Il faut donc conclure que tous les mouuemens qui se font dans l'air, dans l'eau ou ailleurs, peuuent estre appellez Sons ; d'autant qu'il ne leur manque qu'vne oreille assez delicate & subtile pour les ouyr ; & l'on peut dire la mesme chose du bruit du tonnerre & du canon à l'esgard d'vn sourd, qui n'apperçoit pas ces grands bruits : car le mouuement ou le tremblement qu'il sent n'est pas appelé Son, qu'entrant qu'il est capable de se faire sentir aux esprits de l'ouye : de manière que le Son se peut definir vn mouuement de l'air exterieur ou interieur capable d'estre ouy ; i'ay dit, ou de l'interieur, à raison des bruits qui se font au dedans de l'oreille. Mais il est difficile de trouuer precisément ce qui rend le mouuement de l'air capable d'estre ouy ; car quand ie considere qu'vne chorde de boyau, ou de leton tendüe en l'air, & attachée à deux murailles auec des cloux ou des cheuilles sellées dans le mur, & touchée du doigt, d'vn archet, ou d'vne plume, ne fait quasi point de bruit, & qu'estant tendüe sur les cheualets d'vn luth, d'vne Viole, ou d'vne Epinette, elle fait un grand bruit, & neantmoins que c'est la mesme percussion de l'air : que le vent fendu & coupé par vn morceau de bois semblable à celuy de la lumiere d'vn tuyau de Fluste, ne fait qu'vn leger sifflement, & quand il est suiuy du corps d'une fluste, qu'il fait vn si grand bruit, cela me fait conclure que ce qui rend ce mouuement capable d'estre ouy, n'est autre chose que quand il esbranle vne quantité d'air enfermé capable d'esbranler sa prison, & de se communiquer à l'air voisin exterieur iusques à ce qu'il arriue à l'oreille.
L'on peut se servir des Sons de chaque instrument de Musique, & des differens mouuemens que l'on leur donne pour discourir de toutes sortes de suiets, & pour enseigner & apprendre les sciences. Cette proposition est excellente, car elle enseigne la maniere de discourir de toutes choses en ioüant des instrumens, encore que celuy qui les touche, ou qui en oyt ioüer soit muet, car l'on peut discourir auec vn autre en ioüant de l'Orgue, de la Trompette, de la Viole, de la Fleute, du Luth & des autres instrumens, sans que nul puisse entendre le discours, que celuy qui sçait le secret, ce qui se peut pratiquer en plusieurs manieres. En premier lieu si le ioüeur d'instrumens, & l'auditeur se seruent d'vne tablature qui contienne toutes les lettres de l'alphabet : car chaque Son exprimera chaque lettre ; par exemple, les trois notes, ou les trois voix qui se treuuent dans G, re, sol, vt, pourront seruir pour ces trois lettres R, S, V, &c. & l'auditeur ayant son Luth, ou sa tablature deuant les yeux verra clairement les dictions que formera le ioüeur auec les Sons de son instrument, auquel il pourra respondre en ioüant d'vn autre instrument.
L'on se peut aussi seruir du Tambour, encore que le Son qu'il fait ne soit pas capable des interualles harmoniques, car la varieté des mouuemens Rythmiques, dont on à coustume de le battre, peut seruir de characteres ; par exemple l'on peut se seruir des cinq temps du quatriesme mouuement pœonique, qui est representé par trois brefues & vne longue ∪ ∪ ∪ −, pour les quatre premieres lettres A B C D, & de la premiere espece du mesme mouuement, qui est le precedent renuersé − ∪ ∪ ∪, pour les quatre lettres qui suiuent, à sçauoir E F G & H ; le mouuement Choriambique dissous, ou Pyrrychianapeste, qui est composé de quatre mouuemens briefs & d'vn long, peut exprimer I K L M N : quelques-vns appellent ce mouuement François, d'autant que les François se seruent ordinairement de ce mouuement quand ils battent le Tambour, comme l'on voit icy ∪ ∪ ∪ ∪ −. O P Q R peuuent estre exprimez par le mouuement Ionique mineur, dont les deux premiers mouuements sont briefs, & les deux derniers sont longs, comme l'on voit icy ∪ ∪ − −. Les Suisses s'en seruent quand ils battent le Tambour. En fin le mouuement Choriambique, dont le premier & dernier mouuement est long, & le second & le troisiesme est brief, comme l'on voit icy − ∪ ∪ −, peut achever l'alphabet en exprimant ces quatre dernieres lettres S T V X. L'on se peut seruir des mesmes mouuemens sur les Cloches, sur les Trompettes, sur le Luth, sur la Viole, sur l'Orgue & sur les autres instrumens […]
Il faudroit encore experimenter toutes les especes de chordes sur les Luths, les Violes, les Lyres, & les Harpes, & faire ces instruments de toutes sortes de bois, de cornes & de metaux, afin d’obseruer la diuersité des Sons ; et si la caisse d’vn Tambour estoit d’or ou d’argent, & que la peau fust d’vn Ours, d’vn Tygre, ou d’vn Lyon, le Son du Tambour seroit different de celuy de l’ordinaire.
Proposition XXXI. A sçauoir si le Son aigu est plus agreable & plus excellent que le graue. Cette question peut estre decidée par l’experience & par la raison, mais il faut prendre le graue, & l’aigu d’vn mesme genre ; c’est à dire sur vn mesme instrument, ou dans les voix humaines, car ce seroit vne autre difficulté, si l’on vouloit faire comparaison de la voix aiguë d’vn homme, & du son graue d’vne Viole, ou d’vn Luth. L’on peut donc entendre cette difficulté de la comparaison du Son graue, & de l’aigu d’vn mesme instrument, par exemple du Luth, de la Viole, de l’Epinette, ou de l’vn des ieux d’Orgues, ou de la voix humaine : & la comparaison des voix se peut faire en deux manieres, à sçauoir de la voix graue de celuy qui fait la Basse, & de l’aiguë d’vn enfant, ou de la voix graue et aiguë d’vne mesme personne. Mais il ne faut pas comparer vne bonne voix auec vne mauuaise, car la bonté de la voix graue doit estre esgale à celle de l’aiguë, afin que la comparaison soit parfaite.
