Chant des satyres
O Pan, Diane irritee S’est des forests absentee Et tant de nymphes des bois Qui souloyent dessous leur dance Presser l’herbe à la cadance Des doux accords de leurs voix.
Dessus la lyre d’yvoire Elles chantoyent la victoire De Iupiter Roy des Dieux, Armé de foudre & d’orage, Qui meit des Geans la rage Sous ses pieds victorieux.
Leur bal estoit delectable, Et leur voix tres-agreable, Aussi Phebus la prisoit : Quand elles chantoyent de France Les loix, les Rois, l’abondance,
Leur vers tant plus nous plaisoit.
Le chant qui frape l’oreille, La reiouit à merveille S’il publie la vertu D’vn Roy, graue de iustice, Qui par ses mœurs a le vice Non par force combatu.
[…] plusieurs autres donnent tesmoignage des sept voix differentes susdites, par-ce que la viij. respond à la premiere, la ix. à la ij. & ainsi des autres. Qui est cause, que Pline […] appelle le diapason l’assemblee de tous les accords ; Et Pythagore estimoit (comme dict Plutarque) que c’estoit assez, d’arrester & diffinir de la Musique, iusque au composé du diapason, d’autant que ce qui est pardessus, est de mesme nature & condition que ce qui [p5] est contenu en iceluy.
[…] ce mot, diapason, est equiuoque, & a diuerses significations, il est necessaire […] de declarer, comment il se [p6] doibt prendre, pour cognoistre ses especes. Premierement, donc, diapason se prend pour la consonance & accord de l’octaue, à sçauoir quant ses deux extremitez seulement, sonnent ensemble, sans estre meslangees d’autre accord. Secondement, il [le diapason] se prend pour ce qui est contenu entre les deux extremitez du diapason, c’est à dire, pour tout ce qui est contenu entre deux clefs semblables, si comme d’Alamire en alamire [...] Tiercement, se prend le Diapason, quant il est consideré entre ses deux extremitez, ayant vne mediation qui le diuise en vn diapente, & vn diatessaron. En laquelle signification le prend Platon, quant il dict, qu’il y a trois bornes, qui sont l’interualle du diapason, à sçauoir, la meze, la nete, & l’ hypate : c’est à dire, la mediation, & les deux extremitez.
[Article] II. Lors que deux ou plusieurs sons se font ensemble & en mesme temps, on les appelle Cosonans, quand ils s'accordent bien, & qu'ils plaisent à l'ouye & à l'esprit. Or, la raison de ces accords se prend de l'vnion desdits sons, de sorte qu'ils font des accords d'auta[n]t plus doux, qu'ils ont leur vnion plus estroite & plus grande, comme l'on espreuue à l'Vnisson, à l'Octaue, au Diapente, &c. L'Vnisson est l'Vnion ou le meslange de deux sons faits par un nombre égal de batemens d'air ; L'Octaue est le meslange de deux sons, dont le plus graue est fait par vn batement, & le plus aigu par deux ; & le Diapente est le mélange de deux sons, dont le plus graue se fait par deux batemens, & le plus aigu par trois. Toutes les simples consonances sont comprises & expliquées par les 6. premiers nombres 1. 2. 3. 4. 5. & 6. car l'Octave est d'un à 2., la Quinte de 2. à 3. la Quarte ou le Diatessaron de 3. à 4. le Diton ou la Tierce majeure de 4. à 5. & la mineure de 5. à 6. Or ils representent le nombre & la comparaison de leurs batemens.
Or s'ils auoient des regles certaines, ils [les plus excellens Maistres] pourroient faire tels chants qu'ils voudroient à toute sorte d'heures & de rencontres, comme les Architectes peuuent faire le dessein d'vn bastiment, & les Mathematiciens des demonstrations, & tirer des lignes droites & courbees de toutes façons en tout temps, parce qu'ils ont des regles certaines & infallibles. La maniere dont se seruent les Compositeurs confirme cette verité, car ils tastent sur le Luth, sur l'Epinette, sur la Viole, ou sur d'autres Instrumens plusieurs sortes de tons & d'accords pour r'encontrer vn chant qui leur plaise, ou bien ils fueillettent Claudin, Guedron, & les autres Maistres pour prendre quelques parties de chant d'vn costé, & les autres parties en dautres lieux, afin de ramasser ces fragmens, & d'en faire vn chant entier. Or s'ils auoient des regles certaines, ils s'en seruiroient sans prendre deçà & delà des vns & des autres, ce qu'ils font quelquefois sans beaucoup de raison & de iugement.
Or la chanson que l'on appelle Vaudeuille est la plus simple de tous les Airs, & s'applique à toute sorte de Poësie que l'on chante note contre note sans mesure reglee, & seulement selon les longues & les breues qui se trouuent dans les vers, ce que l'on appelle mesure d'Air ; sous laquelle sont compris le plein chant de l'Eglise, les Faux-bourdons, les Airs de Cour, les Chansons à danser & à boire, & les Vaudeuilles, & n'y a souuent que le seul Dessus qui parle, que l'on appelle aussi le suiet, & ce sans accords ou consonances des autres parties, parce que faire vne chanson signifie simplement mettre en chant, ou donner le chant à quelques paroles.
