Au milieu duquel à l’obiect de ceste grotte, fut faitte vne motte de terre, qui prenoit sa leuee au pied d’icelle grotte : sur laquelle estoit assis le Dieu Pan vestu en Satyre, enuelopé d’vn mandillet de toile d’or, ayant vne couronne d’or sur sa teste, & tenant en sa main gauche vn baston noüailleux & espineux, & en la droite ses flageolets ou tuyaux dorez, desquels il deuoit sonner en temps ordonné. Au dedans de la grotte, & derriere l’huys d’icelle, fut disposee la musique des orgues doulces, pour iouër aussi en temps & lieu […]
Pan […] s’eiouïssant de leur arrivee, se meit à iouer de son flageol à sept tuyaux, & feit aussi sonner les orgues sourdes auec vne nouuelle musique, & ceste harmonie estant finie, Minerue commence à parler au Dieu Pan en ceste sorte […]
Ce fut lors que les violons changerent de son & se prindrent à sonner l’entree du grand Balet, composé de quinze passages, disposez de telle façon, qu’à la fin du passage toutes tournoyent tousiours la face vers le Roy : deuant la maiesté duquel estans arriuees, danserent le grand Balet à quarante passages ou figures Geometriques : & icelles toutes iustes & considerees en leur diametre, tantost en quarré, & ores en rond, & de plusieurs & diuerses façons, et aussi tost en triangle, accompagné de quelque autre petit quarré, & autres petites figures.
[…] Pythagore, lors que rencontrant quelque ieune homme […], lequel par vn chant Phrygien de quelque Musicien, irrité & transporté de colere, à feu & à glaiue vouloit forçer vne maison voisine : il commanda au Musicien de cha[n]ger de Mode, & de sonner la sous-phrygienne : Ce qu’ayant faict, soudain modeste & paisible retourne en sa maison.
[…] ce mot, diapason, est equiuoque, & a diuerses significations, il est necessaire […] de declarer, comment il se [p6] doibt prendre, pour cognoistre ses especes. Premierement, donc, diapason se prend pour la consonance & accord de l’octaue, à sçauoir quant ses deux extremitez seulement, sonnent ensemble, sans estre meslangees d’autre accord. Secondement, il [le diapason] se prend pour ce qui est contenu entre les deux extremitez du diapason, c’est à dire, pour tout ce qui est contenu entre deux clefs semblables, si comme d’Alamire en alamire [...] Tiercement, se prend le Diapason, quant il est consideré entre ses deux extremitez, ayant vne mediation qui le diuise en vn diapente, & vn diatessaron. En laquelle signification le prend Platon, quant il dict, qu’il y a trois bornes, qui sont l’interualle du diapason, à sçauoir, la meze, la nete, & l’hypate : c’est à dire, la mediation, & les deux extremitez.
Toutesfois il semble que le Son est autre chose que ce mouuement, puisque nous sentons de grands mouuemens d'air, ou d'eau, ou de quelques autres semblables corps, qui ne font point de Son, ou qui le font si foible, qu'il n'est nullement proportionné à la force du mouuement, comme nous experimentons aux pierres que l'on iette dans l'air auec des fondes, aux bales d'arquebuses, aux boulets d'artillerie, & en plusieurs autres mouuements, qui se font quand la pluye & la gresle tombent, & que l'eau d'vne riuiere profonde coule sans faire bruit. Au contraire, il y a de petits mouuemens qui font de grands bruits, comme ceux du larynx, de l'epiglotte & de la langue, quand nous parlons, ou ceux de l'air, qui fait sonner les Orgues, & les autres Flustes. Neantmoins ie n'estime pas que le Son soit different du mouuement du corps, qui frappe le Tambour, ou la Membrane de [p002] l'oreille […]
Cecy estant posé, ie dis premierement que la chorde qui fait ledit ton de G re sol, qui est le plus bas que ma voix puisse descendre bat 168 fois l’air, c’est à dire qu’elle passe 168 fois en son centre, ou par sa ligne de direction dans le temps d’vne seconde minute, ou qu’elle reuient 84 fois vers celuy qui la pousse, ou qui la tire. En second lieu, qu’vne chorde longue de dix-sept pieds & demi suffit pour en faire l’experience, d’autant qu’elle ne tremble pas trop viste, & qu’elle donne loisir de conter ses retours, comme l’on peut voir auec vne chorde de Luth, ou de Viole de la grosseur de celles dont on fait les montants des Raquettes (que l’on fait de douze intestins de mouton) laquelle reuient seulement deux fois dans le temps d’vne seconde, lors qu’elle est tenduë auec vne demie liure, quatre fois estant tendüe de deux liures, & huit fois estant tendüe de huit liures : or si l’on fait sonner vne partie de la chorde qui n’ayt que dix pouces, quand elle est bandée auec quatre liures, elle monte à l’vnisson du ton de chapelle, & quand elle est bandée de huit liures, estant longue de vingt pouces elle monte au mesme ton, & finalement quand elle n’est tenduë que par la force d’vne demie liure, elle fait le mesme ton, en prenant seulement la longueur de cinq pouces. […]
PROPOSITION XXI. Expliquer comme la voix peut estre augmentee & affoiblie. [...] lors que l'on touche les chordes du Luth, ou d'vn autre instrument auec plus de force, elles sonnent plus fort, à raison qu'elles battent & fendent vne plus grande quantité d'air, ce qui arriue semblablement aux languettes des anches & du larynx ; car lors que l'on parle plus fort, l'on pousse plus d'air, lequel sort auec plus de violence, comme fait l'eau par vn canal, lors qu'elle est plus chargee ou plus pressee ; car encore que l'ouuerture du canal semble tousiours estre remplie, neantmoins il est plus plein lors que l'eau sort d'vne plus grande violence.
PROPOSITION XXXV. Determiner quels sont les vices & les imperfections de la voix ; & si l'on peut faire chanter la Musique à vne voix mauuaise & inflexible. […] [p044] Iosquin a fait voir qu'vne voix inflexible & mauuaise peut chanter sa partie, car ayant promis à Louys XII, dont il estoit Musicien, de luy faire chanter sa partie, quoy qu'il eust la voix discordante, & tres-mauuaise, il fit vne composition à quatre parties, & fit aduoüer au Roy qu'il pouuoit chanter en Musique. Il faut neantmoins remarquer qu'il est necessaire que la voix tienne ferme sur vn ton, ou sur vne chorde, & qu'elle soit constante ; car si elle varie tellement qu'elle n'ait nul arrest, il n'est pas possible qu'elle chante sa partie quoy qu'vniforme, si ce n'est qu'en variant elle face de certains tons dont on puisse remarquer les differences, & que cette varieté garde quelque sorte d'vniformité ; car l'on ne peut regler ce qui est dereglé & des-ordonné que par le moyen de ce qui est reglé & ordonné, comme l'on ne peut soudre les difficultez des nombres irrationels, & de l'algebre que par les rationels, & par les equations : ce qui monstre que toute sorte de diuersité dépend de l'vnité à laquelle toutes choses doiuent retourner comme à leur source & à leur origine. Ie donne donc la piece de Musique dont i'ay parlé, afin de ioindre l'exemple au discours. [p045] Or il n'y a voix si mauuaise qu'elle ne puisse chanter cette Taille ; car si elle est entierement inflexible, elle ne peut manquer à tenir ferme ; & si l'on a peur qu'elle ne tienne pas ferme, & qu'en haussant ou baissant elle fasse des Dissonances, l'on peut faire souuent sonner vn tuyau d'Orgue pour la contraindre à tenir le mesme ton. L'on peut faire chanter le Dessus ou la Basse à la mesme voix, suiuant le ton qu'elle a : mais parce que la voix du Roy estoit propre pour le Tenor, Iosquin luy donna cette partie.
Il faut neanmoins remarquer qu'il n'est pas tellement necessaire de changer les interualles des sons graues & aigus, qu'on ne puisse trouuer quelque espece d'air sans eux, si nous parlons de tout ce qui peut estre appellé air, ou chant en quelque maniere que ce soit : car quelques vns disent qu'on peut sonner vn air sur le Tambour, encore que tous ses tons soient vnisons, dautant que les diuers mouuemens ou les diuerses mesures qu'on donne aux sons du Tambour peuuent representer quelque chanson, ou quelque fantaisie. Ce qui conuient pareillement à la voix qui peut representer plusieurs choses par les diuerses mesures, & par tous les mouuemens de la Rythmique : ce qui arriue aussi à plusieurs Pseaumes, qui commencent, finissent, & sont chantez sur vne mesme note, ou sur vne mesme interualle, & au chant dont plusieurs Religieux se seruent : Mais les autres aiment mieux l'appeller vn simple recit qu'vn chant, comme est le chant dont nous nous seruons, & plusieurs autres à nostre imitation, comme les Capucins, Carmes déchaux, &c. dautant que nous ne faisons aucuns interualles, & que nous n'obseruons point d'autre mesure que celle des syllabes.
