L'on peut semblablement se seruir du Luth, & de tous les autres Instrumens à chorde, dont l'Epinette est la principale, & la plus aisee, à raison que ses touches sont tellement disposees, que l'on fait tel interualle ou degré que l'on veut d'vne seule main, ou mesme sans la main, car il suffit d'abbaisser les touches de son clauier, soit auec le pied, ou auec la bouche, ou en quelqu'autre maniere que l'on voudra, suiuant les artifices & les ressorts dont i'ay [p047] parlé dans le traité de l'Orgue & de l'Epinette. Mais l'Orgue est le plus propre de tous les Instrumens pour apprendre à chanter, à raison que ses tons tiennent aussi long-temps que l'on veut, afin de donner loisir à la voix de s'ajuster, & de s'accoustumer à toutes sortes de tons & d'interualles.
Or ceux qui apprendront la Musique en ceste maniere [en utilisant l'orgue pour apprendre à chanter], feront les interualles plus iustes que ceux qui ont appris des Maistres, pourueu que le clauier & les tuyaux soient disposez comme ceux que i'ay expliquez au traité de l'Orgue, dans lequel les tons & les demitons majeurs & mineurs, les dieses, & toutes les consonances sont dans leur iustesse & dans leur perfection ; & consequemment celuy qui aura appris à chanter sans Maistre enseignera mieux à entonner iuste que nul autre. Mais il ne pourra pas donner la grace aux chants & aux passages qui dépendent des roulemens de gorge, & des autres delicatesses & tremblemens dont on vse maintenant pour porter la voix du graue à l'aigu, & de l'aigu au graue ; c'est pourquoy s'il veut perfectionner sa voix, il a besoin de Maistre, à raison que les Instrumens ne peuuent enseigner de certains charmes que l'on inuente tous les iours pour embellir les chants, & pour enrichir les Concerts. Il y a vne autre maniere d'apprendre qui est plus Philosophique, mais elle est plus difficile, car elle consiste à faire trembler l'air qui sort de l'ouuerture du larynx autant de fois que la chorde qui fait le son que l'on veut imiter, & que l'on fait sans le sçauoir lors que l'on chante à l'vnisson d'vn autre son, & lors que l'on le fera par science l'on chantera plus raisonnablement.
Quelques-vns croyent que de l'appeller [l'octave] Diapason, comme ont fait les Grecs, c'est donner vn nom general à vne chose particuliere, & le nom du genre à l'espece ; & que les facteurs d'Orgues & d'Epinettes ont mieux appellé leur clauier, ou la mesure de leurs tuyaux & de leurs chordes du nom de Diapason, qui contient quarante & neuf marches, chordes, ou tuyaux pour faire autant de tons, à sçauoir 29 qui vont par degrez naturels pour faire quatre Octaues, & vingt autres qui seruent pour faire les Tierces mineures en de certains endroits (comme il sera expliqué dans le troisiesme liure de l'Epinette) & les majeures en dautres, & pour trouuer les Sextes majeures ou mineures, & les Quintes parfaites aux endroits où elles se doiuent rencontrer, quand on passe d'vne Octaue à l'autre ; car ce clauier contient tous les tons par le moyen desquels l'on peut faire toutes sortes de chants simples, ou d'accord, qui peuuent estre agreables à l'oüye, ou à l'entendement qui en iuge. Quant aux autres diuisions des sons elles ne sont pas naturelles, puis que nulle oreille ne s'y plaist : & comme la nature a mis des bornes à la mer que tous les flots les plus orageux ne peuuent outrepasser, aussi nul entendement humain ne peut faire qu'vne fausse Quinte, c'est à dire moindre qu'elle ne doit estre, ou qu'vne fausse Octaue puisse donner du plaisir, dautant qu'il ne peut passer les bornes que la nature a prescrit aux tons sans renuerser la nature.
Les Organistes ont passé plus outre que l'Octaue, & ont ajoûté la Dixiesme, la Douziesme, la Quinziesme, &c. ce qu'ils ont fait pour designer les marches de leur clauier ; car cette Dixiesme est seulement vne Tierce plus haute que la premiere, c'est à dire repetee ; & cette Douziesme est vne Quinte à l'Octaue de la premiere Quinte. Voila donc pourquoy l'on peut dire que le mot d'Octaue, dont se seruent nos Musiciens, est plus propre & plus significatif que le mot de Diapason, dont on vse plus à propos pour signifier les vingt-neuf tons des Instrumens que les huit sons de l'Octaue.
Ces raisons ont empesché les Grecs d'appeller l'Octaue δἰ ἑπτα, c'est à dire par sept, encore qu'elle n'eust que sept chordes du temps de Terpandre, ou qu'elle n'ait maintenant que sept interualles naturels ; & de la nommer δἰ ἀκτώ, c'est à dire par huit, bien quelle contienne huit sons, & qu'ils ayent donné des noms à la Quinte, & aux autres Consonances qu'ils ont pris du nombre de leurs chordes, ou de leurs sons : dautant que les anciens ne mettoient que sept chordes à leurs Instrumens, comme remarque Aristote au 32 probleme de la 19 section, afin que les sept planettes eussent leurs sieges sur les chordes des Instrumens ; car la plus grosse representoit le mouuement de Saturne qui est le plus lent, & la plus deliee representoit la Lune comme la plus viste ; & celle du milieu, dont Aristote parle si souuent, comme au probleme 20, 25, 30, & 45, representoit le Soleil. L'Octaue peut donc estre nommee Diapason, puis que nous iugeons de toute la Musique par l'Octaue, comme nous iugeons d'vn bastiment entier par son fondement, et que l'on peut restablir la Musique par sa seule connoissance, comme tout l'edifice par celle de son fondement. Et puis les Facteurs d'Orgues & d'Epinettes reglent tout leur clauier sur vne mesme Octaue, qu'ils prennent ordinairement vers le milieu, comme ie diray en parlant de l'industrie dont il faut vser pour accorder l'Orgue & l'Epinette.
Nous parlerions icy des chordes de l'Epinette, de la matiere dont elles doiuent estre faites, & de leurs grosseurs, longueurs & tensions : mais il faut premierement expliquer comme elle doit estre touchee, car encore que l'on fasse l'archet qui sert à toucher la Viole ou le Violon, apres qu'ils sont montez de leurs chordes, il n'en est pas de mesme de l'Epinette, dont il faut faire le clauier, & les sautereaux qui luy seruent comme d'archet, auant que de poser & de coller la table en sa place.
