherche l'Octaue, & qu'elle ne veut pas donner les differences des consonances iusques à ce qu'elle ayt fait la Vingt-deuxiesme, en arriuant à l'octonaire, qui luy sert de borne, parce qu'elle considere seulement les solides, sans se soucier des sursolides, & des autres nombres ou quantitez que l'on appelle dignitez dans l'Algebre, & qui sont plustost dans l'imagination des hommes, que dans la realité des choses : de là vient que tous les instrumens bornent leur estenduë par le nombre de huit, & prennent pour leur deuise auec toute la nature, Non plus vltrà. Mais il y a encore plusieurs choses à considerer dans les interualles de la Trompette : par exemple, pourquoy elle fait le demiton maieur par son dixiesme ton, & comme elle peut passer des dix battemens du neufiesme son aux 10 2/3 battemens du 10, au lieu de faire vnze battemens par l'adition de l'vnité ; car il faut qu'elle suppose que dix vaut quinze, afin que 10 2/3 vaillent seize. Ce qu'elle fait afin de donner la troisiesme difference des consonances, car le demiton maieur est la difference de la Tierce maieure, & de la Quarte, comme le ton maieur est la difference de la Quarte & de la Quinte, & le ton mineur celle de la Quinte & de la Sexte maieure. En effet il est raisonnable que la Trompette diuise tellement la Quarte, qu'elle auoit fait paroistre dans son Sixiesme interualle, que la derniere diuision restituë la mesme Quarte ; ce qui ne peut arriuer apres le ton maieur & le mineur, qu'elle a faits en suiuant son progrez naturel, si elle ne fait le demiton maieur : or la Proposition qui suit contient encore d'autres difficultez qui peuuent seruir pour entendre celle-cy.
PROPOSITION XIV. Expliquer pourquoy la Trompette ne suppose pas chacun de ces tons pour l'vnité, & par consequent pourquoy elle ne fait pas tousiours l'Octaue à chaque interualle. Pvis que l'on peut supposer 2, 4, 8, &c. aussi bien qu'vn pour le premier son de la Trompette, il est ce semble difficile de sçauoir pourquoy elle ne fait pas aussi aysément l'Octaue, ou la Quinte, ou tel autre interualle que l'on veut, au 3 & 4 interualle, &c. comme au 1 & au 2, puis que son 3 & 4 son, &c. peuuent aussi bien estre supposez pour l'vnité, comme le premier. Neantmoins il est aysé d'expliquer cette difficulté, si l'on veut vser de suppositions veritables, & de celles que donne la nature, sans s'amuser aux imaginaires, qui n'ont pas leur fondement dans la realité des choses, d'autant qu'il est certain que le premier son de la Trompette est au second comme vn à deux, car les battemens de l'air, qui font le premier son, durent deux fois autant que ceux qui font le second, c'est à dire que l'air bat deux fois dans le second son, tandis qu'il bat vne seule fois dans le premier son, comme i'ay prouué ailleurs ; de sorte que si l'on prend toute l'estenduë de la Trompette pour son corps entier, l'on trouuera qu'il est impossible que le premier son puisse estre supposé pour autre chose que pour l'vnité, le second pour le binaire, le troisiesme pour le ternaire, &c. Ce que l'on peut entendre par la comparaison d'vn [p254] corps, car si l'on suppose que l'vn de ses costez soit de deux pieds, & qu'il soit cube, c'est chose asseurée que la surface de l'vn de ses costez aura quatre pieds, & que sa solidité en aura huit : mais si apres auoir trouué quatre pour la surface, l'on vouloit encore supposer que cette surface n'a que deux pieds, l'on ne pourroit trouuer son conte, ny la solidité que l'on cherche, ny par consequent la verité. C'est pourquoy il faut tousiours suiure le premier fondement que l'on a pris dés le commencement, si l'on ne veut que tout ce qu'on bastit se ruine de soy-mesme : & consequemment si l'on prend l'vnité pour le premier son de la Trompette, il n'est plus permis de la supposer pour ses autres sons. La mesme chose arriuera, si l'on suppose 2, 3, 4, 5, &c. pour le premier son, car l'on rencontrera tousiours le mesme raisonnement, & les mesmes interualles que i'ay expliquez. Et si l'on obiecte qu'en supposant le premier son pour l'vnité, l'on peut s'en imaginer vn plus graue, qui se fasse par la moitié de l'vnité, & puis vn autre qui se fasse par le quart, & ainsi des autres, suiuant ces nombres 1/2, 1/4, 1/8, 1/16, &c. il faut respondre qu'il ne se peut faire de son d'vn demy, ou d'vn quart de battement ou de retour, car il faut pour le moins battre vne fois l'air pour faire vn son, or l'on ne peut le battre plus d'vne fois, qu'on ne le batte pour le moins deux fois, & puis trois fois, &c.
Mais il se rencontre encore icy quelques difficultez dans l'ordre desdits sons, comparez à leur force & à leur foiblesse, car si la nature suit l'ordre des nombres, il semble que la Trompette ne doit iamais passer à la Quinte, qu'elle n'ayt premierement fait l'Octaue, & qu'elle ne doit iamais aller à la Quarte simple ou repetée, qu'elle n'ayt passé par l'Octaue & par la Douziesme : or l'experience enseigne que la Trompette monte, quand on veut, depuis son premier ton iusques au dernier sans passer par les interualles du milieu : par exemple, l'on peut faire la triple Octaue d'vn à huict dés le premier saut, & consequemment la Trompette ne suit pas necessairement l'ordre des nombres dont nous auons parlé. A quoy ie responds que cette consideration ne destruit nullement ce que i'ay dit de l'ordre des interualles, lors que l'on pousse le vent fort doucement, & peu à peu, ce qui n'empesche pas que l'on ne fasse de plus grands interualles, quand on le pousse d'vne grande violence, car si l'on donne autant de vent à la Trompette dés la premiere fois, comme à la troisiesme, c'est chose asseurée qu'elle montera plus haut d'vne Douziesme que son premier ton : & si on luy en donne autant comme elle en reçoit au quatriesme ton, elle montera d'vne Dix-septiesme, &c. d'autant que les derniers interualles contiennent les premiers, car la Quinziesme contient l'Octaue, comme la surface contient la ligne, & le Vingt-deuxiesme contient l'Octaue & la Quinziesme, comme le solide contient le plan & la ligne. C'est pourquoy quand le vent est poussé si viste, qu'il bat 2, 3, 4, 5, ou 6 fois l'entrée du bocal, il monte aux tons precedens. Il faut dire la mesme chose de la descente des sons, qui est d'autant plus grande que l'on diminuë dauantage la vistesse ou le nombre des battemens. Or la raison que i'ay donnée, n'est pas fondée sur ce que la Trompette ne peut passer de son premier ton au dernier sans passer par ceux du milieu, mais sur ce qu'elle ne peut faire de moindres interualles que ceux dont i'ay parlé. Neantmoins il y a encore vne grande difficulté qui merite vne Proposition particuliere, à sçauoir comme l'on peut augmenter le son de la Trompette [p255] tant que l'on veut, sans le faire plus aigu, quoy que l'on pousse le vent plus fort qu'à l'ordinaire, & comme l'on peut l'affoiblir sans l'abaisser.
PROPOSITION XV. Expliquer en quelle maniere l'on peut augmenter ou affoiblir la force de chaque son de la Trompette sans en changer le ton, c'est à dire l'aigu ou le graue. Cette difficulté peut estre expliquée par ce que i'ay dit de la voix forte, & de l'aiguë dans le liure de la Voix, & de la difference de l'aigu & de la force des sons dans le liure des Instrumens à chorde, car l'air agité ne fait iamais le son plus aigu que ses agitations, ou ses battemens ne soient plus vistes. D'où il faut conclure que le mesme ton de la Trompette se fait tousiours d'vn mesme nombre de battemens d'air, quoy qu'il soit si foible ou si fort que l'on voudra : c'est pourquoy il faut dire que l'on pousse seulement vne plus grande quantité d'air, ou de vent en mesme temps, lors que l'on augmente la force du ton, & que les mouuemens & les battemens, ou les flux & reflux de l'air sont plus grands, mais qu'ils ne sont pas en vn plus grand nombre : quoy qu'il soit difficile d'expliquer la maniere dont il faut pousser le vent pour faire la distinction des sons forts, & des aigus auec la Trompette, si nous ne luy appliquons ce qui a esté dit de la force, & de la foiblesse du son que fait vne mesme chorde, & de la difference des voix fortes & des aiguës.
Or i'ay demonstré que le son se renforce sans changer de ton, c'est à dire sans se hausser quand on touche la chorde plus fort, d'autant qu'elle bat vne plus grande quantité d'air en aussi peu de temps qu'elle en battoit vne moindre quantité en faisant vn son plus foible : de sorte que le ton de la chorde, ou de la Trompette ne peut changer, quoy qu'il s'augmentast iusques à l'infini, si le nombre des battemens, dont il est composé, ne s'augmente : or ce nombre ne s'augmente point tandis que l'on pousse le vent d'vne mesme ouuerture de bouche, ou d'vn mesme mouuement de gorge. Car il faut remarquer que le larynx & la glotte s'abaissent, & s'ouurent dauantage en faisant les premiers tons, & qu'il faut restressir ces ouuertures pour faire les tons plus aigus, encore que ceux qui sonnent des instrumens n'apperçoiuent pas ces changemens, parce qu'ils ne font pas vne assez forte reflexion sur la maniere dont ils pressent les levres, & poussent le vent.
