Si l'on veut sçauoir combien de deux chordes de mesme longueur, & de mesme matiere l'vne est plus grosse que l'autre, il faut tendre la plus deliée auec vne force, & il y aura mesme raison de sa grosseur à celle de l'autre, que de la force precedente à la force qui mettra la plus grosse à l'vnisson ; par exemple, si la plus deliée est tenduë d'vne liure, & l'autre de 12, celle-cy sera plus grosse 12 fois. On treuuera la mesme chose si l'on commence par la grosse ; & si on ne veut pas prendre la peine de les tendre, & de les mettre à l'vnisson, il suffit de remarquer l'interualle de leurs sons, & leurs poids, car si celle qui est tenduë d'vn moindre poids, a le son plus aigu, elle est plus deliée ; or l'on treuuera la proportion de leurs grosseurs en considerant la raison des 2 poids, & des 2 sons ; par exemple, quand elles sont tenduës par vn mesme poids, si le son de la plus deliée fait la Quinte en haut, sa grosseur sera à celle de la plus grosse comme 4 à 9, mais parce que nous supposons que leurs tensions sont inesgales, il faut treuuer la raison de leurs tensions ; ie suppose donc que la petite ayt 3 de tension, & la plus grosse 4, leurs tensions seront comme 3 à 4, & consequemment leurs grosseurs seront comme 1 à 3, d'autant que la raison triple est composée de la raison doublée de l'interualle de leurs sons, & de la sesquialtere de leurs tensions.
Ces proportions sont fondées sur les regles de la precedente Proposition, c'est pourquoy il n'est pas necessaire de les expliquer plus amplement, car l'on peut se seruir desdites regles pour treuuer toutes sortes de grosseurs de chordes, sans vser d'autre mesure que de celle des sons, qui est la plus iuste de toutes, pourueu que l'on en vse comme il faut. Quant aux longueurs, elles ne sont pas plus difficiles à treuuer que les grosseurs, car supposé que l'on cognoisse la proportion des grosseurs, l'on treuuera les longueurs par les sons ; par exemple, si les chordes de mesme grosseur sont à l'Octaue l'vne de l'autre auec mesme poids, celle qui fait l'Octaue en haut est plus courte de moitié : mais si les poids sont differents, il en faut sçauoir la difference, puis que toutes sortes de chordes differentes tant en grosseur qu'en longueur peuuent estre mises à l'vnisson, ou à tel interualle que l'on voudra, par le moyen des differentes tensions. Or la seule application des regles de l'autre proposition oste toutes les difficultez, qui peuuent se rencontrer sur ce sujet, & chacun peut dresser des tables semblables aux precedentes, pour treuuer toutes sortes de longueurs, & de grosseurs de chordes par leurs sons.
PROPOSITION IX. A sçauoir si l'on peut cognoistre la grosseur d'vne chorde d'instrument de Musique sans en faire comparaison auec d'autres chordes. Le son ne nous peut seruir pour la resolution de cette difficulté, d'autant que nous ne pouuons comparer la chorde auec d'autres chordes, ny auec d'autres sons ; & les compas sont trop grossiers pour mesurer le diametre des [p128] chordes, qui seruent aux instrumens, comme i'ay desia remarqué ; il faut donc prendre plusieurs parties de la mesme chorde, & les arranger les vnes pres des autres, iusques à ce qu'elles couurent quelque partie notable d'vn pied de Roy, ou de quelqu'autre mesure cogneuë ; par exemple, supposé qu'il faille 3 chordes pour couurir vne ligne, qui est la 1/12 partie d'vn poulce, la chorde proposée aura 1/3 de ligne de diametre : & ce qui n'estoit pas assez sensible pour estre mesuré, sera rendu tres-sensible, & facile à mesurer en cette façon : ce qui arriue semblablement à plusieurs autres choses ; par exemple, l'on a de la peine à voir, & à mesurer vn grain de sable tres-menu, & quand on le prend auec plusieurs autres, il est facile à mesurer. Mais si l'on veut empescher que la chorde ne se gaste, il faut auoir vn cylindre, sur lequel le pied de Roy soit marqué & diuisé en lignes, afin d'enuironner ledit cylindre de plusieurs tours de chorde pour couurir tout le pied de Roy, ou vne partie notable, comme le poulce, la ligne, &c.
Si l'on veut se seruir de l'eau pour treuuer la grosseur d'vne chorde qui soit, par exemple, de cuiure, il faut remplir le vaisseau, dans lequel l'on veut enfoncer la chorde, ou marquer le lieu de dedans le vaisseau auquel touche l'eau, afin de voir combien elle fera sortir ou monter d'eau, car ayant treuué la base, ou le diametre du Cylindre d'eau esgal en hauteur à la chorde, l'on aura la grosseur de la chorde. L'on peut encore mesurer la grosseur des chordes de metal en les reduisant premierement en Cube, ou en globe, par le moyen de la fonte : mais puis que la premiere maniere conserue les chordes de metal, & de boyau en leur entier, elle est la plus vtile & la plus facile, encore qu'elle ne soit pas Geometrique, d'autant qu'en tournant les chordes autour du cylindre de bois, ou de metal, l'on peut plus ou moins presser leurs circonuolutions, & faire qu'il y en ayt plus ou moins sur le pied de Roy, selon la force dont elles sont pressées ; neantmoins l'on approchera plus pres de leur veritable grosseur par ce moyen, que par nul autre, ce qui suffit en cette matiere, où les choses ne peuuent pas estre trouuées plus exactement par la mechanique. Mais ie parleray plus amplement de la differente maniere de peser toutes sortes de corps, & d'en sçauoir la grandeur par le moyen de l'eau dans le liure des Cloches : & l'on peut voir ce que i'en ay dit dans les liures de la Theorie.
PROPOSITION X. Determiner si l'on peut accorder le Luth, la Viole, l'Epinette & les autres instrumens à chordes, sans se seruir des sons, ny des oreilles, par la cognoissance des differens alongemens que souffrent les chordes. Cette proposition a besoin de quelques suppositions, dont la verité depend de l'experience & de la raison, car il faut sçauoir qu'elle raison il y a des differens racourcissemens des chordes aux sons differens quant au graue & à l'aigu, c'est à dire qu'il faut cognoistre combien il faut tourner la cheuille pour faire monter la chorde au second, trois, & quatriesme ton, supposé que l'on sçache combien il la faut tourner pour la mettre au premier, ou au second : & si, par exemple, vne force la fait racourcir d'vn doigt, combien 2, 3, ou 4 forces, &c. la feront racourcir : cecy estant posé, l'on peut marquer les chordes auec de petits points à chaque lieu, afin que les points respondent à [p129] certains lieux de l'instrument, qui feront voir quand les chordes seront d'accord, mais vne seule marque imprimée sur la chorde suffit pour cognoistre de combien de tons elle monte, ou descend, pourueu que l'on puisse mesurer son racourcissement, ou son alongement par le moyen de cette marque, ou des tours de la cheuille ; ce que l'on fera aysément si l'on compare la marque de la chorde auec quelqu'autre marque de la Table de l'instrument, qui fera recognoistre combien la chorde s'alonge, on se doit alonger à chaque ton, ou demy-ton.
Neantmoins parce que la chorde, dont on s'est desia seruy, & qui s'est estenduë & alongée, à souffert de l'alteration, & qu'elle s'estend plus facilement la seconde fois que la premiere, & la troisiesme fois plus facilement que la seconde, & ainsi consequemment, comme on remarque à toutes sortes de chordes, qui s'alongent de plus en plus auec le temps, encore qu'on ne leur donne point de nouuelle tension, il n'est pas possible d'accorder vn instrument par la cognoissance des premieres tensions que l'on a experimentées aux chordes, si quant & quant l'on ne sçait de combien l'extension de chaque chorde doit estre plus grande à la 2, 3, ou 5 fois, qu'à la premiere : c'est pourquoy il suffit icy de remarquer combien chaque chorde s'estend depuis son ton plus graue iusques à son plus aigu, auant qu'elle rompe, afin que l'on puisse conclure par la diuision de l'extension en esgales parties, combien chaque ton ou demy-ton fait plus, ou moins estendre la chorde : toutes-fois les extensions ne sont pas tousiours esgales, encore que l'on y adiouste des forces esgales, car les dernieres sont quasi tousiours plus grandes que les premieres.
