Deduction est donc vne conduite de six voix, selon leurs chants & situations propres : & tout ai[n]si qu’il y a trois ordres de clefs, aussi sont trois deductions de voix comprises en chascun ordre : Dont la premiere est du chant de B mol, lequel prend tousiours son origine de l’vt de F f ffa vt estant demonstré par tel charactere b, lequel est ainsi appellé pour ce qu’en quelque lieu qu’il soit mis (qui est proprement en B b bb fa ♮ mi) il demo[n]stre q[ue] illec faut proferer fa, qui est vne voix douce (comme auons dit) à laquelle quand on monte faut faindre, & amolir sa voix ne l’esleuant que de demi ton seulement.
De l’entonnement des six voix. Ayant cogneu les parties de l'eschelle à sçauoir l'ordre des clefs, & deductions de voix, il faut en apres sçauoir bien ento[n]ner ces six voix de deduction. Et pour ce co[m]modement faire, faut esleuer, ou abaisser sa voix de to[n] en ton, excepté de mi à fa ou de fa à mi, ou il ne faut qu’u[n] demy to[n].
Il est donc à sçauoir que ton n’est autre chose qu’une distance d’une voix à vne autre par vne seco[n]de parfaitte : laquelle se fait d’une ferme, & non fainte esleuation, ou abaissement de voix : Co[m]me d’vt iusques à re, de re à mi en montant, ou de mi à re, de re à vt en deuallant. Demi ton est vne distance d’une voix à vne autre p[ar] vne seco[n]de imp[ar]faitte, laquelle se fait d’une molle & fainte esleuation, ou abaisseme[n]t de voix de mi à fa, ou de fa à mi, ou bien de la à fa en montant, & de fa à la en descendant quand il ne faut monter que d’un degré par dessus les six voix. Et il ne faut entendre iceluy estre appellé demi ton, co[m]me n’estant que la moitié d’un ton : Car vn ton (Co[m]me dit Macrobe en son second liure Chap. j. sur le songe de Sçipion) selon sa nature ne peut estre diuisé en deux : & pourta[n]t il est dit improprement demi ton pour ce qu’il ne se profere du tout si parfaitement qu’un ton.
Icy ie veux bien aduertir que oultre ce qu'auons dit de l'ento[n]nement de mi, ou de la à fa, il y a plusieurs cade[n]ces de dessus (Lesquelles toutesfois se peuuent trouuer en toutes parties) qui ne faut entonner qu’en demi ton, & cela aduient ta[n]t aux entieres (co[m]me la sol la, sol fa sol, re vt re) qu’aux ro[m]pues (co[m]me la sol, sol fa, re vt) lesquelles plusieurs auiourdhuy prude[m]ment signifient par ce signe xx lequel co[m]bien que de figure ne semble estré differe[n]t de l’un de ceux de ♮ dur. Il est toutesfois bie[n] differe[n]t de lieu, car il est mis tousiours dessus, ou dessous la note demo[n]strée par luy : Et celuy de ♮ dur, tousiours encosté senestre.
La seconde signification [du mot ton] est, quant ce mot, ton, signifie la distance, ou espace, qui est de chascune notte à la voisine ; sauf que du my, au fa, il n'y a que demy ton. En laquelle signification, nous disons, que l'octaue contient cinq tons & deux demy : la quinte, trois tons & demy : & la quarte, deux tons & demy, & ainsi des autres consonnances.
Et combien que les clefs [...], en leur constitution ordinaire, soient disposées et distinguées par lignes [p11] & espaces esgales, si est-ce que les voix y conduites sont differentes & inesgales : par-ce que du mi au fa, il n'y a que demy ton, encor que l'espace soit esgal à celuy du re au mi, où il y a vn ton. Qui est cause, que des sept clefs susdictes, encores qu'elles contiennent sept voix differentes [...] il n'en reuient toutesfois, pour la matiere du diapason, que cinq tons, & deux demy tons petits, lesquels ne peuuent accomplir vn ton, ayant moins d'vn comma. Car le ton est diuisé en deux demy tons, l'vn petit, et l'autre grand. Le petit demy ton s'appelle diese, ou diacisme : le grand demy ton s'appelle apotome, & ce en quoy le grand excede le petit s'appelle coma.
Plvsievrs font icy de grandes questions, & se trauaillent fort, pour sçauoir pourquoy le diapason est plustost composé de 5. tons, & deux demy, que de six tons entiers : ou bien pourquoy les deux demy tons ne peuuent accomplir vn ton entier : le ton se prennant icy en la seconde signification, à sçauoir pour la distance qu'il y a de chascune notte à sa voysine, sauf que du my au fa il n'y a que demy ton.
[...] il est impossible que le ton puisse estre diuisé en deux parties egales, ains seulement en deux demy tons, l'vn grand, & l'autre petit, d'où s'ensuyt, que les deux demy tons petits ne peuuent accomplir vn ton, & par conseque[n]t, le diapason contient moins de 6. tons : comme il se peut veoir aussi par l'experience, d'autant que deux trois-tons excedent notoirement le diapason.
[...] comme nature ne faict rien sans cause, aussi que ceste composition [le diapason] a esté ainsi naturellement ordonnee, pour le plus grand ornement de la musique. Car comme nous voyons, que la varieté cause vn embellissement & bien-seance en toute chose (comme il se voit és fleurs, peintures, tapisseries, et autres choses semblables) aussi est-il certain, que de ceste varieté de tons, et demy tons, procede toute la beauté, toute la douceur, & toute l'harmonie qu'il y a en la musique. Car si le diapason eut esté composé de six tons entiers, sans demy tons, il n'y eut eu qu'vne sorte de chant, qu'vne espece de consonance, sans aucune harmonie, d'autant que c'est le demy ton qui cause la difference entre les consonances, la varieté du chant, & finalement toute l'harmonie de la musique [...]