Proposition V. Expliquer la maniere de nombrer tres-aysément tous les tours & retours de chaque chorde de Luth, de Viole, d’Epinette, &c. & determiner où finit la subtilité de l’œil & de l’oreille. […] Il faut donc premierement determiner le son que l’on desire de la chorde, auant que de demander le nombre de ses retours, parce qu’elle en fait vn nombre d’autant plus grand dans vn mesme temps qu’elle a le son plus aigu. Ie suppose donc que l’on vueille sçauoir le nombre des retours de la chorde d’vne Epinette, ou d’vn Luth, lors qu’elle est à l’vnisson du ton de Chapelle, que l’on prend sur vn tuyau de quatre pieds ouuert, ou de deux pieds bouché faisant le G re sol, sous lequel les voix les plus creuses, ou les plus basses de France peuuent seulement descendre d’vne Quinte pour arriuer iusques au C sol vt. Or chacun peut porter ce ton auec soy par le moyen d’vne clef percée, ou d’vn Flageollet, qui monte à l’Octaue, à la Quinziesme, ou à tel autre interualle que l’on voudra par dessus ledit G re sol, parce qu’il suffit de se souuenir que ce son est plus haut que ledit ton de Chapelle d’vn interualle donné, pour l’exprimer apres auec la voix, ou autrement.
Cecy estant posé, ie dis premierement que la chorde qui fait ledit ton de G re sol, qui est le plus bas que ma voix puisse descendre bat 168 fois l’air, c’est à dire qu’elle passe 168 fois en son centre, ou par sa ligne de direction dans le temps d’vne seconde minute, ou qu’elle reuient 84 fois vers celuy qui la pousse, ou qui la tire. En second lieu, qu’vne chorde longue de dix-sept pieds & demi suffit pour en faire l’experience, d’autant qu’elle ne tremble pas trop viste, & qu’elle donne loisir de conter ses retours, comme l’on peut voir auec vne chorde de Luth, ou de Viole de la grosseur de celles dont on fait les montants des Raquettes (que l’on fait de douze intestins de mouton) laquelle reuient seulement deux fois dans le temps d’vne seconde, lors qu’elle est tenduë auec vne demie liure, quatre fois estant tendüe de deux liures, & huit fois estant tendüe de huit liures : or si l’on fait sonner vne partie de la chorde qui n’ayt que dix pouces, quand elle est bandée auec quatre liures, elle monte à l’vnisson du ton de chapelle, & quand elle est bandée de huit liures, estant longue de vingt pouces elle monte au mesme ton, & finalement quand elle n’est tenduë que par la force d’vne demie liure, elle fait le mesme ton, en prenant seulement la longueur de cinq pouces. […]
[…] & pour ce sujet ie dy premierement qu’il est aisé de dire le nombre des boyaux dont chaque chorde de Luth, de Viole, ou d’vn autre instrument est faite, par le son qu’elle fait : car apres auoir consideré le son de celle qui n’a qu’vn boyau, l’on sçait la raison de son ton auec celuy des autres chordes de telle grosseur qu’on voudra, soit qu’elles ayent vne mesme ou differente longueur & tension, pourueu que l’on cognoisse ladite tension & longueur : par exemple, si celle d’vn seul boyau longue d’vn pied tenduë par sept liures fait l’vt de C sol & que celle de deux pieds tenduë par sept liures descende vne Octaue, il est certain qu’elle est composee de trois boyaux, parce que si elle n’estoit tenduë que par quatre liures, elle n’aurait qu’vn boyau, puisque la tension est en raison doublee des sons, lors que les chordes sont d’esgale grosseur : & parce qu’outre cette double longueur, la grosseur est triple, il faut encore tripler le poids ou la tension de la chorde d’vn boyau pour auoir la tension de sept liures.
Or s'ils auoient des regles certaines, ils [les plus excellens Maistres] pourroient faire tels chants qu'ils voudroient à toute sorte d'heures & de rencontres, comme les Architectes peuuent faire le dessein d'vn bastiment, & les Mathematiciens des demonstrations, & tirer des lignes droites & courbees de toutes façons en tout temps, parce qu'ils ont des regles certaines & infallibles. La maniere dont se seruent les Compositeurs confirme cette verité, car ils tastent sur le Luth, sur l'Epinette, sur la Viole, ou sur d'autres Instrumens plusieurs sortes de tons & d'accords pour r'encontrer vn chant qui leur plaise, ou bien ils fueillettent Claudin, Guedron, & les autres Maistres pour prendre quelques parties de chant d'vn costé, & les autres parties en dautres lieux, afin de ramasser ces fragmens, & d'en faire vn chant entier. Or s'ils auoient des regles certaines, ils s'en seruiroient sans prendre deçà & delà des vns & des autres, ce qu'ils font quelquefois sans beaucoup de raison & de iugement.
D'abondant l'on experimente que les airs des Balets, & des Violons excitent dauantage à raison de leur gayeté qui vient de la promptitude de leurs mouuemens, ou de leurs sons aigus, que les airs que l'on iouë sur le Luth ou sur les basses des Violes, lesquels sont pour l'ordinaire plus graues & plus languissans.
Car bien que les compositions que l'on fait maintenant ayent besoin de 9 ou 12 chordes, comme sont celles de la Viole, du Luth, de l'Epinette ; ou de 16, de 19, ou de 25, comme ie diray ailleurs, neanmoins cela n'oste pas le nom à l'Octaue, dont il y a d'autres raisons, quand on ne les prendroit que des effets du nombre de huit qui a d'admirables rencontres dans la Musique, puis qu'il n'y a que huit accords & huit raisons qui les contiennent, à sçauoir l'Vnisson qui contient la raison d'egalité ; le Diapason dont la raison double est la premiere des multiples ; la Quinte qui contient la premiere des raisons surparticulieres, que l'on appelle Sesquialtere ; la Quarte qui a la sesquitierce, que les Grecs appellent Epitritos ; la Tierce majeure qui comprend la Sesquiquarte ; la Tierce mineure qui a la Sesquiquinte ; la Sexte majeure qui contient la Surbipartiente-trois ; et la Sexte mineure qui a la Surtripartiente-cinq : à quoy l'on peut ajoûter que le nombre huit represente le premier cube dont la racine est deux, & la beatitude qui est signifiee par l'Octaue, car plusieurs Psalmes ont pro octaua dans leur inscription, particulierement quand ils parlent de la beatitude, comme sainct Ambroise a remarqué au cinquiesme liure qu'il a fait sur le sixiesme chapitre de sainct Luc.