C'est pourquoy l'on peut dire que l'on ne fait point ordinairement les degrez en bas par les seules differentes ouuertures des levres ou de la gorge : & qu'apres l'ouuerture, dont on fait le 1 ton, l'on ne peut tellement les ouurir qu'on ne fasse monter la Trompette à la Quarte, ou à quelque moindre interualle, d'autant que quelque peu qu'on les ouure dauantage, elles ne peuuent adiouster moins d'vn retour ou d'vn battement d'air, aux battemens qui determinent le son precedent : de sorte qu'il est necessaire de faire la Quinte apres l'Octaue, & en suite tous les autres interualles dont i ay parlé : si ce n'est que l'on vse de la mesme ouuerture des levres en poussant vne differente quantité d'air d'vne force differente, laquelle on peut diuiser en tant de degrez que l'on voudra en affoiblissant, ou en augmentant le ton. Il faut donc respondre à la premiere difficulté que les levres ne feroient pas toutes sortes de sons, comme elles font, si elles ne se serroient & se fermoient diuersement, car le poulmon ne seruant d'autre chose que de soufflet, dont l'artere vocale est le porte-vent, il faut que les levres qui touchent immediatement au bocal, modifient la voix ou le vent, pour faire les sons graues & aigus. Quant aux soufflets, lors que l'on aura fait voir qu'ils font tous les tons de la Trompette, nous expliquerons aysément comme cela se fait, ce qu'il ne faut nullement croire sans en voir l'experience, que l'on ne fera iamais à mon aduis : & quand on la feroit, il faudroit dire que la violence du vent fait vn plus grand nombre de battemens que deuant, car la vistesse dont on le pousse, peut suppleer à l'estrecissement du canal par où passe le vent : parce qu'il suffit que l'air batte, ou qu'il soit battu autant de fois qu'il est necessaire pour faire le ton que l'on desire : car il n'importe qu'il soit battu, ou qu'il batte, comme il n'importe nullement que la terre, ou le Soleil se meuuent pour faire le iour. Il est vray que les soufflets font monter les tuyaux d'Orgue à l'Octaue & à la Douziesme, mais ie reserue cette difficulté pour le liure des Orgues. Il n'est [p257] pas besoin de parler de la gorge, dont on fait toutes sortes de sons, parce que l'on experimente qu'elle s'estressit d'autant plus que l'on fait des sons plus aigus, ce qui confirme encore les raisons precedentes : de sorte qu'il ne reste plus que les Flageollets, qui montent à l'Octaue & à la Quinziesme par la seule force du vent, sans qu'il soit besoin d'estressir la gorge ou les levres, comme l'on experimente en tenant tous ses trous bouchez, car on a souuent de la peine à l'empescher de monter à l'Octaue : ce qui arriue semblablement aux Flustes douces, & à plusieurs autres instrumens. Mais il suffit que le vent fasse la mesme chose dans le Flageollet, que la diuersité des pressions de levres dans la Trompette, c'est à dire qu'il fasse deux fois autant de retours, ou qu'il batte deux fois autant la lumiere, quand il monte à l'Octaue, comme il faisoit auant que d'y monter. A quoy l'on peut adiouster le discours de la Proposition qui suit, car il sert pour expliquer cette difficulté & les precedentes.
PROPOSITION XVI. Expliquer pourquoy la Trompette & les autres instrumens à vent ne font pas tousiours les interualles dont nous auons parlé : & pourquoy ils font souuent le demi-ton ou le ton, au lieu de l'Octaue, de la Quinte, ou de la Douziesme, &c. L'experience fait quelquefois voir que la Trompette monte, ou descend d'vn ton depuis son second son : ce qui arriue semblablement à plusieurs tuyaux d'Orgues, dont les vns montent seulement d'vn demiton, ou d'vn ton, outre lequel nul vent ne les peut faire passer ; & les autres montent iusques à l'Octaue ou au delà, quand on force le vent : ce qui arriue aussi à quelques Flustes, & aux Flageollets, qui montent auec vn vent tres-doux de ton en ton iusques à la Quinte auant que de prendre leur ton naturel, comme i'ay experimenté : mais ces sons sont si foibles & si peu marquez, qu'il est difficile d'en iuger. Or la principale difficulté consiste à sçauoir comment la Trompette, & les autres instrumens changent le nombre des battemens de leur premier, ou de leur second son, &c. c'est à dire 1, 2, ou 3 battemens en 16 battemens, lors qu'ils font le demy-ton maieur, ou en neuf battemens, quand ils montent d'vn ton maieur, car il faut (ce semble) qu'ils supposent que le premier & le second son soient composez de quinze, ou de huict battemens, afin que l'addition d'vn seul battement fasse l'interualle d'vn demy-ton, ou d'vn ton : ce qui n'est pas possible, puis qu'vn ou deux battemens ne peuuent se changer en quinze ou huict battemens.
Mais si l'on se souuient de ce que i'ay demonstré dans les autres liures, à sçauoir que le second son de la Trompette, & tous les autres de mesme ton se font par des battemens fort vistes, & que le vent bat du moins quarante fois le trou du bocal dans le temps d'vne seconde minute, quand elle fait le second son, il est aysé d'entendre comment le mesme son peut estre supposé pour huict, neuf, dix, quinze & dauantage de battemens, lors qu'on le compare aux battemens d'vn autre son, puis que quarante contient huict, neuf, dix, quinze fois, &c. car si le troisiesme son, par exemple, se fait de quarante cinq battemens en vn temps esgal à celuy auquel se font les quarante precedens, il n'y a nul doute qu'il fera le ton maieur auec le second son : de sorte qu'il faut seulement expliquer de quelle maniere le vent [p258] doit estre poussé dans la Trompette depuis le premier son iusques au second pour faire 1 1/8 battement, au lieu d'en faire deux dans vn temps esgal à la durée du premier son, ou plustost pour faire neuf battemens au lieu des huict du premier son. Car i'ay desia dit qu'il faut que chaque battement soit entier pour varier le ton. Or pour entendre cette solution, il faut prendre la raison des battemens dans leurs termes radicaux, afin de voir si le premier son estant composé d'vn seul battement, l'on peut trouuer vn autre nombre qui fasse le ton auec luy, ou s'il est tout à fait necessaire que le premier son soit composé de huict battemens pour faire ledit ton auec le second son. Surquoy ie responds que le premier son ne peut faire le ton maieur auec le second, iusques à ce que le vent ayt battu huict fois le bocal dans le premier son, & neuf fois dans le second ; & par consequent qu'il se peut faire que l'on entende l'Octaue deuant le ton, car si l'on prend trois Trompettes, ou trois chordes de differente longueur, par exemple, que la premiere soit d'vn pied, la seconde de deux, la troisiesme de huict, & la quatriesme de neuf pieds, si on les sonne toutes en mesme temps, l'on entendra l'Octaue deuant le ton, d'autant que la Trompette ou la chorde d'vn pied de long aura battu deux fois l'air, & que celle de deux pieds l'aura battu vne fois beaucoup plus tost que celle de huict pieds ne l'aura battu neuf fois, & celle de neuf pieds huict fois, car celle d'vn pied le bat huict fois en mesme temps que celle de huict pieds ne le bat qu'vne fois, & celle de neuf pieds n'aura pas encore acheué son premier battement ; & consequemment les deux premieres chordes auront desia fait quatre fois l'Octaue, quand les deux dernieres auront fait vne seule fois le ton, puis que la seconde chorde de deux pieds aura quatre fois vny ses quatre battemens auec les huict de celle d'vn pied en mesme temps, que celle de neuf pieds commencera d'vnir ses huict battemens auec les neuf de celle de huict pieds.
COROLLAIRE VIII Mais afin que l'on ne quitte pas ce discours sans en retirer quelque profit, il me semble que les Musiciens doiuent considerer que puis que les chordes qu'ils touchent, ne leur refusent iamais leurs mouuemens, & qu'elles obeyssent tres-promptement à leur volonté iusques à se rompre, quand il leur plaist, qu'ils doiuent imiter cette obeyssance si ponctuelle en suiuant la volonté de Dieu, & les bons mouuemens qu'il leur donne pour faire le bien & pour euiter le mal : car puis qu'il n'y a nul mouuement qui ne conduise au premier moteur, il est tres-raisonnable que les mouuemens, dont on reçoit de si grands contentemens, & d'où l'on tire vne si grande harmonie, nous menent à celuy, dont la Prouidence bat incessamment la mesure de l'harmonie de l'Vniuers, & gouuerne le grand concert de tout le monde, de peur qu'il soit dit dans l'Eternité que les Musiciens ont esté plus stupides & plus irraisonnables que les creatures inanimées, & qu'ils soient si mal-heureux que les chordes, dont ils ont tiré tant d'harmonie, seruent au grand iour du Iugement pour les lier & les affliger, s'ils ont si peu d'esprit & de iugement qu'ils ne rapportent pas l'harmonie de leurs chordes, & de leurs voix à la gloire de celuy qui seul merite les loüanges de toutes les Creatures, que le Prophete Royal exhorte à leur deuoir par ses dernieres paroles, omnis spiritus laudet Dominum.
PROPOSITION XVIII. Tous les Musiciens du monde feront chanter vne mesme piece de Musique selon l'intention du Compositeur, c'est à dire au ton qu'il veut qu'elle se chante, pourueu qu'ils cognoissent la nature du son. Vne nouuelle maniere de marquer, & de battre la Mesure est icy expliquée. Cette proposition est l'vne des plus belles de la Musique Pratique, car si l'on enuoyoit vne piece de Musique de Paris à Constantinople, en Perse, à la Chine, ou autre part, encore que ceux qui entendent les notes, & qui sçauent la composition ordinaire, la puissent faire chanter en gardant la mesure, neantmoins ils ne peuuent sçauoir à quel ton chaque partie doit commencer, c'est à dire combien la premiere, ou les autres notes de la basse doiuent estre graues ou aiguës, d'autant que si les Chinois, par exemple, ont la voix plus graue & plus basse que les François, ils commenceront chaque partie plus bas que nous ne faisons, & s'ils l'ont plus aiguë ils commenceront plus haut. Ie sçay que l'on peut aduertir au commencement de la piece de Musique qu'elle doit estre chantée au ton de Chappelle, ou plus haut ou plus bas d'vn demy-ton, &c. Mais plusieurs ne sçauent que c'est que le ton de Chappelle, & il est trop difficile de transporter vn tuyau d'Orgue, ou quelqu'autre instrument, & bien qu'on l'enuoyast en telle façon qu'il ne perdist nullement sa forme, il parleroit plus haut ou plus bas selon le vent que l'on luy peut donner, & consequemment l'on n'auroit pas vne entiere certitude du graue & de l'aigu du son. Or le Compositeur donnera vn signe certain & vniuersel du ton, auquel il desire que l'on chante sa Musique, ou telle autre qu'il voudra, s'il met vis à vis de l'vne des notes de la Basse, ou des autres parties, le nombre des battemens de l'air qui fait le son ; par exemple s'il met 96 vis à vis de la premiere note de l'air du Sieur Boësset, dont i'ay parlé dans la Proposition precedente, tous ceux qui sçauront la nature du son, ou la maniere dont il se fait, chanteront la Musique proposée selon son intention, ou celle de quelqu'autre Compositeur, & chaque partie prendra le ton suiuant leur desir.
Car pour vser de la sesquialtere, il faudroit que le frapper durast vne fois & demie autant que le leuer : ou au contraire, c'est à dire qu'il faudroit faire deux notes contre trois, & consequemment que la mesure fust composée de cinq notes, pour respondre à la raison du Diapente que l'on appelle Hemiolia : & pour faire la mesure triple qui respond à la Douziesme, il faudroit que le battement durast trois fois autant que le leuer, & que l'on feist trois notes contre vne : & finalement pour battre la mesure sesquitierce, il faudroit faire 4 notes en baissant, contre 3 notes en leuant, afin de composer la mesure de 7 notes, & d'imiter la raison du Diatessaron dans le temps. Et si l'on vouloit passer outre pour trouuer les deux Tierces, & les deux Sextes dans l'ordre des mesures & des diminutions, il faudroit faire cinq ou six notes en baissant contre 3, 4, ou 8 notes en leuant : ce qui n'est pas si malaysé que l'on ne puisse y accoustumer l'imagination & les doigts : & l'on en trouue desia quelques vns qui font tel nombre de notes que l'on veut en baissant contre tout autre nombre proposé en leuant. Mais le principal ornement depend du beau toucher, & de l'entretien que l'on fait des beaux chants qui doiuent perpetuellement seruir de sujet, tandis que l'on fait entendre les differentes parties, & les contre-batteries, autrement tout ce que l'on fait ressemble à vn corps sans ame, & à vn tintamare qui fait plus de bruit qu'il ne donne de plaisir à ceux qui cherchent la proportion dans l'harmonie, & qui preferent l'ordre à la confusion.