Mais si aucuns curieux veulent auoir quelque raison, pourquoy le diapason ne peut estre diuisé en six tons, ains seulement en 5. tons, & deux demy, nous en donnerons deux : l'vne tirée de Glarean, au 2. chapitre de son premier liure, où il monstre que le diapason ne peut estre composé de six tons, à cause du genre diatonique, lequel requiert, qu'apres trois tons, suyue tousiours vn demy ton comme il se peut veoir plus amplement au lieu susallegué. L'autre (qui faict plus [p15] à nostre propos) est, qu'il falloit que la matiere fut proportionnee à la forme : Or comme [...] la forme du diapason consiste principalement en la mediation, qui est entre les deux extremitez, laquelle le separe & diuise en deux parties inegales : il falloit aussi, que la matiere fut disposee pour receuoir ceste forme : Et ne sçauroit estre mieux composee (presupposee la longueur & estenduë du diapason) que de cincq tons & deux demy, lesquels ne pouuants estre diuisez en deux parties egales, elle est necessairement diuisee en deux parties inegales, l'vne contenant deux tons & demy, l'autre trois tons & demy : ceste-cy s'appelle diapente (que nous disons vne quinte) & l'autre, diatessaron, que nous appellons vne quarte.
L’on peut voir au traité du Luth, sur lequel le ton est diuisé en deux demi-tons, & l’Octave en douze demitons esgaux, de combien les Consonances & les Dissonances de cette diuision sont differentes de celles qui suiuent la proportion harmonique des nombres, que i’explique en plusieurs endroits, & de combien les Sons qui suiuent la proportion Arithmetique sont plus doux que ceux qui suiuent la Geometrique.
D'ailleurs, l'on peut faire voir les lieux où se fait le ton mineur ou le majeur, car si l'vn tient ferme sur vne mesme note, & que l'autre chante par degrez conjoints, s'il [le praticien] commence à faire la Tierce mineure, & puis qu'il face la Quarte, il fera le ton mineur ; & s'il monte à la Quinte, il fera le ton majeur ; & s'il passe à la Sexte majeure, il fera le ton mineur. Semblablement s'il fait premierement la Tierce mineure, & puis la majeure, il fera le demi-ton mineur ; ce qui arriue aussi lors que l'on passe de la Sexte mineure à la majeure, ou de la majeure à la mineure.
Et finalement s'il [le praticien] passe du demi-ton mineur au majeur, il fera la diese Enharmonique : Or l'on peut encore prouuer que la voix est capable de tous ces interualles par l'experience que l'on fait dans les chants des Eglises, & dans les Concerts, dans lesquels les voix montent ou descendent peu à peu, comme l'on apperçoit à la fin, où elles se trouuent souuent plus hautes, ou plus basses d'vn demi-ton, auquel elles ne sont pas arriuées tout d'vn coup, mais insensiblement ; de sorte que si elles ont baissé à chaque mesure, l'on peut dire qu'elles ont diuisé le demi-ton, ou l'interualle, par lequel elles sont descenduës ou montees par autant de parties qu'il y a de mesures.
Car le chant du demiton est propre pour exprimer la tristesse, & celuy du diton est propre pour expliquer la ioye : & si l'on auoit examiné la nature de tous les interualles, l'on trouueroit la conformité qu'ils peuuent auoir auec chaque chose, de sorte que l'on en pourroit vser au lieu de nos dictions ordinaires pour nous faire entendre & pour exprimer la nature des choses : mais ils seroient incommodes, parce qu'il faudroit chanter en parlant, & ceux qui n'ont point la voix propre pour faire les interualles des sons, ne pourroient expliquer leurs [p042] pensées ; c'est pourquoy l'on peut conclure que les paroles, dont les discours sont faits, sont plus excellentes que les chants, si ce n'est que l'on les fasse seruir de paroles, quoy que l'on puisse dire qu'ils sont plus excellens, parce qu'ils ont tout ce qu'a la parole, & qu'ils sont mieux reglez qu'elle, à raison des iustes proportions que gardent leurs interualles ; mais les paroles & les discours ont des interualles qui peuuent estre aussi bien reglez que ceux des chants.
Or ceux qui apprendront la Musique en ceste maniere [en utilisant l'orgue pour apprendre à chanter], feront les interualles plus iustes que ceux qui ont appris des Maistres, pourueu que le clauier & les tuyaux soient disposez comme ceux que i'ay expliquez au traité de l'Orgue, dans lequel les tons & les demitons majeurs & mineurs, les dieses, & toutes les consonances sont dans leur iustesse & dans leur perfection ; & consequemment celuy qui aura appris à chanter sans Maistre enseignera mieux à entonner iuste que nul autre. Mais il ne pourra pas donner la grace aux chants & aux passages qui dépendent des roulemens de gorge, & des autres delicatesses & tremblemens dont on vse maintenant pour porter la voix du graue à l'aigu, & de l'aigu au graue ; c'est pourquoy s'il veut perfectionner sa voix, il a besoin de Maistre, à raison que les Instrumens ne peuuent enseigner de certains charmes que l'on inuente tous les iours pour embellir les chants, & pour enrichir les Concerts. Il y a vne autre maniere d'apprendre qui est plus Philosophique, mais elle est plus difficile, car elle consiste à faire trembler l'air qui sort de l'ouuerture du larynx autant de fois que la chorde qui fait le son que l'on veut imiter, & que l'on fait sans le sçauoir lors que l'on chante à l'vnisson d'vn autre son, & lors que l'on le fera par science l'on chantera plus raisonnablement.