La prominence qui excede le corps de l'instrument, & qui semble continuer ledit corps en droite ligne, est appellee le manche par les ouuriers, & ioüeurs d'instrumens, & sert pour estendre les chordes dessus, afin qu'elles [p103] ayent vne longueur suffisante, & que le Musicien pose les doigts dessus pour faire faire diuersitez de tons à vne mesme chorde ; or il y a autant de cheuilles au bout des manches qu'il y a de chordes sur l'instrument, afin qu'on les puisse hausser ou baisser à volonté, comme l'on void au luth, aux violes, aux mandores, aux guiterres & aux violons […]
Nous parlerions icy des chordes de l'Epinette, de la matiere dont elles doiuent estre faites, & de leurs grosseurs, longueurs & tensions : mais il faut premierement expliquer comme elle doit estre touchee, car encore que l'on fasse l'archet qui sert à toucher la Viole ou le Violon, apres qu'ils sont montez de leurs chordes, il n'en est pas de mesme de l'Epinette, dont il faut faire le clauier, & les sautereaux qui luy seruent comme d'archet, auant que de poser & de coller la table en sa place.
Or le ieu des Violes est le plus excellent de tous ceux que l'on y peut augmenter, car quant à celuy des Luths & des Harpes, l'Epinette les imite assez, lors qu'elle est montee de chordes à boyau.
Mais auant que de resoudre si l'on y peut ioindre le ieu des Violes, il faut considerer tous les ieux que l'on y pratique maintenant. Et premierement le ieu commun, qui est le fondement des autres, peut estre appellé ieu fondamental, auquel on adiouste quelquefois vn semblable ieu à l'vnisson, ou vn autre à l'octaue, afin de le rendre plus remply d'harmonie, & afin qu'il ayt vn plus grand effet dans les concerts & sur les auditeurs.
L'on peut encore adiouster vn autre ieu de Tierce ou de Quinte, dont les vns pourront auoir des chordes de luth, & les autres de leton ou d'acier. Voila tous les ieux dont on s'est seruy iusques à present, lesquels on peut appeller double, ou triple Epinette. Et ces ieux se ioüent tous ensemble, ou separément comme l'on veut, en les ouurant ou fermant par de certains ressorts & registres que l'on tire, ou que l'on pousse selon la volonté du facteur & du Musicien. Quant au ieu de Violes, l'on peut se seruir de chordes à boyau ou de leton, mais la difficulté consiste à treuuer le moyen de faire vn archet, qui touche les chordes aussi fort, ou aussi doucement que l'on desire.
Or la main du Musicien peut suppleer à cela [treuuer le moyen de faire vn archet, qui touche les chordes aussi fort, ou aussi doucement que l'on desire], car à proportion que l'on baissera ou que l'on haussera les chordes, afin de rencontrer l'archet, elles seront touchees plus rudement, ou plus delicatement. Et l'on peut s'imaginer vn mouuement par des ressorts, ou auec le pied, qui fera tousiours cheminer l'archet, afin qu'il touche chaque chorde aussi long-temps que l'on voudra. Mais ie ne croy pas que l'on puisse suppleer les gentillesses de la main gauche, ny les fredons, & les douceurs & rauissements des coups de l'archet, dont les excellens ioüeurs de Violes & de Violons, comme les Sieurs Maugards, Lazarin, Bocan, Constantin, Leger & quelques autres, rauissent l'esprit des auditeurs.
Les Allemans sont pour l'ordinaire plus inuentifs & ingenieux dans les Mechaniques que les autres Nations, & particulierement ils reüssissent mieux à l'inuention des instrumens de Musique : ce que ie peux confirmer par la maniere qu'ils ont treuuee depuis quelque temps, pour faire ouyr des ieux entiers de Violes sur les Clauecins, quoy qu'vn seul homme en touche le clauier, comme celuy d'vne autre Epinette. Mais ils n'ont nul besoin d'archet, d'autant qu'ils mettent quatre ou cinq rouës paralleles aux touches, quoy que plus hautes que les touches : or on presse les chordes si peu que l'on veut sur lesdites rouës, qui font durer le son aussi long-temps que le doigt demeure sur la touche, & qui le renforcent ou l'affoiblissent selon que l'on presse la touche plus ou moins fort.
Elle [l'Epinette] peut semblablement estre meslee auec toutes sortes d'instruments, comme enseigne l'experience, & mesme auec les voix, qu'elle regle & qu'elle maintient dans le ton ; mais elle se mesle particulierement auec les Violes, qui ont le son de percussion & de resonnement comme l'Epinette. On peut dire la mesme chose des Clauecins & des Manichordions, dont celuy cy est plus foible de son que l'Epinette, & celuy-là est plus fort pour l'ordinaire. A quoy l'on peut adjouster pour la façon & pour la forme, que le clauier est à l'vne des extremitez du clauecin, & que dans l'Epinette & dans le Manichordion il est au milieu. Or quant à la bonté de l'Epinette, elle depend de plusieurs conditions & particularitez, mais particulierement des barres qu'on met dessouz la table, d'autant qu'il est difficile de barrer parfaictement les Epinettes, & est l'vn des plus grands secrets de l'art, dont ie laisse la recherche aux Facteurs.
Or ce que i'ay dit de la grosseur, & du diametre des chordes de l'Epinette, & de la Harpe dans ces deux tables, peut estre appliqué aux chordes du Luth, & des Violes, quoy que leurs chordes ne soient pas ordinairement differentes en longueur : car si l'accord des Violes va de Quarte en Quarte, la seconde doit estre moins grosse d'vn tiers que la premiere ; c'est à dire que si la premiere chorde a quatre parties de grosseur, la seconde en doit auoir trois ; & si l'accord [p123] estoit de ton en ton, comme dans la Gamme, ou de demy ton en demy ton, comme sur l'Epinette, la seconde chorde doit estre moins grosse que la premiere d'vne huictiesme, ou d'vne quinziesme partie ; c'est à dire que la diminution des grosseurs suit la raison des interualles harmoniques, si l'on veut que l'instrument rende vne parfaite harmonie, particulierement lors que l'on touche les chordes à vuide, comme l'on fait sur la Harpe, & sur l'Epinette, & quelquefois sur le Luth, sur la Viole, & sur la Guiterre.
PROPOSITION VII. Vn homme sourd peut accorder le Luth, la Viole, l'Epinette, & les autres instrumens à chorde, & treuuer tels sons qu'il voudra, s'il cognoist la longueur, & la grosseur des chordes : de là vient la Tablature des sourds.