Neantmoins les Philosophes qui en voudront rechercher les causes, doiuent les tirer de la fabrique de cet instrument [la Fluste d'Allemand], & de la maniere dont on l'embouche pour pousser le vent, & de toutes les autres circonstances. Ie laisse aussi quelques autres remarques que l'on peut faire sur cette tablature, par exemple, que quelques-vns font de certains tons en bouchant ou en debouchant d'autres trous que ceux qui sont marquez, comme l'on void dans cette autre tablature qui suit : & qu'il est beaucoup plus difficile de faire parler cette Fluste que les autres qui s'embouchent en haut, car tous peuuent vser de celle-cy, & peu sçauent sonner de celle-là, à cause de la difficulté que l'on trouue à disposer les levres comme il faut sur le premier trou, qui sert de lumiere : [p243] ce qui arriue semblablement au Fifre, qui ne differe d'auec la Fluste d'Allemand qu'en ce qu'il parle plus fort, que ses sons sont beaucoup plus vifs & plus esclatans, & qu'il est plus court & plus estroit. C'est le propre instrument des Suisses, & des autres qui battent le Tambour, quoy que les vns le sonnent d'vne façon & les autres d'vne autre, suiuant les differentes coustumes & les differentes tablatures que l'oreille & l'vsage peuuent suppleer. Mais l'on ne fait pas ordinairement toutes les parties de Musique auec les Fifres, comme auec les Flustes d'Allemand, que l'on met au ton de chapelle pour faire des concerts : & parce que l'on ne peut faire de Basse assez longue pour descendre assez bas, l'on vse de la Sacquebute, ou du Serpent, ou de quelqu'autre Basse pour suppleer, car si la Fluste d'Allemand estoit assez longue pour faire cette partie, les mains ne pourroient pas aysément s'estendre iusques aux derniers trous, tandis qu'on l'emboucheroit ; quoy que l'on puisse suppleer ce defaut dans les Basses de ladite Fluste par plusieurs clefs, en les rompant ou redoublant, comme l'on fait aux Bassons, dont nous parlerons apres.
L'on se peut aussi seruir du Tambour, encore que le Son qu'il fait ne soit pas capable des interualles harmoniques, car la varieté des mouuemens Rythmiques, dont on à coustume de le battre, peut seruir de characteres ; par exemple l'on peut se seruir des cinq temps du quatriesme mouuement pœonique, qui est representé par trois brefues & vne longue ∪ ∪ ∪ −, pour les quatre premieres lettres A B C D, & de la premiere espece du mesme mouuement, qui est le precedent renuersé − ∪ ∪ ∪, pour les quatre lettres qui suiuent, à sçauoir E F G & H ; le mouuement Choriambique dissous, ou Pyrrychianapeste, qui est composé de quatre mouuemens briefs & d'vn long, peut exprimer I K L M N : quelques-vns appellent ce mouuement François, d'autant que les François se seruent ordinairement de ce mouuement quand ils battent le Tambour, comme l'on voit icy ∪ ∪ ∪ ∪ −. O P Q R peuuent estre exprimez par le mouuement Ionique mineur, dont les deux premiers mouuements sont briefs, & les deux derniers sont longs, comme l'on voit icy ∪ ∪ − −. Les Suisses s'en seruent quand ils battent le Tambour. En fin le mouuement Choriambique, dont le premier & dernier mouuement est long, & le second & le troisiesme est brief, comme l'on voit icy − ∪ ∪ −, peut achever l'alphabet en exprimant ces quatre dernieres lettres S T V X. L'on se peut seruir des mesmes mouuemens sur les Cloches, sur les Trompettes, sur le Luth, sur la Viole, sur l'Orgue & sur les autres instrumens […]
Si la chorde estoit si longue qu'elle fust à l'vnisson d'vn tuyau d'Orgue de 24 pieds, & qu'elle ne batist l'air que dix fois dans l'espace d'vne seconde, l'oreille pourroit apperceuoir que le son ne seroit pas continu, puis que l'œil discerne tellement ces 10 retours que l'on les peut nombrer, supposé neantmoins que le son de chaque retour soit distinct & discontinu, & qu'il y ayt vn aussi grand nombre de sons differents qu'il y a de retours, car si le son du premier retour est continu auec le son du second, & que tous les sons des tours & des retours ne fassent qu'vn mesme son continu, l'oreille ne peut pas nombrer, ou cognoistre chaque partie du son que fait chaque tour & retour, si ce n'est qu'elle iuge de chaque partie du son par sa differente force ou grandeur. Par exemple, puis que le son de la chorde, qui fait 10 retours dans vne seconde, s'affoiblit en mesme proportion que les retours de la chorde se diminuent, si le second retour est moindre que le premier d'vne dix-neufiesme partie pour le moins, & que les autres retours se diminuent tousiours en mesme proportion, comme ie suppose maintenant, il s'ensuit que si la premiere partie du son a 20 degrez de force, que la 2 partie n'aura que 19 degrez de force, que la troisiesme n'en aura que 18 1/20, & ainsi des autres, & consequemment que l'oreille distinguera ces parties, comme si elles faisoient des sons differents, si elle est assez delicate pour apperceuoir ces petites differences.
PROPOSITION XVII. L'on peut sçauoir combien de fois les chordes du Luth, de l'Epinette, des Violes & des autres instrumens battent l'air : c'est à dire, combien de fois elles tremblent, ou combien elles font de tours & de retours durant vn concert, ou en tel autre temps que l'on voudra determiner. Il est tres-aysé de cognoistre le nombre des battemens, ou retours de toutes les chordes de tel instrument que l'on voudra, si l'on a compris ce que i'ay dit de ces tremblemens dans vn autre lieu, pourueu que l'on sçache le nombre des instrumens dont on vse, & l'espace du temps que dure le concert. Neantmoins ie veux icy repeter ce qui est necessaire pour l'intelligence de cette proposition ; & premierement que la chorde, qui est à l'vnisson d'vn tuyau d'Orgue de 4 pieds ouuert, fait 48 retours dans l'espace de la trois mille [p141] sixcentiesme partie d'vne heure, c'est à dire dans l'espace d'vne seconde minute, qui est la durée d'vn battement du coeur, ou du poux tres-lent & paresseux. Secondement, que les retours des chordes se multiplient en mesme proportion que les sons deuiennent plus aigus ; & consequemment lors que l'on sçait le nombre des retours d'vne chorde, dont on cognoist le son, on sçait quant & quant le nombre des retours de toutes sortes de chordes, dont on cognoist les sons.
Or cecy estant presupposé, Ie veux dresser vne table, par le moyen de laquelle l'on cognoistra tout aussi tost combien les chordes de tous les instrumens d'vn concert font de retours, ou combien de fois elles battent l'air ; & parce que chaque periode de la chorde comprend son allée & son retour, le nombre des battemens d'air est deux fois plus grand que celuy de ses retours, c'est pourquoy la table qui suit, monstrera seulement les retours, dont les nombres doublez donneront le nombre des battemens. Et parce que les concerts à plusieurs parties contiennent ordinairement l'estenduë de 2, 3, ou 4 Octaues, & que tous les instrumens pris ensemble peuuent s'estendre iusques à 8 Octaues, comme i'ay monstré dans vn discours particulier ; la table qui suit contient 8 colomnes, dont chacune a vne Octaue entiere. Mais il faut remarquer que la premiere colomne, qui est à la marge, sert de conduite aux 8 suiuantes, dont les nombres qui representent les retours, ou les battemens des chordes, sont en mesme raison que ceux de ladite colomne ; quant à la premiere colomne des retours, elle comprend la plus basse Octaue, & la huictiesme contient la plus aiguë.
Or chaque Octaue a 19 chordes, notes, ou caracteres, d'autant qu'on ne peut marquer la Musique à plusieurs parties sans se seruir de ce nombre dans chaque Octaue, comme i'ay prouué dans vn autre lieu. Quant à l'vsage de cette table, il est si aysé, qu'il n'est quasi pas besoin de l'expliquer, car le premier nombre de la premiere colomne, à sçauoir 6, signifie que le son le plus graue de tous les instrumens, à sçauoir le son du tuyau d'Orgue de 32 pieds, se fait par les 6 retours de la chorde, qui bat 12 fois l'air dans l'espace d'vn battement de coeur ; & les autres nombres qui suiuent, tant dans cette Octaue, que dans les 7 autres, representent tousiours le nombre des retours de chaque chorde, qui respond à chaque note, ou lettre de l'Octaue, qui est marquée à la marge : par exemple, le premier ou le moindre nombre de la 8 Octaue signifie que la plus basse chorde de la 8 Octaue fait 768. retours dans l'espace d'vn battement de poux, c'est à dire dans le temps d'vne seconde minute : & le 2 nombre de la mesme colomne, à sçauoir 800, signifie que la chorde qui a ce son, fait 800 retours dans le mesme temps. [Tablature du nombre des tremblemens que font les chordes - demy-ton mai. - demy-ton min. - comma - diese]
D'où il s'ensuit que l'on sçaura combien de fois l'air est battu par chaque chorde en regardant cette table, car si l'on veut cognoistre le nombre des battemens de chaque chorde de l'vne des Octaues, par exemple de la Cinquiesme, qui monstre le nombre des retours, il faut prendre les nombres de la 6 Octaue, qui sont doubles de ceux de la 5, d'autant que i'ay desia dit que chaque periode de la chorde est composée du tour & du retour, & consequemment contient deux battemens d'air : mais si l'on prend l'vne des colomnes pour les battemens, & non pour les retours, la colomne precedente donnera le nombre des retours : par exemple, si la 6 colomne est prise pour le nombre des battemens, la 5. donnera le nombre des retours, qui sont tousjours [p142] la moitié de chaque nombre des battemens, de sorte que les deux colomnes qui se touchent, sont reciproques. Or puis que les nombres de ces 8. colomnes suiuent, ou contiennent les raisons des degrez de la Musique, l'on en peut vser pour composer telle piece que l'on voudra, comme nous nous sommes seruis ailleurs d'autres nombres, qui ont les mesmes raisons, pour le mesme sujet ; par dessus lesquels ceux-cy ont le priuilege de monstrer tous les [p143] retours de chaque chorde, & tous les battemens d'air, dont se forment les sons & la Musique, & consequemment ils sont plus propres pour expliquer la nature de l'Harmonie, que nuls autres nombres.