La seconde regle [pour les chants] appartient aux interualles, & degrez dont il faut vser dans les chansons, laquelle est semblablement necessaire, car elle consiste à vser des mesmes interualles ou degrez dont vse la passion à laquelle on veut exciter : par exemple, si la cholere monte par tons, ou demitons, il faut que le chant monte par mesmes degrez, encore que cecy ne soit pas si necessaire que l'on ne puisse se seruir d'autres degrez en chantant que de ceux de la passion, particulierement lors que l'on ne cognoist pas par quels degrez elle va : or il est certain que les chants ont esté inuentez pour exciter les passions ; par exemple, pour resiouyr l'Auditeur, car la resiouyssance appartient aux passions, dont elle est le fondement, le commencement, & la fin, car le plaisir n'est autre chose qu'vn amour parfait & accomply, comme l'amour & le desir, est vn plaisir commencé, & imparfait.
Or l'on pourroit choisir les huit principales especes de nuances, à sçauoir les trois des trois sortes de verds, & les nuances du bleu, du iaune, du rouge, du colombin, & du pourpre, pour les comparer aux huit especes de la Diatonique : si ce n'est que l'on aime mieux diuiser toutes les nuances, comme toutes les especes de Musique, en trois genres, à sçauoir en la nuance du verd, du iaune, & du rouge, dont chacune en contiendra plusieurs autres, comme chaque genre de Musique contient plusieurs especes. A quoy l'on peut ajoûter que si l'on fait des chants de douze degrez dans l'Octaue en la diuisant par demitons, que l'on a semblablement des nuances de douze couleurs, comme celle du rouge ; & qu'vne nuance peut auoir autant de couleurs que l'Octaue de sons, ou d'interualles, car l'vne & l'autre peuuent estre diuisees en vne infinité de degrez.
Or il n'y a rien dans la Musique plus semblable à la lumiere que le son aigu, parce qu'il comprend tous les autres qui viennent de sa diuision, ou de sa diminution iusques à ce qu'il retourne dans le silence ; car s'il perd vne 24 partie de son mouuement il fait le demiton mineur ; s'il en perd vne 15 il fait le majeur ; si vne 9, [p102] ou 10, il fait le ton mineur, ou majeur, & s'il en perd la moitié, il fait l'Octaue, & ainsi des autres, iusques à ce que les rayons, ou les influences de ses mouuements, qu'il depart aux autres sons, soient tellement diminuez qu'il paruiennent au proslambanomene, qui tient le plus du silence, comme le noir tient plus des tenebres que nulle autre couleur, à raison de l'affoiblissement des rayons lumineux qui le produisent, ou qui le font paroistre.
Il faut encore considerer si toutes les principales couleurs qui se nuent peuuent estre reduites à 7, comme les Octaues, afin que chaque espece d'Octaue qui a 8 sons & 7 interualles, soit comparee à chaque couleur principale, & aux 7 ou 8 couleurs qui luy seruent de nuance ; & finalement si les nuances sont dautant plus ou moins agreables, qu'elles ont vn plus grand nombre de couleurs, & qu'elles paroissent moins distinctes, comme les chants ont coustume d'estre plus ou moins agreables, selon que leurs degrez sont moindres ou plus grands : comme il arriue lors qu'au lieu des 8 sons Diatoniques de l'Octaue, on la diuise en 12 demitons sur l'Orgue & sur le Luth, par le moyen des degrez Chromatiques, ou qu'on la diuise en 24 interualles par le moyen des degrez Enharmoniques, car les nuances des couleurs peuuent estre de 12, & de 24 differentes couleurs, que l'on peut mettre entre le vray verd, & le verd le plus brun d'vn costé, & le verd le plus foible de l'autre.
Quatriesmement, i'ay dit naturels, ou artificiels [dans le titre de cette proposition], dautant que nous appellons les interualles naturels, qui sont faits par tout le monde, c'est à dire aussi bien par le Berger qui est au bois, ou à la campagne, comme par les Musiciens, tels que sont les interualles de la Diatonique : mais les artificiels ont esté inuentez par les Musiciens pour embellir leur art, & pour enrichir leurs chants, comme sont le demiton mineur, la diese, &c. qui ne se pratiquent point hors de la Musique, si ce n'est par hazard.
[…] vn Orateur, ou celuy qui represente quelque personnage sur le theatre peut obseruer tous les interualles tant Diatoniques, que Chromatiques, ou Enharmoniques qui se rencontrent dans vne Octaue, attendu que l'experience nous fait voir que la plus part des Predicateurs se seruent du demiton, du ton, de la Tierce-mineure, de la majeure, de la Quarte & de la Quinte en montant & en descendant, selon les diuers accents, ou les diuers mouuemens dont ils se seruent tantost dans vn lieu, & tantost en vn autre. De là vient que quelques excellens Musiciens tiennent que les discours esquels ces interualles se rencontrent sont des Faux-bourdons, & qu'ils peuuent estre mis au nombre des airs : ce qui se verifie de quelques Predicateurs qui parlent quasi comme s'ils chantoient, c'est pourquoy leur discours en est moins agreable, & moins profitable.
Neanmoins il n'y a nul discours tellement reglé qu'il monte ou descende par tous les interualles des airs, à sçauoir par tons, & demitons, &c. car il monte le plus souuent par des interualles insensibles, ou inconnus, quoy que l'on peût les discerner si l'on y prenoit garde : or tous les interualles des airs ou des chansons sont si bien reglez, qu'on ne manque iamais à les faire en tous les lieux où ils sont marquez ; d'où l'on a pris le prouerbe, cela est reglé comme vn papier de Musique : ce qui monstre que les Airs, & par consequent la Musique, garde vn ordre beaucoup mieux reglé que les discours qui n'ont rien d'arresté, & qui suiuent l'imagination, & l'intention de celuy qui parle.