L'on peut auoir de plusieurs sortes de chordes, qui soient esgales en longueur & grosseur, comme celle des Monochordes ; ou inesgales en longueur & esgales en grosseur : ou inesgales en longueur & grosseur, comme celles des Harpes & de l'Epinette ; ou esgales en longueur, & inesgales en grosseur, comme celles des Violes, & du Luth. Or de quelque maniere qu'elles soient differentes, l'homme sourd les peut mettre à tel accord qu'il voudra, pourueu qu'il sçache leurs differences tant en matiere, qu'en longueur, & grosseur. Ce que ie demonstre premierement aux chordes, qui sont esgales en toutes choses, afin de commencer par les plus simples, parce que lors qu'elles sont tenduës par des forces esgales, elles font l'vnisson, puisque choses esgales adioustees à choses esgales, les laissent esgales.
PROPOSITION X. Determiner si l'on peut accorder le Luth, la Viole, l'Epinette & les autres instrumens à chordes, sans se seruir des sons, ny des oreilles, par la cognoissance des differens alongemens que souffrent les chordes. Cette proposition a besoin de quelques suppositions, dont la verité depend de l'experience & de la raison, car il faut sçauoir qu'elle raison il y a des differens racourcissemens des chordes aux sons differens quant au graue & à l'aigu, c'est à dire qu'il faut cognoistre combien il faut tourner la cheuille pour faire monter la chorde au second, trois, & quatriesme ton, supposé que l'on sçache combien il la faut tourner pour la mettre au premier, ou au second : & si, par exemple, vne force la fait racourcir d'vn doigt, combien 2, 3, ou 4 forces, &c. la feront racourcir : cecy estant posé, l'on peut marquer les chordes auec de petits points à chaque lieu, afin que les points respondent à [p129] certains lieux de l'instrument, qui feront voir quand les chordes seront d'accord, mais vne seule marque imprimée sur la chorde suffit pour cognoistre de combien de tons elle monte, ou descend, pourueu que l'on puisse mesurer son racourcissement, ou son alongement par le moyen de cette marque, ou des tours de la cheuille ; ce que l'on fera aysément si l'on compare la marque de la chorde auec quelqu'autre marque de la Table de l'instrument, qui fera recognoistre combien la chorde s'alonge, on se doit alonger à chaque ton, ou demy-ton.
PROPOSITION XI. Determiner de combien l'air est plus sec, ou plus humide chaque iour par le moyen des sons, & des chordes. L'Experience fait voir que les chordes de la Viole montent plus haut en temps humide que quand le temps est sec, car elles se haussent d'vn ton, d'vne Tierce, ou d'vne Quarte, quand le temps est humide & pluuieux ; cecy posé, il faut voir si l'on peut dire que l'air, ou le temps soit d'autant plus humide que les chordes montent plus haut : c'est à dire, si quand vne chorde monte plus haut d'vne Tierce maieure, dont la raison est de 4 à 5, l'air est plus humide d'vne quatriesme partie qu'il n'estoit deuant ; car le plus grand terme de la Tierce maieure est plus grand d'vn quart que son moindre terme, or la chorde qui faisoit le moindre terme de cette Tierce en temps sec fait son plus grand terme en temps humide, & consequemment elle bat cinq fois l'air en temps humide, qu'elle ne battoit que 4 fois en temps sec.
Mais il faut considerer d'autres choses dans la differente matiere des chordes, car les chordes de boyau, ou de fil de chanure s'alterent, & s'enflent plus facilement, & plus sensiblement que les chordes d'acier, d'airain, ou d'argent : d'autant que les metaux ne sont pas si poreux, & si mols comme les chordes de boyau, c'est pourquoy il faut se seruir de celles-cy, pour iuger si l'air est plus humide ou plus sec, parce que celles d'airain ne changent pas leur son si facilement sur l'Epinette, que celles de boyau sur la Viole. D'ailleurs la chorde de boyau peut auoir vne si grande humidité, qu'elle se laschera plustost qu'elle ne se tendra, ce qui monstre qu'il est difficile d'establir quelque chose de certain sur cet accident, & sur cette experience. Or l'on peut icy considerer deux ou trois accidens des chordes, car elles deuiennent plus courtes, ou plus grosses, ou elles font vn son plus aigu. Quant à leur racourcissement on remarque que les chordes, dont on vse pour sonner les cloches, sont plus courtes à l'hyuer qu'à l'esté, ce qui arriue semblablement à celles qui sont suspenduës aux voultes des Eglises pour abbaisser les lampes, comme l'on remarque dans les Eglises Cathedrales, dont les voultes sont fort esleuées, dans lesquelles lesdites chordes s'acourcissent à l'hyuer d'vne toise, ou enuiron.
L'on peut donc conclure combien les chordes des instrumens s'acourciroient, si elles n'estoient detenuës par les cheuilles ; par exemple, elles s'acourciroient d'vne qninziesme partie, quand elles montent d'vn semiton maieur. Semblablement l'on peut dire de combien les chordes, qui s'acourcissent à raison qu'elles sont libres, receuroient vne plus grande tension, si elles estoient arrestées, car la raison doublée des longueurs de la chorde en temps sec & humide donnera la tension : par exemple, si la chorde s'acourcit d'vne quinziesme partie, la raison de sa longueur en temps sec & humide sera de 16 à 15, laquelle estant doublée donne la raison de 256 à 225, c'est à dire quasi de 17 à 15 ; par consequent la chorde de la Viole qui monte d'vn demy-ton, est plus tenduë de deux parties sur 15, qu'elle n'estoit deuant, supposé qu'elle ne grossisse point par la tension, autrement il faut adiouster autant de degrez à la susdite tension, comme l'humidité a adiousté de nouuelles parties à sa grosseur.
Secondement, on peut se seruir des chordes, qui sont arrestées par les deux bouts, comme sont celles de la Viole, du Luth & des autres instrumens à chorde, car si on suspend vn poids au milieu de la chorde, & qu'on diuise le plan, vis à vis duquel la chorde descend qui tient le poids suspendu, de sorte que la plus basse diuision soit à niueau du poids, on verra les differents degrez de l'humidité par les differentes esleuations du poids, comme on recognoist les differents degrez de lumiere, & de chaleur par les differentes esleuations du Soleil. Mais parce que nous ne sçauons pas si de tous les degrez d'humidité chacun fait racourcir les chordes esgalement, c'est à dire si le 2 degré les fait autant racourcir comme le 1, le 3 comme le 2, &c. l'on ne peut determiner cette difficulté qu'en general pour les differents degrez d'humidité.