PROPOSITION IX. Determiner si l'accord dont la raison est de deux à vn est bien appellé Octaue, ou si l'on doit plutost luy donner vn autre nom, comme celuy de Diapason.
Car bien que les compositions que l'on fait maintenant ayent besoin de 9 ou 12 chordes, comme sont celles de la Viole, du Luth, de l'Epinette ; ou de 16, de 19, ou de 25, comme ie diray ailleurs, neanmoins cela n'oste pas le nom à l'Octaue, dont il y a d'autres raisons, quand on ne les prendroit que des effets du nombre de huit qui a d'admirables rencontres dans la Musique, puis qu'il n'y a que huit accords & huit raisons qui les contiennent, à sçauoir l'Vnisson qui contient la raison d'egalité ; le Diapason dont la raison double est la premiere des multiples ; la Quinte qui contient la premiere des raisons surparticulieres, que l'on appelle Sesquialtere ; la Quarte qui a la sesquitierce, que les Grecs appellent Epitritos ; la Tierce majeure qui comprend la Sesquiquarte ; la Tierce mineure qui a la Sesquiquinte ; la Sexte majeure qui contient la Surbipartiente-trois ; et la Sexte mineure qui a la Surtripartiente-cinq : à quoy l'on peut ajoûter que le nombre huit represente le premier cube dont la racine est deux, & la beatitude qui est signifiee par l'Octaue, car plusieurs Psalmes ont pro octaua dans leur inscription, particulierement quand ils parlent de la beatitude, comme sainct Ambroise a remarqué au cinquiesme liure qu'il a fait sur le sixiesme chapitre de sainct Luc.
A vray dire les raisons que l'on peut rapporter pour l'vne & l'autre des deux opinions pourroient tenir vn esprit en balance, & faire donner vn autre nom à l'Octaue, si la longueur du temps n'auoit graué cette diction dans l'esprit des Musiciens, en faueur desquels ie monstre qu'il faut appeller cét accord Octaue.
Quelques-vns croyent que de l'appeller [l'octave] Diapason, comme ont fait les Grecs, c'est donner vn nom general à vne chose particuliere, & le nom du genre à l'espece ; & que les facteurs d'Orgues & d'Epinettes ont mieux appellé leur clauier, ou la mesure de leurs tuyaux & de leurs chordes du nom de Diapason, qui contient quarante & neuf marches, chordes, ou tuyaux pour faire autant de tons, à sçauoir 29 qui vont par degrez naturels pour faire quatre Octaues, & vingt autres qui seruent pour faire les Tierces mineures en de certains endroits (comme il sera expliqué dans le troisiesme liure de l'Epinette) & les majeures en dautres, & pour trouuer les Sextes majeures ou mineures, & les Quintes parfaites aux endroits où elles se doiuent rencontrer, quand on passe d'vne Octaue à l'autre ; car ce clauier contient tous les tons par le moyen desquels l'on peut faire toutes sortes de chants simples, ou d'accord, qui peuuent estre agreables à l'oüye, ou à l'entendement qui en iuge. Quant aux autres diuisions des sons elles ne sont pas naturelles, puis que nulle oreille ne s'y plaist : & comme la nature a mis des bornes à la mer que tous les flots les plus orageux ne peuuent outrepasser, aussi nul entendement humain ne peut faire qu'vne fausse Quinte, c'est à dire moindre qu'elle ne doit estre, ou qu'vne fausse Octaue puisse donner du plaisir, dautant qu'il ne peut passer les bornes que la nature a prescrit aux tons sans renuerser la nature.
Neanmoins de tous les autres noms que l'on peut donner à l'Octaue, celuy des Grecs [le diapason] est l'vn des plus propres, & puis il est déja receu, car l'on sçait que le Diapason signifie l'Octaue, ou l'accord qui contient tous les simples interualles de la Musique, comme le nombre denaire contient tous les nombres ; car ceux que l'on ajoûte à dix ne sont que repetitions des autres nombres qui le precedent, comme les sons que l'on ajoûte à l'Octaue ne sont que les repetitions de ceux qui la precedent. L'Octaue peut donc estre appellee Diapason, puis que cette diction Grecque [p042] signifie par tous, dautant que l'Octaue comprend tous les sons, comme la lumiere toutes les couleurs, le cercle tous les plans, & la sphere tous les corps ; car si la lumiere produit toutes les couleurs par les differentes diuisions ou conjonctions de ses rayons (comme l'on voit dans l'arc en ciel) & la sphere tous les corps, l'Octaue produit aussi toutes les Consonances & les Dissonances par ses differentes diuisions.
L'on pourroit encore appeller cét accord [l'octave] Consonance doublee, parce qu'elle est comme vn redoublement de l'Vnisson, qu'elle repete & qu'elle represente à l'oreille & à l'imagination, comme l'image represente son prototype, & qu'elle est contenuë & produite par la raison double qui est de deux à vn. Le Diapason est encore connu aux Fondeurs de cloches, dont la mesure s'appelle Diapason, ou brochete, qui leur sert pour faire les cloches de toutes sortes de grandeurs, comme ie monstreray dans le liure des Cloches. Le mesme nom se peut aussi appliquer aux mesures des autres artisans, & à tout ce qui contient & qui mesure plusieurs choses.