PROPOSITION II. L'air est vn mouuement, vne conduite, ou saillie des sons, ou de la voix par les interualles artificiels que les Musiciens ont estably, à sçauoir par les Demitons, les Tons, les Tierces, &c. dont nous expliquons les mouuemens & les passions de nostre ame, ou celles du sujet & de la lettre.
Secondement i'ay dit, par interualles artificiels [dans le titre de cette proposition], car encore que la nature semble nous donner les interualles de la Diatonique, à sçauoir le ton majeur & le mineur, & le semiton majeur, neanmoins on se pourroit seruir d'autres interualles, comme de la Sesquisixiesme, Sesquiseptiesme, &c. dont ie parle ailleurs : ce qui reussiroit peut estre fort bien, particulierement quand on chante les airs d'vne seule ou tout au plus de deux voix […]
Il faut donc considerer la nature des airs tristes, qui consiste en plusieurs choses : car la voix des airs tristes represente la langueur & la tristesse, par sa continuation, par sa foiblesse & par ses tremblemens : & les demitons & dieses representent les pleurs & les gemissemens à raison de leurs petits interualles qui signifient la foiblesse : car les petits interualles qui se font en montant ou descendant, sont semblables aux enfans, aux vieillards & à ceux qui reuiennent d'vne longue maladie, qui ne peuuent cheminer à grand pas, & qui font peu de chemin en beaucoup de temps ; par exemple lors que l'on fait le demiton maieur en montant, l'on fait vn mouuement qui ne monte que de la quinziesme partie de la voix precedente, & quand l'on monte d'vn demiton mineur, l'on n'aduance son chemin que d'vne vingt-quatriesme partie du son qui precede.
Ie laisse plusieurs autres choses, dont la consideration est remarquable, par exemple pourquoy la quinziesme & la vingt-quatriesme partie d'vn mouuement est plus propre pour les chants tristes, que la huictiesme, ou [p175] neufiesme partie, car l'on n'adiouste qu'vne quinziesme partie de mouuement pour faire le demiton maieur, & vne 24. pour faire le mineur, qui sont propres pour representer la tristesse ; au lieu que l'on adiouste 1/8 pour le ton maieur, & 1/9 pour le ton mineur dont l'on vse pour les Chants gays. Or il faut remarquer que le Chant est d'autant plus triste qu'il a dauantage de demitons qui se suiuent, & consequemment que la Chromatique est propre pour chanter les airs tristes, & la Diatonique pour chanter les gays ; & qu'il est tres-difficile de sçauoir si le demiton mineur est plus triste que le demiton maieur, & de combien il est plus propre pour exprimer la tristesse : ce que l'on peut semblablement dire de la diese Enharmonique.
La troisiesme chose est, que ie ne desire pas que l'on prenne les dictions demonstrer et determiner dont i'vse souuent au commencement des Propositions, au mesme sens, & en la mesme signification qu'en Geometrie, mais seulement comme l'autre diction à sçauoir, ou examiner &c. dont ie me sers pour mesme suiet, car ie sçay qu'il est trop difficile de pouuoir demonstrer aucune chose dans la Physique, si l'on prend la demonstration à la rigueur. C'est pourquoy chacun est libre de suiure telle opinion qu'il voudra selon les raisons les plus vrayes semblables : par exemple, ceux qui aymeront mieux tenir que tous les tons & les demitons doiuent estre esgaux (lesquels i'explique dans l'onziesme Proposition du liure des Dissonances) comme fait Steuin au commencement du premier liure de sa Geographie, & les Aristoxeniens d'Italie auec plusieurs autres, & non inesgaux comme les met Ptolomée, ne manqueront pas de raison ; & il sera difficile de leur demonstrer que la Quinte est iustement en raison sesquialtere, & le ton en raison sesquioctaue, ou s'il s'en faut vne milliesme partie, &c.
La derniere chose consiste à expliquer pourquoy la figure circulaire toute pleine de nombres a esté adioustée à la planche en taille douce de la XII. Proposition du second liure des Dissonances, sans aucune explication : ce qui est arriué parce qu'elle a esté grauée apres l'impression, afin de conseruer la pensée & le labeur du sieur Cornu, qui a compris toute la theorie & les raisons des interualles harmoniques dans ce petit cercle, afin d'expliquer toutes les Consonances & les Dissonances qui se trouuent sur toutes les touches de l'Epinette, ou de l'Orgue. C'est pourquoy i'adiouste icy cette explication, que l'on peut transporter dans ladite douziesme Proposition ; & pour ce suiet ie repete les treize lettres de l'Octaue diuisée en douze demitons, comme elle est sur l'Epinette, afin que l'on comprenne plus aysément toutes les raisons qui sont d'vne lettre à l'autre.