Or il est aysé de prouuer que l'instrument ayde à la bonté de la chorde, d'autant qu'elle n'est plus si bonne, quand elle est mise sur vn autre instrument d'esgale grandeur, quoy qu'il se rencontre d'autres chordes qui sont aussi [p137] bonnes sur cet instrument comme estoit la premiere chorde sur l'autre : mais si cette raison ne plaist pas à ceux qui touchent le Luth & l'Epinette, il leur est permis d'en chercher vne meilleure. Il faut cependant remarquer que l'on tient que la troisiesme chorde de la Viole est ordinairement la meilleure, & que l'on remarque semblablement la mesme difference de bonté dans les tuyaux de l'Orgue, dont il y en a quasi tousiours quelqu'vn qui surpasse tous les autres : mais i'en parleray plus amplement dans le liure de l'Orgue. Quant aux chordes, il est assez facile de remarquer leur meilleur ton en les touchant à vuide, ou en vsant des touches, & lors que l'on a le ton de la table, l'on peut experimenter si le ton de la chorde qui se fait auec les touches est meilleur que celuy qui se fait à vuide, ou à l'ouuert, quand celuy des touches fait l'vnisson, ou quelqu'autre consonance auec la table : quoy que le doigt, qui touche la chorde sur le manche, puisse souuent estre cause qu'elle ne sonne pas si bien qu'a vuide, car il est difficile de toucher si bien de la main gauche, que ce contact ne nuise pas dauantage à son harmonie, que si elle estoit touchée à vuide sur vn nouueau sillet.
PROPOSITION XIV. Determiner combien l'on peut toucher de chordes, ou de touches du clauier dans l'espace d'vne mesure, c'est à dire combien l'on peut faire de notes à la mesure sur l'Epinette ; & si l'archet va aussi viste sur la Viole, & sur le Violon ; ou si la langue & les autres organes qui font les passages, & les fredons peuuent faire autant de notes à la mesure que l'Epinette. L'on peut toucher les chordes de Luth, & de l'Epinette en deux manieres, à sçauoir toutes, ou plusieurs en mesme temps, comme il arriue lors que l'on abbaisse plusieurs touches du clauier en mesme temps, pour faire plusieurs consonances ou dissonances ; ou l'vne apres l'autre, comme l'on fait aux passages & aux fredons, & c'est de cette maniere que ie parle icy. Or il faut remarquer que les Musiciens ont inuenté des notes pour signifier toutes leurs mesures c'est à dire tous les temps, ou toutes les especes de durée qu'ils donnent aux sons & aux voix, dont ils composent toutes sortes de chansons & de motets : & que celle qui signifie vne mesure est blanche, & sert comme de pied, de diapason & de regle à toutes les autres, qui augmentent ou diminuent ordinairement leurs valeurs de moitié en moitié, de sorte que la 2 vaut la moitié d'vne mesure, la troisiesme le quart, la 4 la 8 partie, la 5 la 16 partie, la 6 la 32 partie, & la 7 la 64 partie, qui est la moindre de toutes celles qu'ils ont inuentées, parce qu'ils ont iugé que l'on ne pouuoit pas chanter vne note en vn moindre temps qu'en la 64. partie d'vne mesure.
D'où il s'ensuit que nul ne peut toucher plus de 960 fois vne, ou plusieurs chordes dans l'espace d'vne minute d'heure, ou 17600 dans vne heure. Quant à la comparaison de la vistesse dont on vse sur la Viole, sur l'Epinette, ou sur les autres instrumens, il est tres-difficile d'en iuger autre chose, sinon que ceux qui en ioüent en perfection peuuent les toucher d'vne esgale vistesse. A quoy i'adiouste que la voix & la gorge ne peuuent aller si viste que les instrumens : ce que l'on sera contraint d'aduoüer apres auoir comparé vn excellent ioüeur d'Epinette ou de Viole, auec vn excellent Chantre.
PROPOSITION XVII. L'on peut sçauoir combien de fois les chordes du Luth, de l'Epinette, des Violes & des autres instrumens battent l'air : c'est à dire, combien de fois elles tremblent, ou combien elles font de tours & de retours durant vn concert, ou en tel autre temps que l'on voudra determiner. Il est tres-aysé de cognoistre le nombre des battemens, ou retours de toutes les chordes de tel instrument que l'on voudra, si l'on a compris ce que i'ay dit de ces tremblemens dans vn autre lieu, pourueu que l'on sçache le nombre des instrumens dont on vse, & l'espace du temps que dure le concert. Neantmoins ie veux icy repeter ce qui est necessaire pour l'intelligence de cette proposition ; & premierement que la chorde, qui est à l'vnisson d'vn tuyau d'Orgue de 4 pieds ouuert, fait 48 retours dans l'espace de la trois mille [p141] sixcentiesme partie d'vne heure, c'est à dire dans l'espace d'vne seconde minute, qui est la durée d'vn battement du coeur, ou du poux tres-lent & paresseux. Secondement, que les retours des chordes se multiplient en mesme proportion que les sons deuiennent plus aigus ; & consequemment lors que l'on sçait le nombre des retours d'vne chorde, dont on cognoist le son, on sçait quant & quant le nombre des retours de toutes sortes de chordes, dont on cognoist les sons.
COROLLAIRE I Il faut icy supposer que le tremblement des chordes cesse apres la mesure, c'est à dire si tost que l'on a leué les doigts, ou l'archet de dessus les chordes, car si elles tremblent encore apres, comme il arriue ordinairement aux chordes des Luths & des Violes, & que l'on vueille sçauoir le nombre de tous ces tremblemens, il faut premierement cognoistre combien de temps elles tremblent apres leurs sons ; car la durée de ces tremblemens estant supposée, il sera aussi aysé de treuuer le nombre de tous les tremblemens, comme de ceux qui se font pendant que les sons suiuent la mesure. Et si l'on chante cet air auec 24 Luths, Violes, ou Violons : de sorte que chaque partie ayt six instrumens, il faut multiplier le nombre precedent des retours par 6, & l'on aura 75362 retours que feront les chordes desdits instrumens dans le temps de 22 mesures. Or il faut remarquer que le temps d'vne mesure ne doit durer qu'vne seconde minute, c'est à dire la 3600 partie d'vne heure, & que si elle dure dauantatage, par exemple 2, ou 3 secondes, comme il arriue souuent, qu'il faut doubler ou tripler le nombre precedent des retours, comme il est tres-aysé de conclure de ces discours.