Philolaüs Pythagoricien appelloit le nombre 8, Harmonie Geometrique, parce qu'il comprend toutes les raisons des simples accords, car la Sexte mineure estant de 5 à 8 n'a que 8 pour son plus grand terme ; ou plutost parce qu'il contient le plus plus grand systeme qui a trois Octaues, dautant que les anciens n'ont pas mis la Sexte mineure au nombre des accords.
Mais ie parleray encore de l'Octaue en expliquant si sa raison est de deux à vn, ou à 4, ou à 8, & du nombre des tons qu'elle contient ; i'ajoûte seulement que l'on peut tirer vne nouuelle raison pour le nom de l'Octaue, de la proportion qui se garde aux tuyaux d'Orgues, & aux cloches qui font l'Octaue, car le poids & la solidité du plus grand tuyau, ou de la plus grande cloche est octuple du poids & de la solidité du moindre tuyau, & de la moindre cloche. Il faut donc retenir le nom d'Octaue pour signifier le meilleur & le plus agreable accord de la Musique, sans neanmoins rejetter le nom de Diapason.
Quant à l'accord, qui depend dudit temperament, il n'est pas aysé de le representer, [p105] tant parce que les Maistres se seruent de differentes methodes pour accorder l'Epinette, que par ce que cet accord suppose vne oreille iuste & delicate, n'y ayant nulle science qui apprenne à accorder cet instrument sans le iugement de l'oreille, si ce n'est que les poids attachez au bout de chaque chorde nous donnent tous les sons iustes, mais les chordes s'aslongent tousjours, & ne peuuent subsister long-temps sans rompre ; & puis elles deuroient auoir vne parfaite proportion en longueur & en grosseur, & vne parfaite esgalité, & finalement les poids apporteroient vn trop grand embarras & trop d'incommodité, neantmoins i'expliqueray apres ce qui appartient à ces poids, & aux tensions qu'ils donnent aux chordes.
Mais ie responds que l'oeil n'est pas assez subtil quoy qu'aydé du compas, ou des autres instrumens, pour discerner combien la tension de chaque chorde la rend plus deliee que deuant, n'y quelle longueur de chorde enuironne les cheuilles. Et puis quand l'on sçauroit ces particularitez, elles ne suffiroient pas pour venir à l'accord de l'Epinette, d'autant qu'il y a des chordes qui font plus de tours de cheuille que les autres, & consequemment qui deuiennent plus deliees, encore qu'elles ne montent pas tant, comme demonstre l'experience aux chordes plus deliees, qui montent beaucoup plus haut à proportion, que ne font les plus grosses, encore qu'on ne leur donne pas tant de tours de cheuille : mais ie parleray encore de cette maniere d'accorder.
Or c'est chose asseuree qu'il n'y a point d'autre meilleur moyen d'accorder l'Epinette qu'en supposant vne bonne oreille, qui entende la iustesse des accords : ce que l'on fait en cette maniere. Premierement il faut commencer à la premiere touche ou chorde de la seconde octaue, & accorder les 10. ou 12. chordes qui suiuent en montant de Quinte en Quinte : de sorte que l'on approche le plus pres de la iuste Quinte qu'il sera possible pour treuuer les autres accords.
Puis il faut tellement diuiser les Quintes en Tierces maieures & mineures, que les maieures soient vn peu affoiblies, & les mineures vn peu plus fortes que ne desire leur iustesse : & ces 10. ou 12. touches estant d'accord l'on doit mettre les autres à leurs Octaues : mais il faut expliquer plus particulierement de quelle methode l'on doit vser pour accorder cet instrument bien viste & iustement, ce que les ioüeurs estiment vn grand secret de l'art : car puis que nous traictons les sciences liberalement, nous ne deuons rien oublier de ce qui peut seruir à la perfection de la Musique. C'est pourquoy nous apporterons la maniere la plus iuste, & la plus prompte de toutes celles qui ont esté experimentees iusques à maintenant en expliquant la figure de l'Epinette.
Quant à l'vsage de l'Epinette, elle a cela d'excellent, qu'vn seul homme fait toutes les parties d'vn concert, ce qu'elle a de commun auec l'orgue & le luth : mais ces accords & ses tons approchent plus pres de la iuste proportion de l'harmonie qu'ils ne font sur le luth ; & l'on fait plus aysément plusieurs parties sur l'Epinette, que sur ledit luth.
Mais il ne faut pas oublier l'accord de cet instrument [l'Epinette] qui sert aussi pour le Clauecin & pour le Manichordion, & qui monstre la methode & la pratique dont vsent les plus grands Maistres de cet art. Ie dis donc premierement que l'on peut prendre le ton, ou le son de Fa vt pour le fondement de l'accord. En second lieu qu'il faut faire le quinte foible en haut, c'est à dire que la 2. note qui est en C sol ne monte pas iusques à la quinte iuste du monochorde.