Quant aux Dissonances qui se rencontrent dans la mesme figure, elles sont contenuës dans l'autre table qui suit, dans laquelle les petites lettres Italiennes signifient les degrez Chromatiques, quoy qu'elles soient sans les caracteres des dieses. ♮ à D, G à ♮, C à E de 32 à 27 Tierce mineure diminuée d'vn comma. D à G, f à ♮ 27 à 20 Quarte diminuée d'vn comma. ♮ à f, e à f, F à g 75 à 64 Tierce mineure diminuée d'vne diese. e à G 81 à 64 Tierce maieure trop grande d'vn comma. B à G, D à ♮, d à C 27 à 16 Sexte maieure trop grande d'vn comma. e à B, 405 à 256 Sexte maieure diminuée d'vn limma. e à c, B à g 225 à 128 Septiesme mineure diminuée d'vne diese. F à e, G à F, g à f, ♮ à A, C à B, E à D, 15 à 9 Septiesme mineure diminuée d'vn comma. g à F, f à e, c à B, 128 à 75 Sexte maieure trop grande d'vne diese. ♮ à f, G à D, 40 à 27 Quinte diminuée d'vn comma. G à e, 128 à 81 Sexte mineure diminuée d'vn comma. f à B, c à F, g à c, 32 à 25 Tierce maieure trop grande d'vne diese. C à f, G à c, 25 à 18 Quarte trop grande d'vn demiton mineur. c à e, g à B, 256 à 225 Ton mineur trop grand d'vne diese. c à G, f à C, 36 à 25 Quinte diminuée d'vn demiton mineur. c à g, 675 à 512 Tierce maieure augmentée d'vn demiton moyen. E à B, g à D, A à e, ♮ à F, 64 à 45 Quinte diminuée d'vn demiton moyen. g à e, 1024 à 675 Sexte mineure diminuée d'vn demiton moyen. ♮ à e, 512 à 405 Quarte diminuée d'vn demiton moyen. B à f, C à g, F à c, 25 à 16 Sexte mineure diminuée d'vne diese. B à E, e à A, F à ♮, D à g, 45 à 32 Quarte augmentée d'vn demiton moyen. Or il n'est pas necessaire d'expliquer les raisons des demitons & de la diese, puis que i'en parle tres-amplement dans la seconde Proposition du liure des Dissonances.
Mais ie veux encore donner vne autre figure qui contiendra les trois precedentes, & tous les degrez qui sont dans la [p004] Vingtdeuxiesme, dont la premiere colomne a 22 notes, la seconde contient les nombres qui expliquent les raisons de chaque degré suiuant la vraye Theorie, qui met l'inégalité des sons, c'est à dire qui met le ton majeur & le mineur, & consequemment les Tierces & les Sextes iustes, & qui vsent des moindres nombres pour signifier le moindre nombre des retours que font les plus longues ou les plus grosses chordes, & des plus grands pour exprimer le plus grand nombre des retours que font les moindres chordes ; ce qui n'arriue pas à la troisiesme colomne, à raison qu'elle a les nombres Pythagoriques, qui n'ont que le ton majeur, & qui n'ont point d'autre demiton que le Pythagorique, dont nous parlerons ailleurs. [Consonances. Nombres Legitimes. Nombres Pythagoriques. Notes. Consonances. Dissonances. VT, RE, MI, FA, SOL, LA, BI]
PROPOSITION VIII. A sçauoir si les moindres raisons prennent leur origine des plus grandes, ou les plus grandes des moindres ; & consequemment si les moindres interualles de la Musique, comme les tons & les demitons, viennent des plus grands, par exemple de l'Octaue, ou si l'Octaue prend son origine desdits interualles.
Secondement les lignes prennent leur origine des points, & les figures des lignes, et non au contraire. Or les Consonances sont semblables aux figures ou aux lignes, & les tons ou demitons dont elles sont composees sont semblables aux lignes ou aux points : d'où il s'ensuit que les Consonances dependent des moindres interualles, & consequemment que les moindres interualles sont plus simples que les plus grands.
Or ce que l'on appelle le Clauier en l'Epinette, est composé de plusieurs morceaux de bois longs & plats par le bout, qui sont arrangez selon l'ordre des tons & des demy tons de Musique, & se meuuent de haut en bas entrans dans le corps de l'Epinette ; & sur l'extremité du bout, qui est caché au dedans, il y a vn autre petit morceau de bois qui sert à toucher les chordes, & qui se nomme sautereau, à cause de son vsage, car il saute quand on iouë de l'Epinette.
Quant au Clauier, (qui contient toutes les marches, dont les principales ou diatoniques sont marquees de leurs propres lettres) i'ay osté l'ais de dessus, qui se pose sur la ligne V X, afin que l'on veist le bout des petites pointes de fer qui attachent les marches, dont les Chromatiques ou les Feintes sont beaucoup plus etroites. Or chaque Octaue de l'Epinette a 13. notes, comme l'on void aux 13. qui sont grauees sur l'ais Q R, lequel se leue pour fermer le clauier, & qui appartiennent à la premiere octaue marquee par C sol vt fa : ce qui est si aysé à entendre qu'il n'est pas besoin de nous y arrester : car il suffit d'auoir des yeux pour voir les 12 demy tons esquels cette octaue est diuisée par le moyen des dieses, qui sont entre les notes diatoniques, & qui representent les feintes du clauier.
Le coffre, ou l'assemblage du Clauecin est E F G H B D K, & C A I est le lieu sur lequel sont les marches, dont les branches esgales à la branche h k, sont cachées par la piece de deuant, sur laquelle i'ay mis l'estendüe du clauier par les lettres ordinaires de la main harmonique C D E F, &c. qui signifient C fa vt, D sol re, &c. & qui appartiennent aux 29. marches principales, ou Diatoniques, qui sont marquées des nombres 1, 2, 3, &c. Quant aux feintes qui sont entre les grandes marches, & qui seruent pour faire les demy tons, ou les degrez chromatiques, il y en a vingt, dont la premiere est la feinte de c, [p112] c'est pourquoy il est marqué d'vn c auec vne diese, ce qui arriue semblablement aux feintes qui suiuent par exemple à celle de D, de F, &c.