L'on peut dire la mesme chose de toute autre sorte de matiere, comme du metal, des pierres, du verre, qui auroient par dessus le bois de chesne, qu'il seroit mal aysé de les assembler, à raison que ces matieres ne se lient pas bien ensemble : & tout au plus on pourroit faire vne meschante Epinette auec beaucoup de temps, d'industrie, de peine & d'argent : comme il est arriué à celuy de nostre temps, qui a fait vn tres-beau Luth d'or, & peu bon. La table des Epinettes doit estre percee de plusieurs ouuertures arrangees en escharpe, ou en biais tout au trauers d'icelle pour faire passer les sautereaux qui touchent les chordes pour les faire trembler & sonner.
Cette figure estant regardee de son point de perspectiue est si facile à comprendre, qu'il n'est pas besoin d'vn plus long discours. Il faut seulement remarquer que l'on se met au milieu pour en sonner, au lieu que l'on se met au bout du clauecin, comme l'on void dans sa figure : mais la disposition des clauiers monstre assez de quel costé l'on se doit mettre pour les toucher. Or A C B D monstrent le corps de cet instrument, dont le couuercle est Z Y A C, qui se ioint à l'ais du derriere auec des crampons mis en A, & en [p109] C.
Quant au sautereau, il est difficile de comprendre toutes ses parties, si l'on ne le considere de bien pres, car il est composé de sept pieces, à sçauoir du bras K O, de la languette l m, qui a vn petit ressort fait de soye de porc, ou de quelque autre crin assez fort, lequel va rencontrer la pointe l, apres qu'il a esté passé par deux petits trous que l'on fait dans le sautereau, fort pres du petit bois l m. La quatriesme partie est vne pointe de fer qui passe à trauers le sautereau & le petit bois, auquel il sert d'essieu ; la plume m est la cinquiesme qui touche les chordes & les fait sonner. La sixiesme consiste en vn petit morceau de cuir collé sur la graueure du bas de la vuideure, afin d'empescher le bruit de la pointe l, qui retombe dessus apres auoir frappé la chorde, & la septiesme est le morceau de drap n, qui est dans vn trait de sie fait au haut de l'vne des dents du sautereau.
Quant aux chordes [du manichordion], leur son est determiné par la partie qui est depuis les [p116] crampons iusques aux cheualets, car la partie qui reste entre les crampons, & l'escarlate ne sonne point : de là vient qu'vne mesme chorde peut seruir à plusieurs crampons, dont chacun fait vn son different selon la distance du point où il touche la chorde, iusques au cheualet de ladite chorde. Il n'est pas necessaire d'expliquer l'estenduë de cet instrument qui est en bas, par ce qu'elle ne differe qu'en disposition de clefs d'auec celle du Clauecin, c'est pourquoy ie viens à son estenduë d'enhaut, laquelle i'ay mise tout au long sans laisser aucune note : c'est à dire que i'ay remply les quatre Octaues d'en bas, en mettant onze notes entre les deux notes de chaque Octaue.
Il faut encore remarquer le petit cheualet droit O P, lequel est couuert de pointes de fer, qui determinent la longueur harmonique des chordes, qui passent iusques à Q O, où leurs boucles sont attachées a d'autres pointes de fer. Quant aux morceaux de drap qui sont signifiez par tous les points compris entre P O N, on les entortille autour des chordes, afin de les assourdir, & d'empescher qu'elles ne sonnent depuis le drap iusques aux crampons marquez dans la ligne N M, dont chacun est de leton semblable au crampon Y V. L'on a coustume de leuer le petit couuercle D S pour mettre des chordes dans son petit coffre : mais ces menuës pratiques dependent de la volonté du Facteur.
Mais il faut considerer d'autres choses dans la differente matiere des chordes, car les chordes de boyau, ou de fil de chanure s'alterent, & s'enflent plus facilement, & plus sensiblement que les chordes d'acier, d'airain, ou d'argent : d'autant que les metaux ne sont pas si poreux, & si mols comme les chordes de boyau, c'est pourquoy il faut se seruir de celles-cy, pour iuger si l'air est plus humide ou plus sec, parce que celles d'airain ne changent pas leur son si facilement sur l'Epinette, que celles de boyau sur la Viole. D'ailleurs la chorde de boyau peut auoir vne si grande humidité, qu'elle se laschera plustost qu'elle ne se tendra, ce qui monstre qu'il est difficile d'establir quelque chose de certain sur cet accident, & sur cette experience. Or l'on peut icy considerer deux ou trois accidens des chordes, car elles deuiennent plus courtes, ou plus grosses, ou elles font vn son plus aigu. Quant à leur racourcissement on remarque que les chordes, dont on vse pour sonner les cloches, sont plus courtes à l'hyuer qu'à l'esté, ce qui arriue semblablement à celles qui sont suspenduës aux voultes des Eglises pour abbaisser les lampes, comme l'on remarque dans les Eglises Cathedrales, dont les voultes sont fort esleuées, dans lesquelles lesdites chordes s'acourcissent à l'hyuer d'vne toise, ou enuiron.
PROPOSITION XII. Determiner quelle grosseur, & longueur doiuent auoir les chordes des instrumens pour faire des sons agreables, & dont on puisse iuger à l'oreille : & comme l'on peut sçauoir le ton, ou le son de toutes sortes de chordes, quand elle sont trop longues, trop lasches, ou trop courtes pour faire des sons, qui puissent estre ouys. L'Experience fait voir que les chordes qui sont trop longues, ou trop courtes ne font point de ton sensible, ou qu'il n'est pas agreable si elles en font ; par exemple, si l'on estend vne chorde de Luth de 12 pieds de long, elle ne peut faire de son dont l'oreille puisse iuger, c'est pourquoy ceux qui font les instrumens de Musique les proportionnent à la longueur & à la grosseur des chordes. Or la chorde dont le diametre est 1/6, ou 1/5 de ligne, comme est la plus grosse des Epinettes ordinaires, à 4, ou 5 pieds de long, & les autres sont longues & grosses à proportion de celle-la, qui leur sert de regle : de sorte qu'il faut que la longueur de la chorde soit à sa grosseur comme 3456 à 1, puis qu'il y a 3456/6 de ligne dans 4 pieds : & si l'on mesure les plus grosses chordes des plus grands Tuorbes, & des Luths, l'on trouuera qu'elles n'ont pas plus de 4 pieds de long depuis le sillet iusques au cheualet, & l'on sçaura la raison de leur longueur à leur grosseur, lors que l'on aura pris leur diametre. Mais pour sçauoir la vraye raison que doit auoir la longueur de la chorde à sa grosseur pour faire les meilleurs sons de tous les possibles, il faut supposer l'experience ; & parce que les Epinettiers disent que les chordes de mesme grosseur que les plus grosses de l'Epinette, ou du Clauecin ordinaire sonnent parfaitement quand on leur donne 4, ou 4 & demy, ou 5 pieds de long, l'on peut retenir l'vne de ses proportions ; & parce que la chorde de 5 pieds de long peut auoir 1/4, ou 1/3 de ligne en diametre, la meilleure proportion de la longueur à la grosseur sera de 2440, ou de 2160 à 1.
PROPOSITION XIII. Determiner pourquoy il y a des chordes meilleures les vnes que les autres sur les instrumens ; ce qui rend les chordes fausses : comme l'on peut sçauoir si vne chorde sonne mieux sur vn instrument que sur les autres : & comme l'on cognoist les chordes fausses. Il y a deux principales raisons pour lesquelles les chordes sonnent mieux les vnes que les autres, dont l'vne se tient de la part des chordes, à sçauoir lors qu'elles sont mal-faites, soit que la faute vienne de la part de l'ouurier, ou du temps mal propre dans lequel elles ont esté faites, ou de la matiere qui est trop seiche, ou trop humide, ou qui a d'autres mauuaises qualitez qui rendent la chorde inesgale & fausse : de là vient que l'on rencontre des chordes dont on ne peut nullement vser, à raison que l'on ne peut leur faire prendre vn ton qui soit propre à la Musique, parce que le son en est trop sourd & trop obscur. Or l'on cognoist qu'vne chorde est fausse auant que de la tendre sur les instrumens, lors qu'estant tirée par les deux bouts, elle ne fend pas l'air esgalement, & qu'elle ne fait pas paroistre vne figure semblable à vn plan parallelle [p136] ou perpendiculaire à l'horizon, quand la tension de la chorde est horizontale ou perpendiculaire.