Cette diminution est signifiee par la lettre d, qui enseïgne que toutes les notes, sur lesquelles il se rencontre, doiuent estre affoiblies & diminuees. Quant aux Octaues qui paroissent entre les quintes, elles sont tousiours iustes. Or les cinq regles d'enhaut contiennent l'accord des marches diatoniques, comme celles d'en bas contiennent l'accord des feintes, c'est à dire des marches Chromatiques. Apres que l'on a accordé la premiere quinte de F à C, l'on accorde le C d'en bas à l'octaue, & de ce C on monte à la quinte en G, duquel on passe au G d'enhaut ; & puis on accorde le D de dessus à la quinte auec le mesme G.
En 7. lieu on descend de ce D à l'octaue en bas : & de ce D d'enbas on monte à l'A d'enhaut, auec lequel il fait la quinte, & de cet A l'on monte à l'A superieur pour faire l'octaue. En 8. lieu l'on monte du D inferieur à la quinte en E, duquel on descend à l'octaue, c'est à dire à l'E d'enbas : & finalement l'on monte de cet E à la quinte en ♮ mi, qui fait le douziesme rang de ces cinq lignes. L'on vient apres à l'accord des Feintes en commençant à l'F superieur, auec lequel il faut accorder le ♭ fa à la quinte : mais cette quinte doit estre augmentee au lieu que les precedentes ont esté diminuées : c'est pourquoy i'ay mis la lettre f dessouz pour signifier qu'elle doit estre forte, de mesme que celle qui suit.
Quant aux trois autres elles sont marquées par d, parce qu'elles doiuent estre diminuées. Le 7I. ou dernier rang de notes signifie le defaut de l'accord ou du clauier. Or l'on peut faire les Epinettes aussi grandes que l'on veut, par exemple de 4. ou 5. pieds de long ; mais ce que l'on pourroit desirer en cellecy, s'expliquera si clairement dans le traicté du Clauecin qui suit, qu'il n'est pas necessaire d'allonger ce discours.
L'estendüe du Clauecin, & conséquemment de l'Epinette à grand clauier est marquée en bas par les cinq notes qui representent les quatre Octaues dudit clauier, car il y a vne Octaue de la premiere ou plus basse note à la seconde, & puis vne autre Octaue de la seconde à la troisiesme, &c. ce que monstrent les nombres qui sont sur les notes, dont le 4. signifie que la note finale fait la Vingt-neufiesme, c'est à dire quatre Octaues auec la premiere : ce qui est tres-aysé à comprendre par le moyen des trois clefs differentes de cet accord.
Mais i'expliqueray plusieurs autres choses qui appartiennent à l'Epinette dans le discours de la Pratique, dans lequel ie monstreray tout ce qui se peut faire dessus, & particulierement les plus grandes diminutions, dont les doigts sont capables pour les accords, qui se peuuent faire des deux mains, & toutes les gentillesses que l'on a coustume de pratiquer.
Or ce que i'ay dit de la grosseur, & du diametre des chordes de l'Epinette, & de la Harpe dans ces deux tables, peut estre appliqué aux chordes du Luth, & des Violes, quoy que leurs chordes ne soient pas ordinairement differentes en longueur : car si l'accord des Violes va de Quarte en Quarte, la seconde doit estre moins grosse d'vn tiers que la premiere ; c'est à dire que si la premiere chorde a quatre parties de grosseur, la seconde en doit auoir trois ; & si l'accord [p123] estoit de ton en ton, comme dans la Gamme, ou de demy ton en demy ton, comme sur l'Epinette, la seconde chorde doit estre moins grosse que la premiere d'vne huictiesme, ou d'vne quinziesme partie ; c'est à dire que la diminution des grosseurs suit la raison des interualles harmoniques, si l'on veut que l'instrument rende vne parfaite harmonie, particulierement lors que l'on touche les chordes à vuide, comme l'on fait sur la Harpe, & sur l'Epinette, & quelquefois sur le Luth, sur la Viole, & sur la Guiterre.
L'on peut auoir de plusieurs sortes de chordes, qui soient esgales en longueur & grosseur, comme celle des Monochordes ; ou inesgales en longueur & esgales en grosseur : ou inesgales en longueur & grosseur, comme celles des Harpes & de l'Epinette ; ou esgales en longueur, & inesgales en grosseur, comme celles des Violes, & du Luth. Or de quelque maniere qu'elles soient differentes, l'homme sourd les peut mettre à tel accord qu'il voudra, pourueu qu'il sçache leurs differences tant en matiere, qu'en longueur, & grosseur. Ce que ie demonstre premierement aux chordes, qui sont esgales en toutes choses, afin de commencer par les plus simples, parce que lors qu'elles sont tenduës par des forces esgales, elles font l'vnisson, puisque choses esgales adioustees à choses esgales, les laissent esgales.
Or voicy les regles generales, dont il faut vser pour faire toutes sortes d'accords, lesquels seruiront icy de preuue, & de Demonstration, d'autant que nous auons fait voir ailleurs, qu'elles sont veritables & infaillibles. Premiere Regle. Si les chordes sont esgales en longueur & grosseur, & que l'vne fasse le son graue qui est en C fa vt, quand elle est tenduë auec le poids d'vne liure, il faut tendre l'autre auec quatre liures pour la faire monter à l'octaue, d'autant que les poids sont en raison doublée des interualles harmoniques, ausquels on fait monter les chordes ; or l'interualle de l'octaue est de 2. à 1. dont la raison de 4. à 1. est doublée.