Les 29. nombres, dont chacun est vis à vis de chaque note, monstrent l'ordre desdites notes, qui toutes sont esloignées l'vne de l'autre d'vn demy ton : de sorte que ie ne pense pas qu'il y ayt autre chose necessaire pour entendre tout ce qui appartient à cet instrument.
Ie viens au couuercle E G F D [du manichordion], sur lequel l'on void vne Octaue grauee, laquelle est remplie de tous les degrez Diatoniques, Chromatiques, & Enharmoniques que l'on peut s'imaginer, ou qui peuuent seruir à perfectionner & augmenter l'harmonie, & les gentillesses des instrumens : car chaque ton y est diuisé en quatre dieses, & chaque demy ton en deux.
Car l'on void les interualles, qui sont entre chaque note, ou diction, & consequemment les touches, qui font les Consonances, ou les Dissonances dans leur iustesse : ce que i'explique encore dans la table qui suit, & qui commence par le C sol vt fa d'en bas. [C sol vt fa, Semiton mineur, ♮ mi, demiton moyen, B fa, demiton maieur, A mi la re, demiton mineur, x a, diese, x g, demiton mineur, G re sol vt, demiton moyen, x g, diese, x f, demiton mineur, F vt fa, demiton maieur, E mi la, demiton mineur, x e, diese, x d, demiton mineur, D la re sol, demiton moyen, x d, diese, x c, demiton mineur, C sol vt fa].
Or ce que i'ay dit de la grosseur, & du diametre des chordes de l'Epinette, & de la Harpe dans ces deux tables, peut estre appliqué aux chordes du Luth, & des Violes, quoy que leurs chordes ne soient pas ordinairement differentes en longueur : car si l'accord des Violes va de Quarte en Quarte, la seconde doit estre moins grosse d'vn tiers que la premiere ; c'est à dire que si la premiere chorde a quatre parties de grosseur, la seconde en doit auoir trois ; & si l'accord [p123] estoit de ton en ton, comme dans la Gamme, ou de demy ton en demy ton, comme sur l'Epinette, la seconde chorde doit estre moins grosse que la premiere d'vne huictiesme, ou d'vne quinziesme partie ; c'est à dire que la diminution des grosseurs suit la raison des interualles harmoniques, si l'on veut que l'instrument rende vne parfaite harmonie, particulierement lors que l'on touche les chordes à vuide, comme l'on fait sur la Harpe, & sur l'Epinette, & quelquefois sur le Luth, sur la Viole, & sur la Guiterre.
Neufiesme Regle [pour faire toutes sortes d'accords]. Si les chordes sont de differente matiere ; par exemple de leton, de boyau, d'acier, d'or & d'argent, il faut premierement les mettre à l'vnisson auec des forces cogneuës, puis il faut suiure les regles precedentes. Or pour les mettre à l'vnisson, ie suppose l'experience, qui monstre que le son de celle d'acier tenduë auec 3 liures à mesme raison au son des chordes d'or, d'argent & de cuiure, que les nombres qui sont vis à vis de chaque chorde de la table qui suit, par lesquels on void que l'or fait la Quarte en bas auec celle d'argent, que celle d'argent fait le ton maieur auec l'acier, qui fait le semi-ton maieur en haut auec celle de cuiure, laquelle fait le Triton auec l'or, qui fait la Quinte auec l'acier ; les lettres E, A, B, ♮ monstrent que le son de la chorde d'or est en E mi la, de l'argent en A mi la re, du cuiure en B fa, & de l'acier en ♮ mi. Mais pour les mettre à l'vnisson, supposé que la chorde d'acier soit tenduë auec 3 liures, il faut tendre celle d'or auec 6 3/4 liures, & 1/16 : c'est à dire 6 onces, vn gros & demy, qui font 7 liures, 2 onces, vn gros, & 1/2 : celle d'argent doit estre tenduë auec vn poids, qui soit à 3 liures, comme 81 est à 64, suiuant la raison doublée du ton maieur, & ainsi des autres. Or la tablature qui suit, contient 4 tables pour seruir aux sourds, laquelle est si facile qu'il n'est pas besoin de l'expliquer.
Tablature harmonique pour les sourds. [Les 8 sons, ou notes de l'Octaue : VT, RE, MI, FA, SOL, RE, MI, FA - Les 7 degrez de l'Octaue : ton mi., ton mai., sem. mai., ton mai., ton mi., ton mai., semi. maj. - Table I. La tension des chordes proportionnées selon la raison doublée des interualles. - Table II. La grosseur des chordes proportionnée selon la raison simple des interualles. - Table III. La longueur des chordes proportionnées selon la raison simple des interualles. - Table IV. La Tension des chordes proportionnées selon la raison simple des interualles].
PROPOSITION X. Determiner si l'on peut accorder le Luth, la Viole, l'Epinette & les autres instrumens à chordes, sans se seruir des sons, ny des oreilles, par la cognoissance des differens alongemens que souffrent les chordes. Cette proposition a besoin de quelques suppositions, dont la verité depend de l'experience & de la raison, car il faut sçauoir qu'elle raison il y a des differens racourcissemens des chordes aux sons differens quant au graue & à l'aigu, c'est à dire qu'il faut cognoistre combien il faut tourner la cheuille pour faire monter la chorde au second, trois, & quatriesme ton, supposé que l'on sçache combien il la faut tourner pour la mettre au premier, ou au second : & si, par exemple, vne force la fait racourcir d'vn doigt, combien 2, 3, ou 4 forces, &c. la feront racourcir : cecy estant posé, l'on peut marquer les chordes auec de petits points à chaque lieu, afin que les points respondent à [p129] certains lieux de l'instrument, qui feront voir quand les chordes seront d'accord, mais vne seule marque imprimée sur la chorde suffit pour cognoistre de combien de tons elle monte, ou descend, pourueu que l'on puisse mesurer son racourcissement, ou son alongement par le moyen de cette marque, ou des tours de la cheuille ; ce que l'on fera aysément si l'on compare la marque de la chorde auec quelqu'autre marque de la Table de l'instrument, qui fera recognoistre combien la chorde s'alonge, on se doit alonger à chaque ton, ou demy-ton.