L'experience fait voir que les chordes de Luth s'estendent pour le moins d'vne vingtiesme partie, auant qu'elles rompent, car la chanterelle qui a cinq pieds de long, & que l'on tend auec vne demie liure, s'estend de trois poulces ou enuiron, depuis l'extension qu'elle reçoit de cette demie liure iusques à ce qu'elle rompe par la force de trois liures & demie. Et apres qu'elle est tenduë par vne demie liure, la seconde demie liure que l'on y adiouste la faict alonger d'vn demy poulce, & la troisiesme la fait encore alonger d'vn autre demy poulce, & ainsi consequemment iusques à ce qu'elle se rompe, n'y ayant point d'autre difference, sinon que les derniers alongemens sont vn peu plus grands que les premiers. Quant aux chordes de leton, & des autres metaux, elles s'alongent beaucoup moins que celles de boyau, d'autant que leurs fibres ne sont pas susceptibles de si grands alongemens, que les filamens de celles de boyau qui s'alongent quasi de la mesme façon que la glus, & les filets des arraignées, parce qu'ils sont composez d'vne grande multitude de parties spermatiques.
PROPOSITION XI. Determiner de combien l'air est plus sec, ou plus humide chaque iour par le moyen des sons, & des chordes. L'Experience fait voir que les chordes de la Viole montent plus haut en temps humide que quand le temps est sec, car elles se haussent d'vn ton, d'vne Tierce, ou d'vne Quarte, quand le temps est humide & pluuieux ; cecy posé, il faut voir si l'on peut dire que l'air, ou le temps soit d'autant plus humide que les chordes montent plus haut : c'est à dire, si quand vne chorde monte plus haut d'vne Tierce maieure, dont la raison est de 4 à 5, l'air est plus humide d'vne quatriesme partie qu'il n'estoit deuant ; car le plus grand terme de la Tierce maieure est plus grand d'vn quart que son moindre terme, or la chorde qui faisoit le moindre terme de cette Tierce en temps sec fait son plus grand terme en temps humide, & consequemment elle bat cinq fois l'air en temps humide, qu'elle ne battoit que 4 fois en temps sec.
Ce qui arriue parce que le temps humide l'enfle & l'acourcit [la chorde], ou la tend dauantage qu'elle n'estoit tenduë en temps sec, de sorte qu'on peut dire que l'humidité la racourcit d'vne quatriesme partie, puis qu'il faut qu'vne chorde soit plus longue d'vn quart pour faire la Tierce maieure, bien que ce racourcissement ne paroisse pas en longueur, d'autant qu'vne plus grande tension recompense ce racourcissement ; car ie parle icy des chordes, qui sont arrestées par deux cheualets, & qui ne peuuent s'alonger. Il n'est pas besoin de considerer si la chorde est plus grosse en temps humide, car cela n'est pas sensible, & si peu de grosseur n'apporte quasi point de difference au son : c'est pourquoy il faut seulement considerer la plus grande tension de la chorde, à laquelle le temps humide apporte autant comme si on augmentoit sa tension, car quand vne chorde est tenduë par le poids d'vne liure, il faut la tendre par vne liure & 9 onces pour la faire monter à la Tierce maieure, d'autant qu'il faut doubler la raison de cette Tierce, comme i'ay dit ailleurs. Et si elle monte d'vn ton maieur, elle fait autant comme si l'on adioustoit 17/64 d'vne liure au poids de la liure qui la tendoit en temps sec.
Il est tres-aysé de treuuer toutes les autres tensions que font les differents degrez de l'humidité, en doublant les raisons comme i'ay dit : mais il est tres-difficile de sçauoir si les degrez de cette humidité suiuent les raisons des sons, ou des poids : c'est à dire si l'humidité est comme 9, & 8, quand elle fait les deux sons du ton maieur, ou si elle suit la raison doublée du ton, ou la raison triplée des solides, de sorte qu'on puisse dire que le temps est plus humide d'vne huictiesme partie, quand la chorde se hausse d'vn ton ; ou plus humide de 17 parties sur 64, parce que la raison sesquioctaue estant doublée fait la raison sur dix-sept partissante soixante quatre : ou plus humide de 217 parties sur 512, parce que la raison sesquioctaue estant triplée donne la raison sur deux cens dix-sept partissante cinq cens douze.
Mais il faut considerer d'autres choses dans la differente matiere des chordes, car les chordes de boyau, ou de fil de chanure s'alterent, & s'enflent plus facilement, & plus sensiblement que les chordes d'acier, d'airain, ou d'argent : d'autant que les metaux ne sont pas si poreux, & si mols comme les chordes de boyau, c'est pourquoy il faut se seruir de celles-cy, pour iuger si l'air est plus humide ou plus sec, parce que celles d'airain ne changent pas leur son si facilement sur l'Epinette, que celles de boyau sur la Viole. D'ailleurs la chorde de boyau peut auoir vne si grande humidité, qu'elle se laschera plustost qu'elle ne se tendra, ce qui monstre qu'il est difficile d'establir quelque chose de certain sur cet accident, & sur cette experience. Or l'on peut icy considerer deux ou trois accidens des chordes, car elles deuiennent plus courtes, ou plus grosses, ou elles font vn son plus aigu. Quant à leur racourcissement on remarque que les chordes, dont on vse pour sonner les cloches, sont plus courtes à l'hyuer qu'à l'esté, ce qui arriue semblablement à celles qui sont suspenduës aux voultes des Eglises pour abbaisser les lampes, comme l'on remarque dans les Eglises Cathedrales, dont les voultes sont fort esleuées, dans lesquelles lesdites chordes s'acourcissent à l'hyuer d'vne toise, ou enuiron.
Busbeque Ambassadeur à Constantinople pour Ferdinand Roy des Romains, recite vne chose tres-remarquable sur ce sujet dans sa premiere Epistre, à sçauoir qu'vn ingenieur, qui auoit entrepris de leuer vn obelisque sur vn piedestal, ayant recogneu que les chordes de ses Machines estoient trop longues d'vn poulce, les arrosa d'eau, laquelle les feist accourcir autant comme il falloit pour faire reüssir heureusement son entreprise, ce qui luy donna vn grand credit parmy le peuple, qui commençoit à se mocquer de luy ; & ce qui fait voir la difference d'vn ingenieur ordinaire, d'auec celuy qui cognoist la nature des choses. Quant à la grosseur, on peut trouuer de combien elle s'augmente, lors que l'on sçait le racourcissement : car supposé, par exemple, qu'elle s'acourcisse d'vne 20. partie, elle se grossira aussi d'vne 20. partie ; & si elle s'acourcit de moitié, elle se grossit de moitié ; si ce n'est qu'elle reçoiue seulement des condensations differentes souz mesme volume, de sorte qu'elle soit tousiours de mesme grosseur, & que cette grosseur soit seulement plus rare en temps sec, & plus dense & solide en temps humide. Quant à la tension, l'on en peut iuger en deux façons, premierement par le son, car si la chorde d'vn instrument de Musique monte plus haut d'vne Quarte, elle enseignera de combien sa tension s'est augmentée, c'est à dire que la tension de la chorde en temps humide sera à la tension de la mesme chorde en temps sec, comme 16 est à 9, car il faut que les tensions, & les forces qui font les tensions, soient doublées des simples raisons que gardent les interualles harmoniques, comme i'ay demonstré dans vn autre lieu.