Or ce que l'on appelle le Clauier en l'Epinette, est composé de plusieurs morceaux de bois longs & plats par le bout, qui sont arrangez selon l'ordre des tons & des demy tons de Musique, & se meuuent de haut en bas entrans dans le corps de l'Epinette ; & sur l'extremité du bout, qui est caché au dedans, il y a vn autre petit morceau de bois qui sert à toucher les chordes, & qui se nomme sautereau, à cause de son vsage, car il saute quand on iouë de l'Epinette.
Quant au clauier, il a esté ainsi nommé à cause qu'il contient toutes les clefs de la Musique : mais il est difficile de l'expliquer, & malaisé à comprendre à ceux qui n'en ont point veu, c'est pourquoy i'en donneray la figure dans les Propositions qui suiuent. Or l'on donne telle figure que l'on veut à l'Epinette, car il en arriue de mesme qu'aux horloges scioteriques, ou au Soleil, que l'on peut tracer & descrire de telle figure que l'on veut, sans preiudicier aux heures que l'on y a marquees.
Quant à celles [les chordes] d'or & d'argent, il n'est pas necessaire de les employer aux instrumens, d'autant que celles de leton ne leur cedent en rien, & qu'elles montent plus haut. Le nombre des chordes est esgal au nombre des touches, de sorte que si l'on augmente les vnes, il faut aussi augmenter les autres : par exemple, si l'on fait vne Epinette iuste, qui ayt toutes les consonances, & les dissonances en leur perfection, il faut 73. chordes, afin que chaque octaue en ait 19. comme nous monstrerons en expliquant les clauiers de l'Epinette, & au traicté de l'orgue parfait, où nous ferons voir qu'il faut 97. chordes sur l'Epinette, & autant de tuyaux sur l'orgue pour iouër à toutes sortes de tons, toutes sortes de pieces de Musique, & pour vser du genre chromatic & enarmonic.
Or le secret du temperament consiste à sçauoir qu'elles consonances l'on doit tenir iustes, fortes, ou foibles, afin de temperer tout le Systeme, ou le Clauier : c'est pourquoy chaque note, ou chaque son qu'il faudra fortifier, ou diminuer, [p106] ou tenir iuste, aura pour marque l'vne de ces trois dictions, fort, iuste, ou foible. Il faut maintenant voir si l'on peut mettre les ieux differents, que plusieurs ont essayé d'introduire dans l'Epinette, comme l'on a fait dans l'orgue, afin qu'elle comprint toutes sortes d'instrumens à chorde, comme l'orgue contient toutes sortes d'instrumens a vent, mais l'vn n'a pas reüssi comme l'autre, quelques Panodions & autres instrumens que l'on ayt inuenté pour ce sujet.
Les Allemans sont pour l'ordinaire plus inuentifs & ingenieux dans les Mechaniques que les autres Nations, & particulierement ils reüssissent mieux à l'inuention des instrumens de Musique : ce que ie peux confirmer par la maniere qu'ils ont treuuee depuis quelque temps, pour faire ouyr des ieux entiers de Violes sur les Clauecins, quoy qu'vn seul homme en touche le clauier, comme celuy d'vne autre Epinette. Mais ils n'ont nul besoin d'archet, d'autant qu'ils mettent quatre ou cinq rouës paralleles aux touches, quoy que plus hautes que les touches : or on presse les chordes si peu que l'on veut sur lesdites rouës, qui font durer le son aussi long-temps que le doigt demeure sur la touche, & qui le renforcent ou l'affoiblissent selon que l'on presse la touche plus ou moins fort.
Elle [l'Epinette] peut semblablement estre meslee auec toutes sortes d'instruments, comme enseigne l'experience, & mesme auec les voix, qu'elle regle & qu'elle maintient dans le ton ; mais elle se mesle particulierement auec les Violes, qui ont le son de percussion & de resonnement comme l'Epinette. On peut dire la mesme chose des Clauecins & des Manichordions, dont celuy cy est plus foible de son que l'Epinette, & celuy-là est plus fort pour l'ordinaire. A quoy l'on peut adjouster pour la façon & pour la forme, que le clauier est à l'vne des extremitez du clauecin, & que dans l'Epinette & dans le Manichordion il est au milieu. Or quant à la bonté de l'Epinette, elle depend de plusieurs conditions & particularitez, mais particulierement des barres qu'on met dessouz la table, d'autant qu'il est difficile de barrer parfaictement les Epinettes, & est l'vn des plus grands secrets de l'art, dont ie laisse la recherche aux Facteurs.
PROPOSITION II. Expliquer la figure de l'Epinette, & la science du Clauier tant parfaict, qu'imparfaict, & quel il doit estre pour ioüer toutes sortes de compositions de Musique dans leur parfaicte iustesse, sans vser du temperament.
Or i'ay choisi la moindre Epinette de toutes celles que l'on a coustume de faire, pour en representer icy la figure : car sa plus grosse chorde n'a guere qu'vn pied de long entre ses deux cheualets. Elle n'a que 31. marche dans son clauier, & autant de chordes sur sa table ; de sorte qu'il y a cinq touches cachees à raison de la perspectiue, à sçauoir trois des principales, & deux feintes, dont la premiere est couppee en deux ; mais ces feintes seruent pour descendre à la Tierce, & à la Quarte de la premiere marche, ou du C sol, afin d'arriuer [p108] iusques à la 3. octaue, car les 18. marches principales font seulement la Dix-huictiesme, c'est à dire la Quarte sur deux octaues.
Cette figure estant regardee de son point de perspectiue est si facile à comprendre, qu'il n'est pas besoin d'vn plus long discours. Il faut seulement remarquer que l'on se met au milieu pour en sonner, au lieu que l'on se met au bout du clauecin, comme l'on void dans sa figure : mais la disposition des clauiers monstre assez de quel costé l'on se doit mettre pour les toucher. Or A C B D monstrent le corps de cet instrument, dont le couuercle est Z Y A C, qui se ioint à l'ais du derriere auec des crampons mis en A, & en [p109] C.
Quant au Clauier, (qui contient toutes les marches, dont les principales ou diatoniques sont marquees de leurs propres lettres) i'ay osté l'ais de dessus, qui se pose sur la ligne V X, afin que l'on veist le bout des petites pointes de fer qui attachent les marches, dont les Chromatiques ou les Feintes sont beaucoup plus etroites. Or chaque Octaue de l'Epinette a 13. notes, comme l'on void aux 13. qui sont grauees sur l'ais Q R, lequel se leue pour fermer le clauier, & qui appartiennent à la premiere octaue marquee par C sol vt fa : ce qui est si aysé à entendre qu'il n'est pas besoin de nous y arrester : car il suffit d'auoir des yeux pour voir les 12 demy tons esquels cette octaue est diuisée par le moyen des dieses, qui sont entre les notes diatoniques, & qui representent les feintes du clauier.