Neantmoins parce que la chorde, dont on s'est desia seruy, & qui s'est estenduë & alongée, à souffert de l'alteration, & qu'elle s'estend plus facilement la seconde fois que la premiere, & la troisiesme fois plus facilement que la seconde, & ainsi consequemment, comme on remarque à toutes sortes de chordes, qui s'alongent de plus en plus auec le temps, encore qu'on ne leur donne point de nouuelle tension, il n'est pas possible d'accorder vn instrument par la cognoissance des premieres tensions que l'on a experimentées aux chordes, si quant & quant l'on ne sçait de combien l'extension de chaque chorde doit estre plus grande à la 2, 3, ou 5 fois, qu'à la premiere : c'est pourquoy il suffit icy de remarquer combien chaque chorde s'estend depuis son ton plus graue iusques à son plus aigu, auant qu'elle rompe, afin que l'on puisse conclure par la diuision de l'extension en esgales parties, combien chaque ton ou demy-ton fait plus, ou moins estendre la chorde : toutes-fois les extensions ne sont pas tousiours esgales, encore que l'on y adiouste des forces esgales, car les dernieres sont quasi tousiours plus grandes que les premieres.
L'on peut donc conclure combien les chordes des instrumens s'acourciroient, si elles n'estoient detenuës par les cheuilles ; par exemple, elles s'acourciroient d'vne qninziesme partie, quand elles montent d'vn semiton maieur. Semblablement l'on peut dire de combien les chordes, qui s'acourcissent à raison qu'elles sont libres, receuroient vne plus grande tension, si elles estoient arrestées, car la raison doublée des longueurs de la chorde en temps sec & humide donnera la tension : par exemple, si la chorde s'acourcit d'vne quinziesme partie, la raison de sa longueur en temps sec & humide sera de 16 à 15, laquelle estant doublée donne la raison de 256 à 225, c'est à dire quasi de 17 à 15 ; par consequent la chorde de la Viole qui monte d'vn demy-ton, est plus tenduë de deux parties sur 15, qu'elle n'estoit deuant, supposé qu'elle ne grossisse point par la tension, autrement il faut adiouster autant de degrez à la susdite tension, comme l'humidité a adiousté de nouuelles parties à sa grosseur.
Or chaque Octaue a 19 chordes, notes, ou caracteres, d'autant qu'on ne peut marquer la Musique à plusieurs parties sans se seruir de ce nombre dans chaque Octaue, comme i'ay prouué dans vn autre lieu. Quant à l'vsage de cette table, il est si aysé, qu'il n'est quasi pas besoin de l'expliquer, car le premier nombre de la premiere colomne, à sçauoir 6, signifie que le son le plus graue de tous les instrumens, à sçauoir le son du tuyau d'Orgue de 32 pieds, se fait par les 6 retours de la chorde, qui bat 12 fois l'air dans l'espace d'vn battement de coeur ; & les autres nombres qui suiuent, tant dans cette Octaue, que dans les 7 autres, representent tousiours le nombre des retours de chaque chorde, qui respond à chaque note, ou lettre de l'Octaue, qui est marquée à la marge : par exemple, le premier ou le moindre nombre de la 8 Octaue signifie que la plus basse chorde de la 8 Octaue fait 768. retours dans l'espace d'vn battement de poux, c'est à dire dans le temps d'vne seconde minute : & le 2 nombre de la mesme colomne, à sçauoir 800, signifie que la chorde qui a ce son, fait 800 retours dans le mesme temps. [Tablature du nombre des tremblemens que font les chordes - demy-ton mai. - demy-ton min. - comma - diese]
PROPOSITION XVIII. Tous les Musiciens du monde feront chanter vne mesme piece de Musique selon l'intention du Compositeur, c'est à dire au ton qu'il veut qu'elle se chante, pourueu qu'ils cognoissent la nature du son. Vne nouuelle maniere de marquer, & de battre la Mesure est icy expliquée. Cette proposition est l'vne des plus belles de la Musique Pratique, car si l'on enuoyoit vne piece de Musique de Paris à Constantinople, en Perse, à la Chine, ou autre part, encore que ceux qui entendent les notes, & qui sçauent la composition ordinaire, la puissent faire chanter en gardant la mesure, neantmoins ils ne peuuent sçauoir à quel ton chaque partie doit commencer, c'est à dire combien la premiere, ou les autres notes de la basse doiuent estre graues ou aiguës, d'autant que si les Chinois, par exemple, ont la voix plus graue & plus basse que les François, ils commenceront chaque partie plus bas que nous ne faisons, & s'ils l'ont plus aiguë ils commenceront plus haut. Ie sçay que l'on peut aduertir au commencement de la piece de Musique qu'elle doit estre chantée au ton de Chappelle, ou plus haut ou plus bas d'vn demy-ton, &c. Mais plusieurs ne sçauent que c'est que le ton de Chappelle, & il est trop difficile de transporter vn tuyau d'Orgue, ou quelqu'autre instrument, & bien qu'on l'enuoyast en telle façon qu'il ne perdist nullement sa forme, il parleroit plus haut ou plus bas selon le vent que l'on luy peut donner, & consequemment l'on n'auroit pas vne entiere certitude du graue & de l'aigu du son. Or le Compositeur donnera vn signe certain & vniuersel du ton, auquel il desire que l'on chante sa Musique, ou telle autre qu'il voudra, s'il met vis à vis de l'vne des notes de la Basse, ou des autres parties, le nombre des battemens de l'air qui fait le son ; par exemple s'il met 96 vis à vis de la premiere note de l'air du Sieur Boësset, dont i'ay parlé dans la Proposition precedente, tous ceux qui sçauront la nature du son, ou la maniere dont il se fait, chanteront la Musique proposée selon son intention, ou celle de quelqu'autre Compositeur, & chaque partie prendra le ton suiuant leur desir.