Mais si l'on suppose que la chorde deuienne plus grosse en temps humide à mesme proportion qu'elle s'acourcit, il faudra autant augmenter sa tension, comme la grosseur s'est augmentée : c'est à dire que si sa grosseur s'est augmentée d'vne vingtiesme partie, il faudra augmenter sa tension d'vne vingtiesme partie pour expliquer les interualles, ausquels la chorde est montée. Par exemple, au lieu d'appliquer les tensions de 16 à 9 à la chorde susdite, si la chorde s'est grossie d'vne 20 partie, il faudra adiouster la raison de 21 à 20 à la raison de 16 à 9, pour sçauoir la tension de la chorde en temps humide, car les [p132] simples raisons des tensions recompensent les differentes grosseurs des chordes. Si les sons montent à mesme proportion que les chordes des cloches, & que toutes les autres s'acourcissent en temps humide, ou en hyuer, il est facile de sçauoir combien les chordes des instrumens monteront, car si elles se racourcissent d'vne 8. partie, les instrumens auront monté d'vn ton maieur, d'autant que la chorde a 9 parties en temps sec, & n'en a que 8 en temps humide : il est facile d'adiouster plusieurs autres exemples.
L'on peut donc conclure combien les chordes des instrumens s'acourciroient, si elles n'estoient detenuës par les cheuilles ; par exemple, elles s'acourciroient d'vne qninziesme partie, quand elles montent d'vn semiton maieur. Semblablement l'on peut dire de combien les chordes, qui s'acourcissent à raison qu'elles sont libres, receuroient vne plus grande tension, si elles estoient arrestées, car la raison doublée des longueurs de la chorde en temps sec & humide donnera la tension : par exemple, si la chorde s'acourcit d'vne quinziesme partie, la raison de sa longueur en temps sec & humide sera de 16 à 15, laquelle estant doublée donne la raison de 256 à 225, c'est à dire quasi de 17 à 15 ; par consequent la chorde de la Viole qui monte d'vn demy-ton, est plus tenduë de deux parties sur 15, qu'elle n'estoit deuant, supposé qu'elle ne grossisse point par la tension, autrement il faut adiouster autant de degrez à la susdite tension, comme l'humidité a adiousté de nouuelles parties à sa grosseur.
Or l'on peut disposer les chordes en deux manieres pour treuuer les proportions, & les differences des humiditez du temps ; premierement en les suspendant, comme sont les chordes des cloches & des lampes, car si l'on graduë la muraille ou le bois, à qui elles respondent, c'est à dire, si l'on diuise le plan, vis à vis duquel elles sont suspenduës, en plusieurs parties esgales, dont la plus basse soit à niueau du bout de la chorde, quand elle a sa plus grande longueur, & la plus haute soit à niueau du lieu, où la chorde est la plus courte, les degrez du milieu marqueront les differents racourcissements de la chorde, & consequemment les differents degrez de l'humidité, ou de la seicheresse, comme les degrez du Verre Calendaire, que l'on appelle Themoscope, montrent les degrez du froid & du chaud ; ce que i'explique par la chorde A B C, dont la plus grande longueur est A C, & la moindre A B, de sorte quelle a l'espace B C, pour son racourcissement, lequel on peut diuiser en tant de parties que l'on voudra, afin de sçauoir si le temps est plus humide de 2, 3, ou 4, degrez, quand la chorde s'acourcit d'autant de parties.
Secondement, on peut se seruir des chordes, qui sont arrestées par les deux bouts, comme sont celles de la Viole, du Luth & des autres instrumens à chorde, car si on suspend vn poids au milieu de la chorde, & qu'on diuise le plan, vis à vis duquel la chorde descend qui tient le poids suspendu, de sorte que la plus basse diuision soit à niueau du poids, on verra les differents degrez de l'humidité par les differentes esleuations du poids, comme on recognoist les differents degrez de lumiere, & de chaleur par les differentes esleuations du Soleil. Mais parce que nous ne sçauons pas si de tous les degrez d'humidité chacun fait racourcir les chordes esgalement, c'est à dire si le 2 degré les fait autant racourcir comme le 1, le 3 comme le 2, &c. l'on ne peut determiner cette difficulté qu'en general pour les differents degrez d'humidité.
COROLLAIRE II Quand les chordes s'acourcissent par l'humidité, il semble que toutes leurs parties se r'acourcissent esgalement, supposé que l'air qui les enuironne soit esgalement humide par tout, car il n'y a nulle raison qui empesche cette esgalité lors que la chorde pend librement en bas, ou qu'elle porte vn fardeau bien leger : mais lors qu'elle est arrestée & tenduë sur le Monochorde, ou sur les autres instrumens, elle peut s'enfler dauantage vers le milieu, où il semble qu'elle endure moins de violence, parce qu'elle est plus molle en ce lieu que pres des cheualets, & consequemment elle est plus susceptible de l'humidité de l'air ; quoy que l'on puisse obiecter que la chorde est plus ouuerte & plus poreuse aux lieux où elle est la plus dure, & où elle est, ce semble, plus bandée, mais toutes ces difficultez sont traictées dans vn autre lieu.
COROLLAIRE III Il semble que l'enflement des chordes se fait par l'eau, ou par les vapeurs qui s'insinuent dans les pores des chordes, quand elles ne s'acourcissent point, ce qui fait que toutes les parties de la chorde endurent vne plus grande violence, parce que chaque partie d'humidité contraint chaque partie de la chorde de luy faire place, & de s'estendre plus fort que deuant, ou en d'autres lieux que celuy qu'elle occupoit, & qui luy estoient propres & naturels ; mais quand elles s'acourcissent, il semble qu'elles fassent la mesme chose qu'vn homme qui se racourcit, & qui rassemble les parties de son corps le mieux qu'il peut lors qu'il a grand froid, ou qu'il se prepare au combat : ce que l'on remarque semblablement aux insectes, & aux vers qui rampent sur la terre, car ils se ramassent & s'acourcissent pour se rendre plus forts, pour euiter les coups & pour se conseruer. Or apres auoir consideré toutes ces particularitez des chordes, il faut voir de quelle longueur elles doiuent estre sur l'Epinette, & sur les autres instrumens pour faire des sons dont l'oreille puisse iuger, & comme l'on peut determiner leur ton quand l'oreille ne peut l'apperceuoir.
PROPOSITION XII. Determiner quelle grosseur, & longueur doiuent auoir les chordes des instrumens pour faire des sons agreables, & dont on puisse iuger à l'oreille : & comme l'on peut sçauoir le ton, ou le son de toutes sortes de chordes, quand elle sont trop longues, trop lasches, ou trop courtes pour faire des sons, qui puissent estre ouys. L'Experience fait voir que les chordes qui sont trop longues, ou trop courtes ne font point de ton sensible, ou qu'il n'est pas agreable si elles en font ; par exemple, si l'on estend vne chorde de Luth de 12 pieds de long, elle ne peut faire de son dont l'oreille puisse iuger, c'est pourquoy ceux qui font les instrumens de Musique les proportionnent à la longueur & à la grosseur des chordes. Or la chorde dont le diametre est 1/6, ou 1/5 de ligne, comme est la plus grosse des Epinettes ordinaires, à 4, ou 5 pieds de long, & les autres sont longues & grosses à proportion de celle-la, qui leur sert de regle : de sorte qu'il faut que la longueur de la chorde soit à sa grosseur comme 3456 à 1, puis qu'il y a 3456/6 de ligne dans 4 pieds : & si l'on mesure les plus grosses chordes des plus grands Tuorbes, & des Luths, l'on trouuera qu'elles n'ont pas plus de 4 pieds de long depuis le sillet iusques au cheualet, & l'on sçaura la raison de leur longueur à leur grosseur, lors que l'on aura pris leur diametre. Mais pour sçauoir la vraye raison que doit auoir la longueur de la chorde à sa grosseur pour faire les meilleurs sons de tous les possibles, il faut supposer l'experience ; & parce que les Epinettiers disent que les chordes de mesme grosseur que les plus grosses de l'Epinette, ou du Clauecin ordinaire sonnent parfaitement quand on leur donne 4, ou 4 & demy, ou 5 pieds de long, l'on peut retenir l'vne de ses proportions ; & parce que la chorde de 5 pieds de long peut auoir 1/4, ou 1/3 de ligne en diametre, la meilleure proportion de la longueur à la grosseur sera de 2440, ou de 2160 à 1.