Seconde Regle. Il faut encore adiouster au susdit poids la seiziesme partie du plus grand poids, ou 1/4 du plus petit, afin que l'accord soit iuste : par exemple, il faut adiouster quatre onces aux quatre liures precedentes pour faire l'octaue iuste : par consequent 4 1/4 liures contre 1, estant suspenduës à deux chordes esgales font l'Octaue parfaite.
Troisiesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Quand les chordes sont esgales en grosseur, & inesgales en longueur, & que l'on veut les mettre à l'vnisson, les forces qui tendent les chordes, doiuent estre en raison doublée de la longueur des chordes : par exemple, si l'vne a deux pieds de long, & l'autre vn pied, & que celle-cy soit tenduë par vne force, il faut tendre celle-là auec 4. liures, & adiouster 1/4 de liure, comme i'ay dit dans l'autre regle, pour la faire monter de l'Octaue qu'elle faisoit en bas, iusques à l'vnisson de la plus courte.
Quatriesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Quand les chordes sont esgales en grosseur, & esgales en longueur, les forces qui ont mesme raison que les grosseurs, les mettent à l'vnisson ; par exemple, si l'vne a 2. de grosseur, & l'autre 3. & que la premiere soit tenduë auec 2. forces, la 2. estant tenduë auec 3. forces sera à l'vnisson : & si la chorde estoit cent fois plus grosse, la force centuple la metteroit à l'vnisson.
Cinquiesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Si les chordes sont esgales en grosseur & en longueur, il faut recompenser la longueur, & la grosseur pour les mettre à l'vnisson, suiuant la simple raison des interualles pour la grosseur, & la raison doublée des mesmes interualles pour la longueur ; c'est à dire que la raison des forces doit estre composée de la simple raison, & de la doublée des interualles. Par exemple, si l'vne est grosse & longue comme 2, & l'autre comme 1, & que l'on vueille les mettre à l'vnisson, si celle qui est comme 1. est tenduë par vne liure, celle qui est comme 2. doit estre tenduë par 6 1/4 liures, par ce que la raison d'vn a 6 1/4 est composée de la raison d'vn à deux, qui recompense la double grosseur de la chorde, & de celle d'vn à 4 1/4, qui recompense la double longueur.
Sixiesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Si les chordes sont esgales en longueur, & inesgales en grosseur : par exemple, si l'vne est grosse de trois parties, & l'autre d'vne, & que l'on vueille faire descendre, ou monter celle de trois à quelque interualle, comme à l'Octaue, il faut premierement les mettre à l'vnisson par la 4. regle, en tendant celle de 3. parties auec 3. liures, & celle d'vne auec vne liure ; & pour faire monter la chorde de trois à celle d'vne, la raison de la force doit estre doublée de la raison de l'Octaue, & consequemment il la faut tendre auec la force, ou le poids de douze liures, & de douze onces, ou de la seiziesme partie de douze liures, comme i'ay dit dans la seconde Regle. Et si l'on veut la faire descendre à l'Octaue d'en bas, la force doit estre sousquadruple de trois, à sçauoir 11. 1/4 onces, car il faut diminuer douze onces d'vne seiziesme partie, comme il faut augmenter douze liures d'vne seiziesme partie. Finalement, si l'on veut faire monter la chorde 1. à l'Octaue en haut, de la chorde 3, quand elles sont à l'vnisson, il la faut tendre auec 4 1/4 forces, si l'autre est tenduë auec trois.
Septiesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Si les chordes sont inesgales en grosseur & longueur, il les faut premierement mettre à l'vnisson, par la cinquiesme Regle ; puis il faut prendre les 2. chordes de cette 5. Regle, qui sont à l'vnisson, quand l'vne est tenduë par vne liure, & l'autre par 6 1/4. En troisiesme lieu les forces doiuent estre en raison doublée des interualles, ausquels on veut faire monter l'vne des chordes : par exemple, si l'on veut monter la chorde tenduë auec 6 1/4 liures iusques à l'Octaue, il la faut tendre auec 26. liures, & 9. onces, car 26. 3/5 liures contiennent 4. fois 6 1/4 liures, & la seiziesme partie de 25. liures.
Huictiesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Il faut obseruer la mesme Methode dans la diminution des forces, des poids, ou des tensions, quand on lasche les chordes pour les faire descendre, laquelle on garde à l'augmentation des poids, qui font monter les mesmes chordes ; mais il faut que les raisons soient soudoublées des interualles pour recompenser les differentes longueurs, & non doublées, comme deuant : c'est à dire qu'il faut diminuer les forces en mesme raison que l'on les augmentoit, [p125] de sorte que pour baisser les chordes, il faut faire en diminuant, ce que l'on faisoit en augmentant, pour les hausser.
Neufiesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Si les chordes sont de differente matiere ; par exemple de leton, de boyau, d'acier, d'or & d'argent, il faut premierement les mettre à l'vnisson auec des forces cogneuës, puis il faut suiure les regles precedentes. Or pour les mettre à l'vnisson, ie suppose l'experience, qui monstre que le son de celle d'acier tenduë auec 3 liures à mesme raison au son des chordes d'or, d'argent & de cuiure, que les nombres qui sont vis à vis de chaque chorde de la table qui suit, par lesquels on void que l'or fait la Quarte en bas auec celle d'argent, que celle d'argent fait le ton maieur auec l'acier, qui fait le semi-ton maieur en haut auec celle de cuiure, laquelle fait le Triton auec l'or, qui fait la Quinte auec l'acier ; les lettres E, A, B, ♮ monstrent que le son de la chorde d'or est en E mi la, de l'argent en A mi la re, du cuiure en B fa, & de l'acier en ♮ mi. Mais pour les mettre à l'vnisson, supposé que la chorde d'acier soit tenduë auec 3 liures, il faut tendre celle d'or auec 6 3/4 liures, & 1/16 : c'est à dire 6 onces, vn gros & demy, qui font 7 liures, 2 onces, vn gros, & 1/2 : celle d'argent doit estre tenduë auec vn poids, qui soit à 3 liures, comme 81 est à 64, suiuant la raison doublée du ton maieur, & ainsi des autres. Or la tablature qui suit, contient 4 tables pour seruir aux sourds, laquelle est si facile qu'il n'est pas besoin de l'expliquer.
PROPOSITION X. Determiner si l'on peut accorder le Luth, la Viole, l'Epinette & les autres instrumens à chordes, sans se seruir des sons, ny des oreilles, par la cognoissance des differens alongemens que souffrent les chordes. Cette proposition a besoin de quelques suppositions, dont la verité depend de l'experience & de la raison, car il faut sçauoir qu'elle raison il y a des differens racourcissemens des chordes aux sons differens quant au graue & à l'aigu, c'est à dire qu'il faut cognoistre combien il faut tourner la cheuille pour faire monter la chorde au second, trois, & quatriesme ton, supposé que l'on sçache combien il la faut tourner pour la mettre au premier, ou au second : & si, par exemple, vne force la fait racourcir d'vn doigt, combien 2, 3, ou 4 forces, &c. la feront racourcir : cecy estant posé, l'on peut marquer les chordes auec de petits points à chaque lieu, afin que les points respondent à [p129] certains lieux de l'instrument, qui feront voir quand les chordes seront d'accord, mais vne seule marque imprimée sur la chorde suffit pour cognoistre de combien de tons elle monte, ou descend, pourueu que l'on puisse mesurer son racourcissement, ou son alongement par le moyen de cette marque, ou des tours de la cheuille ; ce que l'on fera aysément si l'on compare la marque de la chorde auec quelqu'autre marque de la Table de l'instrument, qui fera recognoistre combien la chorde s'alonge, on se doit alonger à chaque ton, ou demy-ton.
COROLLAIRE Si l'on veut sçauoir ce que les accords de la table apportent aux chordes, il faut remarquer de quelle maniere vne mesme, ou plusieurs sonnent à l'vnisson, à l'Octaue & à la Quinte de la table, &c. & si la bonté de la chorde tenduë à l'vnisson surpasse autant la bonté de celle qui est à la Quinte, comme la bonté, ou la douceur de l'vnisson surpasse la douceur de la Quinte.
Ie viens maintenant à l'autre partie de cette Proposition, & dis que les methodes & les manieres de toucher les instrumens sont aussi differentes que celles d'escrire, car l'on remarque que ceux qui touchent le Luth & l'Epinette [p162] sont quasi aussi differens à leur toucher qu'à leurs vsages. Mais quoy qu'il en soit, il suffit de remarquer ce qui est necessaire pour le beau toucher du Clauecin ; lequel consiste premierement à porter tellement les deux mains ensemble sur le clauier, qu'elles ne soient nullement forcées ny contrefaites, & que leur mouuement reglé ne donne pas moins de contentement que le son des chordes. En second lieu, que la gauche touche deux, ou trois bons accords, lors que la droite fait des diminutions & des passages, & au contraire. En troisiesme lieu, il faut faire les cadences tant simples que doubles & triples, si nettement que la confusion n'en obscurcisse point la beauté, & les charmes. En quatriesme lieu, il faut garder la mesure le plus iustement qui se puisse faire, & consequemment l'on doit passer 16 doubles, ou 32 triples crochuës en mesme temps que 4 noires dans la mesure binaire, & 12 doubles ou 24 triples crochuës dans la ternaire en mesme temps que l'on en fait trois noires. Quant aux tremblemens, battemens, martelemens, myolemens, accents plaintifs, &c. l'on peut quasi les faire sur le clauier comme sur le manche du Luth, dont il n'est pas besoin de repeter les discours qui sont dans le liure precedent.