COROLLAIRE VI Ce qui a esté dit iusques à present peut aussi seruir pour la tablature du tremblement ou fremissement des cloches, & du mouuement de tous les autres corps, par exemple du mouuement des fueilles d’arbres, des oyseaux qui volent, & des autres corps qui battent l’air, parce que lors qu’vn corps bat autant de fois l’air que les chordes des instrumens, l’on peut dire qu’il fait l’vnisson auec lesdites chordes. De là vient que l’on ne peut apporter d’autre raison formelle & immediate, pourquoy vne cloche a le son plus graue ou plus aigu que l’autre, sinon parce que les parties de l’vne fremissent plus viste, & consequemment battent l’air plus souuent. Il faut neantmoins remarquer que l’on n’oyt pas les battemens d’air de toutes sortes de corps, quoy qu’ils soient [p146] aussi frequents que ceux de la chorde du Luth, de la Viole & des Cloches, comme il arriue quand l’air battu n’est pas enfermé, & que ses mouuemens ne sont pas reflechis, comme ils sont par la table & par le corps des instrumens : de là vient que l’on a de la peine à ouyr les chordes de Luth qui se meuuent dans vn air libre, tandis que l’on les tient par les deux extremitez auec les doigts, d’autant que le son n’estant pas reflechy n’est pas assez fort pour estre ouy, comme i'ay desia remarqué dans vn autre lieu.
Or la perfection consiste particulierement à toucher de certains tons, & de certaines chordes si a propos que l'esprit de l'auditeur en soit charmé & rauy, & qu'il ne desire plus autre chose que d'aller au Ciel pour iouyr des plaisirs inexplicables que l'on a de voir Dieu tres-clairement, & pour ioindre l'harmonie de ses chants à celle des bien-heureux. Ce qu'il faut aussi entendre de tous les autres instrumens dont nous auons parlé, & dont nous ferons d'autres discours, car chacun a des graces si particulieres qu'il est difficile de sçauoir celuy que l'on doit preferer aux autres : quoy qu'il en soit ie donne icy la piece de Musique à 4 dont i'ay desia parlé, afin que l'on voye vne partie de ce que peut faire l'Epinette touchée des plus excellens Maistres ; elle peut semblablement estre ioüée sur la Harpe, puis qu'elle n'est qu'vne Epinette renuersée, c'est pourquoy ie ne donneray point d'exemple pour cet instrument ; & parce que le clauier de l'Orgue n'est pas different de celuy du Clauecin, il n'y a nul doute que les Organistes la peuuent toucher, quoy qu'il y ayt de certaines particularitez au toucher de l'Orgue qui ne sont pas à celuy de l'Epinette, comme ie diray dans vn liure particulier, dans lequel ie donneray vn autre exemple pour monstrer ce que peut faire l'Orgue, & ce qui luy est propre. Mais l'on ne peut apporter vne plus grande perfection à l'Epinette qu'en faisant durer ses sons autant que ceux de la Viole, ou de l'Orgue, & en rendant la diuision de son clauier, & de ses demy tons si iuste qu'elle responde à la Theorie.
Quant à la durée de ses sons, i'en ay desia parlé, & les Allemans font voir par experience que les Clauecins sont capables de faire ouyr d'excellens concerts de Violes par le moyen des roües qui suppleent les traits de l'archet : ce qui se peut faire en plusieurs manieres, mais la iustesse des interualles & des degrez du clauier depend d'vne bonne oreille, & de plusieurs choses qui y [p169] doiuent contribuer, par exemple de nouuelles marches, & feintes que l'on y doit adiouster, suiuant ce que i'ay remarqué dans le discours des clauiers ; les chordes doiuent aussi estre bien choisies, car il s'en rencontre de si fausses & de si mauuaises, que l'on ne les peut mettre d'accord. Or plusieurs croyent que les chordes d'Epinette montent plus haut auant que de rompre, lors qu'on les bande peu à peu, & qu'elles rompent plustost quand on les veut monter tout d'vn coup iusques à leur ton, mais il se rencontre des Practiciens qui experimentent le contraire : quoy qu'il en soit, il est certain qu'il y a plusieurs choses dans la Practique qui dependent de la dexterité, & de la bonne main des Maistres & des Facteurs.
Or il faut remarquer que les parties du milieu, c'est à dire la Taille, la Cinquiesme partie, & la Haute-contre sont de differentes grandeurs, quoy qu'elles soient toutes à l'vnisson, & consequemment lors que la surface de la Haute-contre est à celle du Dessus comme neuf à quatre, c'est à dire double sesquiquarte, & que leurs corps ont mesme raison que 27 à 8, c'est à dire triple surtripartissante 8, la surface de la Taille deuroit estre à celle du Dessus comme 4 à 1, afin que leurs soliditez fussent comme de 8 à 1, c'est à dire octuples : & finalement la surface de la Basse deuroit estre à celle du Dessus comme 16 à vn, & le corps de celle-là au corps de cettuy-cy, comme 64 à 1. Ce qu'il faut semblablement obseruer aux Violes, aux Luths, & à tous les autres instrumens, dont on fait des concerts, d'autant que ie ne parleray plus de ces proportions dans les autres discours. Quant à la Tablature des Violons & des Violes, elle n'est pas differente des notes ordinaires de la Musique, encore que ceux qui n'en sçauent pas la valeur, puissent vser de nombres, ou de tels characteres qu'il leur plaira pour marquer leurs leçons & leurs conceptions, & pour escrire des tablatures particulieres, comme sont celles du Luth, & de la Guiterre : quoy que les notes vaillent mieux que les lettres, d'autant qu'elles marquent les sons, la valeur des mesures, & toutes sortes de temps, & qu'elles sont plus vniuerselles dans l'Europe. Or si l'on veut quitter les noms, dont les anciens ont exprimé leurs modes, à sçauoir Dorien, Phrygien, Lydien, l'Ionien & les autres, & que l'on vueille leur imposer des noms plus intelligibles que ceux des Grecs, l'on peut appeller le Ton, ou le mode du Violon, le mode gay & ioyeux, comme celuy de la Viole & de la Lyre, le mode triste & languissant ; celuy du Luth, le mode prudent & modeste ; celuy de la Trompette, le ton hardy & guerrier, & ainsi des autres suiuant la proprieté de chaque instrument.