Mais l'œil n'est pas souuent assez subtil pour remarquer la fausseté de la chorde, & la main qui la treuue esgale en toutes ses parties, se trompe souuent : car si elle est plus molle ou plus dure, plus rare, ou plus dense & plus seiche, ou plus humide en vn lieu qu'en vn autre, elle ne rendra pas vn son esgal & vniforme, parce que le boyau dont la chorde est faite, n'est pas esgal en toutes ses parties, soit qu'il y ayt vne plus grande multitude de fibres dans l'vne que dans l'autre, ou que la faute vienne de la part de l'ouurier. Quant aux chordes qui sont toutes bonnes, & dont les vnes sonnent mieux sur de certains instrumens que sur les autres, cela peut arriuer à cause qu'elles sont mieux proportionnées aux vns qu'aux autres : de là vient que les plus grosses chordes rendent plus d'harmonie sur les grands Luths, que sur les petits ; & qu'il se rencontre ordinairement vne chorde sur chaque instrument, qui sonne mieux que toutes les autres, & qui a vn ton entre tous ceux qu'elle peut auoir par ses differentes tensions, ou ses differens racourcissemens ; qui surpasse tous les autres : ce qui arriue peut estre lors que la chorde est à l'vnisson de la table du Luth, & consequemment les meilleurs tons de ceux qu'elle fait apres doiuent estre à l'Octaue, & à la Douziesme de ladite table, ce qu'il faut entendre lors que la chorde est assez longue, car si elle estoit trop courte à proportion de sa grosseur, ou trop longue à proportion de ce qu'elle est mince & deliée, elle ne feroit pas ouyr le meilleur de ses tons, encore qu'elle fust à l'vnisson de la table du Luth, ou des autres instrumens.
Or i'ay monstré dans la douziesme Proposition, la proportion qu'il faut garder de la longueur des chordes à leurs grosseurs pour rendre vn bon son, & ie diray ailleurs comme il faut trouuer le ton de la table de toutes sortes d'instrumens ; c'est pourquoy il suffit icy de conclure que l'on sçaura quelle chorde sonne le mieux de toutes les autres sur vn instrument proposé, lors que l'on cognoistra le ton de la table de l'instrument, car celle qui ayant la longueur, & la tension requise sera à l'vnisson de ladite table rendra le meilleur son : & s'il s'en rencontre plusieurs de mesme grosseur, longueur & tension qui soient à l'vnisson, celle dont les parties seront plus vniformes sonnera le mieux ; & si toutes les parties des vnes sont aussi esgales que celles des autres, elles sonneront esgalement.
Or il est aysé de prouuer que l'instrument ayde à la bonté de la chorde, d'autant qu'elle n'est plus si bonne, quand elle est mise sur vn autre instrument d'esgale grandeur, quoy qu'il se rencontre d'autres chordes qui sont aussi [p137] bonnes sur cet instrument comme estoit la premiere chorde sur l'autre : mais si cette raison ne plaist pas à ceux qui touchent le Luth & l'Epinette, il leur est permis d'en chercher vne meilleure. Il faut cependant remarquer que l'on tient que la troisiesme chorde de la Viole est ordinairement la meilleure, & que l'on remarque semblablement la mesme difference de bonté dans les tuyaux de l'Orgue, dont il y en a quasi tousiours quelqu'vn qui surpasse tous les autres : mais i'en parleray plus amplement dans le liure de l'Orgue. Quant aux chordes, il est assez facile de remarquer leur meilleur ton en les touchant à vuide, ou en vsant des touches, & lors que l'on a le ton de la table, l'on peut experimenter si le ton de la chorde qui se fait auec les touches est meilleur que celuy qui se fait à vuide, ou à l'ouuert, quand celuy des touches fait l'vnisson, ou quelqu'autre consonance auec la table : quoy que le doigt, qui touche la chorde sur le manche, puisse souuent estre cause qu'elle ne sonne pas si bien qu'a vuide, car il est difficile de toucher si bien de la main gauche, que ce contact ne nuise pas dauantage à son harmonie, que si elle estoit touchée à vuide sur vn nouueau sillet.
COROLLAIRE Si l'on veut sçauoir ce que les accords de la table apportent aux chordes, il faut remarquer de quelle maniere vne mesme, ou plusieurs sonnent à l'vnisson, à l'Octaue & à la Quinte de la table, &c. & si la bonté de la chorde tenduë à l'vnisson surpasse autant la bonté de celle qui est à la Quinte, comme la bonté, ou la douceur de l'vnisson surpasse la douceur de la Quinte.
Voicy les experiences que i'ay faites auec des chordes passées par le mesme trou de la filiere, & qui sont aussi esgales en grosseur & longueur que l'art des hommes les peut esgaler : leur longueur est d'vn pied & demy de Roy : le poids que i'ay attaché à chaque chorde pour la faire bander & sonner est de trois liures ; le poids de chaque chorde est dans la table qui suit ; les balances auec lesquelles les chordes ont esté pesées sont si iustes, qu'elles ont le grain diuisé en 64 parties : en fin la qualité des metaux est telle que ie m'en vay la descrire. L'or fin, dont ie me suis seruy, est à 23 carats & demy, & vaut cette année 1625. à Paris, 36. liures l'once : l'or de trauail est à 22. carats, car il a deux deniers moitié de cuiure rouge & moitié d'argent, & vaut 32. liures l'once. L'argent fin, qui est à 12 deniers, vaut 24. liures le marc. L'argent de trauail, qui à 12 grains de cuiure sur vn marc, c'est à dire demy denier d'alloé, vaut 22. liures. Ie ne mets point la qualité du cuiure, ny du fer, car ie me suis seruy du commun. Voyons maintenant le poids, & les sons de toutes les chordes, dont chacune a son diametre de la sixiesme partie d'vne ligne : & la chorde de boyau, dont le diametre est de 3/7 de ligne, qui fait l'vnisson auec 2 liures & demie ; & celle qui a 4/7 de ligne, le fait auec trois liures neuf onces & 1/2. [p152]
Quant aux parties de ces instrumens anciens d, h, l, & I est le trauers, qui est lié aux branches, ou aux cornes f, g, n, o, & qui tient les cheuilles h l, dont on bande les chordes. La coquille sert de table, laquelle est droite dans la figure h i, pres de laquelle on void le Plectrum des anciens, lequel n'est autre chose qu'vn baston dont ils frappoient les chordes, comme l'on fait maintenant au Psalterion, duquel ie donneray la figure & l'vsage. Les trois instrumens du milieu sonnent lors que la main qui les empoigne par leurs manches R, V, & a les secouë & les esbranle : R Q & Z a font voir la forme des Cistres anciens, vsitez en Ægypte. Mais il faut remarquer que les barres de fer, ou de leton, ou de quelqu'autre matiere S T, & b c se meuuent horizontalement de S en T & de T en S, afin de frapper le corps du Cistre Q & Z, & de faire des sons à l'vnisson, comme font les anneaux des Cymbales, ou triangles d'acier dont on vse maintenant. L'instrument V X se meut [p173] perpendiculairement de X en V, & d'V en X, afin que les petits morceaux de leton ou d'acier Y, &c. se frappent & meinent le bruit auquel ils sont destinez & appropriez. Monsieur Naudé m'a enuoyé vne figure d'vn sacrifice ancien, dans laquelle l'vn de ceux qui y sont representez, tient cette figure par le manche V. Quant à l'animal representé sur le Cistre R Q, à sçauoir si c'est vne chate, vn lyon, ou vn bœuf, suiuant les differentes opinions que l'on [p173bis] a de ce que les AEgyptiens representoient dessus pour honorer leur Isis, i'en laisse la recherche aux Critiques, car il suffit que ie donne fidelement tout ce que i'ay peu trouuer dans les marbres & dans les medailles antiques.