COROLLAIRE VI Ce qui a esté dit iusques à present peut aussi seruir pour la tablature du tremblement ou fremissement des cloches, & du mouuement de tous les autres corps, par exemple du mouuement des fueilles d’arbres, des oyseaux qui volent, & des autres corps qui battent l’air, parce que lors qu’vn corps bat autant de fois l’air que les chordes des instrumens, l’on peut dire qu’il fait l’vnisson auec lesdites chordes. De là vient que l’on ne peut apporter d’autre raison formelle & immediate, pourquoy vne cloche a le son plus graue ou plus aigu que l’autre, sinon parce que les parties de l’vne fremissent plus viste, & consequemment battent l’air plus souuent. Il faut neantmoins remarquer que l’on n’oyt pas les battemens d’air de toutes sortes de corps, quoy qu’ils soient [p146] aussi frequents que ceux de la chorde du Luth, de la Viole & des Cloches, comme il arriue quand l’air battu n’est pas enfermé, & que ses mouuemens ne sont pas reflechis, comme ils sont par la table & par le corps des instrumens : de là vient que l’on a de la peine à ouyr les chordes de Luth qui se meuuent dans vn air libre, tandis que l’on les tient par les deux extremitez auec les doigts, d’autant que le son n’estant pas reflechy n’est pas assez fort pour estre ouy, comme i'ay desia remarqué dans vn autre lieu.
COROLLAIRE VII Il est aysé de conclure de tout ce discours que l'on peut determiner les sons, les consonances & les dissonances que font les mouuemens du vent, du tonnerre, de la gresle, des boulets de canon, & des flesches, pourueu que l'on cognoisse combien de fois l'air est battu par ces corps : car on cognoist le nombre de ces battemens, quand on oyt le son ou le bruit desdits corps, si l'on a l'oreille assez bonne pour iuger de la grauité, ou de l'aigu du son. Il faut conclure la mesme chose du bruit que fait la flamme de la chandelle, & des bruits differents que l'on remarque dans l'art, ou dans la nature : ce qui peut encore seruir pour iuger de la legereté & de la pesanteur des corps qui se meuuent, ou de la force dont ils sont poussez ; comme ie monstre dans vn autre discours.
COROLLAIRE VIII Mais afin que l'on ne quitte pas ce discours sans en retirer quelque profit, il me semble que les Musiciens doiuent considerer que puis que les chordes qu'ils touchent, ne leur refusent iamais leurs mouuemens, & qu'elles obeyssent tres-promptement à leur volonté iusques à se rompre, quand il leur plaist, qu'ils doiuent imiter cette obeyssance si ponctuelle en suiuant la volonté de Dieu, & les bons mouuemens qu'il leur donne pour faire le bien & pour euiter le mal : car puis qu'il n'y a nul mouuement qui ne conduise au premier moteur, il est tres-raisonnable que les mouuemens, dont on reçoit de si grands contentemens, & d'où l'on tire vne si grande harmonie, nous menent à celuy, dont la Prouidence bat incessamment la mesure de l'harmonie de l'Vniuers, & gouuerne le grand concert de tout le monde, de peur qu'il soit dit dans l'Eternité que les Musiciens ont esté plus stupides & plus irraisonnables que les creatures inanimées, & qu'ils soient si mal-heureux que les chordes, dont ils ont tiré tant d'harmonie, seruent au grand iour du Iugement pour les lier & les affliger, s'ils ont si peu d'esprit & de iugement qu'ils ne rapportent pas l'harmonie de leurs chordes, & de leurs voix à la gloire de celuy qui seul merite les loüanges de toutes les Creatures, que le Prophete Royal exhorte à leur deuoir par ses dernieres paroles, omnis spiritus laudet Dominum.
PROPOSITION XVIII. Tous les Musiciens du monde feront chanter vne mesme piece de Musique selon l'intention du Compositeur, c'est à dire au ton qu'il veut qu'elle se chante, pourueu qu'ils cognoissent la nature du son. Vne nouuelle maniere de marquer, & de battre la Mesure est icy expliquée. Cette proposition est l'vne des plus belles de la Musique Pratique, car si l'on enuoyoit vne piece de Musique de Paris à Constantinople, en Perse, à la Chine, ou autre part, encore que ceux qui entendent les notes, & qui sçauent la composition ordinaire, la puissent faire chanter en gardant la mesure, neantmoins ils ne peuuent sçauoir à quel ton chaque partie doit commencer, c'est à dire combien la premiere, ou les autres notes de la basse doiuent estre graues ou aiguës, d'autant que si les Chinois, par exemple, ont la voix plus graue & plus basse que les François, ils commenceront chaque partie plus bas que nous ne faisons, & s'ils l'ont plus aiguë ils commenceront plus haut. Ie sçay que l'on peut aduertir au commencement de la piece de Musique qu'elle doit estre chantée au ton de Chappelle, ou plus haut ou plus bas d'vn demy-ton, &c. Mais plusieurs ne sçauent que c'est que le ton de Chappelle, & il est trop difficile de transporter vn tuyau d'Orgue, ou quelqu'autre instrument, & bien qu'on l'enuoyast en telle façon qu'il ne perdist nullement sa forme, il parleroit plus haut ou plus bas selon le vent que l'on luy peut donner, & consequemment l'on n'auroit pas vne entiere certitude du graue & de l'aigu du son. Or le Compositeur donnera vn signe certain & vniuersel du ton, auquel il desire que l'on chante sa Musique, ou telle autre qu'il voudra, s'il met vis à vis de l'vne des notes de la Basse, ou des autres parties, le nombre des battemens de l'air qui fait le son ; par exemple s'il met 96 vis à vis de la premiere note de l'air du Sieur Boësset, dont i'ay parlé dans la Proposition precedente, tous ceux qui sçauront la nature du son, ou la maniere dont il se fait, chanteront la Musique proposée selon son intention, ou celle de quelqu'autre Compositeur, & chaque partie prendra le ton suiuant leur desir.
Mais il n'est pas necessaire de sçauoir le nombre des battemens pour faire seruir les mesmes notes à des temps differents, car il suffit de sçauoir combien [p148] les notes sont plus hautes, & plus aiguës les vnes que les autres pour diminuer leur valeur d'autant de degrez, que l'on augmente leur aigu. L'on peut semblablement augmenter la valeur des notes à proportion que leur aigu s'augmente ; & si l'on veut on augmentera ou l'on diminuera la valeur desdites notes en raison doublée, ou triplée du nombre des battemens de l'air, qui font les sons de chaque Partie : or la maniere la plus naturelle, dont on peut vser pour la valeur des notes, ou des voix & des sons, est celle qui donne les mesures les plus lentes & plus tardiues aux notes de la Basse, & les plus vistes à celles du Dessus, car puis que les battemens des sons du Dessus sont plus vistes que ceux de la Basse, il est raisonnable que le mouuement de ces notes soit aussi plus viste, afin que ces deux vistesses s'approchent de l'vnisson qu'elles feroient, si le mouuement des notes estoit aussi viste que celuy des battemens de l'air. Quant à la maniere dont on vse pour trouuer le son, lors que l'on a le nombre des battemens d'air dans vn temps donné, ie l'ay expliquée dans vn autre lieu, c'est pourquoy ie diray seulement icy qu'vne chorde longue de 48, ou de 24 pieds estant tenduë par vne force donnée, ou par vn poids cogneu tel que l'on voudra, monstre le nombre des battemens d'air, qui font chaque son, car les battemens se multiplient à proportion que l'on accourcit la chorde : de sorte que si elle bat trois fois l'air dans vn moment, lors qu'elle a 24 pieds de long, elle ne le bat que 72 fois quand elle n'a plus qu'vn pied de long.
COROLLAIRE VIII Il faut encore remarquer que lors que i'ay dit qu'vne chorde de Luth fait vn certain nombre de retours, par exemple, quand celle qui est à l'vnisson d'vn tuyau de 8 pieds ouuert fait 24 retours dans vne seconde, que cela s'entend de 24 retours, dont chacun est composé d'vne allée & d'vne venuë, que l'on peut comparer au flux & reflux de la mer : ce que i'explique par cette figure A B C D, dans laquelle la chorde A B estant tirée en C retourne en D, & de D en F, & ainsi consequemment iusques à ce qu'elle se repose : de maniere que le chemin qu'elle fait de D en C, & de C en D, se prend pour vn seul retour ; d'où il s'ensuit qu'il y a tousiours deux fois autant de battemens d'air que de retours, & que quand la chorde A B frappe 24 fois le point D, ou l'espace qui est entre E & D, qu'elle bat 48 fois l'air au point E, puis qu'elle bat le point C autant de fois que le point D.
Car pour vser de la sesquialtere, il faudroit que le frapper durast vne fois & demie autant que le leuer : ou au contraire, c'est à dire qu'il faudroit faire deux notes contre trois, & consequemment que la mesure fust composée de cinq notes, pour respondre à la raison du Diapente que l'on appelle Hemiolia : & pour faire la mesure triple qui respond à la Douziesme, il faudroit que le battement durast trois fois autant que le leuer, & que l'on feist trois notes contre vne : & finalement pour battre la mesure sesquitierce, il faudroit faire 4 notes en baissant, contre 3 notes en leuant, afin de composer la mesure de 7 notes, & d'imiter la raison du Diatessaron dans le temps. Et si l'on vouloit passer outre pour trouuer les deux Tierces, & les deux Sextes dans l'ordre des mesures & des diminutions, il faudroit faire cinq ou six notes en baissant contre 3, 4, ou 8 notes en leuant : ce qui n'est pas si malaysé que l'on ne puisse y accoustumer l'imagination & les doigts : & l'on en trouue desia quelques vns qui font tel nombre de notes que l'on veut en baissant contre tout autre nombre proposé en leuant. Mais le principal ornement depend du beau toucher, & de l'entretien que l'on fait des beaux chants qui doiuent perpetuellement seruir de sujet, tandis que l'on fait entendre les differentes parties, & les contre-batteries, autrement tout ce que l'on fait ressemble à vn corps sans ame, & à vn tintamare qui fait plus de bruit qu'il ne donne de plaisir à ceux qui cherchent la proportion dans l'harmonie, & qui preferent l'ordre à la confusion.