Quant à la perfection de la Pratique, elle consiste au beau toucher, lequel est la base & le fondement du plaisir qui doit contenter l'oreille : & parce que cet instrument n'a point de touches, il faut tellement aiuster les doigts sur chaque lieu du manche, que les sons persuadent vne proportion aussi bien reglée que s'il y auoit des touches comme à la Viole. En second lieu, il faut addoucir les chordes par des tremblemens, que l'on doit faire du doigt qui est le plus proche de celuy qui tient ferme sur la touche du Violon, afin que la chorde soit nourrie. Mais il faut appuyer les bouts des doigts le plus fort que l'on peut sur la touche, afin que les chordes fassent plus d'harmonie, & les leuer fort peu de dessus le manche, afin d'auoir assez de temps pour les porter d'vne chorde à l'autre. En troisiesme lieu, si l'on veut parfaitement reüssir, la main qui tient l'archet doit estre du moins esgale en vistesse à la gauche, d'autant qu'elle fait paroistre tous les mouuemens differens qui enrichissent les airs, & qui donnent de la beauté aux chants. En quatriesme lieu, il faut traisner l'archet sur les chordes, & repeter plusieurs fois le battement du doigt sur vn mesme ton, & puis sur vn autre, en continuant ainsi depuis le haut iusques en bas, pour faire les mignardises qui sont fort agreables, à raison de la belle modulation qui donne vn grand plaisir à l'ouye, quoy qu'il faille y proceder auec iugement. Or le Violon à cela par dessus les autres instrumens qu'outre plusieurs chants des animaux tant volatiles que terrestres, il imite & contrefait toutes sortes d'instrumens, comme les voix, les Orgues, la Vielle, la Cornemuse, le Fifre, &c. de sorte qu'il peut apporter de la tristesse, comme fait le Luth, & animer comme la Trompette, & que ceux qui le sçauent toucher en perfection peuuent representer tout ce qui leur tombe dans l'imagination. Ie laisse vne infinité d'autres remarques qui appartiennent à cet instrument, par exemple, que l'on peut sonner vne Courante, & plusieurs autres pieces de Musique auec vn seul coup d'archet : que l'on peut flatter les chordes de 8, de 16, ou de 32 coups de doigt dans l'espace d'vne mesure : qu'il faut mettre les trois doigts de la main gauche, c'est à dire l'index, celuy du milieu, & l'annulaire [p184] si pres de la chorde que l'on veut toucher, qu'il ne s'en faille qu'vne demie ligne qu'ils n'y touchent, afin que ce petit esloignement n'empesche point la vistesse du toucher & des tremblemens.
A quoy i'adjouste que l'on transpose aysément chaque ton en douze manieres, par le moyen des dieses & des fa feints, ou ♭ mols qu'ils appellent accidents, comme l'on void dans l'exemple du premier mode qui commence en C sol vt fa, [p190] dans lequel ce mode commence tousiours vn demy-ton de plus haut en plus haut iusques au douziesme demy-ton de l'Octaue : ce que l'on pratique semblablement dans les onze autres modes ; par exemple dans le troisiesme qui suit, & qui commence en D re sol, de sorte que l'on fait 144. varietez des douze modes sur le Violon : ce que l'on peut semblablement faire sur le Luth, sur la Viole, & sur tous les autres instrumens à manches, & mesme sur les Epinettes, & sur l'Orgue dont le clauier est diuisé en douze demy-tons esgaux, suiuant la methode que i'en ay donnée dans le traité du Luth. Or puis que l'on peut prendre l'VT, le RE, le MI, &c. sur chaque chorde du Violon, soit qu'on la touche à vuide, ou qu'on l'accourcisse d'vne, de deux, ou de trois touches, &c. il est certain que la touche ou le manche du Violon est capable de representer tous les modes, quoy qu'il n'ayt que quatre chordes, c'est pourquoy il faut corriger ce que i'ay dit au contraire dans la troisiesme Proposition de ce liure, quoy qu'il se puisse expliquer au sens de quelques ioüeurs de Violon, dont i'ay suiuy l'idée. Mais puis que i'ay entrepris de parler nettement & intelligiblement, il faut oster tous les embarras du discours. Il faut aussi corriger ce qui est dit que D sol re est le plagal du mode C sol vt fa, car son mode collateral ou plagal descend vne Quarte plus bas en G re sol vt ; mais i'ay traité fort amplement des modes dans vn autre liure, auquel ie desire que l'on se tienne. Voyons maintenant ce qui appartient aux Violes.
PROPOSITION VIII. Expliquer la figure, la fabrique, l'accord & l'vsage de la Viole. Les parties de la Viole sont semblables à celle du Violon, comme l'on void dans cette figure qui ne differe quasi des precedentes, qu'en ce qu'elle a des touches qui bornent sa capacité, & qui d'infinie qu'elle estoit la determine à sept ou huict demy-tons esgaux qui se font sur son manche, par le moyen de huict touches, dont chacune est marquée d'vne lettre : car ceux qui ne sçauent pas la Musique par notes, la marquent par lettres, comme nous auons dit dans le second liure en parlant de la tablature du Luth, & des autres instrumens. Mais auant que de donner la figure de la Viole, dont [p191] on vse maintenant, ie donne la figure de celle dont on se seruoit deuant, laquelle n'auoit que cinq chordes, dont le nom se void sur la touche du manche pres du sillet, à sçauoir Chanterelle, Seconde, Tierce, Quarte & Bourdon. Et puis l'on void l'accord par lettres auec la clef de G re sol sur la seconde chorde, auec E, A, D, G & C, qui signifient que l'accord de ces cinq chordes à l'ouuert vont d'E mi la à A mi la re, & de A mi à D la re, de D re à G re, & de G re à C sol, c'est à dire de quarte en quarte. Il y a des notes, des dieses, & des ♭ vis à vis desdites lettres, afin de signifier que l'on peut chanter auec la Viole tant par ♮ quarre que par ♭ mol. En troisiesme lieu l'on void la clef de F vt fa sur la 5. chorde, pour faire la Basse, & consequemment le B est sur la 4, l'E sur la 3, l'A sur la 2, & le D sur la chanterelle, puis que les chordes montent tousjours de Quarte en Quarte. Ie laisse la clef de nature qui suit au 4. lieu sur la 4. chorde, & tout ce qui reste sur le manche iusques à la table, afin de parler des Violes à six chordes dont on vse maintenant. [CHANTEREL - SECONDE - TIERCE - QVARTE - BORDON - CLEF HAVTTE - CLEF MOYENE - CLEF BASE
Or on les fait [les Violes] de toutes [p192] sortes de grandeurs, dans lesquelles l'on peut enfermer de ieunes Pages pour chanter le Dessus de plusieurs airs rauissans, tandis que celuy qui touche la Basse chante la Taille, afin de faire vn concert à trois parties, comme faisoit Granier deuant la Reyne Marguerite. Il faut les faire du moins assez grandes pour en tirer l'harmonie que l'on desire, & la figure qui suit a esté prise sur vne Basse de Viole longue de quatre pieds & demy ou enuiron, quoy que l'on puisse les faire de sept ou de huict pieds, si l'on a les bras assez grands [p193] pour en ioüer, ou si l'on vse de quelque artifice qui puisse suppleer le mouuement des doigts de la main gauche, ou de celle qui tient l'archet. La longueur de la Viole se prend depuis le bouton I, iusques à la lettre A, qui monstre le lieu des cheuilles, quoy que si l'on veut seulement prendre sa longueur par ses chordes, elle soit depuis le cheualet G iusques au sillet B, parce qu'elles ne tremblent & ne sonnent qu'entre ces deux termes : ce qui arriue semblablement aux autres instrumens, dont la longueur des chordes est bornée par le sillet & par le cheualet. M L K monstrent l'espaisseur du corps, ou la hauteur des éclisses, qui est plus ou moins grande selon la volonté des Facteurs, & l'harmonie que l'on en veut tirer. Le bout ou la partie M C de la touche B M C ne touche pas à la table de la Viole marquée de C D E G, mais elle est en l'air ; de sorte que l'on passe aysément les doigts entre elle & la table. Le cheualet G est haut de deux, trois, ou quatre doigts, dont le pied gauche G est soustenu d'vn petit baston que l'on void, & que l'on releue par l'ouye E, quand il est tombé : H monstre l'endroit de la queuë H I, auquel les six chordes sont attachées ; & I fait voir les chordes de fil d'arichal ou de fer, qui attachent la queuë au bouton I.