Les flustes A C & B D sont esgales, & peuuent estre toutes deux embouschées par A B. Leurs lumieres sont representées par E F, elles n'ont chacune que cinq trous, & sont attachées & arrestées ensemble par les barres G & H. L'on peut encore voir d'autres instrumens antiques dans les Dialogues de Vincent Galilée, page 40 & 41, où il met vne forme de Harpe de 35 chordes, qu'il appelle Simique, & vne autre de 40 qu'il nomme Epigonion : & l'on trouuera encore d'autres remarques que i'ay faites dans le premier liure Latin des instrumens. Pour le nombre des chordes de la Lyre antique, dont nous auons icy mis les figures qui sont aussi rapportées à la 129. page de cet Autheur, il n'y en a que sept : & parce qu'elles ne pouuoient estre sonnées qu'à vuide ou à l'ouuert, elles ne pouuoient pas faire d'autres varietez, que celles qui dependent de leurs sept sons, ou de leurs six interualles, des lieux differens où elles estoient touchées, & des percussions plus fortes ou plus legeres, comme il arriue maintenant à nostre Psalterion, dont ie m'en vais expliquer la figure, puis qu'il semble estre l'vn des plus anciens de tous les instrumens.
Les deux costez du Psalterion E G, & K D monstrent les triangles de bois, qui seruent de cheualets aux chordes, excepté la derniere C G, qui a vn cheualet à part marqué de la lettre B. Or cette chorde sert de bourdon, & est attachée à l'vne des pointes de fer qui sont tout au long du costé K C, comme les autres chordes, & de l'autre costé aux cheuilles, qui sont semblables à celles des Epinettes, & qui seruent pour bander les chordes auec le marteau α β ♪ ; ce qui se fait en tournant β ♪ lors que l'on a fait entrer la cheuille dans le [p174] trou quarré α. D'où l'on peut conclure que ce marteau se rapporte au Guindax ou Cabestan, ou à l'vne des autres machines dont i'ay traité dans les mechaniques. Or ce marteau peut estre de fer, ou de leton, ou de telle autre matiere que l'on voudra. Le haut de son manche, à sçauoir γ sert pour tordre les chordes, & pour faire leurs boucles ou anneaux qui s'attachent aux pointes de fer. M & L monstrent les deux roses de cet instrument, encore que l'vne des deux puisse suffire : mais il faut remarquer que la maniere de sonner de cet instrument est differente de celle des autres, d'autant que l'on vse du baston ε ζ, que l'on tient de la main droite par le manche, ou la poignée ε pour en frapper les chordes auec le bout courbé ζ, que l'on laisse tomber doucement sur les chordes, afin qu'il fasse de petits bonds, qui suppleent en quelque façon les tremblemens des autres instrumens ; de sorte que l'on peut mettre le Psalterion [p174bis] entre les instrumens de percussion, encore que l'on puisse toucher ses chordes auec la plume ou les doigts, comme la Harpe, la Mandore, & le Cistre. La lettre P signifie la profondeur, ou l'espaisseur du Psalterion, que l'on peut faire de toutes sortes de grandeurs, car l'on peut donner cinq ou six pieds d'estenduë à la plus grosse chorde, comme l'on fait à celle des plus grands Clauecins, quoy que l'on leur donne seulement vn pied de longueur de chaque costé ou enuiron, afin qu'ils soient portatifs.
Les petits fers N O, qui ont trois trous, & qui sont faits en forme de lis, attachent le couuercle qui ferme le Psalterion, lequel a ce priuilege par dessus les autres instrumens, que l'on apprend a en sonner dans l'espace d'vne ou deux heures, ce qui le fait estimer de ceux qui n'ont pas dauantage de temps pour l'employer à cet exercice. Or ces premieres chordes sont de leton, & les autres d'acier, lesquelles ont vne certaine pointe & gayeté qui ne se rencontre pas dans les autres instrumens, tant à raison des petits sauts & reiallissemens du baston, que de la briefuetè & tension des chordes, qui sont capables de toutes sortes de chansons, pourueu que l'on y mette toutes les chordes necessaires ; car encore que cettuy-cy soit accordé par ♭ mol, il est tres-aysé de l'accorder par ♮ quarre, si l'on veut sonner deux ou plusieurs parties ensemble sur cet instrument, l'on peut auoir deux bastons, ou toucher vne, deux, ou plusieurs parties de la main gauche, tandis que la main droite frappe les chordes auec le baston. Quant à sa fabrique & à sa matiere elle n'est pas differente de celle de l'Epinette, dont ie parleray apres. Mais l'on peut faire le Psalterion double ou triple, par le moyen de trois ou plusieurs cheualets trauersans, afin de sonner les trois genres de Musique sur vn mesme instrument ; il peut aussi seruir pour apprendre à chanter & à entonner iuste. Or on le peut toucher auec tant d'industrie & d'adresse, qu'il ne donnera pas moins de plaisir que les autres instrumens. Quant à sa Tablature on la peut marquer par les notes de la Musique, ou par les lettres de la main Harmonique, A, B, C, &c. ou par les nombres dont se seruent quelques-vns en chantant vn, deux, trois, quatre, cinq, &c. au lieu d'vt, re, mi, fa, sol, &c. de sorte que les treize premiers nombres peuuent seruir pour tous les chants, dont cet instrument est capable : car pourueu que l'on sçache le son de chaque chorde, l'vnité seruira au plus graue, le binaire au second, le ternaire au troisiesme, & ainsi des autres iusques au treziesme qui signifie le son le plus aigu.
Les quatre cheuilles seruent pour bander les chordes, & pour les accorder comme l'on veut, de sorte qu'il ne reste que l'archet N Q, lequel est composé de trois parties, à sçauoir du bois N Q, de la soye N O, & de la demie roüe, ou de la Hausse P O. L'on appelle ordinairement ledit bois, le baston ou le brin & la soye le crin, parce qu'elle est composée de 80, ou cent brins de crin de [p179] cheual, quoy qu'elle puisse estre prise du crin de plusieurs autres animaux, ou que l'on puisse vser de la soye tirée des vers, ou mesme de tel brin de bois que l'on voudra, car s'il est frotté de Colophone, il fera sonner les chordes, comme l'on experimente aux Vielles, dont ie parleray apres. Quant à l'accord du Violon, il va de Quinte en Quinte, comme l'on void aux quatre lettres de la main harmonique G, D, A, E, vis à vis desquelles i'ay mis les moindres nombres, dont on puisse vser pour exprimer trois Quintes, ou trois raisons sesquialteres qui se suiuent immediatement. Or ces trois Quintes sont marquées à costé de la Basse de Violon qui suit auec les notes ordinaires de la Musique, afin que ceux qui n'entendent pas la raison representée par les nombres comprennent cet accord, & que tous puissent faire leur profit de ce traité, dans lequel ie mets tousiours l'accord de chaque instrument en deux, ou plusieurs manieres pour le soulagement du Lecteur. [E mi la - A mi la re - D la re sol - G re sol vt].
La 3. chorde qui suit la 4, fait le D la re sol à vuide, mais si l'on trouue vn fa par transposition en ce D la re sol, il faut poser le 4. doigt sur la 4. chorde fort pres du lieu où le 3. fait C sol vt fa, au lieu de faire ledit fa sur la 3. à vuide. Or le premier doigt posé sur la 3. chorde fait E mi la, & en le retirant vers le sillet il fait le fa en E mi la par accident entre D la re sol, & E mi la. Le second doigt la fait monter iusques à F vt fa, c'est à dire d'vn demy-ton ; & si on l'auance vers le cheualet, il fait la diese de F. Le troisiesme doigt fait ledit G re sol, que l'on [p182] appelle la Clef, de sorte que nous auons desia fait monter le Violon d'vne Octaue entiere, en faisant tous les tons de la Diatonique, & tous les demytons de la Chromatique, afin que l'on puisse ioüer toutes sortes de Musique tant par nature, que par ♭ mol, & par ♮ quarre. Or si l'on auance ce mesme doigt vers le cheualet, on fera la Diese de G re sol, c'est à dire qu'on la fera monter d'vn demy-ton plus haut que G re sol. Par exemple, s'il y a vn fa en A mi la re, qui se trouue à vuide sur la seconde chorde, il faut mettre le 4. doigt sur la 3, ou auancer la diese du G re sol au lieu du fa d'A mi la re. La seconde chorde touchée à vuide fait A mi la re, & le premier doigt estant posé dessus, fait le ♮ mi, & en le retirant vn peu il fait le B fa. Le second doigt fait le C sol vt fa, & en l'auançant il fait la Diese de C sol vt fa, qui est plus haute d'vn demy-ton que ledit C sol vt fa. Le troisiesme doigt fait D la re sol ; & le 4. doigt, qui se trouue sur la 2. chorde, fait le fa en E mi la par accident, sans qu'il soit besoin de sonner la chanterelle, qui fait le mi dudit E mi la à vuide. Mais le premier doigt posé sur ladite chanterelle fait F vt fa, & en l'auançant vers le cheualet il fait la diese de F vt fa. Le second doigt fait le G re sol, qui est à la Quinziesme de celuy de la 4. chorde à vuide, & en l'auançant il fait la diese qui est entre G & A. Le troisiesme fait l'A mi la re, le quatriesme doigt fait le ♮ mi, estant auancé & esloigné du troisiesme doigt, & en le raprochant il fait le B fa. Si on l'auance plus pres du cheualet que le lieu du ♮ mi, il fait le C sol vt fa, & puis le D la re sol ; de maniere que le Violon à l'estenduë d'vne Dix-neufiesme.