Quant aux trois autres elles sont marquées par d, parce qu'elles doiuent estre diminuées. Le 7I. ou dernier rang de notes signifie le defaut de l'accord ou du clauier. Or l'on peut faire les Epinettes aussi grandes que l'on veut, par exemple de 4. ou 5. pieds de long ; mais ce que l'on pourroit desirer en cellecy, s'expliquera si clairement dans le traicté du Clauecin qui suit, qu'il n'est pas necessaire d'allonger ce discours.
PROPOSITION III. Expliquer la figure, les parties, le Clauier & l'estenduë du Clauecin. Cette figure represente le double Clauecin, comme l'on void aux deux rangs de chordes qu'il contient, dont le premier est entortillé aux premieres cheuilles Z Z, & l'autre aux secondes L L. De là vient qu'il y a quatre cheualets, à sçauoir deux droits N M, & P O : & les deux autres, à sçauoir S T & V X, qui determinent la longueur harmonique des deux rangs de chordes. On les appelle cheualets à crosse à raison de leur figure. Les moindres chordes sont arrestées par les pointes T T, & les plus grandes par celles qui suiuent la ligne G B, dont celles de dessouz B H &c. ne paroissent pas, à raison du costé du Clauecin qui les couure. G F E signifie le costé continué, lequel n'a peu estre veu sans mettre le Clauecin de biais & de trauers, comme il est icy en Perspectiue.
Le coffre, ou l'assemblage du Clauecin est E F G H B D K, & C A I est le lieu sur lequel sont les marches, dont les branches esgales à la branche h k, sont cachées par la piece de deuant, sur laquelle i'ay mis l'estendüe du clauier par les lettres ordinaires de la main harmonique C D E F, &c. qui signifient C fa vt, D sol re, &c. & qui appartiennent aux 29. marches principales, ou Diatoniques, qui sont marquées des nombres 1, 2, 3, &c. Quant aux feintes qui sont entre les grandes marches, & qui seruent pour faire les demy tons, ou les degrez chromatiques, il y en a vingt, dont la premiere est la feinte de c, [p112] c'est pourquoy il est marqué d'vn c auec vne diese, ce qui arriue semblablement aux feintes qui suiuent par exemple à celle de D, de F, &c.
L'estendüe du Clauecin, & conséquemment de l'Epinette à grand clauier est marquée en bas par les cinq notes qui representent les quatre Octaues dudit clauier, car il y a vne Octaue de la premiere ou plus basse note à la seconde, & puis vne autre Octaue de la seconde à la troisiesme, &c. ce que monstrent les nombres qui sont sur les notes, dont le 4. signifie que la note finale fait la Vingt-neufiesme, c'est à dire quatre Octaues auec la premiere : ce qui est tres-aysé à comprendre par le moyen des trois clefs differentes de cet accord.
Or il n'est pas necessaire de remarquer que l'on fait maintenant des Clauecins, qui ont sept ou huict sortes de ieux, & deux ou trois clauiers, & que ces ieux se varient, & se tirent, se ioignent, meslent ensemble comme ceux de l'Orgue, par le moyen de plusieurs petits registres, cheuilles & ressorts, qui font que les sautereaux ne touchent qu'vn seul rang de chordes, ou qu'ils en touchent deux, ou plusieurs, par ce que la veüe & l'experience en fera plus comprendre que le discours : c'est pourquoy ie viens à l'explication d'vne autre sorte d'Epinette, dont on n'vse pas en France, & qui est en vsage dans l'Italie, apres auoir remarqué que plusieurs ayment mieux se seruir du seul Clauier qui se pousse, & se tire pour changer les ieux, que des susdits ressorts, qui ne sont pas ordinairement si iustes ; que d'autres vsent de 2. ou 3. clauiers pour varier les ieux, & qu'il y a encore plusieurs inuentions qui se peuuent adiouster à cet instrument, dans lequel on a remarqué plus de quinze cens pieces toutes differentes.
PROPOSITION IV. Expliquer la figure, la matiere, & les parties du Manichordion. Le Manichordion a son clauier de quarante neuf ou cinquante touches ou marches, comme le Clauecin, quoy qu'il soit different en beaucoup de choses, comme l'on void dans cette figure A B C D, dont les deux costez sont A C E, & C H T B, & les deux autres, qui sont de B à D, & de D à E ne paroissent pas. La table R D M soustient les cinq cheualets, marquez par 1, 2, 3, 4, & 5, dont le premier est le plus haut, & les autres vont en se diminuant. Les 70. chordes sont entortillées aux 79. cheuilles R S, & toutes les chordes passent & sont appuyées sur les cheualets. Les sept petites mortaises M K seruent pour faire sortir les sons, & les chordes vont aboutir à P Q O.
Il faut encore remarquer que la perspectiue cache les cinq premieres marches, car le clauier [du manichordion] est esgal à celuy du Clauecin. Mais les marches qui sont attachees auec les pointes de fer I L, n'ont pas des sautereaux comme luy, mais ils ont des crampons comme celuy d'airain Y V, qui touchent & haussent les chordes. L'on void les 49. crampons dans la ligne M N. X monstre la pointe de la marche Z, que l'on met dans le diapason, qui paroist vn peu par delà les crampons, R L monstrent les pointes qui attachent les marches à vne barre de dessouz : & les lignes tortuës qui vont depuis ces pointes iusques aux crampons, signifient les branches des marches. A B I & H peuuent seruir de coffrets pour mettre des chordes, des cheuilles, vn marteau & plusieurs autres choses.
Car i'ay mis les nombres Harmoniques de chaque son, ou de chaque chorde sur les 13. marches, afin que l'on sçache la distance des sons, & que l'on voye clairement qu'il est impossible de ioüer iustement de l'Epinette, si l'on ne met vn plus grand nombre de marches sur son clauier. Car soit que l'on dispose les interualles suiuant les nombres de ce premier clauier, qui sont sur chaque marche, ou selon les nombres de cet autre clauier qui suit, c'est chose asseuree que l'on ne peut trouuer les Tierces & les Sextes, tant maieures que mineures, en plusieurs endroits, où elles sont necessaires ; ce que i'explique tres-clairement dans le liure des Orgues : c'est pourquoy ie n'en parle pas icy.
PROPOSITION V. Expliquer trois sortes de Clauiers ordinaires de l'Epinette, qui font les Consonances, & les autres interualles dans leur plus grande iustesse.