Quant à la seconde partie de la Proposition, elle est tres-aysée à resoudre, puis que nous auons expliqué la maniere de sçauoir combien chaque chorde donnée tremble de fois en vn temps donné, c'est à dire combien elle fait de tours & de retours ; car puis que le graue, ou l'aigu du son est mesuré & determiné par les nombres des tremblemens de chaque chorde, l'on ne peut cognoistre ledit nombre, que l'on ne sçache quant & quant la qualité du son, c'est à dire quel lieu il tient dans le Systeme harmonic. Ce que l'on comprendra plus aysément par exemples, que par de plus longs discours. Ie suppose donc qu'vne chorde de Luth ou d'Epinette ayt 15 pieds de long, & qu'elle soit trop longue pour iuger auec l'oreille du son qu'elle fait : or si on la tend auec vne force de 6 liures, elle fera 10 retours dans vne seconde minute, & parce que le son qui respond au ton de Chappelle est fait par 60 retours dans l'espace de ladite seconde, l'on sçaura que le son de 10 retours est plus bas d'vne dix-neufiesme que ledit ton de Chappelle, puis que les sons sont aux sons, comme les retours aux retours, & qu'il y a mesme raison de 60 à 10, que de 6 à 1, qui contient la raison de la Dix-neufiesme.
Semblablement si la chorde est trop courte, & qu'elle n'ayt qu'vn poulce, c'est à dire que la douziesme partie d'vn pied de Roy, c'est chose asseurée que l'oreille ne pourra iuger du son qu'elle fera, mais si on luy donne l'estenduë [p135] de 15 pieds, & que l'on treuue qu'elle tremble 10 fois comme deuant, l'on trouuera son ton par la regle de 3, car les retours de la chorde d'vn poulce de long sont aux retours de celle de 15 pieds, comme 15 est à 1/12, c'est à dire comme 180 est à 1, c'est pourquoy la chorde d'vn poulce fera 1800 retours, tandis que celle de 15 pieds n'en fera que 10, & consequemment le son de la chorde d'vn poulce sera de 180, quand celuy de la chorde de 15 pieds sera 1, de sorte que ces deux sons feront la Cinquante-troisiesme, c'est à dire la Quarte augmentée d'vn comma sur 8 Octaues. Or il est tres-aysé d'accommoder ce discours à toutes sortes d'autres chordes, puis qu'il n'y a nul son si graue, ou si aigu, que l'on ne puisse treuuer par le moyen des tremblemens & des retours. Où il faut encore remarquer que l'oreille commence à iuger de l'aigu du son de la chorde, qui a deux poulces de long, & consequemment qui est 96 fois plus longue que large, supposé qu'elle ayt 1/4 de ligne en diametre ; & parce que ce nombre approche de cent, l'on peut prendre pour fondement de ce discours, que la longueur des chordes doit estre centuple de leur diametre pour faire le premier son, c'est à dire le plus aigu, dont l'oreille puisse iuger.
Dabondant parce que la chorde n'a point de son qui puisse entrer dans l'harmonie en qualité d'agreable, ou de passable, qu'elle n'ayt pour le moins demy pied de long, il s'ensuit qu'elle doit estre 288 plus longue que large pour commencer à rendre de l'harmonie qui soit supportable ; & parce que ce nombre approche de 300, l'on peut dire que la longueur des chordes doit estre trecentuple de leur diametre pour faire leur premier son : finalement parce que les mesmes chordes peuuent faire des sons dont l'oreille peut iuger, encore qu'elles ayent 12 pieds de long, l'on peut dire que les chordes font des sons, qui ne surpassent pas la capacité de l'oreille, quand leur longueur est à leur diametre, comme 6912 est à 1. Et parce que ce nombre approche de 700, l'on peut mettre ce nombre pour les bornes de la longueur des chordes, par où l'on peut determiner quelle raison il y a de la longueur qu'elles doiuent auoir pour faire le meilleur son, auec leur plus grande & leur moindre longueur.
PROPOSITION XIII. Determiner pourquoy il y a des chordes meilleures les vnes que les autres sur les instrumens ; ce qui rend les chordes fausses : comme l'on peut sçauoir si vne chorde sonne mieux sur vn instrument que sur les autres : & comme l'on cognoist les chordes fausses. Il y a deux principales raisons pour lesquelles les chordes sonnent mieux les vnes que les autres, dont l'vne se tient de la part des chordes, à sçauoir lors qu'elles sont mal-faites, soit que la faute vienne de la part de l'ouurier, ou du temps mal propre dans lequel elles ont esté faites, ou de la matiere qui est trop seiche, ou trop humide, ou qui a d'autres mauuaises qualitez qui rendent la chorde inesgale & fausse : de là vient que l'on rencontre des chordes dont on ne peut nullement vser, à raison que l'on ne peut leur faire prendre vn ton qui soit propre à la Musique, parce que le son en est trop sourd & trop obscur. Or l'on cognoist qu'vne chorde est fausse auant que de la tendre sur les instrumens, lors qu'estant tirée par les deux bouts, elle ne fend pas l'air esgalement, & qu'elle ne fait pas paroistre vne figure semblable à vn plan parallelle [p136] ou perpendiculaire à l'horizon, quand la tension de la chorde est horizontale ou perpendiculaire.
Mais l'œil n'est pas souuent assez subtil pour remarquer la fausseté de la chorde, & la main qui la treuue esgale en toutes ses parties, se trompe souuent : car si elle est plus molle ou plus dure, plus rare, ou plus dense & plus seiche, ou plus humide en vn lieu qu'en vn autre, elle ne rendra pas vn son esgal & vniforme, parce que le boyau dont la chorde est faite, n'est pas esgal en toutes ses parties, soit qu'il y ayt vne plus grande multitude de fibres dans l'vne que dans l'autre, ou que la faute vienne de la part de l'ouurier. Quant aux chordes qui sont toutes bonnes, & dont les vnes sonnent mieux sur de certains instrumens que sur les autres, cela peut arriuer à cause qu'elles sont mieux proportionnées aux vns qu'aux autres : de là vient que les plus grosses chordes rendent plus d'harmonie sur les grands Luths, que sur les petits ; & qu'il se rencontre ordinairement vne chorde sur chaque instrument, qui sonne mieux que toutes les autres, & qui a vn ton entre tous ceux qu'elle peut auoir par ses differentes tensions, ou ses differens racourcissemens ; qui surpasse tous les autres : ce qui arriue peut estre lors que la chorde est à l'vnisson de la table du Luth, & consequemment les meilleurs tons de ceux qu'elle fait apres doiuent estre à l'Octaue, & à la Douziesme de ladite table, ce qu'il faut entendre lors que la chorde est assez longue, car si elle estoit trop courte à proportion de sa grosseur, ou trop longue à proportion de ce qu'elle est mince & deliée, elle ne feroit pas ouyr le meilleur de ses tons, encore qu'elle fust à l'vnisson de la table du Luth, ou des autres instrumens.