Or il faut remarquer que les plus grands nombres signifient les sons plus sourds ou plus graues, & les moindres les plus aigus : & qu'il est tres-facile de sçauoir quelles consonances ou dissonances font tous ces metaux les vns auec les autres, car puis que l'on void les nombres qui representent leurs sons, il faut seulement considerer la raison de ces nombres. Quant au iugement de l'oreille, la chorde d'or fait la Quinte forte auec la chorde de fer : auec lequel l'or meslé fait la Quinte foible. L'argent fait le ton maieur auec le fer, auec lequel le cuiure fait le semiton maieur : l'argent auec le cuiure fait le ton mineur. L'or fin fait la Quinte diminuée auec le cuiure, qui fait le Triton auec l'or meslé. Finalement l'or fin fait la Quarte iuste auec l'argent, & la diminuée auec l'or meslé : mais si l'on veut trouuer ces comparaisons plus iustement que par l'oreille, il se faut seruir des nombres qui ont tous esté marquez par le moyen de l'vnisson ; ce que les Practiciens comprendront plus aysément par les notes qui suiuent, & qui monstrent le son de chaque chorde du metal, dont le nom est dessouz.
Mais puis que les espreuues des estains ne peuuent estre comparées auec les chordes des autres metaux, il faut les comparer ensemble. Ie dis donc que l'estain de glace & le commun font la Quinte diminuée, l'estain de glace & le sonant font la Tierce maieure iuste, & l'estain de glace & le fin la Tierce maieure diminuée : l'estain commun fait la Tierce mineure diminuée auec le sonant, & auec l'estain fin la Tierce mineure iuste ; en fin l'estain sonant faict le semiton mineur diminué, c'est à dire la diese à peu pres, & plus d'vn comma auec l'estain d'Angleterre ou de Cornüaille, c'est à dire le fin estain. Or ie mets icy les sons de ces estains par les notes ordinaires en faueur des Practiciens, afin qu'ils n'ayent nulle peine à comprendre ce discours.
PROPOSITION XXIII. Expliquer la Tablature du Clauecin, & tout ce qui luy appartient. L'on peut vser des lettres de la tablature du Luth, & des autres instrumens du second liure pour celle de l'Epinette, puis que tous ces instrumens diuisent l'Octaue en douze demy-tons, mais puis que l'on a coustume d'vser des notes ordinaires de la Musique, tant pour le Clauecin que pour l'Orgue, ie ne veux pas changer cette pratique, quoy que ceux qui n'ont point apris la Musique se puissent seruir de nombres, ou de lettres, car puis [p163] qu'il y a 50 marches dans le Clauecin, chaque nombre signifiera chaque marche, par exemple 40 representera le son de la 40, & ainsi des autres. Or la piece de Musique qui suit a esté composée par le Roy, & mise en tablature d'Epinette par Monsieur de la Barre Organiste & ioüeur d'Epinette du Roy & de la Reyne, dont le beau toucher peut seruir d'exemple & de regle à ceux qui desirent acquerir la perfection de cet instrument, dont on peut conclure l'excellence par cette composition, dans laquelle il y a plusieurs mesures à 32, & à 64 notes : c'est pourquoy i'vse de triples & quadruples crochuës pour marquer la grande vistesse de la main qui touche souuent 32, ou 64 notes ou touches du clauier dans le temps d'vne mesure, comme i'ay souuent experimenté, c'est pourquoy ie donne icy le temps de cette mesure qui dure vn peu moins qu'vne seconde minute, c'est à dire que la 3600. partie d'vne heure, de sorte que l'autheur de cette tablature touche souuent 32 notes, & quelquefois 64 dans le temps d'vn battement de cœur, ou de poux : ce qui est tres-remarquable.
Il y a encore plusieurs autres choses dans cette tablature [du Clauecin] qui doiuent estre considerées, & particulierement quantité de tremblemens, qui enrichissent la maniere de ioüer, & y apportent des charmes, qu'il est difficile de s'imaginer si l'on ne les a entendus : neantmoins l'on s'en peut figurer vne bonne partie par le discours que i'ay fait des tremblemens du Luth. Ie laisse plusieurs choses qui appartiennent à l'Epinette, par exemple que l'on en peut mettre deux ou trois sur vne mesme table ; qu'on les peut faire descendre aussi bas que les plus grosses pedales de l'Orgue : que la diuision du ton, ou de l'Octaue en douze demy-tons esgaux ne peut seruir à cet instrument, à raison que son accord depend de la seule tension des chordes, & se iuge par l'oreille, sans que la veuë ou le toucher y puissent remedier, si ce n'est que l'on suppose des chordes tres-esgales & inalterables, & que l'on vse de poids pour les tendre suiuant les proportions harmoniques dont i'ay parlé dans la tablature des sourds, qui monstre plustost la possibilité de cet effet que sa realité & son existence. Il y a semblablement plusieurs choses à considerer dans l'alteration que font les differentes impressions de l'air sur les chordes, & dans la diuersité des sons qui depend de la diuersité des mines dont on tire le cuiure & les autres metaux pour faire les chordes.