Quant à la perfection de la Pratique, elle consiste au beau toucher, lequel est la base & le fondement du plaisir qui doit contenter l'oreille : & parce que cet instrument n'a point de touches, il faut tellement aiuster les doigts sur chaque lieu du manche, que les sons persuadent vne proportion aussi bien reglée que s'il y auoit des touches comme à la Viole. En second lieu, il faut addoucir les chordes par des tremblemens, que l'on doit faire du doigt qui est le plus proche de celuy qui tient ferme sur la touche du Violon, afin que la chorde soit nourrie. Mais il faut appuyer les bouts des doigts le plus fort que l'on peut sur la touche, afin que les chordes fassent plus d'harmonie, & les leuer fort peu de dessus le manche, afin d'auoir assez de temps pour les porter d'vne chorde à l'autre. En troisiesme lieu, si l'on veut parfaitement reüssir, la main qui tient l'archet doit estre du moins esgale en vistesse à la gauche, d'autant qu'elle fait paroistre tous les mouuemens differens qui enrichissent les airs, & qui donnent de la beauté aux chants. En quatriesme lieu, il faut traisner l'archet sur les chordes, & repeter plusieurs fois le battement du doigt sur vn mesme ton, & puis sur vn autre, en continuant ainsi depuis le haut iusques en bas, pour faire les mignardises qui sont fort agreables, à raison de la belle modulation qui donne vn grand plaisir à l'ouye, quoy qu'il faille y proceder auec iugement. Or le Violon à cela par dessus les autres instrumens qu'outre plusieurs chants des animaux tant volatiles que terrestres, il imite & contrefait toutes sortes d'instrumens, comme les voix, les Orgues, la Vielle, la Cornemuse, le Fifre, &c. de sorte qu'il peut apporter de la tristesse, comme fait le Luth, & animer comme la Trompette, & que ceux qui le sçauent toucher en perfection peuuent representer tout ce qui leur tombe dans l'imagination. Ie laisse vne infinité d'autres remarques qui appartiennent à cet instrument, par exemple, que l'on peut sonner vne Courante, & plusieurs autres pieces de Musique auec vn seul coup d'archet : que l'on peut flatter les chordes de 8, de 16, ou de 32 coups de doigt dans l'espace d'vne mesure : qu'il faut mettre les trois doigts de la main gauche, c'est à dire l'index, celuy du milieu, & l'annulaire [p184] si pres de la chorde que l'on veut toucher, qu'il ne s'en faille qu'vne demie ligne qu'ils n'y touchent, afin que ce petit esloignement n'empesche point la vistesse du toucher & des tremblemens.
Mais auant que de mettre la piece de Musique, il faut considerer que l'on doit tousiours tirer l'archet en bas sur la premiere note de la mesure, & qu'il faut le pousser en haut sur la note qui suit, par exemple si la mesure est de 8 crochuës, on tire l'archet en bas sur la premiere & sur la 3, 5, & 7 ; lequel on pousse en haut sur la 2, 4, 6, & 8 : de sorte qu'il se tire tousiours sur la premiere note de chaque mesure composée d'vn nombre pair de notes, mais si elle est composée d'vn nombre impair, comme il arriue quand il y a quelque point apres l'vne des notes, l'on tire l'archet en haut sur la premiere note de la mesure qui suit, afin de le tirer encore sur la premiere note de la 3. mesure, ce qu'il faut semblablement dire de toutes les autres notes & mesures. Quant à l'accord des Violons, il faut remarquer que si l'on en touche vn auec le doigt, & l'autre auec l'archet en les accordant, qu'il peut arriuer qu'ils [p189] ne seront pas d'accord, quand on les touchera tous deux du doigt, ou de l'archet, parce que l'archet peut donner vne plus grande tension à la chorde en la faisant sonner hors de sa ligne droite : & les Violons maintiennent que le son des chordes est plus aigu quand l'archet les touche plus fort. Il peut aussi arriuer que le Violon que l'on aura accordé dans vn lieu sec, se desaccordera dans vn lieu humide, & au contraire : ie laisse mille accidens du Violon, par exemple qu'il perd vne grande partie de son harmonie quand on met vne clef, ou quelqu'autre chose semblable sur son cheualet : que la Colophone est plus propre à frotter la soye de son archet, que la poix resine, pour addoucir l'harmonie : que la chanterelle des Dessus est aussi grosse que la quatriesme des Luths, que la force des sons de cet instrument vient de la briefueté de ses chordes. [Fantaisie à 5. composée par le Sieur Henry le Ieune : DESSVS - HAVTE-CONTRE - TAILLE - BASSE‑CONTRE - CINQVIESME - DIMINVTION]
Or on les fait [les Violes] de toutes [p192] sortes de grandeurs, dans lesquelles l'on peut enfermer de ieunes Pages pour chanter le Dessus de plusieurs airs rauissans, tandis que celuy qui touche la Basse chante la Taille, afin de faire vn concert à trois parties, comme faisoit Granier deuant la Reyne Marguerite. Il faut les faire du moins assez grandes pour en tirer l'harmonie que l'on desire, & la figure qui suit a esté prise sur vne Basse de Viole longue de quatre pieds & demy ou enuiron, quoy que l'on puisse les faire de sept ou de huict pieds, si l'on a les bras assez grands [p193] pour en ioüer, ou si l'on vse de quelque artifice qui puisse suppleer le mouuement des doigts de la main gauche, ou de celle qui tient l'archet. La longueur de la Viole se prend depuis le bouton I, iusques à la lettre A, qui monstre le lieu des cheuilles, quoy que si l'on veut seulement prendre sa longueur par ses chordes, elle soit depuis le cheualet G iusques au sillet B, parce qu'elles ne tremblent & ne sonnent qu'entre ces deux termes : ce qui arriue semblablement aux autres instrumens, dont la longueur des chordes est bornée par le sillet & par le cheualet. M L K monstrent l'espaisseur du corps, ou la hauteur des éclisses, qui est plus ou moins grande selon la volonté des Facteurs, & l'harmonie que l'on en veut tirer. Le bout ou la partie M C de la touche B M C ne touche pas à la table de la Viole marquée de C D E G, mais elle est en l'air ; de sorte que l'on passe aysément les doigts entre elle & la table. Le cheualet G est haut de deux, trois, ou quatre doigts, dont le pied gauche G est soustenu d'vn petit baston que l'on void, & que l'on releue par l'ouye E, quand il est tombé : H monstre l'endroit de la queuë H I, auquel les six chordes sont attachées ; & I fait voir les chordes de fil d'arichal ou de fer, qui attachent la queuë au bouton I.
Or il y a plusieurs choses à considerer dans les sons que fait l'archet [de la Viole] en touchant & en pressant la chorde, car les tours & retours de la chorde se peuuent aussi bien faire de haut en bas, & de bas en haut, que de droit à gauche, comme il arriue lors que l'on pese sur la chorde, ou qu'on la frappe, ou que l'on la tire de haut en bas, & au contraire : c'est pourquoy il faut voir comme l'archet luy fait faire ses retours ; s'il les luy fait faire plus ou moins grands que quand on la touche du doigt, & s'il en diminuë, ou s'il en augmente le nombre : Et puis il faut rechercher la raison pourquoy le son que fait la chorde par le moyen de l'archet, est different de celuy qu'elle fait quand on la touche du doigt ou de la plume, car puis que la chorde fait tousiours vn nombre esgal de tours, & de retours dans vn temps esgal, il semble que le son deuroit estre esgal, ce qui n'arriue pas, & consequemment l'archet y contribuë quelque chose de particulier, ce qu'il fait en froissant la chorde & en renfermant de l'air entre elle & luy, lequel est contraint de receuoir autant d'allées & de venuës comme en fait la chorde, qui frappe seulement l'air libre quand on la touche sans archet. C'est pourquoy l'on peut dire que le son de la Viole, & des autres instrumens à archet, est composé de trois ou quatre sortes de mouuemens, à sçauoir de celuy de la chorde & de l'air libre, & de celuy de l'air contraint ou enfermé, & de l'archet qui gouuerne celuy de la chorde comme l'on veut, car il empesche qu'elle ne fasse ses tours aussi grands comme elle les feroit si elle estoit touchée aussi fort du doigt que de l'archet, & parce qu'il la retient en telle distance de sa ligne de direction que l'on veut, il en renforce ou en adoucit le son comme il plaist à celuy qui le tient, & qui le meut. Or l'on peut expliquer ce que fait l'archet aux tremblemens de la chorde par ce que fait le doigt que l'on passe fort viste sur les trous d'vn Flageollet tandis que l'on en sonne, car il ne change pas le nombre des tremblemens, ou des battemens du vent, ny consequemment l'aigu du son, mais il luy donne vn nouueau mouuement qui est quasi semblable aux fredons que l'on fait de la gorge, qui ne changent pas les tons ou l'aigu de la voix, & qui luy seruent seulement d'vn nouuel ornement.