Or i'ay monstré dans la douziesme Proposition, la proportion qu'il faut garder de la longueur des chordes à leurs grosseurs pour rendre vn bon son, & ie diray ailleurs comme il faut trouuer le ton de la table de toutes sortes d'instrumens ; c'est pourquoy il suffit icy de conclure que l'on sçaura quelle chorde sonne le mieux de toutes les autres sur vn instrument proposé, lors que l'on cognoistra le ton de la table de l'instrument, car celle qui ayant la longueur, & la tension requise sera à l'vnisson de ladite table rendra le meilleur son : & s'il s'en rencontre plusieurs de mesme grosseur, longueur & tension qui soient à l'vnisson, celle dont les parties seront plus vniformes sonnera le mieux ; & si toutes les parties des vnes sont aussi esgales que celles des autres, elles sonneront esgalement.
Si ceux qui font aussi grand estat d'vne bonne chorde que de tout l'instrument prennent la peine de treuuer le ton de la table, i'estime qu'ils auront du contentement à comparer ces deux vnissons, & qu'ils aduouëront que l'vnisson est le plus puissant, & le plus excellent de toutes les consonances, comme i'ay prouué dans les liures de la Theorie, puis que l'vnion qui se fait du ton de la table auec celuy de la chorde rend vne harmonie rauissante, car il ne se fait quasi qu'vn mesme son des deux ; quoy que ie ne vueille pas reietter les autres raisons que l'on peut apporter de la bonté des chordes, par exemple que l'air enfermé dans le corps de l'instrument doit estre tres-bien proportionné à la longueur de la chorde, qui ne doit pas trouuer vne trop grande quantité d'air à esbransler, &c.
Or il est aysé de prouuer que l'instrument ayde à la bonté de la chorde, d'autant qu'elle n'est plus si bonne, quand elle est mise sur vn autre instrument d'esgale grandeur, quoy qu'il se rencontre d'autres chordes qui sont aussi [p137] bonnes sur cet instrument comme estoit la premiere chorde sur l'autre : mais si cette raison ne plaist pas à ceux qui touchent le Luth & l'Epinette, il leur est permis d'en chercher vne meilleure. Il faut cependant remarquer que l'on tient que la troisiesme chorde de la Viole est ordinairement la meilleure, & que l'on remarque semblablement la mesme difference de bonté dans les tuyaux de l'Orgue, dont il y en a quasi tousiours quelqu'vn qui surpasse tous les autres : mais i'en parleray plus amplement dans le liure de l'Orgue. Quant aux chordes, il est assez facile de remarquer leur meilleur ton en les touchant à vuide, ou en vsant des touches, & lors que l'on a le ton de la table, l'on peut experimenter si le ton de la chorde qui se fait auec les touches est meilleur que celuy qui se fait à vuide, ou à l'ouuert, quand celuy des touches fait l'vnisson, ou quelqu'autre consonance auec la table : quoy que le doigt, qui touche la chorde sur le manche, puisse souuent estre cause qu'elle ne sonne pas si bien qu'a vuide, car il est difficile de toucher si bien de la main gauche, que ce contact ne nuise pas dauantage à son harmonie, que si elle estoit touchée à vuide sur vn nouueau sillet.
COROLLAIRE Si l'on veut sçauoir ce que les accords de la table apportent aux chordes, il faut remarquer de quelle maniere vne mesme, ou plusieurs sonnent à l'vnisson, à l'Octaue & à la Quinte de la table, &c. & si la bonté de la chorde tenduë à l'vnisson surpasse autant la bonté de celle qui est à la Quinte, comme la bonté, ou la douceur de l'vnisson surpasse la douceur de la Quinte.
PROPOSITION XIV. Determiner combien l'on peut toucher de chordes, ou de touches du clauier dans l'espace d'vne mesure, c'est à dire combien l'on peut faire de notes à la mesure sur l'Epinette ; & si l'archet va aussi viste sur la Viole, & sur le Violon ; ou si la langue & les autres organes qui font les passages, & les fredons peuuent faire autant de notes à la mesure que l'Epinette. L'on peut toucher les chordes de Luth, & de l'Epinette en deux manieres, à sçauoir toutes, ou plusieurs en mesme temps, comme il arriue lors que l'on abbaisse plusieurs touches du clauier en mesme temps, pour faire plusieurs consonances ou dissonances ; ou l'vne apres l'autre, comme l'on fait aux passages & aux fredons, & c'est de cette maniere que ie parle icy. Or il faut remarquer que les Musiciens ont inuenté des notes pour signifier toutes leurs mesures c'est à dire tous les temps, ou toutes les especes de durée qu'ils donnent aux sons & aux voix, dont ils composent toutes sortes de chansons & de motets : & que celle qui signifie vne mesure est blanche, & sert comme de pied, de diapason & de regle à toutes les autres, qui augmentent ou diminuent ordinairement leurs valeurs de moitié en moitié, de sorte que la 2 vaut la moitié d'vne mesure, la troisiesme le quart, la 4 la 8 partie, la 5 la 16 partie, la 6 la 32 partie, & la 7 la 64 partie, qui est la moindre de toutes celles qu'ils ont inuentées, parce qu'ils ont iugé que l'on ne pouuoit pas chanter vne note en vn moindre temps qu'en la 64. partie d'vne mesure.
Il faut encore remarquer qu'ils font durer vne mesure plus ou moins comme [p138] ils veulent : mais il est necessaire d'establir vn temps certain & determiné pour la mesure, si l'on veut sçauoir combien l'on peut faire de sons, c'est à dire combien l'on peut chanter de notes dans le temps d'vne mesure : & parce que les Astronomes ont diuisé chaque minute de temps en 60 parties, & que chaque 60 partie de minute, qu'ils nomment seconde, est esgale à vn battement ordinaire du poux, comme i'ay desia dit ailleurs, ie suppose maintenant qu'vne mesure dure vne seconde minute, & dis qu'il n'y a point de main si viste qui puisse toucher plus de 16 fois vne mesme chorde, ou plusieurs, ny voix qui puisse chanter plus de 16 notes ou doubles crochuës dans le temps d'vne seconde minute, & consequemment que ceux qui font 32 notes à la mesure employent 2 secondes dans la mesure, & que ceux qui en font 64 font la mesure de 4 secondes ou de 4 battemens de poux : ce que i'ay obserué dans l'experience des meilleurs ioüeurs de Viole & d'Epinette, & ce que chacun remarquera en faisant reflexion sur le ieu de ceux que l'on estime auoir la main tres-viste & tres-legere, quand ils vsent de toute la vistesse qui leur est possible.
D'où il s'ensuit que nul ne peut toucher plus de 960 fois vne, ou plusieurs chordes dans l'espace d'vne minute d'heure, ou 17600 dans vne heure. Quant à la comparaison de la vistesse dont on vse sur la Viole, sur l'Epinette, ou sur les autres instrumens, il est tres-difficile d'en iuger autre chose, sinon que ceux qui en ioüent en perfection peuuent les toucher d'vne esgale vistesse. A quoy i'adiouste que la voix & la gorge ne peuuent aller si viste que les instrumens : ce que l'on sera contraint d'aduoüer apres auoir comparé vn excellent ioüeur d'Epinette ou de Viole, auec vn excellent Chantre.