D'abondant la raison d'Aristote n'est pas vniuerselle, car encore que la chorde soit deux fois plus grosse, ou plus longue, elle peut faire des sons plus aigus qu'vne plus deliée & plus courte, ce qui arriue par les differentes tensions, ou les differentes matieres, comme i'ay demonstré clairement dans le troisiesme liure. Et puis la cause immediate des sons se prend du nombre des battemens de l'air, comme i'ay demonstré dans le mesme lieu, & non de la longueur des chordes. C'est pourquoy il faut examiner comme il se peut faire [p210] que la mesme chorde batte l'air differemment en mesme temps, car puis qu'elle fait les cinq ou six sons dont i'ay parlé, il semble qu'il est entierement necessaire qu'elle batte l'air 5, 4, 3 & 2 fois en mesme temps qu'elle le bat vne seule fois, ce qui est impossible de s'imaginer, si ce n'est que l'on die que la moitié de la chorde le bat deux fois tandis que la chorde entiere le bat vne fois, & qu'en mesme temps la 3, 4 & 5 partie le battent 3, 4 & 5 fois, ce qui est contre l'experience, qui monstre euidemment que toutes les parties de la chorde font vn nombre esgal de retours en mesme temps, car toute la chorde estant continuë n'a qu'vn seul mouuement, quoy que ces parties se meuuent d'autant plus lentement qu'elles sont plus proches des cheualets. D'où il est aysé de conclure ce que i'ay desia demonstré dans le 2, 3 & 4 liure, à sçauoir que le son graue ne vient pas absolument de la lenteur ou tardiueté du mouuement, puis que les parties de la chorde qui se meuuent plus lentement que celles du milieu ne font pas des sons plus graues, que le naturel, qui procede particulierement desdites parties du milieu, puis qu'estant le plus fort il doit venir du plus grand mouuement : car l'on entend tousiours les sons en haut à l'aigu du naturel, & iamais en bas comme i'ay dit cy-dessus.
Or puis que chaque son est determiné quant au graue, ou à l'aigu par le nombre des battemens de l'air, & que la chorde ne le peut battre qu'vn certain nombre de fois dans vn mesme temps, il est necessaire que l'air ayant esté battu se reflechisse sur la chorde, & qu'en faisant son retour elle luy donne vn nouueau mouuement ; ce que l'on peut conceuoir en deux manieres, car l'on peut dire que l'air a vne plus grande tension, c'est à dire qu'il est tellement disposé, que quand il est frappé il va plus viste, & a ses retours plus frequens que la chorde, ou les autres corps par lesquels il est frappé ; de mesme que la chorde qui est tenduë sur vn instrument, va beaucoup plus viste que le doigt, la plume, ou l'archet dont elle est touchée, à raison de la disposition qu'elle a acquise par sa tension : ou bien l'on peut dire que l'air ayant esté frappé & enuoyé, par exemple, à costé droit de la chorde reuient apres qu'elle s'en va à main gauche, de sorte qu'elle le trouue en chemin, & qu'elle le repousse pour la seconde fois en luy adioustant vn nouueau mouuement, afin qu'il face desormais l'Octaue en haut auec le mouuement, ou le son naturel de la chorde, qui garde tousiours vn mesme temps pour vn mesme nombre de retours, tandis que l'air fait deux retours contre vn : mais quand la chorde le rencontre la troisiesme fois, elle luy imprime encore vn 3. mouuement, de sorte qu'il a trois retours contre vn pour faire la Douziesme, & puis la Quinziesme, & la Dix-septiesme. A quoy l'on peut adiouster que l'air ayant esté frappé par la chorde, se diuise premierement en deux parties, puis en 3, 4, 5, &c. qui font les sons precedens, parce que cette diuision est la plus aysée de toutes : & si l'on admet les atomes de Democrite, l'on peut dire que les differentes parties de la chorde qui frappent l'air differemment, diuisent & rompent la Sphere de l'air en 2, 3, 4 & 5 parties, ou que la mesme partie de la chorde le rompt differemment selon ses differentes dispositions ; de sorte que l'vne des parties de l'air se rompt en deux, l'autre en trois, quatre ou cinq parties, &c.
LIVRE CINQVIESME DES INSTRVMENS A VENT. Encore que tous les instrumens de Musique puissent estre appellez à vent, puis qu'il n'est pas possible de faire des sons sans le mouuement de l'air, qui est vne espece de vent, neantmoins l'on a coustume de donner ce nom à ceux que l'on embouche, ou que l'on fait sonner auec des soufflets, afin de les distinguer d'auec ceux qui vsent de chordes, ou que l'on bat comme le Tambour. Or i'ay voulu faire vn liure particulier de ces instrumens, à raison de leur grande multitude, & des difficultez particulieres qui se rencontrent dans leurs proportions, & dans la maniere dont il en faut vser pour faire toutes sortes de sons, afin que ceux qui les preferent aux instrumens à chorde, y trouuent dequoy se contenter, & que la confusion ne s'introduise pas dans nos traitez. Mais auant que d'expliquer les instrumens à vent, il faut dire ce que c'est que le vent dont on vse pour en sonner, ce que ie fais dans la premiere Proposition.
PROPOSITION IV. Expliquer les Chalumeaux à vn, ou plusieurs trous, & leur vsage. Les cinq Chalumeaux ou Flustes qui suiuent sont les plus simples de toutes, d'autant qu'elles n'ont qu'vn, deux, ou trois trous, dont la premiere à main gauche est faite de l'escorce de saule, ou de quelqu'autre arbre, laquelle on leue quand il est en seve : de sorte que l'on en fait vn chalumeau qui est ouuert tant en haut qu'en bas, comme l'on void en A B. La seconde fluste n'a point d'autres trous que celuy d'en haut par où on l'embouche marqué d'A, celuy d'en bas marqué par B, & celuy de la lumiere marqué par C : or ces deux flustes ne peuuent faire de sons differens, si ce n'est par la differente force du vent qu'on leur donne. Quant au 3. & 5. Chalumeau, qui est fait de bled, il est aysé de comprendre comme l'on en sonne, car l'A & le 1 du 3 monstre les deux trous que l'on fait aux deux bouts, & B fait voir la maniere dont il faut coupper le chalumeau, afin que la partie qui s'esleue, serue d'emboucheure pour pousser le vent, ou de languette pour le battre, tandis que l'on tient les deux doigts sur les deux trous A, I, dont on fredonne en les bouchant, & en [p230] les ouurant le plus viste que l'on peut. Le cinquiesme chalumeau a sa languette en haut, comme monstre A : mais il faut remarquer que le haut de ce chalumeau se termine par vn noeud qui sert de tampon, afin que le vent n'eschappe pas, & qu'il descende aux trois trous d'en bas, qui seruent pour faire trois tons differens ; quoy que l'on puisse faire dix ou douze tons differens par le moyen de ces trois trous, comme ie monstreray en parlant de la fluste à trois trous, que l'on accompagne du Tambour.
Neantmoins les Philosophes qui en voudront rechercher les causes, doiuent les tirer de la fabrique de cet instrument [la Fluste d'Allemand], & de la maniere dont on l'embouche pour pousser le vent, & de toutes les autres circonstances. Ie laisse aussi quelques autres remarques que l'on peut faire sur cette tablature, par exemple, que quelques-vns font de certains tons en bouchant ou en debouchant d'autres trous que ceux qui sont marquez, comme l'on void dans cette autre tablature qui suit : & qu'il est beaucoup plus difficile de faire parler cette Fluste que les autres qui s'embouchent en haut, car tous peuuent vser de celle-cy, & peu sçauent sonner de celle-là, à cause de la difficulté que l'on trouue à disposer les levres comme il faut sur le premier trou, qui sert de lumiere : [p243] ce qui arriue semblablement au Fifre, qui ne differe d'auec la Fluste d'Allemand qu'en ce qu'il parle plus fort, que ses sons sont beaucoup plus vifs & plus esclatans, & qu'il est plus court & plus estroit. C'est le propre instrument des Suisses, & des autres qui battent le Tambour, quoy que les vns le sonnent d'vne façon & les autres d'vne autre, suiuant les differentes coustumes & les differentes tablatures que l'oreille & l'vsage peuuent suppleer. Mais l'on ne fait pas ordinairement toutes les parties de Musique auec les Fifres, comme auec les Flustes d'Allemand, que l'on met au ton de chapelle pour faire des concerts : & parce que l'on ne peut faire de Basse assez longue pour descendre assez bas, l'on vse de la Sacquebute, ou du Serpent, ou de quelqu'autre Basse pour suppleer, car si la Fluste d'Allemand estoit assez longue pour faire cette partie, les mains ne pourroient pas aysément s'estendre iusques aux derniers trous, tandis qu'on l'emboucheroit ; quoy que l'on puisse suppleer ce defaut dans les Basses de ladite Fluste par plusieurs clefs, en les rompant ou redoublant, comme l'on fait aux Bassons, dont nous parlerons apres.
D'ailleurs si elle [la Trompette] faisoit la Sesquisexte apres la Sesquiquinte, ses battemens seruiroient au nombre Septenaire, qui ne peut estre diuisé que par l'vnité, à laquelle elle ne peut retourner, c'est pourquoy elle quitte ce nombre impair, comme inutile à l'harmonie, pour passer au nombre de huict, qui est le premier cube apres l'vnité, & qui acheue la troisiesme Octaue, comme le 2 & le 4. son, dont il fait la repetition ou le redoublement : par où la nature fait voir combien elle ayme l'Octaue, à laquelle elle est arriuée par l'addition du second battement, au lieu de s'arrester à la Sequisexte par vn seul battement. Finalement quand elle bat l'air huict fois apres l'auoir battu six fois, elle fait la mesme chose que lors qu'elle le bat quatre fois apres l'auoir battu trois fois, d'autant qu'il faut iuger du progrez des consonances par la suite de leurs termes radicaux. Or elle fait le ton maieur apres cette Quarte par l'addition d'vn seul battement, comme elle fait le mineur : car son ton estant composé de huict battemens, fait le ton maieur contre les neuf battemens du huictiesme ton, & cet 8 ton composé de 9 battemens fait le ton maieur contre les 10 battemens de son neufiesme son. Où il faut remarquer que tous les sons qu'elle choisit font des consonances auec ceux qui precedent, par exemple le neufiesme son composé de dix battemens fait l'Octaue auec le cinquiesme son : mais si elle faisoit la Sesquisexte auec son sixiesme son, le septiesme son ne feroit nulle [p253] consonance auec les sons precedens, & seroit semblable à l'Orateur qui agence si mal ses periodes & ses raisons, qu'elles n'ont nul bon rapport ensemble, & qu'elles blessent les oreilles. L'on peut donc conclure par l'experience, que la nature cherche l'Octaue, & qu'elle ne veut pas donner les differences des consonances iusques à ce qu'elle ayt fait la Vingt-deuxiesme, en arriuant à l'octonaire, qui luy sert de borne, parce qu'elle considere seulement les solides, sans se soucier des sursolides, & des autres nombres ou quantitez que l'on appelle dignitez dans l'Algebre, & qui sont plustost dans l'imagination des hommes, que dans la realité des choses : de là vient que tous les instrumens bornent leur estenduë par le nombre de huit, & prennent pour leur deuise auec toute la nature, Non plus vltrà. Mais il y a encore plusieurs choses à considerer dans les interualles de la Trompette : par exemple, pourquoy elle fait le demiton maieur par son dixiesme ton, & comme elle peut passer des dix battemens du neufiesme son aux 10 2/3 battemens du 10, au lieu de faire vnze battemens par l'adition de l'vnité ; car il faut qu'elle suppose que dix vaut quinze, afin que 10 2/3 vaillent seize. Ce qu'elle fait afin de donner la troisiesme difference des consonances, car le demiton maieur est la difference de la Tierce maieure, & de la Quarte, comme le ton maieur est la difference de la Quarte & de la Quinte, & le ton mineur celle de la Quinte & de la Sexte maieure. En effet il est raisonnable que la Trompette diuise tellement la Quarte, qu'elle auoit fait paroistre dans son Sixiesme interualle, que la derniere diuision restituë la mesme Quarte ; ce qui ne peut arriuer apres le ton maieur & le mineur, qu'elle a faits en suiuant son progrez naturel, si elle ne fait le demiton maieur : or la Proposition qui suit contient encore d'autres difficultez qui peuuent seruir pour entendre celle-cy.