Il est certain que l'on peut faire vne aussi grande diuersité de Clauiers, comme il y a de differens Systemes, mais ie veux icy me restreindre à la Practique, & monstrer premierement toutes les Consonances iustes qui se peuuent rencontrer sur les clauiers ordinaires, en quoy ils sont imparfaits, & quelles Consonances leur manquent : c'est pourquoy ie fais premierement voir la premiere Octaue du clauier de l'Epinette en sa propre grandeur, d'où l'on iugera facilement quelle est la grandeur de son clauier, qui contient 4. Octaues semblables à celle-cy, laquelle a treze marches, dont les cinq d'enhaut s'appellent Feintes, à raison qu'elles sont entre les degrez Diatoniques, dont la premiere commence par C qui est marqué de 3600.
Ie diray seulement qu'il faut adiouster les deux Clauiers precedens, & n'en faire qu'vn des deux, si l'on veut auoir toutes les Tierces & les Sextes iustes, comme ie monstre dans la table qui suit, dans laquelle i'explique les interualles de chaque marche, & toutes les consonances qui sont iustes dans ce troisiesme Clauier composé des deux precedens ; d'où il sera aysé de conclure ce qui manque à l'vn & à l'autre. Car la comparaison des nombres qui sont dessus auec ceux de ce troisiesme Clauier ou Systeme, monstre les raisons de [p118] chaque interualle consonant ou dissonant, comme l'on void dans ce troisiesme Clauier qui a dix-sept touches, afin de contenir les Feintes des deux precedens : mais parce que tous ne sçauent pas comme il faut trouuer les raisons de ces nombres, ie les explique icy si clairement qu'il n'est pas quasi possible qu'on ne les entende.
Vsage du Clauier, ou de l'Octaue qui a 17. marches. [De C à xe : Tierce mineure, De C à E : Tierce maieure, De C à F : Quarte, De C à G : Quinte, De C à xa : Sexte mineure, De C à A : Sexte maieure, De C à C : Octaue - De D à F : Tierce mineure, De D à xf : Tierce maieure, La Quarte iuste manque, De D à A : Quinte, De D à B : Sexte mineure, La maieure manque, De D à D : Octaue - De E à G : Tierce mineure, De E à xg : Tierce maieure, De E à A : Quarte, De E à ♮ : Quinte, De E à C : Sexte mineure, De E à xc : Sexte maieure, De E à E : Octaue - De F à xa : Tierce mineure, De F à A : Tierce maieure, De F à B : Quarte, De F à C : Quinte, De F à xd : Sexte mineure, La maieure manque, De F à F : Octaue - De G (manque La Tierce mineure), De G à ♮ : Tierce maieure, De G à C : Quarte, De G à D : Quinte, De G à xe : Sexte mineure, De G à E : Sexte maieure, De G à G : Octaue - De A à C : Tierce mineure, De A à xc : Tierce maieure, La Quarte manque, De A à E : Quinte, De A à F : Sexte mineure, De A à xf : Sexte maieure, De A à A : Octaue - [p119] De ♮ à D : Tierce mineure, De ♮ à xd : Tierce maieure, De ♮ à E : Quarte, La Quinte manque, De ♮ à G : Sexte mineure, De ♮ à xg : Sexte maieure, De ♮ à ♮ : Octaue].
Il est bien aysé de marquer toutes les Dissonances, puis qu'elles se trouuent en tous les endroits que ie n'ay pas mis. Mais puis qu'il y a tant de touches ou de lettres qui n'ont pas toutes les Consonances, & que la Quarte ou la Quinte, ou l'vne des Tierces & des Sextes manquent si souuent, il est euident que ce Clauier n'est pas assez parfait, & qu'il y faut encore adiouster de nouuelles touches, si l'on veut pratiquer le genre Diatonic en sa perfection : comme il arriuera si l'on vse du Clauier, ou de l'Octaue qui a dix-neuf marches, dont i'ay expliqué l'vsage dans les discours que i'ay fait des trois genres de Musique : c'est pourquoy ie n'en parle pas icy, & l'on peut voir ce que i'en dis dans le Liure des Orgues.
Ie remarqueray seulement que le Clauier ne doit pas estre estimé parfaict iusques à ce que chacune des touches principales, ou chaque lettre Diatonique fasse toutes les Consonances iustes tant en bas qu'en haut. Mais ie le reserue pour le traité des Orgues, d'où l'on le peut icy transporter, si l'on desire auoir vne parfaite Epinette.
Quant au Clauier imparfait & temperé dont on vse, il est representé par les deux premiers, dont chacun n'a que treze touches à l'Octaue : pourueu que l'on n'ayt nul esgard aux nombres qui sont sur les marches, & qui leur ostent le temperament, dont ie traicte si clairement dans [p120] le liure des Orgues, qu'il n'est pas besoin d'en parler icy, l'Epinette n'ayant rien de particulier qui ne soit aussi dans leurs Clauiers.
Il y a ordinairement quatre Octaues entieres sur l'Epinette, & vingt-neuf touches sur son Clauier, sans conter les Feintes, qui sont simples ou doubles : quand elles sont simples, il y en a cinq sur chaque Octaue, de sorte que l'Octaue de l'Epinette est diuisee en treize sons, chordes, ou marches : par consequent il faut que les treize chordes soient toutes differentes en longueur & grosseur, si l'on veut auoir vne parfaite harmonie […]
PROPOSITION XIV. Determiner combien l'on peut toucher de chordes, ou de touches du clauier dans l'espace d'vne mesure, c'est à dire combien l'on peut faire de notes à la mesure sur l'Epinette ; & si l'archet va aussi viste sur la Viole, & sur le Violon ; ou si la langue & les autres organes qui font les passages, & les fredons peuuent faire autant de notes à la mesure que l'Epinette. L'on peut toucher les chordes de Luth, & de l'Epinette en deux manieres, à sçauoir toutes, ou plusieurs en mesme temps, comme il arriue lors que l'on abbaisse plusieurs touches du clauier en mesme temps, pour faire plusieurs consonances ou dissonances ; ou l'vne apres l'autre, comme l'on fait aux passages & aux fredons, & c'est de cette maniere que ie parle icy. Or il faut remarquer que les Musiciens ont inuenté des notes pour signifier toutes leurs mesures c'est à dire tous les temps, ou toutes les especes de durée qu'ils donnent aux sons & aux voix, dont ils composent toutes sortes de chansons & de motets : & que celle qui signifie vne mesure est blanche, & sert comme de pied, de diapason & de regle à toutes les autres, qui augmentent ou diminuent ordinairement leurs valeurs de moitié en moitié, de sorte que la 2 vaut la moitié d'vne mesure, la troisiesme le quart, la 4 la 8 partie, la 5 la 16 partie, la 6 la 32 partie, & la 7 la 64 partie, qui est la moindre de toutes celles qu'ils ont inuentées, parce qu'ils ont iugé que l'on ne pouuoit pas chanter vne note en vn moindre temps qu'en la 64. partie d'vne mesure.