PROPOSITION XV. Determiner si l'on peut toucher les chordes des instrumens, ou leurs touches si viste que l'oreille ne puisse discerner si le son est composé d'autres sons differens, ou s'il est vnique & continu. Cette difficulté me semble tres-grande, car l'on peut acquerir vne tresgrande vistesse de main par vn long exercice, & l'on n'a peut-estre pas encore experimenté toute la puissance de l'art en cette matiere. Or nous pouuons iuger de quelle vistesse il faudroit toucher les chordes pour faire vn son composé de plusieurs sons de differentes chordes, par la vistesse des retours, qui representent tellement le son à l'oreille, qu'elle ne peut discerner s'il est fait d'vn seul tremblement, & s'il est continu, ou s'il est faict par plusieurs tremblemens interrompus. L'experience enseigne que les plus grosses chordes des plus grands instrumens, par exemple celles de l'Epinette & des Tuorbes, descendent iusques à l'vnisson d'vn tuyau d'Orgue de 8 pieds de long, & consequemment que leur son se fait par 30 retours ou enuiron ; or l'oreille ne peut apperceuoir si ce son est fait de differents retours, c'est à dire par vn mouuement interrompu, ou par vn mouuement continu, d'où ie conclus que si l'on touche vne mesme chorde 30 fois, tandis que ces 30 retours se feront, que l'oreille ne pourra distinguer si elle est touchée plusieurs fois, & qu'elle apprehendera ce son comme s'il estoit vnique & continu, car puis que l'on ne peut discerner les battemens, ou les tours & retours de la chorde qui est à l'vnisson d'vn tuyau de 8 pieds, l'on ne pourra semblablement discerner les [p139] mouuemens de l'archet, qui touchera vne mesme chorde aussi souuent, & aussi viste comme se font lesdits retours. Car si l'archet, ou le doigt qui se meut 30 fois dans vne seconde minute, faisoit vn son que l'on peust ouyr, c'est chose asseurée qu'il seroit à l'vnisson de ladite chorde, puis que leurs retours seroient esgaux, & consequemment l'on auroit deux sons à l'vnisson, à sçauoir celuy de la chorde, & celuy de l'archet, qui seroit beaucoup plus foible que celuy de la chorde, parce qu'il toucheroit moins d'air : quoy que l'on puisse dire qu'il ne se feroit qu'vn mesme son composé du mouuement de la chorde, & de celuy de l'archet : d'autant que ses allées & ses venuës responderoient iustement aux tours & retours de la chorde.
Si la chorde estoit si longue qu'elle fust à l'vnisson d'vn tuyau d'Orgue de 24 pieds, & qu'elle ne batist l'air que dix fois dans l'espace d'vne seconde, l'oreille pourroit apperceuoir que le son ne seroit pas continu, puis que l'œil discerne tellement ces 10 retours que l'on les peut nombrer, supposé neantmoins que le son de chaque retour soit distinct & discontinu, & qu'il y ayt vn aussi grand nombre de sons differents qu'il y a de retours, car si le son du premier retour est continu auec le son du second, & que tous les sons des tours & des retours ne fassent qu'vn mesme son continu, l'oreille ne peut pas nombrer, ou cognoistre chaque partie du son que fait chaque tour & retour, si ce n'est qu'elle iuge de chaque partie du son par sa differente force ou grandeur. Par exemple, puis que le son de la chorde, qui fait 10 retours dans vne seconde, s'affoiblit en mesme proportion que les retours de la chorde se diminuent, si le second retour est moindre que le premier d'vne dix-neufiesme partie pour le moins, & que les autres retours se diminuent tousiours en mesme proportion, comme ie suppose maintenant, il s'ensuit que si la premiere partie du son a 20 degrez de force, que la 2 partie n'aura que 19 degrez de force, que la troisiesme n'en aura que 18 1/20, & ainsi des autres, & consequemment que l'oreille distinguera ces parties, comme si elles faisoient des sons differents, si elle est assez delicate pour apperceuoir ces petites differences.
Mais ie ne croy pas que l'on rencontre des oreilles si iustes qu'elles puissent remarquer la diminution de chaque partie du son d'vne chorde ; c'est pourquoy ie viens à l'autre consideration de plusieurs chordes differentes en longueur, grosseur, ou tension, qui font des sons differents quant au graue & à l'aigu, & dis qu'il est plus aysé de remarquer la vistesse de l'archet, ou du doigt sur ces chordes differentes que sur vne mesme chorde, parce qu'elles ont de plus grandes differences, & que le graue & l'aigu de leurs sons ne peuuent tellement se ioindre que l'oreille n'en apperçoiue la difference, particulierement lors que les chordes font des dissonances ; de là vient que l'on ne peut toucher les chordes d'vn instrument si viste, que l'oreille ne iuge que l'on en touche plusieurs, encore que la vistesse soit esgale au toucher qui se fait de plusieurs chordes en mesme temps. Mais elle peut estre si grande, que l'oreille ne pourra iuger si elles sont touchées les vnes apres les autres ou toutes ensemble, quoy qu'il soit difficile de determiner quelle doit estre cette vistesse pour tromper l'oreille, & pour faire qu'elle croye receuoir plusieurs sons en mesme temps, qui se font en des temps differents.
PROPOSITION XVI. Determiner de quelle vistesse les chordes des instrumens se doiuent mouuoir pour faire vn son. Cette proposition est l'vne des plus difficiles de la Musique, d'autant que l'oreille ne peut apperceuoir les sons qui sont trop foibles, comme l'on experimente en plusieurs, qui ont l'ouye plus ou moins subtile, quoy que l'on puisse dire que toute sorte de mouuement fait du son, particulierement lors que l'air est tant soit peu violenté. Mais parce qu'il est difficile, & peut-estre impossible de prouuer que le mouuement fasse vn son, quand nulle oreille ne le peut ouyr, il suffit de monstrer quel doit estre le mouuement des chordes pour faire des sons que l'oreille puisse apperceuoir, ce qui est tres-aysé si l'on comprend ce que i'ay dit ailleurs, car puis que l'experience fait voir que les retours des chordes se diminuent selon la proportion de 12 à 11 ; & que i'ay monstré que le 132 retour n'est que la cent milliesme partie de la premiere traction, & que l'on oyt assez clairement le son d'vne chorde l'espace de 2, ou 3 secondes minutes, quoy qu'elle soit touchée tres-foiblement, & que la premiere traction ou impulsion ne soit que du quart d'vne ligne, il s'ensuit que les chordes font des sons fort sensibles, encore que leur mouuement soit bien tardif, car supposé que l'on oye lesdits sons tandis que la chorde tremble 132 fois, elle ne fera pas l'espace d'vn poulce dans le temps d'vne seconde minute, & consequemment elle ne fera pas l'espace de cinq pieds dans le temps d'vne minute, qui dure assez long-temps pour faire vne promenade de soixante pas, encore que l'on marche assez lentement, comme chacun peut experimenter.
Il faut donc conclure qu'il suffit que les chordes se meuuent aussi viste qu'vne Tortuë, qui fait l'espace d'vn poulce tandis que le poux bat vne fois, veu mesme que l'on peut encore diminuer cet espace de moitié & dauantage : de sorte que si l'on prend la peine de calculer le chemin que font les retours des grosses chordes legerement touchées, l'on trouuera qu'il suffit qu'elles fassent le chemin d'vne ligne dans vne seconde minute pour faire vn son sensible.
PROPOSITION XVII. L'on peut sçauoir combien de fois les chordes du Luth, de l'Epinette, des Violes & des autres instrumens battent l'air : c'est à dire, combien de fois elles tremblent, ou combien elles font de tours & de retours durant vn concert, ou en tel autre temps que l'on voudra determiner. Il est tres-aysé de cognoistre le nombre des battemens, ou retours de toutes les chordes de tel instrument que l'on voudra, si l'on a compris ce que i'ay dit de ces tremblemens dans vn autre lieu, pourueu que l'on sçache le nombre des instrumens dont on vse, & l'espace du temps que dure le concert. Neantmoins ie veux icy repeter ce qui est necessaire pour l'intelligence de cette proposition ; & premierement que la chorde, qui est à l'vnisson d'vn tuyau d'Orgue de 4 pieds ouuert, fait 48 retours dans l'espace de la trois mille [p141] sixcentiesme partie d'vne heure, c'est à dire dans l'espace d'vne seconde minute, qui est la durée d'vn battement du coeur, ou du poux tres-lent & paresseux. Secondement, que les retours des chordes se multiplient en mesme proportion que les sons deuiennent plus aigus ; & consequemment lors que l'on sçait le nombre des retours d'vne chorde, dont on cognoist le son, on sçait quant & quant le nombre des retours de toutes sortes de chordes, dont on cognoist les sons.