PROPOSITION XIV. Expliquer pourquoy la Trompette ne suppose pas chacun de ces tons pour l'vnité, & par consequent pourquoy elle ne fait pas tousiours l'Octaue à chaque interualle. Pvis que l'on peut supposer 2, 4, 8, &c. aussi bien qu'vn pour le premier son de la Trompette, il est ce semble difficile de sçauoir pourquoy elle ne fait pas aussi aysément l'Octaue, ou la Quinte, ou tel autre interualle que l'on veut, au 3 & 4 interualle, &c. comme au 1 & au 2, puis que son 3 & 4 son, &c. peuuent aussi bien estre supposez pour l'vnité, comme le premier. Neantmoins il est aysé d'expliquer cette difficulté, si l'on veut vser de suppositions veritables, & de celles que donne la nature, sans s'amuser aux imaginaires, qui n'ont pas leur fondement dans la realité des choses, d'autant qu'il est certain que le premier son de la Trompette est au second comme vn à deux, car les battemens de l'air, qui font le premier son, durent deux fois autant que ceux qui font le second, c'est à dire que l'air bat deux fois dans le second son, tandis qu'il bat vne seule fois dans le premier son, comme i'ay prouué ailleurs ; de sorte que si l'on prend toute l'estenduë de la Trompette pour son corps entier, l'on trouuera qu'il est impossible que le premier son puisse estre supposé pour autre chose que pour l'vnité, le second pour le binaire, le troisiesme pour le ternaire, &c. Ce que l'on peut entendre par la comparaison d'vn [p254] corps, car si l'on suppose que l'vn de ses costez soit de deux pieds, & qu'il soit cube, c'est chose asseurée que la surface de l'vn de ses costez aura quatre pieds, & que sa solidité en aura huit : mais si apres auoir trouué quatre pour la surface, l'on vouloit encore supposer que cette surface n'a que deux pieds, l'on ne pourroit trouuer son conte, ny la solidité que l'on cherche, ny par consequent la verité. C'est pourquoy il faut tousiours suiure le premier fondement que l'on a pris dés le commencement, si l'on ne veut que tout ce qu'on bastit se ruine de soy-mesme : & consequemment si l'on prend l'vnité pour le premier son de la Trompette, il n'est plus permis de la supposer pour ses autres sons. La mesme chose arriuera, si l'on suppose 2, 3, 4, 5, &c. pour le premier son, car l'on rencontrera tousiours le mesme raisonnement, & les mesmes interualles que i'ay expliquez. Et si l'on obiecte qu'en supposant le premier son pour l'vnité, l'on peut s'en imaginer vn plus graue, qui se fasse par la moitié de l'vnité, & puis vn autre qui se fasse par le quart, & ainsi des autres, suiuant ces nombres 1/2, 1/4, 1/8, 1/16, &c. il faut respondre qu'il ne se peut faire de son d'vn demy, ou d'vn quart de battement ou de retour, car il faut pour le moins battre vne fois l'air pour faire vn son, or l'on ne peut le battre plus d'vne fois, qu'on ne le batte pour le moins deux fois, & puis trois fois, &c.
Mais il se rencontre encore icy quelques difficultez dans l'ordre desdits sons, comparez à leur force & à leur foiblesse, car si la nature suit l'ordre des nombres, il semble que la Trompette ne doit iamais passer à la Quinte, qu'elle n'ayt premierement fait l'Octaue, & qu'elle ne doit iamais aller à la Quarte simple ou repetée, qu'elle n'ayt passé par l'Octaue & par la Douziesme : or l'experience enseigne que la Trompette monte, quand on veut, depuis son premier ton iusques au dernier sans passer par les interualles du milieu : par exemple, l'on peut faire la triple Octaue d'vn à huict dés le premier saut, & consequemment la Trompette ne suit pas necessairement l'ordre des nombres dont nous auons parlé. A quoy ie responds que cette consideration ne destruit nullement ce que i'ay dit de l'ordre des interualles, lors que l'on pousse le vent fort doucement, & peu à peu, ce qui n'empesche pas que l'on ne fasse de plus grands interualles, quand on le pousse d'vne grande violence, car si l'on donne autant de vent à la Trompette dés la premiere fois, comme à la troisiesme, c'est chose asseurée qu'elle montera plus haut d'vne Douziesme que son premier ton : & si on luy en donne autant comme elle en reçoit au quatriesme ton, elle montera d'vne Dix-septiesme, &c. d'autant que les derniers interualles contiennent les premiers, car la Quinziesme contient l'Octaue, comme la surface contient la ligne, & le Vingt-deuxiesme contient l'Octaue & la Quinziesme, comme le solide contient le plan & la ligne. C'est pourquoy quand le vent est poussé si viste, qu'il bat 2, 3, 4, 5, ou 6 fois l'entrée du bocal, il monte aux tons precedens. Il faut dire la mesme chose de la descente des sons, qui est d'autant plus grande que l'on diminuë dauantage la vistesse ou le nombre des battemens. Or la raison que i'ay donnée, n'est pas fondée sur ce que la Trompette ne peut passer de son premier ton au dernier sans passer par ceux du milieu, mais sur ce qu'elle ne peut faire de moindres interualles que ceux dont i'ay parlé. Neantmoins il y a encore vne grande difficulté qui merite vne Proposition particuliere, à sçauoir comme l'on peut augmenter le son de la Trompette [p255] tant que l'on veut, sans le faire plus aigu, quoy que l'on pousse le vent plus fort qu'à l'ordinaire, & comme l'on peut l'affoiblir sans l'abaisser.
PROPOSITION XV. Expliquer en quelle maniere l'on peut augmenter ou affoiblir la force de chaque son de la Trompette sans en changer le ton, c'est à dire l'aigu ou le graue. Cette difficulté peut estre expliquée par ce que i'ay dit de la voix forte, & de l'aiguë dans le liure de la Voix, & de la difference de l'aigu & de la force des sons dans le liure des Instrumens à chorde, car l'air agité ne fait iamais le son plus aigu que ses agitations, ou ses battemens ne soient plus vistes. D'où il faut conclure que le mesme ton de la Trompette se fait tousiours d'vn mesme nombre de battemens d'air, quoy qu'il soit si foible ou si fort que l'on voudra : c'est pourquoy il faut dire que l'on pousse seulement vne plus grande quantité d'air, ou de vent en mesme temps, lors que l'on augmente la force du ton, & que les mouuemens & les battemens, ou les flux & reflux de l'air sont plus grands, mais qu'ils ne sont pas en vn plus grand nombre : quoy qu'il soit difficile d'expliquer la maniere dont il faut pousser le vent pour faire la distinction des sons forts, & des aigus auec la Trompette, si nous ne luy appliquons ce qui a esté dit de la force, & de la foiblesse du son que fait vne mesme chorde, & de la difference des voix fortes & des aiguës.
Or i'ay demonstré que le son se renforce sans changer de ton, c'est à dire sans se hausser quand on touche la chorde plus fort, d'autant qu'elle bat vne plus grande quantité d'air en aussi peu de temps qu'elle en battoit vne moindre quantité en faisant vn son plus foible : de sorte que le ton de la chorde, ou de la Trompette ne peut changer, quoy qu'il s'augmentast iusques à l'infini, si le nombre des battemens, dont il est composé, ne s'augmente : or ce nombre ne s'augmente point tandis que l'on pousse le vent d'vne mesme ouuerture de bouche, ou d'vn mesme mouuement de gorge. Car il faut remarquer que le larynx & la glotte s'abaissent, & s'ouurent dauantage en faisant les premiers tons, & qu'il faut restressir ces ouuertures pour faire les tons plus aigus, encore que ceux qui sonnent des instrumens n'apperçoiuent pas ces changemens, parce qu'ils ne font pas vne assez forte reflexion sur la maniere dont ils pressent les levres, & poussent le vent.
C'est pourquoy l'on peut dire que l'on ne fait point ordinairement les degrez en bas par les seules differentes ouuertures des levres ou de la gorge : & qu'apres l'ouuerture, dont on fait le 1 ton, l'on ne peut tellement les ouurir qu'on ne fasse monter la Trompette à la Quarte, ou à quelque moindre interualle, d'autant que quelque peu qu'on les ouure dauantage, elles ne peuuent adiouster moins d'vn retour ou d'vn battement d'air, aux battemens qui determinent le son precedent : de sorte qu'il est necessaire de faire la Quinte apres l'Octaue, & en suite tous les autres interualles dont i ay parlé : si ce n'est que l'on vse de la mesme ouuerture des levres en poussant vne differente quantité d'air d'vne force differente, laquelle on peut diuiser en tant de degrez que l'on voudra en affoiblissant, ou en augmentant le ton. Il faut donc respondre à la premiere difficulté que les levres ne feroient pas toutes sortes de sons, comme elles font, si elles ne se serroient & se fermoient diuersement, car le poulmon ne seruant d'autre chose que de soufflet, dont l'artere vocale est le porte-vent, il faut que les levres qui touchent immediatement au bocal, modifient la voix ou le vent, pour faire les sons graues & aigus. Quant aux soufflets, lors que l'on aura fait voir qu'ils font tous les tons de la Trompette, nous expliquerons aysément comme cela se fait, ce qu'il ne faut nullement croire sans en voir l'experience, que l'on ne fera iamais à mon aduis : & quand on la feroit, il faudroit dire que la violence du vent fait vn plus grand nombre de battemens que deuant, car la vistesse dont on le pousse, peut suppleer à l'estrecissement du canal par où passe le vent : parce qu'il suffit que l'air batte, ou qu'il soit battu autant de fois qu'il est necessaire pour faire le ton que l'on desire : car il n'importe qu'il soit battu, ou qu'il batte, comme il n'importe nullement que la terre, ou le Soleil se meuuent pour faire le iour. Il est vray que les soufflets font monter les tuyaux d'Orgue à l'Octaue & à la Douziesme, mais ie reserue cette difficulté pour le liure des Orgues. Il n'est [p257] pas besoin de parler de la gorge, dont on fait toutes sortes de sons, parce que l'on experimente qu'elle s'estressit d'autant plus que l'on fait des sons plus aigus, ce qui confirme encore les raisons precedentes : de sorte qu'il ne reste plus que les Flageollets, qui montent à l'Octaue & à la Quinziesme par la seule force du vent, sans qu'il soit besoin d'estressir la gorge ou les levres, comme l'on experimente en tenant tous ses trous bouchez, car on a souuent de la peine à l'empescher de monter à l'Octaue : ce qui arriue semblablement aux Flustes douces, & à plusieurs autres instrumens. Mais il suffit que le vent fasse la mesme chose dans le Flageollet, que la diuersité des pressions de levres dans la Trompette, c'est à dire qu'il fasse deux fois autant de retours, ou qu'il batte deux fois autant la lumiere, quand il monte à l'Octaue, comme il faisoit auant que d'y monter. A quoy l'on peut adiouster le discours de la Proposition qui suit, car il sert pour expliquer cette difficulté & les precedentes.