PROPOSITION XI [IX]. Determiner pourquoy vne chorde touchée à vuide fait plusieurs sons en mesme temps. Il semble qu'Aristote a cogneu cette experience, lors qu'il a fait la question pourquoy le son graue contient l'aigu dans le 8. Probleme de la 19. Section, pourquoy il deuient plus aigu en finissant, dans l'onziesme : à quoy l'on peut rapporter le 12 & le 13. Probleme, & d'où plusieurs autres Problemes de la mesme Section peuuent estre entendus, de sorte que cette Proposition est fort vtile pour la Philosophie d'Aristote. Mais il faut remarquer qu'il n'a pas sceu que la chorde frappée, & sonnée à vuide fait du moins cinq sons differens en mesme temps, dont le premier est le son naturel de la chorde, qui sert de fondement aux autres, & auquel on a seulement esgard pour le chant & pour les parties de la Musique, d'autant que les autres sont si foibles qu'il n'y a que les meilleures oreilles qui les entendent aysément. Or il faut choisir vn grand silence pour les apperceuoir, encore qu'il ne soit plus necessaire quand on y a l'oreille accoustumée : & si les Musiciens ne peuuent les ouyr aussi tost qu'ils touchent quelque chorde d'vn Luth, d'vne Viole, ou d'vn autre instrument, comme il arriue à plusieurs ioueurs de Luth, qui sont tellement preuenus & preoccupez des sons naturels de la chorde, qu'il n'y a (ce semble) plus de lieu dans leur sens commun, ou dans leur imagination pour receuoir l'idée ou l'espece de ces petits sons delicats, il faut qu'ils ayent patience, ou qu'ils prennent vne Basse de Viole, dont ils touchent la 6, 5, ou 4. chorde la nuit, & qu'ils se rendent grandement attentifs, car il est difficile qu'ils la touchent delicatement auec l'archet, qu'ils n'entendent plusieurs sons en mesme temps. Quant à moy ie n'y ay nulle difficulté, & i'ay rencontré plusieurs Musiciens qui les entendent aussi bien que moy, & ne doute nullement que chacun ne les entende, lors que l'on y apportera l'attention necessaire : c'est pourquoy ie mets icy les obseruations que i'ay iustifiées tres-exactement plus de cent fois, tant sur vne Viole & sur vn Tuorbe, que sur deux Monochordes, dont l'vn a ses chordes de leton, & l'autre de boyau & de leton, & dont l'vn à trois pieds, & l'autre quatre pieds ; de sorte qu'il est tres-certain que ces differens sons ne viennent pas des autres chordes qui sont sur les instrumens, & qui tremblent sans estre touchées, comme i'ay dit ailleurs, puis que la seule chorde des Monochordes fait les mesmes sons.
COROLLAIRE II Il est plus probable que ces differens sons viennent des differens mouuemens de l'air exterieur que de ceux de l'interieur, & que celuy-là estant frappé par la chorde fait quantité de petits mouuemens semblables a ceux de l'eau des verres que l'on fait sonner en pressant le doigt sur le bord, ou à ceux de l'eau, dans laquelle on plonge le bout d'vn Monochorde, dont la chorde de leton est partie en l'eau & partie en l'air, car estant touchée, l'eau fait plusieurs fremissemens, qui feroient peut-estre entendre les sons precedens, si l'ouye estoit assez delicate : en effet i'ay souuent experimenté que le coulement du doigt sur le bord du verre fait deux ou trois sons en mesme temps, comme ie diray dans le liure des Cloches, qui font semblablement plusieurs sons.
L'on peut augmenter le nombre des chordes [de la Vielle], que l'on met ordinairement à l'vnisson, ou à l'Octaue, comme celles des doubles, ou triples Clauecins ; mais si l'on met six bourdons qui fassent l'Octaue, la Douziesme, la Quinziesme, la Dix-septiesme & la Dix-neufiesme, suiuant les nombres 1, 2, 3, 4, 5 & 6, l'on aura vne parfaite Harmonie, que l'on pourra varier en differentes manieres, en adioustant ou soustrayant telles chordes que l'on voudra, & en les esloignant de la rouë N O P : car ces chordes du bourdon & les autres ne peuuent sonner si elles ne touchent à la rouë qui leur sert d'archet ; c'est pourquoy elle doit estre bien polie, afin que les chordes ne souffrent point de sauts en frayant dessus : mais il est necessaire de la frotter de Colophone, comme le crin ou la soye des archets ordinaires du Violon, autrement les chordes ne sonneroient pas. Mais cette rouë n'a pas les charmes de l'archet, quoy que l'on puisse remedier à cette imperfection. Or chaque marche du clauier de la Vielle a deux petits morceaux de bois perpendiculaires, que l'on peut nommer les touches, puis qu'elles seruent pour toucher les deux chordes qui sont à l'vnisson, lors que l'on pousse les marches [p213] du costé C, vers le costé F H, autrement ils ne touchent pas lesdites chordes, comme l'on void à la cinquiesme marche, dont les deux morceaux de bois ne touchent pas les chordes : ce qui arriue à toutes les autres marches, lors qu'on les laisse retourner dans l'assiette ordinaire qu'elles ont quand leurs bouts ne paroissent pas du costé F H, comme l'on void au bout de la cinquiesme marche. Il faut encore remarquer que le clauier E F G H est semblable à vne petite caisse esleuée sur la table O Q C D, afin que les branches des marches auec leurs touches soient logées dedans ; & que cette caisse est entrée & colée sur ladite table, souz laquelle est le corps & le concaue, ou le creux de la Vielle. Mais on la cache par le moyen d'vn couuercle, qui s'attache au costé F H. La rouë se couure semblablement d'vn morceau de sapin, courbé en rond comme l'anse d'vn seau de bois, qui tient aux petits morceaux de bois α β : quoy que i'aye laissé l'vn & l'autre à descouuert, afin que l'on voye toutes les parties de cet instrument.
Quant à la disposition de cette figure [de la Vielle], si on la regarde du costé D T en voyant les lettres selon leur disposition ordinaire, on la verra de la mesme façon dont ceux qui en ioüent la tiennent & l'enuisagent, car ils mettent le bras gauche dessouz, afin de pousser les marches de la main gauche, & faire tels interualles qu'ils veulent par le mouuement des doigts, tandis que la main droite torne la maniuelle, & consequemment la rouë, qui fait sonner les chordes, ausquelles on attache de petits morceaux, ou floccons de cotton [p214] vis à vis de la rouë, afin d'adoucir son frayement & ses sons. Mais parce que la main gauche ne peut faire les gentillesses du manche des Violes sur le clauier de la Vielle, elle est priuée de plusieurs beautez, dont elle seroit capable, si l'on pouuoit suppleer tous les tremblemens, & les coups rauissans de l'archet par quelque industrie, que plusieurs ont recherchée en collant vn escheueau de crin de cheual, ou de soye cruë, ou filée sur la rouë, & en faisant des archets mobiles, ou immobiles de plusieurs façons, mais l'on n'a peu suppleer les mouuemens de la sçauante main de ceux qui charment les oreilles par les instrumens à manches touchez, & non touchez, dont i'ay parlé dans les discours precedens. La tablature de la Vielle n'est pas differente de celle de la Musique, quoy que l'on en puisse inuenter vne autre propre pour les aueugles, puis que l'on peut leur enseigner à lire & à escrire, comme i'ay dit ailleurs, où i'ay monstré la maniere d'enseigner à lire & à escrire aux sourds, pour lesquels i'ay dressé de la tablature dans la 17. Proposition du troisiesme liure.