Or cecy estant presupposé, Ie veux dresser vne table, par le moyen de laquelle l'on cognoistra tout aussi tost combien les chordes de tous les instrumens d'vn concert font de retours, ou combien de fois elles battent l'air ; & parce que chaque periode de la chorde comprend son allée & son retour, le nombre des battemens d'air est deux fois plus grand que celuy de ses retours, c'est pourquoy la table qui suit, monstrera seulement les retours, dont les nombres doublez donneront le nombre des battemens. Et parce que les concerts à plusieurs parties contiennent ordinairement l'estenduë de 2, 3, ou 4 Octaues, & que tous les instrumens pris ensemble peuuent s'estendre iusques à 8 Octaues, comme i'ay monstré dans vn discours particulier ; la table qui suit contient 8 colomnes, dont chacune a vne Octaue entiere. Mais il faut remarquer que la premiere colomne, qui est à la marge, sert de conduite aux 8 suiuantes, dont les nombres qui representent les retours, ou les battemens des chordes, sont en mesme raison que ceux de ladite colomne ; quant à la premiere colomne des retours, elle comprend la plus basse Octaue, & la huictiesme contient la plus aiguë.
Or chaque Octaue a 19 chordes, notes, ou caracteres, d'autant qu'on ne peut marquer la Musique à plusieurs parties sans se seruir de ce nombre dans chaque Octaue, comme i'ay prouué dans vn autre lieu. Quant à l'vsage de cette table, il est si aysé, qu'il n'est quasi pas besoin de l'expliquer, car le premier nombre de la premiere colomne, à sçauoir 6, signifie que le son le plus graue de tous les instrumens, à sçauoir le son du tuyau d'Orgue de 32 pieds, se fait par les 6 retours de la chorde, qui bat 12 fois l'air dans l'espace d'vn battement de coeur ; & les autres nombres qui suiuent, tant dans cette Octaue, que dans les 7 autres, representent tousiours le nombre des retours de chaque chorde, qui respond à chaque note, ou lettre de l'Octaue, qui est marquée à la marge : par exemple, le premier ou le moindre nombre de la 8 Octaue signifie que la plus basse chorde de la 8 Octaue fait 768. retours dans l'espace d'vn battement de poux, c'est à dire dans le temps d'vne seconde minute : & le 2 nombre de la mesme colomne, à sçauoir 800, signifie que la chorde qui a ce son, fait 800 retours dans le mesme temps. [Tablature du nombre des tremblemens que font les chordes - demy-ton mai. - demy-ton min. - comma - diese]
D'où il s'ensuit que l'on sçaura combien de fois l'air est battu par chaque chorde en regardant cette table, car si l'on veut cognoistre le nombre des battemens de chaque chorde de l'vne des Octaues, par exemple de la Cinquiesme, qui monstre le nombre des retours, il faut prendre les nombres de la 6 Octaue, qui sont doubles de ceux de la 5, d'autant que i'ay desia dit que chaque periode de la chorde est composée du tour & du retour, & consequemment contient deux battemens d'air : mais si l'on prend l'vne des colomnes pour les battemens, & non pour les retours, la colomne precedente donnera le nombre des retours : par exemple, si la 6 colomne est prise pour le nombre des battemens, la 5. donnera le nombre des retours, qui sont tousjours [p142] la moitié de chaque nombre des battemens, de sorte que les deux colomnes qui se touchent, sont reciproques. Or puis que les nombres de ces 8. colomnes suiuent, ou contiennent les raisons des degrez de la Musique, l'on en peut vser pour composer telle piece que l'on voudra, comme nous nous sommes seruis ailleurs d'autres nombres, qui ont les mesmes raisons, pour le mesme sujet ; par dessus lesquels ceux-cy ont le priuilege de monstrer tous les [p143] retours de chaque chorde, & tous les battemens d'air, dont se forment les sons & la Musique, & consequemment ils sont plus propres pour expliquer la nature de l'Harmonie, que nuls autres nombres.
Mais afin que l'on comprenne mieux l'vsage de cette table, par exemples que par discours, ie prends l'vn des airs du Sieur Boësset imprimé l'an 1630. qui commence par ces paroles, Diuine Amaryllis. qui est à 4 parties ; dont chacune chante 22 mesures sans pauses. La voix, ou la note la plus graue de la Basse est sur F vt fa ; & parce que ceux qui font la Basse dans la chambre, ne vont pas ordinairement plus bas qu'vn tuyau d'Orgue de 4 pieds ouuert, qui est à l'vnisson de la plus grosse chorde de l'Epinette, qui a 3 pieds de long, il s'ensuit que la plus basse note de l'air susdit respond au premier, ou moindre nombre de la 4 Octaue, qui est dans la 4 colomne de la table precedente, c'est à dire au nombre 48.
Quant à la voix plus aiguë du Dessus, elle est plus haute d'vne Vingtiesme maieure que la voix precedente de la Basse, & consequemment les 4 parties de cet air comprennent la 4 & 5 colomne toutes entieres, & la 6 iusques à son A mi la re. Or la table qui suit, fait voir les mesures de chaque Partie, & les retours de chaque chorde, car la premiere colomne de chaque partie represente les chordes, ou les lettres d'où dependent les notes ; la seconde contient le temps, ou la mesure des notes qui sont sur chaque lettre ; & la troisiesme comprend le nombre des retours que font les chordes qui appartiennent à la mesme lettre. Or parce que toutes les parties chantent tousiours ensemble sans se reposer, elles ont chacune 22 mesures, comme l'on void en adioustant toutes les mesures de chaque partie. Tablature des retours ou mouuemens que font les chordes, ou les voix qui chantent l'air d'Anthoine Boësset Intendant de la Musique de la chambre du Roy, & de la Reyne. [Basse - Taille - Haute-contre - Dessus - lettres - mesures - retours].
[p144] Or si l'on adiouste les battemens, ou retours de ces 4 parties, l'on en trouuera 12560 1/3, & l'on aura tous les retours de cette chanson : ce qui est si aysé à faire à ceux qui sçauent l'Arithmetique, qu'il n'est pas besoin de nous y arrester.
COROLLAIRE I Il faut icy supposer que le tremblement des chordes cesse apres la mesure, c'est à dire si tost que l'on a leué les doigts, ou l'archet de dessus les chordes, car si elles tremblent encore apres, comme il arriue ordinairement aux chordes des Luths & des Violes, & que l'on vueille sçauoir le nombre de tous ces tremblemens, il faut premierement cognoistre combien de temps elles tremblent apres leurs sons ; car la durée de ces tremblemens estant supposée, il sera aussi aysé de treuuer le nombre de tous les tremblemens, comme de ceux qui se font pendant que les sons suiuent la mesure. Et si l'on chante cet air auec 24 Luths, Violes, ou Violons : de sorte que chaque partie ayt six instrumens, il faut multiplier le nombre precedent des retours par 6, & l'on aura 75362 retours que feront les chordes desdits instrumens dans le temps de 22 mesures. Or il faut remarquer que le temps d'vne mesure ne doit durer qu'vne seconde minute, c'est à dire la 3600 partie d'vne heure, & que si elle dure dauantatage, par exemple 2, ou 3 secondes, comme il arriue souuent, qu'il faut doubler ou tripler le nombre precedent des retours, comme il est tres-aysé de conclure de ces discours.