PROPOSITION XX. Expliquer la proportion de toutes les parties de l'Epinette, & du Clauecin, & leur construction. L'on fait des Epinettes de differentes grandeurs, mais elles sont peu differentes en leur façon, c'est pourquoy il suffit d'expliquer la maniere d'en faire vne de deux pieds & demy de long, & de 16 poulces en large dans œuure, & de remarquer ce que les plus grandes ont de particulier. Ie dis donc premierement que celle que ie descris icy a son assemblage de quatre poulces & demy de hauteur, & que les ais dont on fait le fonds & le tour du coffre sont assemblez à queuë d'aronde. Et puis que l'on colle les deux barres B N, & A E à trauers le fonds vis à vis du bout des deux coffrets O & N, de sorte qu'elles sont vn peu plus esloignées que la longueur du clauier. Elles ont vn poulce d'espaisseur & 17 lignes de hauteur. En apres l'on place le sommier que l'on colle contre le costé droit de l'assemblage à hauteur du tringlage, qui sert à porter les cheuilles, & qui se colle à 14 lignes pres des bords du coffre. L'on attache encore le sommier & les tringles auec de petites pointes que l'on riue, [p157] afin que tout en tienne plus ferme, & l'on met des cales sous le sommier pour le supporter. L'on colle aussi la piece à pointes, qui sert pour porter le clauier ; on la fait de 2 lignes & demie d'espaisseur, & de 16 lignes de largeur : & apres l'auoir percée d'autant de trous que l'on fait auec vn poinçon, comme il y a de marches & de feintes qui doiuent porter dessus, on y met les pointes à trauers vn petit drap, & l'on perce quant & quant toutes les marches pour y faire entrer lesdites pointes bien à l'ayse, afin qu'elles fassent librement la bacule, lors qu'on les touche pour ioüer de l'Epinette, comme l'on void aux points qui sont entre E F. Mais on adiouste vne liziere de drap souz le bout du derriere des marches pour mettre le clauier à niueau. Et à la fin des mesmes bouts on met les petites pointes G H, qui entrent dans les traits de sie du Diapason I K, lequel tient le clauier droit & en estat, & lequel on fait de la hauteur des barres, & de 8 ou 10 lignes d'espaisseur.
Les trous des pointes du clauier E F sont percez au tiers de la longueur des marches, afin de donner la bassecule au derriere : & puis l'on separe le clauier en 49. ou 50. touches, dont on retrecist le derriere de demie marche sur chaque costé. C'est auec le mitan de ses marches que l'on marque le Diapason pour la conduire du clauier ; mais il faut que ses traits de sie finissent en s'eslargissant à queuë d'aronde, afin que les 50. pointes du bout des marches ayent du iour, & qu'elles ne touchent pas aux costez. Or tandis que le clauier n'est encore que d'vne piece, il faut le poser sur la piece aux pointes, & l'arrester par les deux bouts auec deux pointes mises à la premiere & à la derniere marche, afin de le percer & de faire les trous au mitan des marches ; quoy que les trous des feintes doiuent estre à quatre lignes plus haut que celles des marches. Il faut aussi marquer la piece aux mortaises sur les bouts des marches, & tracer les mortaises dessus & dessouz ; & puis il la faut sier en deux, afin d'en coller vne moitié sur la table, & l'autre sur vne petite table de sapin, que l'on colle apres bien droit vis à vis de la premiere sur les deux barres du fonds : & pour ce suiet on fait cette piece, qui est de hestre bien doux, d'onze lignes de large, que l'on rabotte iusques à ce qu'elle soit tres-mince & deliée. Il faut percer cette table de sapin, & eslargir vn peu les mortaises par le dedans : & puis on colle vn morceau de peau de mouton dessus, que l'on coupe nettement de la grandeur desdites mortaises auec vn petit fermoir : & parce qu'il n'y en a que 25, l'on y met de petits entre-deux de grosses chordes d'Epinette, que l'on fait entrer à trauers par des trous faits auec vn poinçon d'aiguille, & puis on les riue par dessouz la table. L'on met apres le cheualet droit F G le long de la piece à mortaise, dont la premiere pointe d'en bas F est esloignée de trois poulces de la plume du premier sautereau, ou de la premiere corde K. L'autre cheualet est brisé en deux, comme l'on void en B H I, dont le petit bout I est esloigné d'enuiron 3 poulces d'auec le bout du cheualet droit G. H I est de quatre poulces de long.
Tout cecy estant fait, on barre la table [de l'Epinette] de 3 barres sur le derriere, dont l'vne se met en bas le long de la piece à mortaise entre le cheualet, & ladite piece : elle a vn pied de long & 3/4 de hauteur : les deux autres plus petites biaisent par derriere le cheualet, l'vne d'vn costé & l'autre de l'autre. On y colle encore vne autre grande barre de mesme longueur qui commence vis à vis du milieu du clauier, & va iusques à 10 sautereaux pres du bout d'en-haut, mais on y fait trois petites eschancrures dessouz, & deux aux moindres barres, afin qu'elles donnent plus d'harmonie à l'instrument. On met encore la piece de dessouz pour porter la table par le deuant vis à vis du clauier à la hauteur du tringlage : c'est pourquoy on la colle contre les coffrets, les triangles & le sommier, & on l'attache encore auec des pointes, afin qu'elle tienne mieux. Apres que l'on a placé les feintes & que tout est bien sec, on releue le clauier afin de nettoyer les barres & les marches, & de les polir auec de la presle, & de coller la table à demeurer ; & pour ce suiet on vse de poinçons & d'estraignoirs tout à l'entour pour la faire ioindre bien iustement : son espaisseur n'est que d'vne ligne. Quand elle est seiche, on y adiouste des moulures en haut & en bas : & puis on espace les pointes à tenir les chordes par leurs œillets, & les cheuilles du sommier pour les bander. On a aussi coustume de ratisser la table & de la polir auec de la Presle, ce que l'on fait semblablement au clauier.