COROLLAIRE II I'adiouste la figure de la Vielle cachée de son couuercle, afin qu'il ne manque rien à ce traité, & qu'on la comprenne en toutes sortes de façons. F H G est la table, P B la queuë qui tient les chordes Q ; & les autres qui seruent de bourdon passent par dessus les cheualets P & O, il y en a 4, ou 5 qui passent par Q, que l'on met à tel accord que l'on veut, afin de iouër toutes sortes de chansons en touchant les marches contenuës entre K L, & marquées des nombres 1, 2, 3, 4, &c. & l'on en met tant qu'on veut, quoy que douze ou dix-neuf suffisent, afin d'auoir l'estenduë de la Douziesme, ou de la Dix-neufiesme. A est le manche qu'il est necessaire de tourner auec la main droite, tandis que la gauche touche le clauier K L ; & M N est la teste du manche qui a six cheuilles pour bander les chordes, qui pressent la rouë cachée sous le couuercle D E, afin de sonner. I & C sont les deux roses, & M E est le couuercle qui cache les sautereaux des marches.
LIVRE CINQVIESME DES INSTRVMENS A VENT. Encore que tous les instrumens de Musique puissent estre appellez à vent, puis qu'il n'est pas possible de faire des sons sans le mouuement de l'air, qui est vne espece de vent, neantmoins l'on a coustume de donner ce nom à ceux que l'on embouche, ou que l'on fait sonner auec des soufflets, afin de les distinguer d'auec ceux qui vsent de chordes, ou que l'on bat comme le Tambour. Or i'ay voulu faire vn liure particulier de ces instrumens, à raison de leur grande multitude, & des difficultez particulieres qui se rencontrent dans leurs proportions, & dans la maniere dont il en faut vser pour faire toutes sortes de sons, afin que ceux qui les preferent aux instrumens à chorde, y trouuent dequoy se contenter, & que la confusion ne s'introduise pas dans nos traitez. Mais auant que d'expliquer les instrumens à vent, il faut dire ce que c'est que le vent dont on vse pour en sonner, ce que ie fais dans la premiere Proposition.
PREMIERE PROPOSITION. Expliquer la nature du vent, qui sert pour faire sonner les instruments à vent, & si l'on peut vser d'eau au lieu de vent pour ce suiet. Il est certain que les instrumens (dont nous parlons) peuuent sonner auec toute sorte de vent, soit qu'il ne vienne d'ailleurs que de la simple émotion de l'air, comme celuy des soufflets qui seruent aux Orgues, & aux Musettes, ou qu'il soit meslé de vapeurs & de l'eau, comme celuy de la bouche, lequel est si plein d'eau, que les anches & les canaux des instrumens en deuiennent tous moites & moüillez. Or encore que les vents viennent d'en-haut, ou d'en-bas, ou de tel autre costé que l'on voudra, & qu'on les excite auec les Aeolopiles, auec la poudre à canon, le salpestre, ou de telle autre maniere que l'on voudra, ils ne sont pas differens du mouuement de l'air, qui peut estre consideré en deux manieres, à sçauoir en sa pureté & auec le meslange des vapeurs & des exalaisons qu'il contient ordinairement dans l'atmosphere, ou l'estenduë qui reçoit les vapeurs, soit qu'elle aille aussi haut que les plus grandes montagnes, (comme est celle de Tenerif, dont le pied commence à la ville de Garachico, d'où il faut cheminer deux iournées & demie pour arriuer au haut) ou qu'elle soit plus ou moins grande. Quant à la pureté de l'air, l'on peut dire qu'elle commence où finit l'estenduë desdites vapeurs, & qu'elle finit à l'atmosphere des Planettes, quoy que nous ne sçachions pas si ledit air est trop rare & trop delié pour produire des sons, si ce n'est que l'on en iuge à proportion de celuy qui est eschauffé par le feu, & qui est rarefié par les rayons du Soleil, qui s'amassent dans le foyer des [p226] miroirs paraboliques & des spheriques : car si les rarefactions sont semblables, il n'y a nul doute que l'on peut sonner des instrumens dans tous les endroits de l'air, où ils peuuent subsister sans estre consommez par l'ardeur de la flamme. Mais on ne sçait pas encore si la nature de l'air est differente de celle de l'eau, & s'il n'est autre chose qu'vne eau rarefiée, ou s'il est composé de tous les petits corps qui exhalent, & qui s'esleuent de tous les grands corps du monde, & particulierement de l'eau & de la terre : de mesme que l'on peut dire que le corps de chaque animal exhale vne certaine quantité de vapeurs tout autour de soy, qui font son atmosphere, semblable à celle de l'aymant, qui remplit sa sphere d'actiuité d'vne quantité de rayons magnetiques : d'où l'on peut tirer la raison de plusieurs vertus particulieres des plantes, & des animaux qui seruent, ou nuisent à la santé, comme il arriue que le raisin pourry gaste les autres, suiuant ce vers, Vuâ conspectâ liuorem ducit ab vuâ.
Ceux qui croyent que l'air est composé d'atomes, peuuent dire que les instrumens à vent sonnent lors qu'ils sont frappez par vne assez grande multitude de ces petits corps, qui se meuuent iusques à l'oreille des auditeurs, & que si la terre ne les pousse pas plus loin que chaque animal pousse les siens, que la sphere de l'air est fort petite : à laquelle succede le vuide ou l'ether, dans lequel les instrumens ne peuuent sonner. Mais il est plus vray semblable que l'air est continu depuis la terre iusques au firmament, & peut-estre par de là iusques à l'infiny, où iusques où il a pleu à Dieu de l'estendre, & que celuy que nous respirons n'est different de l'autre qu'en ce qu'il est meslé de plusieurs corps heterogenes, que l'on appelle vapeurs & exhalaisons, lesquelles sont peut-estre autour de la Lune, du Soleil & des Estoilles, comme autour de nostre terre, laquelle nous metterions entre les Planettes, si nous estions dans le Soleil, ou dans Mars. Reste maintenant à considerer si l'eau peut seruir pour faire sonner ces instrumens ; ce qui est tres-aysé à resoudre par l'experience, qui monstre qu'il n'est pas possible de les faire parler, de quelque maniere qu'on les embouche entre deux eaux, car ils ne font nul son lors que leur lumiere, ou leur emboucheure est enfoncée dans l'eau, qui peut seulement seruir pour les faire gazoüiller & fredonner, quand la lumiere est hors de l'eau ; comme il arriue aux petits instrumens dont on vse pour imiter le chant du Rossignol, ou des autres oyseaux, parce que le vent que l'on pousse s'insinuë dans l'eau, & la fait sousleuer en quantité de petites particules, qui sont cause de la diminution, & des tremblemens & martelemens du son.
Or l'on peut s'imaginer ces tuyaux [de Fluste] auec des lumieres semblables à celles des Flageollets, soit que Pan n'ayt vsé que d'vn simple trou dans chaque chalumeau, ou qu'il y ayt mis des tampons, dont ie parleray apres. Quant à la matiere de cet instrument, elle peut estre de cuiure & de fer blanc, comme elle est maintenant ; ou d'or, d'argent, de bois & de toutes autres choses qui peuuent estre percées & creusées, par exemple, il se peut faire de l'aisle d'vne Oye, en couppant chacun de ses tuyaux par le milieu ; ou de verre, de terre cuite, &c. on l'appelle ordinairement sifflet de chaudronnier, par ce que ceux qui sont de ce mestier en vsent & en sonnent par les ruës. Or l'on peut rapporter [p229] les tuyaux bouchez des Orgues à cet instrument, qui peut encore estre comparé à plusieurs clefs percées. Le plus grand tuyau A B fait la Douziesme de trois à vn auec le moindre D C, & B D monstre la lame qui est soudée souz les douze tuyaux pour les boucher. E est l'anse par laquelle on le pend. Les douze nombres monstrent les douze trous d'enhaut, & A C signifie la lame, ou la barre qui entoure les trous d'vn costé & d'autre, & qui renforce les tuyaux qui sont tous soudez ensemble souz cette lame. Quant aux douze notes qui sont sur les six regles, elles monstrent le ton, ou le son de chaque tuyau ; & les trois clefs de la Musique, dont la premiere s'appelle de Nature, la seconde de ♮ quarre, & l'autre de ♭ mol, enseignent qu'il les faut entonner auec ces notes vt, re, mi, fa, sol, re, mi, fa, re, mi, fa, sol, qui respondent a ces nombres harmoniques,
PROPOSITION IV. Expliquer les Chalumeaux à vn, ou plusieurs trous, & leur vsage. Les cinq Chalumeaux ou Flustes qui suiuent sont les plus simples de toutes, d'autant qu'elles n'ont qu'vn, deux, ou trois trous, dont la premiere à main gauche est faite de l'escorce de saule, ou de quelqu'autre arbre, laquelle on leue quand il est en seve : de sorte que l'on en fait vn chalumeau qui est ouuert tant en haut qu'en bas, comme l'on void en A B. La seconde fluste n'a point d'autres trous que celuy d'en haut par où on l'embouche marqué d'A, celuy d'en bas marqué par B, & celuy de la lumiere marqué par C : or ces deux flustes ne peuuent faire de sons differens, si ce n'est par la differente force du vent qu'on leur donne. Quant au 3. & 5. Chalumeau, qui est fait de bled, il est aysé de comprendre comme l'on en sonne, car l'A & le 1 du 3 monstre les deux trous que l'on fait aux deux bouts, & B fait voir la maniere dont il faut coupper le chalumeau, afin que la partie qui s'esleue, serue d'emboucheure pour pousser le vent, ou de languette pour le battre, tandis que l'on tient les deux doigts sur les deux trous A, I, dont on fredonne en les bouchant, & en [p230] les ouurant le plus viste que l'on peut. Le cinquiesme chalumeau a sa languette en haut, comme monstre A : mais il faut remarquer que le haut de ce chalumeau se termine par vn noeud qui sert de tampon, afin que le vent n'eschappe pas, & qu'il descende aux trois trous d'en bas, qui seruent pour faire trois tons differens ; quoy que l'on puisse faire dix ou douze tons differens par le moyen de ces trois trous, comme ie monstreray en parlant de la fluste à trois trous, que l'on accompagne du Tambour.