COROLLAIRE III. Il y a de l'apparence que ceux qui prennent plaisir à esleuer leur esprit à Dieu, & qui desirent de luy offrir autant de mouuemens de leur amour & d'actes d'adoration, comme les chordes des instrumens qu'ils oyent, font de retours, ne diront pas que la cognoissance du nombre des battemens d'air soit inutile, & que ceux qui auront assez de iugement pour considerer que la Musique n'est autre chose que le nombre des differens battemens de l'air, & que le son, à proprement parler, n'est rien, si l'oreille ne luy donne la nature du son, & qu'il seroit plus veritable de dire que nous sentons des mouuemens d'air, que de dire que nous oyons des sons, aduoüront franchement qu'il [p145] n'est pas possible d'auoir vne parfaite cognoissance de la Musique, & mesme que l'on ne peut cognoistre ses principes, si l'on ne sçait ce que nous auons dit des retours & des battemens.
COROLLAIRE IIII Or s'il faut conclure de cette proposition, que si quelques-vns pouuoient toucher 64 crochuës dans l'espace d'vne mesure, qui dure 1/60 de minute, qu'ils mouueroient les doigts, la main, ou l'archet autant de fois comme la chorde de B fa, qui est dans la 3. Octaue de la table precedente, fait de tours & de retours dans vne seconde minute, & consequemment qu'il ne seroit pas possible de distinguer ou de conter les mouuemens de l'archet, ou des doigts, ou les fredons de la gorge, que feroient lesdites 64 crochuës : car l'imagination ne peut conter distinctement que 10 battemens de la chorde dans vne seconde minute, quoy que l'on puisse iuger confusément d'vn plus grand nombre. Mais il est difficile d'expliquer comme se fait le son de la chorde que l'archet touche 64 fois dans vne mesure, car si cette chorde ne tremble pas dauantage de fois qu'elle est touchée, il semble que le mouuement de l'archet, ou du doigt qui touche la chorde, soit vne mesme chose auec lesdits tremblemens : en suite de quoy il faut dire que la chorde auroit le mesme son, quoy qu'elle ne tremblast point, d'autant que celuy qui la touche, supplée le tremblement qui vient de la tension de la chorde, puis qu'il luy fait faire 64 tours & autant de retours dans l'espace d'vne mesure : mais ie traicteray de cette difficulté dans le discours de la Lyre.
COROLLAIRE V Si l'on comprend la tablature du retour, ou du battement des chordes, l'on peut dire le son que peut faire chaque chorde, encore que l'on n'oye nullement le son qu'elle a, pourueu que l'on voye ses retours ; car si, par exemple, elle fait seulement 6 retours dans l'espace de la mesure de ladite tablature, on est asseuré qu'elle fait la Vingt-deuxiesme contre la plus basse note de l'air precedent : & si l'on tendoit vn chable qui ne feist que trois retours dans le mesme temps, il feroit vn son plus bas de 4 Octaues que la plus basse note dudit air ; mais i'ay desia traicté de cette difficulté dans la 12. Proposition.
COROLLAIRE VI Ce qui a esté dit iusques à present peut aussi seruir pour la tablature du tremblement ou fremissement des cloches, & du mouuement de tous les autres corps, par exemple du mouuement des fueilles d’arbres, des oyseaux qui volent, & des autres corps qui battent l’air, parce que lors qu’vn corps bat autant de fois l’air que les chordes des instrumens, l’on peut dire qu’il fait l’vnisson auec lesdites chordes. De là vient que l’on ne peut apporter d’autre raison formelle & immediate, pourquoy vne cloche a le son plus graue ou plus aigu que l’autre, sinon parce que les parties de l’vne fremissent plus viste, & consequemment battent l’air plus souuent. Il faut neantmoins remarquer que l’on n’oyt pas les battemens d’air de toutes sortes de corps, quoy qu’ils soient [p146] aussi frequents que ceux de la chorde du Luth, de la Viole & des Cloches, comme il arriue quand l’air battu n’est pas enfermé, & que ses mouuemens ne sont pas reflechis, comme ils sont par la table & par le corps des instrumens : de là vient que l’on a de la peine à ouyr les chordes de Luth qui se meuuent dans vn air libre, tandis que l’on les tient par les deux extremitez auec les doigts, d’autant que le son n’estant pas reflechy n’est pas assez fort pour estre ouy, comme i'ay desia remarqué dans vn autre lieu.
COROLLAIRE VIII Mais afin que l'on ne quitte pas ce discours sans en retirer quelque profit, il me semble que les Musiciens doiuent considerer que puis que les chordes qu'ils touchent, ne leur refusent iamais leurs mouuemens, & qu'elles obeyssent tres-promptement à leur volonté iusques à se rompre, quand il leur plaist, qu'ils doiuent imiter cette obeyssance si ponctuelle en suiuant la volonté de Dieu, & les bons mouuemens qu'il leur donne pour faire le bien & pour euiter le mal : car puis qu'il n'y a nul mouuement qui ne conduise au premier moteur, il est tres-raisonnable que les mouuemens, dont on reçoit de si grands contentemens, & d'où l'on tire vne si grande harmonie, nous menent à celuy, dont la Prouidence bat incessamment la mesure de l'harmonie de l'Vniuers, & gouuerne le grand concert de tout le monde, de peur qu'il soit dit dans l'Eternité que les Musiciens ont esté plus stupides & plus irraisonnables que les creatures inanimées, & qu'ils soient si mal-heureux que les chordes, dont ils ont tiré tant d'harmonie, seruent au grand iour du Iugement pour les lier & les affliger, s'ils ont si peu d'esprit & de iugement qu'ils ne rapportent pas l'harmonie de leurs chordes, & de leurs voix à la gloire de celuy qui seul merite les loüanges de toutes les Creatures, que le Prophete Royal exhorte à leur deuoir par ses dernieres paroles, omnis spiritus laudet Dominum.
Mais il n'est pas necessaire de sçauoir le nombre des battemens pour faire seruir les mesmes notes à des temps differents, car il suffit de sçauoir combien [p148] les notes sont plus hautes, & plus aiguës les vnes que les autres pour diminuer leur valeur d'autant de degrez, que l'on augmente leur aigu. L'on peut semblablement augmenter la valeur des notes à proportion que leur aigu s'augmente ; & si l'on veut on augmentera ou l'on diminuera la valeur desdites notes en raison doublée, ou triplée du nombre des battemens de l'air, qui font les sons de chaque Partie : or la maniere la plus naturelle, dont on peut vser pour la valeur des notes, ou des voix & des sons, est celle qui donne les mesures les plus lentes & plus tardiues aux notes de la Basse, & les plus vistes à celles du Dessus, car puis que les battemens des sons du Dessus sont plus vistes que ceux de la Basse, il est raisonnable que le mouuement de ces notes soit aussi plus viste, afin que ces deux vistesses s'approchent de l'vnisson qu'elles feroient, si le mouuement des notes estoit aussi viste que celuy des battemens de l'air. Quant à la maniere dont on vse pour trouuer le son, lors que l'on a le nombre des battemens d'air dans vn temps donné, ie l'ay expliquée dans vn autre lieu, c'est pourquoy ie diray seulement icy qu'vne chorde longue de 48, ou de 24 pieds estant tenduë par vne force donnée, ou par vn poids cogneu tel que l'on voudra, monstre le nombre des battemens d'air, qui font chaque son, car les battemens se multiplient à proportion que l'on accourcit la chorde : de sorte que si elle bat trois fois l'air dans vn moment, lors qu'elle a 24 pieds de long, elle ne le bat que 72 fois quand elle n'a plus qu'vn pied de long.
COROLLAIRE I Puis que les Musiciens cognoissent combien il faut de battemens d'air pour faire toutes sortes de sons, par le moyen des propositions precedentes, il est raisonnable qu'ils offrent autant de mouuemens de leur coeur, & autant d'actes de reuerence & d'adoration à Dieu, qui est le premier moteur, & dont l'ordre & la conduite est necessaire à chaque tremblement de chorde, & à chaque mouuement d'air ; & que le mouuement des chordes qui est si prompt & si viste que l'on ne le peut apperceuoir ou mesurer, nous fasse haster le pas pour nous approcher de celuy à qui appartiennent tous nos mouuemens & toutes nos pensées.