Il ne faut pas aussi oublier de mettre des morceaux de drap sur les endroits des marches, sur lesquels les sautereaux portent & battent, afin qu'ils ne fassent point de bruit, mais il faut seulement les coller par les deux bouts, afin qu'ils soient plus mols & plus doux au milieu qui touche les sautereaux. Cecy estant fait on remet le clauier en sa place, & puis on emplume les languettes, & l'on coupe les sautereaux à mesure qu'on les fait parler : de sorte qu'il n'y a plus qu'à monter l'Epinette de bonnes chordes iaunes & blanches. Les iaunes sont pour la premiere Octaue, dont les 4 premieres doiuent estre de la troisiesme grosseur, (que les Facteurs appellent du numero trois) les suiuantes de la seconde, & les dernieres de la premiere : & celle des autres Octaues plus hautes doiuent estre des 3 autres grosseurs des blanches. Or cette Epinette de deux pieds & demy est à l'Octaue du ton de Chapelle : & celle que l'on faict de 3 pieds & 1/2 de long, de 17 poulces de large, & de 5 poulces de haut en œuure, est à la Quarte dudit ton de Chappelle, auquel descend celle de cinq pieds de long. Mais le sommier de ces plus grandes Epinettes n'est pas tout droit, car apres auoir costoyé l'ais du costé iusques à la moitié, il biaise & va trouuer la piece de derriere les tringlages 16 lignes plus bas que le bord d'enhaut. Ie laisse plusieurs choses qui sont si aysées dans la Practique, qu'on les comprend dans vn moment, par exemple, qu'il ne faut pas percer les trous des cheuilles, ou de la piece aux pointes auec vn vieil-brequin, parce que les [p159] trous ne tiennent pas les pointes & les cheuilles assez fort, mais auec vn poinçon mis dans le bois d'vn vieil brequin, afin que le bois des trous ne se mange point, & qu'il se presse tellement qu'il reuienne contre les cheuilles, à la maniere d'vn ressort, pour les tenir plus fermes.
Quant aux Clauecins, puis qu'ils sont semblables aux Epinettes en plusieurs choses, il suffit de monstrer enquoy ils sont differents, ce que l'on void en partie dans les figures que i'en ay donné : ie dis donc premierement que le Clauecin doit auoir cinq pieds & trois poulces de long, deux pieds & trois poulces de large vers le clauier, sept poulces par la pointe, & dix-huict poulces par le bout où commence l'eschancrure circulaire, ou la piece ronde : on luy donne sept poulces de hauteur, & l'on met vn coffret au bout. Son clauier a 14 poulces en bas, & 12 en haut. L'on met de petites calles sur le bout des marches où posent les sautereaux, afin de changer les ieux, & pour ce suiet on leur donne 10 lignes de long & 4 d'espaisseur, & puis on les colle à quatre lignes pres du bout des marches. Ledit clauier est porté sur vn chassis qui se tire ; & pour ce suiet on fait la piece aux pointes qui est de bois de hestre, de 16 à 18 lignes en largeur, & de six en hauteur ou espaisseur. La piece a mortaises est aussi de hestre fort doux, & a 17 lignes en largeur, & 5 en espaisseur, afin d'estre siée en deux, apres auoir esté marquée sur le clauier à 4 lignes pres du bout des marches. Apres auoir estrecy le clauier de demie marche sur chaque costé du derriere, on le separe en 50. parties pour auoir la feinte coupée de B fa, & puis on trace les mortaises vis à vis des marches pour rapporter aux sautereaux, comme i'ay dit en parlant de l'Epinette.
COROLLAIRE Si l'on vouloit conter toutes les pieces differentes qui entrent dans le Clauecin, l'on en trouueroit plus de 1500, car il a cent chordes, dont les œillets s'accrochent à cent pointes, il a cent cheuilles, et 200. pointes sur ses 4 cheualets ; ses deux rangs de sautereaux ont 700. parties differentes. Le double rang des mortaises est diuisé par 50 fils de leton, le clauier a 50 marches posées sur 50 pointes, & les bouts du derriere des marches ont 50 pointes qui entrent dans les 50 traits de sie du Diapason, comme ceux de deuant ont 50 morceaux [p160] partie d'iuoire & partie d'ebene : ausquelles si l'on adiouste les morceaux de drap et de peau de mouton, toutes les pointes qui seruent à faire tenir le sommier, le tringlage et les autres pieces de bois, & toutes les barres & moulures differentes, il n'y a nul doute que l'on trouuera plus de quinze cens pieces dans le Clauecin ou dans l'Epinette à deux rangs de chordes.
PROPOSITION XXI. Expliquer les nouuelles inuentions que nostre siecle semble auoir adiousté à l'Epinette & aux Clauecins. Il semble que ceux de l'autre siecle n'ont point eu de Clauecins, ny d'Epinettes à deux ou plusieurs ieux, comme nous en auons maintenant, qui ont quatre ieux, & quatre rangs de chordes, & que l'on nomme Eudisharmoste, dont le plus grand respond au 12 pieds de l'Orgue, le second est à l'Octaue, le 3 à la Douziesme, & le 4 à la Quinziesme en haut, soit qu'ils n'ayent qu'vn clauier, ou qu'ils en ayent deux ou trois. L'on peut encore y adiouster vn nouueau ieu à la Tierce maieure, ou plustost à la Dixiesme ou Dix-septiesme maieure, qui sont les repliques de ladite Tierce : ce qui pourroit seruir à la speculation de la nature, en considerant pourquoy deux chordes qui sont à la Quinte n'azardent, & quel effet ont celles qui font la Tierce soit maieure ou mineure, &c. Or encore qu'il n'y ayt que quatre ieux dans l'Eudisarmoste, neantmoins on les varie en plusieurs manieres suiuant le nombre des combinations, conternations & conquaternations qui se peuuent faire de quatre choses differentes, dont i'ay parlé fort amplement dans le liure des Airs & des Chants.
Ie viens maintenant à l'autre partie de cette Proposition, & dis que les methodes & les manieres de toucher les instrumens sont aussi differentes que celles d'escrire, car l'on remarque que ceux qui touchent le Luth & l'Epinette [p162] sont quasi aussi differens à leur toucher qu'à leurs vsages. Mais quoy qu'il en soit, il suffit de remarquer ce qui est necessaire pour le beau toucher du Clauecin ; lequel consiste premierement à porter tellement les deux mains ensemble sur le clauier, qu'elles ne soient nullement forcées ny contrefaites, & que leur mouuement reglé ne donne pas moins de contentement que le son des chordes. En second lieu, que la gauche touche deux, ou trois bons accords, lors que la droite fait des diminutions & des passages, & au contraire. En troisiesme lieu, il faut faire les cadences tant simples que doubles & triples, si nettement que la confusion n'en obscurcisse point la beauté, & les charmes. En quatriesme lieu, il faut garder la mesure le plus iustement qui se puisse faire, & consequemment l'on doit passer 16 doubles, ou 32 triples crochuës en mesme temps que 4 noires dans la mesure binaire, & 12 doubles ou 24 triples crochuës dans la ternaire en mesme temps que l'on en fait trois noires. Quant aux tremblemens, battemens, martelemens, myolemens, accents plaintifs, &c. l'on peut quasi les faire sur le clauier comme sur le manche du Luth, dont il n'est pas besoin de repeter les discours qui sont dans le liure precedent.