Mais si l'on se souuient de ce que i'ay demonstré dans les autres liures, à sçauoir que le second son de la Trompette, & tous les autres de mesme ton se font par des battemens fort vistes, & que le vent bat du moins quarante fois le trou du bocal dans le temps d'vne seconde minute, quand elle fait le second son, il est aysé d'entendre comment le mesme son peut estre supposé pour huict, neuf, dix, quinze & dauantage de battemens, lors qu'on le compare aux battemens d'vn autre son, puis que quarante contient huict, neuf, dix, quinze fois, &c. car si le troisiesme son, par exemple, se fait de quarante cinq battemens en vn temps esgal à celuy auquel se font les quarante precedens, il n'y a nul doute qu'il fera le ton maieur auec le second son : de sorte qu'il faut seulement expliquer de quelle maniere le vent [p258] doit estre poussé dans la Trompette depuis le premier son iusques au second pour faire 1 1/8 battement, au lieu d'en faire deux dans vn temps esgal à la durée du premier son, ou plustost pour faire neuf battemens au lieu des huict du premier son. Car i'ay desia dit qu'il faut que chaque battement soit entier pour varier le ton. Or pour entendre cette solution, il faut prendre la raison des battemens dans leurs termes radicaux, afin de voir si le premier son estant composé d'vn seul battement, l'on peut trouuer vn autre nombre qui fasse le ton auec luy, ou s'il est tout à fait necessaire que le premier son soit composé de huict battemens pour faire ledit ton auec le second son. Surquoy ie responds que le premier son ne peut faire le ton maieur auec le second, iusques à ce que le vent ayt battu huict fois le bocal dans le premier son, & neuf fois dans le second ; & par consequent qu'il se peut faire que l'on entende l'Octaue deuant le ton, car si l'on prend trois Trompettes, ou trois chordes de differente longueur, par exemple, que la premiere soit d'vn pied, la seconde de deux, la troisiesme de huict, & la quatriesme de neuf pieds, si on les sonne toutes en mesme temps, l'on entendra l'Octaue deuant le ton, d'autant que la Trompette ou la chorde d'vn pied de long aura battu deux fois l'air, & que celle de deux pieds l'aura battu vne fois beaucoup plus tost que celle de huict pieds ne l'aura battu neuf fois, & celle de neuf pieds huict fois, car celle d'vn pied le bat huict fois en mesme temps que celle de huict pieds ne le bat qu'vne fois, & celle de neuf pieds n'aura pas encore acheué son premier battement ; & consequemment les deux premieres chordes auront desia fait quatre fois l'Octaue, quand les deux dernieres auront fait vne seule fois le ton, puis que la seconde chorde de deux pieds aura quatre fois vny ses quatre battemens auec les huict de celle d'vn pied en mesme temps, que celle de neuf pieds commencera d'vnir ses huict battemens auec les neuf de celle de huict pieds.
Mas la Musica (hablo, digo otra vez, de la Musica quando se reduze en obra, cantando) no tiene otro fundamento mas que vna medida vacilante y fragil , fundada sobre de vn pequeño interualo de tiempo , semejante . Este intervalo que dezimos, otra cosa no es que vn pequeño interualo de tiempo el interualo del polso ò al palpitar del coraçon; con que los Cantores obseruando el valor de las Figuras, cantan las Musicas en concierto. Adonde assi como de vn contrapeso, el tiempo del relox viene guiado y gouernado, del qual todas las demás ruedas con orden recta y contraria, quien presto y quien tarde, se mueren; y con el mouimiento, se rigen y mantienen: assi tambien de vna medida llamada Tiempo, todas las partes de vna Composición, sin dissonancia ninguna, se rigen; y regense [ sic ], se cantan. El Tiempo pues en la Musica se toma por todo aquel intervalo , que tienen las Figuras naturalmente ; y tambien por aquel valor , que tienen accidentalmente. Y assi (boluiendo dezir otra vez ) todas las cantorias de Musica , se hallan fundadas debaxo de Tiempo , por quanto se componen de tantos interualos sonorosos , constituydos debajo de numeros consonantes y dissonantes; que por esto en ellas , es tan necessaria la medida llamada [p750] Tiempo : el qual vulgarmente es llamado Compas ò Batuda.
Hemos de saber que los Musicos (considerado la diuersidad de los mouimientos que las partes de la Composicion hazen cantando juntamente, por ser el vno (como dicho es) mas apresurado ò mas tardo del otro ) ordenaron vna cierta señal visible y actual , de la qual cada Cantante se ouiese de regir en proferir la voz con medida de tiempo , presto ó tardo , segun se muestra con la diuersidad de las Figuras cantables. Mas imaginaronse que fuera bien,si la tal señal se hiziesse con la mano, para que todos los Cantantes la pudiessen ver; y fuesse regolada en su mouimiento (como dixe) à imitación del pulso humano. Ado[n]de despues de auer dado tal orden algunos llamaron à esta señal Batuda de la palabra Batir, que es golpear: otros la nombraron Tiempo sonoroso [...] y otros llamaronla con voz latina Plauso , que deriua de Plaudo , que significa batimiento de manos ò dar palmadas ; por quanto antiguamente solían dar golpes con vna palma de la mano, sobre la palma de la otra mano, en señal de alegría : y es lo que en España llaman Compas dicho assí dal [=del] compassar y medir del tiempo. Esta Batuda pues ó Compas, es vna medida de tiempo en la Musica, tomado à intento que las vozes concurran en Consonancia à vn mismo tiempo.
La seconde [deduction] est du chant de ♮ dur, lequel prend tousiours son origine de l’vt de G g gg sol re vt demo[n]stré le plus souuent par la figure d’un b quarré ainsi ♮ (Do[n]t aucuns luy ont do[n]né le nom) aucunesfois par telle xx estant appellée ♮ dur, pour auta[n]t qu’e[n] quelque lieu semblablement qu'elle soit signée (qui est aussi proprement en B b bb fa ♮ mi) elle demonstre qu’il y faut proferer mi, qui est vne voix dure (à l’esgard de fa) à laquelle qua[n]d on monte faut esleuer sa voix d’un ton entier sans aucuneme[n]t la feindre, ou amolir : co[m]me dirons par cy apres.
Icy ie veux bien aduertir que oultre ce qu'auons dit de l'ento[n]nement de mi, ou de la à fa, il y a plusieurs cade[n]ces de dessus (Lesquelles toutesfois se peuuent trouuer en toutes parties) qui ne faut entonner qu’en demi ton, & cela aduient ta[n]t aux entieres (co[m]me la sol la, sol fa sol, re vt re) qu’aux ro[m]pues (co[m]me la sol, sol fa, re vt) lesquelles plusieurs auiourdhuy prude[m]ment signifient par ce signe xx lequel co[m]bien que de figure ne semble estré differe[n]t de l’un de ceux de ♮ dur. Il est toutesfois bie[n] differe[n]t de lieu, car il est mis tousiours dessus, ou dessous la note demo[n]strée par luy : Et celuy de ♮ dur, tousiours encosté senestre.
Au surplus il fauldra bien regarder quel re, ou quel la, on prendra : Car il fauldra considerer diligemment la deduction en laquelle nous montons, ou deuallons, & prendre le re, ou le la, qui sera du chant de celle en laquelle nous passons : comme si nous mo[n]tons de la deduction de nature en celle de ♮ dur, no[us] ne prendro[n]s le re de G g gg sol re vt, qui est du chant de ♭ mol : mais passans outre, pre[n]drons celuy d'A a aalamire, qui se cha[n]te par ♮ dur : qui est le cha[n]t de la deduction en laquelle nous mo[n]tons. Et pareillement si nous deuallons de la deduction de nature en celle de ♭ mol nous ne pre[n]drons le la d'E e eelami, qui se chante par ♮ dur, mais celuy de D d ddlasolre, qui se chante par ♭ mol qui est le chant de la deduction en laquelle nous deuallons. Et semblablement pour passer de toute deduction en autre, & pour ce commodement faire, faut noter les trois reigles suyuantes.
S’il aduient toutesfois qu’il faille trop souuent faindre mi en fa, & que ce soit en B b bb fa ♮ mi, on pourra cha[n]ger le chant de ♮ dur en celuy de ♭ mol, iaçoit que cela semble estre co[n]tre la commune reigle des muances (a) : Si c’est en E e ee la mi, on pourra suiure l’oppinio[n] des anciens, lesquels voyans la chose estre trop moleste faire ainsi tant de faintes, ne faisoint difficulté (apres auoir mué le mi d’E e ee la mi en fa) de proferer en montant sol en F f ffa vt, la en G g gg sol re vt : en descenda[n]t mi en D d dd la sol re, re en C c cc sol fa vt, vt en B b bb fa ♮ mi (b) : lequel chant ils ont appelé faint, l’usurpant pour celuy de nature.
Au surplus il fauldra bien regarder quel re, ou quel la, on prendra : Car il fauldra considerer diligemment la deduction en laquelle nous montons, ou deuallons, & prendre le re, ou le la, qui sera du chant de celle en laquelle nous passons : comme si nous mo[n]tons de la deduction de nature en celle de ♮ dur, no[us] ne prendro[n]s le re de G g gg sol re vt, qui est du chant de ♭ mol : mais passans outre, pre[n]drons celuy d'A a aalamire, qui se cha[n]te par ♮ dur : qui est le cha[n]t de la deduction en laquelle nous mo[n]tons. Et pareillement si nous deuallons de la deduction de nature en celle de ♭ mol nous ne pre[n]drons le la d'E e eelami, qui se chante par ♮ dur, mais celuy de D d ddlasolre, qui se chante par ♭ mol qui est le chant de la deduction en laquelle nous deuallons. Et semblablement pour passer de toute deduction en autre, & pour ce commodement faire, faut noter les trois reigles suyuantes.