Or il faut encore remarquer que la legereté de la main est fort differente de sa vistesse, car plusieurs ont la main tres-viste, qui l'ont neantmoins bien pesante, comme tesmoigne la dureté & la rudesse de leur ieu. Or ceux qui ont cette legereté de la main peuuent estre appellez Maistres absolus de leurs mains & de leurs doigts, dont ils pesent si peu qu'ils veulent sur les marches, afin d'adoucir le son de l'Epinette comme l'on fait celuy du Luth : de sorte qu'ils font ouyr des Echo tres-doux, & d'autres-fois des sons si forts, qu'on les compare au foudre & au tonnerre, comme il arriue lors qu'ils triplent ou quadruplent la cadence en faisant 32 triples, ou 64 quadruples crochuës aux passages, ou aux cadences triples & quadruples, dont on void plusieurs exemples dans la piece qui suit, dans laquelle les tremblemens, qui se font en descendant, se marquent par cette virgule, & ceux qui se font en montant par cette autre, qui ressemble à la lettre c : quoy qu'on les puisse marquer auec tels autres caracteres que l'on voudra. Ie laisse plusieurs gentillesses que les grands maistres font sur le clauier, par exemple de certains passages, dans lesquels deux sons conioints s'entendent en mesme temps, tandis que l'vn des doigts tient l'vne des marches abbaissées, afin que la chorde qui a esté touchée conserue son resonnement. Et cette industrie peut seruir pour faire entendre plusieurs accords tres-doux sur l'Epinette qui seront composez des seuls resonnemens, & consequemment qui esgaleront quasi la douceur du Luth.
Il y a encore plusieurs autres choses dans cette tablature [du Clauecin] qui doiuent estre considerées, & particulierement quantité de tremblemens, qui enrichissent la maniere de ioüer, & y apportent des charmes, qu'il est difficile de s'imaginer si l'on ne les a entendus : neantmoins l'on s'en peut figurer vne bonne partie par le discours que i'ay fait des tremblemens du Luth. Ie laisse plusieurs choses qui appartiennent à l'Epinette, par exemple que l'on en peut mettre deux ou trois sur vne mesme table ; qu'on les peut faire descendre aussi bas que les plus grosses pedales de l'Orgue : que la diuision du ton, ou de l'Octaue en douze demy-tons esgaux ne peut seruir à cet instrument, à raison que son accord depend de la seule tension des chordes, & se iuge par l'oreille, sans que la veuë ou le toucher y puissent remedier, si ce n'est que l'on suppose des chordes tres-esgales & inalterables, & que l'on vse de poids pour les tendre suiuant les proportions harmoniques dont i'ay parlé dans la tablature des sourds, qui monstre plustost la possibilité de cet effet que sa realité & son existence. Il y a semblablement plusieurs choses à considerer dans l'alteration que font les differentes impressions de l'air sur les chordes, & dans la diuersité des sons qui depend de la diuersité des mines dont on tire le cuiure & les autres metaux pour faire les chordes.
Quant à la maniere d'apprendre à toucher l'Epinette, il faut premierement comprendre l'estenduë du clauier, & accoustumer les deux mains à toucher toutes sortes de marches pour faire toutes sortes de sons aussi viste que l'on en peut auoir l'imagination. Et puis il faut apprendre à toucher les accords des deux mains, & à les faire promptement tant contre les marches Diatoniques & naturelles, qui sont ordinairement blanches, que contre les feintes ou Chromatiques qui sont noires. En troisiesme lieu, il faut s'accoustumer aux tremblemens, & à toutes sortes de martelemens, de coulemens, & d'adoucissemens, & à diminuer toutes sortes de suiets & de parties, tantost à 8 crochuës, & à 16, à 32, & à 64 pour la mesure binaire ; & puis à 12, 24, & 48 pour la mesure ternaire. L'on peut encore vser d'autres sortes de mesures, par exemple de la sesquialtere, & de la sesquitierce comme faisoient les anciens ; surquoy il faut remarquer que l'on se trompe, lors que l'on croit que la mesure binaire est en raison double, & la ternaire en raison triple ou sesquialtere, car la binaire est en [p164] raison d'esgalité comme l'vnisson, & la sesquialtere des Practiciens en raison double comme l'Octaue, de sorte que l'on n'vse maintenant que de ces deux especes de mesure.
Quant à la durée de ses sons, i'en ay desia parlé, & les Allemans font voir par experience que les Clauecins sont capables de faire ouyr d'excellens concerts de Violes par le moyen des roües qui suppleent les traits de l'archet : ce qui se peut faire en plusieurs manieres, mais la iustesse des interualles & des degrez du clauier depend d'vne bonne oreille, & de plusieurs choses qui y [p169] doiuent contribuer, par exemple de nouuelles marches, & feintes que l'on y doit adiouster, suiuant ce que i'ay remarqué dans le discours des clauiers ; les chordes doiuent aussi estre bien choisies, car il s'en rencontre de si fausses & de si mauuaises, que l'on ne les peut mettre d'accord. Or plusieurs croyent que les chordes d'Epinette montent plus haut auant que de rompre, lors qu'on les bande peu à peu, & qu'elles rompent plustost quand on les veut monter tout d'vn coup iusques à leur ton, mais il se rencontre des Practiciens qui experimentent le contraire : quoy qu'il en soit, il est certain qu'il y a plusieurs choses dans la Practique qui dependent de la dexterité, & de la bonne main des Maistres & des Facteurs.