Or il faut encore remarquer que la legereté de la main est fort differente de sa vistesse, car plusieurs ont la main tres-viste, qui l'ont neantmoins bien pesante, comme tesmoigne la dureté & la rudesse de leur ieu. Or ceux qui ont cette legereté de la main peuuent estre appellez Maistres absolus de leurs mains & de leurs doigts, dont ils pesent si peu qu'ils veulent sur les marches, afin d'adoucir le son de l'Epinette comme l'on fait celuy du Luth : de sorte qu'ils font ouyr des Echo tres-doux, & d'autres-fois des sons si forts, qu'on les compare au foudre & au tonnerre, comme il arriue lors qu'ils triplent ou quadruplent la cadence en faisant 32 triples, ou 64 quadruples crochuës aux passages, ou aux cadences triples & quadruples, dont on void plusieurs exemples dans la piece qui suit, dans laquelle les tremblemens, qui se font en descendant, se marquent par cette virgule, & ceux qui se font en montant par cette autre, qui ressemble à la lettre c : quoy qu'on les puisse marquer auec tels autres caracteres que l'on voudra. Ie laisse plusieurs gentillesses que les grands maistres font sur le clauier, par exemple de certains passages, dans lesquels deux sons conioints s'entendent en mesme temps, tandis que l'vn des doigts tient l'vne des marches abbaissées, afin que la chorde qui a esté touchée conserue son resonnement. Et cette industrie peut seruir pour faire entendre plusieurs accords tres-doux sur l'Epinette qui seront composez des seuls resonnemens, & consequemment qui esgaleront quasi la douceur du Luth.
PROPOSITION XXIII. Expliquer la Tablature du Clauecin, & tout ce qui luy appartient. L'on peut vser des lettres de la tablature du Luth, & des autres instrumens du second liure pour celle de l'Epinette, puis que tous ces instrumens diuisent l'Octaue en douze demy-tons, mais puis que l'on a coustume d'vser des notes ordinaires de la Musique, tant pour le Clauecin que pour l'Orgue, ie ne veux pas changer cette pratique, quoy que ceux qui n'ont point apris la Musique se puissent seruir de nombres, ou de lettres, car puis [p163] qu'il y a 50 marches dans le Clauecin, chaque nombre signifiera chaque marche, par exemple 40 representera le son de la 40, & ainsi des autres. Or la piece de Musique qui suit a esté composée par le Roy, & mise en tablature d'Epinette par Monsieur de la Barre Organiste & ioüeur d'Epinette du Roy & de la Reyne, dont le beau toucher peut seruir d'exemple & de regle à ceux qui desirent acquerir la perfection de cet instrument, dont on peut conclure l'excellence par cette composition, dans laquelle il y a plusieurs mesures à 32, & à 64 notes : c'est pourquoy i'vse de triples & quadruples crochuës pour marquer la grande vistesse de la main qui touche souuent 32, ou 64 notes ou touches du clauier dans le temps d'vne mesure, comme i'ay souuent experimenté, c'est pourquoy ie donne icy le temps de cette mesure qui dure vn peu moins qu'vne seconde minute, c'est à dire que la 3600. partie d'vne heure, de sorte que l'autheur de cette tablature touche souuent 32 notes, & quelquefois 64 dans le temps d'vn battement de cœur, ou de poux : ce qui est tres-remarquable.
Quant à la maniere d'apprendre à toucher l'Epinette, il faut premierement comprendre l'estenduë du clauier, & accoustumer les deux mains à toucher toutes sortes de marches pour faire toutes sortes de sons aussi viste que l'on en peut auoir l'imagination. Et puis il faut apprendre à toucher les accords des deux mains, & à les faire promptement tant contre les marches Diatoniques & naturelles, qui sont ordinairement blanches, que contre les feintes ou Chromatiques qui sont noires. En troisiesme lieu, il faut s'accoustumer aux tremblemens, & à toutes sortes de martelemens, de coulemens, & d'adoucissemens, & à diminuer toutes sortes de suiets & de parties, tantost à 8 crochuës, & à 16, à 32, & à 64 pour la mesure binaire ; & puis à 12, 24, & 48 pour la mesure ternaire. L'on peut encore vser d'autres sortes de mesures, par exemple de la sesquialtere, & de la sesquitierce comme faisoient les anciens ; surquoy il faut remarquer que l'on se trompe, lors que l'on croit que la mesure binaire est en raison double, & la ternaire en raison triple ou sesquialtere, car la binaire est en [p164] raison d'esgalité comme l'vnisson, & la sesquialtere des Practiciens en raison double comme l'Octaue, de sorte que l'on n'vse maintenant que de ces deux especes de mesure.
Or la perfection consiste particulierement à toucher de certains tons, & de certaines chordes si a propos que l'esprit de l'auditeur en soit charmé & rauy, & qu'il ne desire plus autre chose que d'aller au Ciel pour iouyr des plaisirs inexplicables que l'on a de voir Dieu tres-clairement, & pour ioindre l'harmonie de ses chants à celle des bien-heureux. Ce qu'il faut aussi entendre de tous les autres instrumens dont nous auons parlé, & dont nous ferons d'autres discours, car chacun a des graces si particulieres qu'il est difficile de sçauoir celuy que l'on doit preferer aux autres : quoy qu'il en soit ie donne icy la piece de Musique à 4 dont i'ay desia parlé, afin que l'on voye vne partie de ce que peut faire l'Epinette touchée des plus excellens Maistres ; elle peut semblablement estre ioüée sur la Harpe, puis qu'elle n'est qu'vne Epinette renuersée, c'est pourquoy ie ne donneray point d'exemple pour cet instrument ; & parce que le clauier de l'Orgue n'est pas different de celuy du Clauecin, il n'y a nul doute que les Organistes la peuuent toucher, quoy qu'il y ayt de certaines particularitez au toucher de l'Orgue qui ne sont pas à celuy de l'Epinette, comme ie diray dans vn liure particulier, dans lequel ie donneray vn autre exemple pour monstrer ce que peut faire l'Orgue, & ce qui luy est propre. Mais l'on ne peut apporter vne plus grande perfection à l'Epinette qu'en faisant durer ses sons autant que ceux de la Viole, ou de l'Orgue, & en rendant la diuision de son clauier, & de ses demy tons si iuste qu'elle responde à la Theorie.