PROPOSITION V. Expliquer la figure, l'estendüe, la tablature, & l'vsage de la Fluste à trois trous. Encore que l'on puisse ioindre cet instrument auec les precedens, parce qu'il n'a que trois trous, à sçauoir deux deuant marquez par deux & trois, & l'autre derriere marqué par vn, (si ce n'est que l'on vueille conter le premier trou du tampon A, par où on l'embouche, le second B qui sert de lumiere, & le dernier de la pate C, afin de trouuer six trous) neantmoins ie l'ay voulu separer, tant à raison de sa grande estenduë, que de sa tablature que ie mets icy en deux manieres, à sçauoir par les notes ordinaires de la Musique, & par les marques dont vsent ceux qui ne cognoissent pas la valeur, & l'vsage des notes ordinaires. Or il est si aysé d'entendre cette tablature, qu'il n'est pas besoin de l'expliquer, si ce n'est pour l'instruction de ceux qui n'en ont iamais veu, ou qu'ils ne sçauent nullement sonner des Flustes, & du Flageollet : c'est donc en leur faueur que ie dis premierement que les notes contiennent l'estenduë d'vne Dix-septiesme, & que i'ay changé de clef, à raison que l'on ne peut monter que d'vne Dixiesme auec la premiere clef de F vt fa, en n'vsant que de cinq [p231] regles, où il faut remarquer que plusieurs ne mettent pas les quatre premieres notes dans l'estenduë de cette tablature, parce qu'elles n'ont pas de suite par tous les degrez de l'Octaue, car apres la Quarte, ou les quatre sons vt, re, mi, fa, que font les quatre notes les plus basses de cet instrument, l'on ne peut faire les quatre autres notes pour arriuer à la Quinte d'en haut, qui acheue l'Octaue. C'est pourquoy l'on peut commencer cette tablature par la cinquiesme note, qui est à l'Octaue de la premiere, & qui se rencontre en G re sol, afin qu'elle ayt seulement l'estenduë de l'Onziesme, qui contient tout ce que l'on peut faire ordinairement auec cette Fluste.
Les notes qui sont precedées de ♭ mols signifient les feintes, les accidents, ou les demy-tons, que l'on fait en moderant le vent, ou par l'industrie des doigts, dont on bouche plus ou moins les trous [de la Fluste], afin de sonner les chansons qui sont par ♭ mol. Or la note qui est sur la clef de C sol vt fa, & qui recommence en bas sur la premiere ligne, continuë les tons que nous auons commencez sur l'autre clef, & sert comme de racine pour acheuer le reste de l'estenduë, comme monstrent les notes qui suiuent. Quant aux autres caracteres il faut les expliquer si clairement, qu'il ne soit plus besoin d'en parler dans les discours des autres Flustes qui s'en seruent : ie dis donc en second lieu que les lignes noires, qui tombent perpendiculairement sur les trois regles de la tablature, signifient le nombre des trous, qu'il faut boucher pour faire les sons marquez par les notes de dessouz : par exemple, les trois premieres, qui sont sur les trois regles, signifient que l'on fait la premiere note en bouchant les trois trous, & en poussant le vent le plus foiblement que l'on peut : les deux autres lignes qui suiuent monstrent qu'il faut boucher les deux trous marquez vn & deux, & deboucher le dernier trou marqué par trois pour faire le re, ou la seconde note ; la petite ligne qui suit encore, signifie qu'il faut seulement boucher le premier trou pour faire le mi, ou la troisiesme note : & les trois zero, ou les trois cercles enseignent qu'il faut deboucher tous les trous pour faire la quatriesme note, ou le fa. Mais l'on ne peut continuer le sol iusques à l'Octaue, & l'on est contraint de passer tout d'vn saut à la Quinte en haut, afin de prendre l'Octaue de la premiere note, qui a son Octaue en haut, lors que l'on recommence à boucher les trous, & que l'on renforce le vent : ce qu'il faut remarquer d'autant plus soigneusement que la mesme chose arriue à plusieurs autres instrumens à vent, comme au Flageollet & aux Flustes, qui montent à l'Octaue, & quelquefois à la Quinziesme, & à la Vingt-deuxiesme, selon que l'on augmente le vent ; de sorte qu'il se rencontre des hommes qui font l'estenduë d'vne Vingt-deuxiesme sur la [p232] Fluste à trois trous, dont i'ay veu l'experience en Iean Price Anglois. Or c'est chose asseurée que l'on peut faire toutes les parties de Musique auec plusieurs Flustes à trois trous, comme auec les autres, quoy que ces concerts ne soient pas en vsage, c'est pourquoy ie n'en donne point d'exemples.
Il faut seulement remarquer que le Diapason des Flageollets ne suit pas celuy des chordes, ny celuy des tuyaux d'Orgues, comme ie monstreray apres, car il suffit d'expliquer icy son estenduë & sa tablature, que le Vacher, qui est le plus excellent Facteur de Flageollets que nous ayons, marque en cette maniere. Par où l'on void que l'on peut vser des notes de la Musique pour marquer les tons, l'estenduë, & les chansons du Flageollet, d'autant qu'elles seruent de tablature vniuerselle pour toutes sortes d'instrumens, comme i'ay monstré dans le liure precedent. [p233] Or les deux premieres lignes contiennent la tablature du Flageollet par ♮ quarre, & les deux dernieres par ♭ mol : mais les quinze dernieres notes, & les quinze rangs des autres caracteres qui leur respondent, suffisent pour expliquer ladite tablature, & l'estenduë de cet instrument, qui consiste dans vne Quinziesme, qui est contenuë par les quinze notes, encore que i'aye mis les dix precedentes, afin d'obseruer la pratique de ceux qui enseignent à ioüer du Flageollet, qui commencent par le G re sol en touchant seulement les trois derniers trous six, cinq & quatre, & en laissant les trois autres ouuerts trois, deux & vn ; & qui mettent les deux dieses que l'on void à la premiere ligne des notes, pour signifier qu'elles se chantent par ♮ quarre, encore qu'elles soient superfluës pour ceux qui entendent la pratique des notes, dans laquelle la seule absence du ♭ mol signifie le ♮ quarre. Mais cette tablature est si aysée, à raison que toutes les regles qui ont des zero, ou qui n'ont point de petites lignes perpendiculaires, signifient que l'on doit ouurir les trous qui respondent à ces lignes, qu'il n'est pas besoin de l'expliquer. Ie donneray seulement vn exemple pour en monstrer la pratique. Si l'on veut faire le ton plus graue, ou le plus bas du Flageollet, qui est marqué par la derniere note, & par le dernier rang des petites lignes, ce rang enseigne qu'il faut boucher les six trous, qui sont representez par les six regles, & qu'il faut boucher le trou de la pate à demy : ce qui est signifié par la ligne qui trauerse le dernier zero : ce que l'on entendra encore mieux par le discours qui suit, d'autant qu'il enseigne la maniere de sonner du Flageollet.