Trois ordres de clefs. BAS. MOYEN. HAVT. Signes des clefs principalles. Lettres des Clefs. Esleuation de voix, selon les Clefs ascendantes. F-fa vt. G-sol-re-vt. A la mi re. B-fa-♮mi. C sol fa vt. D-la-sol-re. E la mi. f-fa-vt. g sol re vt. a-la-mi-re. b fa ♮mi. c-sol-fa-vt. d la sol re. e-la-mi. ff fa vt. gg-sol-re-vt. aa la mi re. bb-fa♮mi. cc sol fa vt. dd-la-sol-re. ee la mi. Depression de voix, selon les clefs descendantes. Deductions du bas ordre, Deductions du moyen ordre, Deductions du haut ordre selon le chant de 1. ♭mol, 2. ♮dur, 3. Nature : vt, re, mi, fa, sol, la.
La seconde [deduction] est du chant de ♮ dur, lequel prend tousiours son origine de l’vt de G g gg sol re vt demo[n]stré le plus souuent par la figure d’un b quarré ainsi ♮ (Do[n]t aucuns luy ont do[n]né le nom) aucunesfois par telle xx estant appellée ♮ dur, pour auta[n]t qu’e[n] quelque lieu semblablement qu'elle soit signée (qui est aussi proprement en B b bb fa ♮ mi) elle demonstre qu’il y faut proferer mi, qui est vne voix dure (à l’esgard de fa) à laquelle qua[n]d on monte faut esleuer sa voix d’un ton entier sans aucuneme[n]t la feindre, ou amolir : co[m]me dirons par cy apres.
Icy ie veux bien aduertir que oultre ce qu'auons dit de l'ento[n]nement de mi, ou de la à fa, il y a plusieurs cade[n]ces de dessus (Lesquelles toutesfois se peuuent trouuer en toutes parties) qui ne faut entonner qu’en demi ton, & cela aduient ta[n]t aux entieres (co[m]me la sol la, sol fa sol, re vt re) qu’aux ro[m]pues (co[m]me la sol, sol fa, re vt) lesquelles plusieurs auiourdhuy prude[m]ment signifient par ce signe xx lequel co[m]bien que de figure ne semble estré differe[n]t de l’un de ceux de ♮ dur. Il est toutesfois bie[n] differe[n]t de lieu, car il est mis tousiours dessus, ou dessous la note demo[n]strée par luy : Et celuy de ♮ dur, tousiours encosté senestre.
Reigle. Toutesfois & quantes que par dessus ces six voix s’en trouuera vne seule n’excedante que d’vne seco[n]de, elle s’appellera fa, sa[n]s faire muance, laquelle faudra profferer mollement mesmement sans aucun signe de ♭ mol, porueu que celuy de ♮ dur n’y soit mis.
Au surplus il fauldra bien regarder quel re, ou quel la, on prendra : Car il fauldra considerer diligemment la deduction en laquelle nous montons, ou deuallons, & prendre le re, ou le la, qui sera du chant de celle en laquelle nous passons : comme si nous mo[n]tons de la deduction de nature en celle de ♮ dur, no[us] ne prendro[n]s le re de G g gg sol re vt, qui est du chant de ♭ mol : mais passans outre, pre[n]drons celuy d'A a aalamire, qui se cha[n]te par ♮ dur : qui est le cha[n]t de la deduction en laquelle nous mo[n]tons. Et pareillement si nous deuallons de la deduction de nature en celle de ♭ mol nous ne pre[n]drons le la d'E e eelami, qui se chante par ♮ dur, mais celuy de D d ddlasolre, qui se chante par ♭ mol qui est le chant de la deduction en laquelle nous deuallons. Et semblablement pour passer de toute deduction en autre, & pour ce commodement faire, faut noter les trois reigles suyuantes.
I Reigle. Iamais proprement ne se fait muance de ♭ mol en ♮ dur, ne de ♮ dur en ♭ mol, mais tousiours de l’un des deux en nature, ou de nature en l’un des deux.
2 Reigle. Pour mo[n]ter de nature en ♮ dur ou de ♭ mol en nature, faut tousiours chanter re apres sol : Et pour monter de ♮ dur en nature, ou de nature en ♭ mol, faut chanter re apres fa.
3 Reigle. Pour desce[n]dre de ♭ mol en nature, ou de nature en ♮ dur, faut tousiours chanter la apres fa : Et pour descendre de ♮ dur en nature, ou de nature en ♭ mol, la apres mi.
Pource que coustumierement on ne marque le signe de ♮ dur en ♭ fa ♮ mi, il conuient noter que l'absence de ♭ mol en ce lieu demonstre tousiours la presence de ♮ dur.
De ♭ mol & ♮ dur situés outre leurs lieux, ou chants propres, Chap. 7.
Pource que souue[n]t il aduient que les signes de ♭ mol, et ♮ dur se trouuent en autres chants que aux leurs propres, il est à noter qu'en quelque lieu que se trouue celuy de ♭ mol (comme parauant auons dit) il emporte tousiours fa, & celuy de ♮ dur mi : & ne s'estendent leur force outre iceluy mi, & fa.
S’il aduient toutesfois qu’il faille trop souuent faindre mi en fa, & que ce soit en B b bb fa ♮ mi, on pourra cha[n]ger le chant de ♮ dur en celuy de ♭ mol, iaçoit que cela semble estre co[n]tre la commune reigle des muances (a) : Si c’est en E e ee la mi, on pourra suiure l’oppinio[n] des anciens, lesquels voyans la chose estre trop moleste faire ainsi tant de faintes, ne faisoint difficulté (apres auoir mué le mi d’E e ee la mi en fa) de proferer en montant sol en F f ffa vt, la en G g gg sol re vt : en descenda[n]t mi en D d dd la sol re, re en C c cc sol fa vt, vt en B b bb fa ♮ mi (b) : lequel chant ils ont appelé faint, l’usurpant pour celuy de nature.
[…] se evita de poner bemoles, en todos los puntos que se an de tocar en befabemi negro, con solamente poner vna B. capital, y redonda, al principio de la obra, assi se euitaria el dicho inconuiente, y pesadumbre: jusgué por cosa contentanea, poner tan solame[n]te en las obras acidentales de be quadrado, y q[ue] vuiessen de passar por vn sustenido, vna [C2] quadrada capital, la qual habla con todos los vnos, q[ue] son los sustenidos de fefaut. Y si vuiesse[n] de passar por los de cesolfaut poner dos [C2 C2]. Y si huuiessen de passar por los de gesolrreut poner tres [C2 C2 C2] poniendoles debaxo el numero que a de ser sustenido, el y todos sus semejantes […] procediendo por diathesarones descendentes, dende gesolrreut diziendo, fa, mi, re, vt, començando el subsequente, donde se acabo el antecedente: le van encontrando los dichos sustenidos, por el horden dicho: como tambien se encuentran los bemoles procediendo haziarriba con los dichos diathesarones, y se encuentra primero el bemol de befabemi, y luego el de elami, y luego el de alamire &cc. […] Y assi juzgue por cosa conforme a razo[n]; no poner senal de accidente, en obras naturales y diatonicas: porq[ue] lo que es natural, no tiene necessidad de señal accidental, qual lo es la C2 quadrada, y B. redonda, denotadoras del genero cromatico.
Feste et esbat cest chanterie / La devant dieu en voix serie / On ne sçaroit bien dire lose / A comparer a plus grant chose / Leur beau passe temps qua musique / Tant est ioyeuse et angelicque / Tesmoing tous bons entendemens / Et les musicaulx instrumens / Quo[n]t les sai[n]tz anges par droictures / Par tout en ces belles paintures / Pourquoy au gra[n]t ho[n]neur et gloire / Des chantres dignes de memoire / Quon ne scaroit trop exaulcer / Ne priser ce doibs tu penser / Ma pleu de dire ces beaux mos / Pour donc repre[n]dre mon propos / La sont les grans musiciens / Qui composent tousiours liens / Comme iapercoy en maint lieu / A la grant louange de dieu / Quelque chanterie nouuelle [f113v] / Doulce plaisant deuoste et belle / Hympnes, proses, messe, motez / Que la caboche en milletes / Te puist on espoutrer quoquart / De gros mailletz en beau piquart / A trois, a quatre, a cinq, a six / Bien remplis doulcement assis / Et tant plaisans, sans point doubter / Que qui les chante ou oit chanter / En a le cueur tout resjouy / Co[m]me dompstaple et du fay / Qui tant doulcement en leur temps / Par bel et devost passe temps / Ont composay ce scay ie bien / Et plusieurs aultres gens de bien / Robinet de la magdalaine / Binchoiz, fede, iorges et hayne / Le rouge, alixandre, okeghem / Bunoiz, basiron, barbingham / Louyset, mureau, prioris / Jossequin, brumel, tintoris / Et beaucoup daultres ie tasseure / Dont nay pas memoire a ceste heure / Je te vueil bien dire quilz font / Grant honneur es lieulx ou ilz sont / Cest ung deduyt que destre la / Et si te dy avec cela / Pour resveiller bien les oreilles / Quilz iouent si bien que merveilles / Des orgues en tant de beaux lieux / Lune des choses soubz les cieulx / Qui est plus plaisante a ouir / Pour tout humain cueur resiouir / Et doibs scauoir que cest lyens / Que les grans princes terriens / Se fournissent pour leurs chapelles / De bons chantres et de voix belles / Dorganistes semblablement / Bien iouans merveilleusement
Je te puisse pour ton labour / Voyr au beau son d'ung gros tabour / Sy en seray plus console / Mener comme ung beuf viole / Et dun gros maillet tassommer / Incontinant sans plus chommer
C'est pourquoy la Musique est vne imitation, ou representation, aussi bien que la Poësie, la Tragedie, ou la Peinture, comme i'ay dit ailleurs, car elle fait auec les sons, ou la voix articulee ce que le Poëte fait auec les vers, le Comedien auec les gestes, & le Peintre auec la lumiere, l'ombre, & les couleurs : voyons maintenant la diuersité des Airs, & des Chants, & particulierement ceux dont on vse en France, afin que le Musicien n'ignore rien de tout ce qui appartient à l'Harmonie. Et apres nous verrons ce qui est necessaire pour faire de beaux Airs, & s'il est possible d'en faire vn qui soit le plus beau de tous ceux qui peuuent estre faits sur quelque sujet, ou sans sujet.