Quant à la durée de ses sons, i'en ay desia parlé, & les Allemans font voir par experience que les Clauecins sont capables de faire ouyr d'excellens concerts de Violes par le moyen des roües qui suppleent les traits de l'archet : ce qui se peut faire en plusieurs manieres, mais la iustesse des interualles & des degrez du clauier depend d'vne bonne oreille, & de plusieurs choses qui y [p169] doiuent contribuer, par exemple de nouuelles marches, & feintes que l'on y doit adiouster, suiuant ce que i'ay remarqué dans le discours des clauiers ; les chordes doiuent aussi estre bien choisies, car il s'en rencontre de si fausses & de si mauuaises, que l'on ne les peut mettre d'accord. Or plusieurs croyent que les chordes d'Epinette montent plus haut auant que de rompre, lors qu'on les bande peu à peu, & qu'elles rompent plustost quand on les veut monter tout d'vn coup iusques à leur ton, mais il se rencontre des Practiciens qui experimentent le contraire : quoy qu'il en soit, il est certain qu'il y a plusieurs choses dans la Practique qui dependent de la dexterité, & de la bonne main des Maistres & des Facteurs.
PROPOSITION XXIV. Expliquer la figure, l'accord, l'estenduë, & l'vsage de la Harpe. L'on peut former plusieurs difficultez sur cet instrument, par exemple, à sçauoir si la Harpe de Dauid, que les Hebrieux appellent כנור. Cinor, estoit semblable à la nostre, & à la cithare des Grecs, mais puis qu'il ne nous paroist nul vestige de l'antiquité, d'où nous puissions conclure ce qui en est, il suffit de descrire icy la nostre, laquelle est representée par cette figure composée de trois parties, dont l'vne s'appelle le clauier, lequel est marqué par A B, & D L E I representent la moitié de la table, sur laquelle on void les deux rangs de cheuilles D H, dont chacune est semblable à S V : on les peut appeller boutons, & seruent pour tenir les chordes fermes dans leurs trous, que l'on bouche de ces boutons, apres auoir fait vn nœud au bout de chaque chorde, afin qu'elles ne puissent eschapper. Mais il faut remarquer que les chordes ne touchent pas leurs cheuilles à la sortie de leurs trous, comme elles font lors que l'on vse d'harpions, ou de cheuilles crochuës, qui les font n'azarder, dont on a quitté l'vsage pour euiter cette imperfection.
L'on adiouste encore vn fil de leton ioignant chaque bouton, pres duquel on l'attache sur la table [de la Harpe] à l'issuë de chaque trou, afin que les chordes portent dessus, & que le bois de la table ne s'vse pas. Or la longueur des chordes se prend depuis ces fils de leton, comme depuis autant de cheualets iusques aux cheuilles de fer que l'on void dans le clauier A B, qui en a trois rangs, dont le premier monstre comme les chordes s'entortillent. Leur figure est semblable à la cheuille α β, dont la premiere partie α est quarrée, & se met du costé du clauier qui ne paroist pas, par lequel on tourne lesdites cheuilles auec la clef A B C : ce que l'on fait en prenant les deux branches C B de la main droite pour mettre le bout quarré de la cheuille α β dans le trou A de la troisiesme branche. Quant aux chordes, celles du premier rang des boutons s'attachent au premier rang des cheuilles du clauier, celles du second rang au second, & celles du troisiesme au troisiesme : mais le troisiesme rang des boutons ne paroist pas, parce que la moitié de la table est cachée.
Les deux autres rangs de chordes ne paroissent pas aussi entortillez aux 2 & 3. rang des cheuilles du clauier, afin d'euiter l'embarras & la confusion des chordes, dont il n'y a icy que deux rangées, à sçauoir les ordinaires des simples Harpes, dont chaque ton n'est pas diuisé en deux demy-tons, lesquelles sont entortillées au premier rang des cheuilles, par le bout β, qui est rond, & [p170] qui est percé d'vn petit trou, par lequel on passe la chorde, de peur qu'elle n'eschappe, comme l'on fait aux cheuilles du Luth, & des autres instrumens. Les quatre pans de bois qui sont entre E & H, monstrent la moitié du corps exterieur, sur lequel la table est posée, & consequemment signifient qu'il est composé de huict pans, quoy que l'on le puisse faire rond, ou de telle autre figure que l'on voudra. F & G monstrent les ouyes, qui sont faites en forme de treffle. Or il y a 29 chordes dans ce premier rang, lesquelles font 4 Octaues entieres, comme celles de l'Epinette ; de sorte que l'on peut dire que la Harpe est vne Epinette renuersée, à laquelle l'on peut accommoder vn clauier semblable à celuy du Clauecin, afin de la faire seruir d'Epinette, comme font quelques Italiens, qui la nomment Graue-cymbale, & d'imiter l'Epigone d'Ambraciotte, ou le Simice, dont Vincent Galilée donne les figures à la 40, & 41. pages de ses Dialogues de la Musique.
Le second rang de chordes qui font les demy-tons paroist icy, & est attaché au 2. rang des boutons, de sorte que l'on a 57 chordes dans cette Harpe : mais les 29 du 3. rang, qui sont à l'vnisson des 27 du premier, ne sont pas marquées, d'autant qu'elles sont du costé de la table qui est caché ; de sorte que cette Harpe, que l'on appelle triple, auroit 86 chordes, n'estoient les demy-tons qui se rencontrent dans le Diatonic, qui diminuent le nombre des chordes du second rang, car puis que chaque Octaue a deux demy-tons, & qu'il y a quatre Octaues sur la Harpe, il s'ensuit qu'il faut oster huict chordes du second rang, & par consequent qu'il ne faut que 78 chordes pour monter la Harpe à trois rangs en perfection. L'on pourroit encore adiouster vn 4. rang de chordes à l'vnisson du second, ou à l'Octaue du premier, pour augmenter l'harmonie, mais l'embarras des chordes seroit si grand que les doigts ne pourroient fournir à vne telle multitude, si l'on n'vsoit d'vn ou deux clauiers, comme on fait sur les Clauecins, qui ont trois ou quatre rangs de chordes differentes, que l'on varie en six ou sept manieres pour auoir plusieurs ieux differents, comme i'ay dit cy-dessus. Ceux qui ont ouy Flesle qui touche la Harpe en perfection, ne sçauent s'ils la doiuent preferer au Luth, sur lequel elle a cette prerogatiue, que toutes ses chordes se touchent à vuide, & que son accord peut approcher de plus pres de la iustesse que celuy du Luth ; car quant à l'imperfection que l'on experimente dans le son de ses chordes, qui ne s'esteignant pas assez viste fait souuent des dissonances auec les autres chordes que l'on touche, il est aysé de le faire cesser comme celuy des chordes de l'Epinette, par le moyen des doigts dont on touche les chordes.