PROPOSITION XXIV. Expliquer la figure, l'accord, l'estenduë, & l'vsage de la Harpe. L'on peut former plusieurs difficultez sur cet instrument, par exemple, à sçauoir si la Harpe de Dauid, que les Hebrieux appellent כנור. Cinor, estoit semblable à la nostre, & à la cithare des Grecs, mais puis qu'il ne nous paroist nul vestige de l'antiquité, d'où nous puissions conclure ce qui en est, il suffit de descrire icy la nostre, laquelle est representée par cette figure composée de trois parties, dont l'vne s'appelle le clauier, lequel est marqué par A B, & D L E I representent la moitié de la table, sur laquelle on void les deux rangs de cheuilles D H, dont chacune est semblable à S V : on les peut appeller boutons, & seruent pour tenir les chordes fermes dans leurs trous, que l'on bouche de ces boutons, apres auoir fait vn nœud au bout de chaque chorde, afin qu'elles ne puissent eschapper. Mais il faut remarquer que les chordes ne touchent pas leurs cheuilles à la sortie de leurs trous, comme elles font lors que l'on vse d'harpions, ou de cheuilles crochuës, qui les font n'azarder, dont on a quitté l'vsage pour euiter cette imperfection.
Le second rang de chordes qui font les demy-tons paroist icy, & est attaché au 2. rang des boutons, de sorte que l'on a 57 chordes dans cette Harpe : mais les 29 du 3. rang, qui sont à l'vnisson des 27 du premier, ne sont pas marquées, d'autant qu'elles sont du costé de la table qui est caché ; de sorte que cette Harpe, que l'on appelle triple, auroit 86 chordes, n'estoient les demy-tons qui se rencontrent dans le Diatonic, qui diminuent le nombre des chordes du second rang, car puis que chaque Octaue a deux demy-tons, & qu'il y a quatre Octaues sur la Harpe, il s'ensuit qu'il faut oster huict chordes du second rang, & par consequent qu'il ne faut que 78 chordes pour monter la Harpe à trois rangs en perfection. L'on pourroit encore adiouster vn 4. rang de chordes à l'vnisson du second, ou à l'Octaue du premier, pour augmenter l'harmonie, mais l'embarras des chordes seroit si grand que les doigts ne pourroient fournir à vne telle multitude, si l'on n'vsoit d'vn ou deux clauiers, comme on fait sur les Clauecins, qui ont trois ou quatre rangs de chordes differentes, que l'on varie en six ou sept manieres pour auoir plusieurs ieux differents, comme i'ay dit cy-dessus. Ceux qui ont ouy Flesle qui touche la Harpe en perfection, ne sçauent s'ils la doiuent preferer au Luth, sur lequel elle a cette prerogatiue, que toutes ses chordes se touchent à vuide, & que son accord peut approcher de plus pres de la iustesse que celuy du Luth ; car quant à l'imperfection que l'on experimente dans le son de ses chordes, qui ne s'esteignant pas assez viste fait souuent des dissonances auec les autres chordes que l'on touche, il est aysé de le faire cesser comme celuy des chordes de l'Epinette, par le moyen des doigts dont on touche les chordes.
Ie laisse toutes les mignardises, & les delicatesses dont on peut vser en ioüant de la Harpe, d'autant qu'on luy peut appliquer vne partie de celles qui se pratiquent sur les autres instrumens, quoy que la maniere de la toucher, & de pinser ses chordes soit fort differente de celle dont on touche les autres, car les deux mains la touchent de mesme façon. Certes si l'on considere les tremblemens du manche du Luth, dont la Harpe est priuée, ie croy que l'on auoüera qu'il est plus charmant, & qu'il merite d'estre appellé le Roy des instrumens, quoy qu'il soit libre à vn chacun d'en croire ce qu'il voudra. Quant à l'accord de la Harpe, il est semblable à celuy de l'Epinette, car toutes ses chordes vont de demy-ton en demy-ton, de sorte qu'elle contient 28 demy-tons, dont il n'est pas aysé de determiner les grandeurs, qui peuuent [p171] estre esgales ou differentes selon le temperament qu'on leur donne, dont il n'est pas besoin de parler icy, d'autant que i'en ay traité amplement dans les discours du Luth, de l'Epinette, & de l'Orgue : d'où l'on conclura si l'on peut mettre le genre Enharmonique sur la Harpe. Sa tablature ordinaire n'est pas differente des notes de Musique, quoy que l'on puisse vser du nombre de ses chordes pour ce suiet : par exemple, l'on peut marquer l'Octaue par 1 & 13, la Quinte par 1 & 6, &c. d'autant que la premiere chorde fait l'Octaue auec la 13, & la Quinte auec la 6 ; & parce qu'il y a 49 chordes, à sçauoir celles des deux premiers rangs, qui toutes ont leurs sons differents, il faut vser de 49 nombres, dont chacun signifiera tousiours sa propre chorde ; or l'on peut commencer par la plus courte, que l'on appelle chanterelle, & finir à la plus longue A K, qui sert de bourdon & de Proslambanomene, comme parlent les Grecs, afin de suiure l'ordre que l'on garde aux autres instrumens ; quoy que l'on puisse semblablement commencer à conter 1, 2, 3, &c. par la plus grosse chorde, comme font les Italiens, puis qu'elle sert de base & de fondement aux autres chordes, comme l'vnité aux nombres.