Quant à l'archet [de la Viole], ie l'ay desia expliqué dans le traité du Violon, mais cettuy cy est trop long, car sa longueur ne doit pas estre plus grande que depuis le cheualet iusques à la teste du manche, quoy qu'il importe fort peu qu'il soit plus long ou plus court ; pourueu qu'il soit propre à toucher les chordes comme il faut pour en tirer l'harmonie & les charmes, dont la Viole est capable lors qu'elle est touchée d'vne sçauante main. Quant aux notes qui sont à costé, elles monstrent l'accord de la Viole touchée à vuide, lequel a premierement deux Quartes, & puis vne Tierce maieure, & finalement deux autres Quartes ; de sorte que la Tierce est enfermée par quatre Quartes, ce qui fait paroistre le prix que l'on fait de cette Consonance, & la necessité de son vsage ; car encore que l'on puisse accorder la Viole en plusieurs autres manieres, neantmoins l'vsage & la pratique monstrent que cet accord est le meilleur, ou le plus commode & le plus aysé de tous. Les nombres qui sont à costé des cheuilles & que ie repete icy, monstrent les termes radicaux de cet accord, c'est à dire les moindres nombres, dont il peut estre exprimé sans vser de fractions : i'adiouste encore les dictions & les lettres de la Gamme ordinaire, afin que tous puissent entendre cet accord, qui a l'estenduë d'vne Quinziesme, comme l'on void de D à D, ou de 320 à 88. Or il faut remarquer que les chordes vont tousiours en augmentant de grosseur depuis la chanterelle BH iusques à la sixiesme BD (encore que ces grosseurs ne soient pas obseruées dans cette figure) & que l'on tient ordinairement l'archet vis à vis de B, quoy que cela soit indifferent. [D la re sol - Quarte - G re sol vt - Quarte - C sol vt fa - Tierce - E mi la - Quarte - A mi la re - Quarte - D la re sol].
Ie laisse plusieurs autres choses qui meritent des discours particuliers ; par exemple, pourquoy l'on met plustost le baston que l'on appelle l'ame de la Viole, souz le pied du cheualet du costé de la chanterelle, que souz celuy qui soustient la sixiesme chorde, veu qu'estant plus grosse il semble qu'elle a plus de besoin d'estre soustenuë : pourquoy l'ame estant abbatuë la Viole perd son harmonie, & [p194] pourquoy cette harmonie est moindre lors que l'on met l'ame souz les autres chordes, afin de monstrer le rang que l'on peut donner aux Violes entre les autres instrumens, apres auoir remarqué le nom que les Italiens donnent aux six chordes de leurs Violes vis à vis desquels l'on void comme, nous les appellons : D la re sol : SOL, Canto, Chanterelle. Seconde espece de Quarte. A mi la re : RE LA, Sotana, Seconde. Troisiesme espece de Quarte. E mi la : MI MI, Mezana, Troisiesme. Diton C sol vt fa : VT FA, Tenor, Quatriesme. Premiere espece de Quarte. Г re sol : VT SOL, Bourdon, Cinquiesme. Seconde espece de Quarte. D la re sol : RE, Basso, Sixiesme chorde. voicy comme les Italiens marquent cet accord que l'on m'a enuoyé de Rome, lequel enseigne que la Taille & la Haute-contre sont à la Quinte de la Basse, & que le Dessus est à son Octaue : quoy que plusieurs mettent la Taille à la Quarte de la Basse, la Haute-contre à la Quarte de la Taille, & le Dessus seulement à vn ton de la Haute contre : de sorte qu'il faut mettre la chanterelle de la Taille à l'vnisson de la seconde de la Basse, la chanterelle de la Haute-contre à l'vnisson de la seconde de la Taille, & la chanterelle du Dessus à l'Octaue de celle de la Basse pour accorder toutes les parties des Violes […]
[…] ie reuiens au rang que les Violes tiennent entre les autres instrumens. Or il est tres-aysé d'entendre la Tablature de la Viole, qui se fait auec les lettres de l'alphabet mises sur six lignes, comme nous auons veu dans celle du Luth, au lieu desquelles les Italiens se seruent de nombres, & commencent [p195] en haut par la Basse, que nous mettons la derniere ; mais les notes qui sont dessouz les lignes vis à vis des lettres font comprendre cecy plus clairement qu'vn long discours, car elles signifient & monstrent toute l'estenduë de la Viole par ♮ quarre laquelle est d'vne Dix-neufiesme. L'on peut encore marquer cette tablature sans regles & sans notes, par les nombres en les mettant vis à vis des lettres qui representent chaque chorde, par exemple la tablature precedente sera ainsi marquée ; de sorte que les chansons & les pieces de Musique peuuent estre exprimées en peu d'espace, quoy qu'il soit necessaire de marquer les temps de chaque nombre ou lettre, soit par notes, ou autrement. Certes si les instrumens sont prisez à proportion qu'ils imitent mieux la voix, & si de tous les artifices on estime d'auantage celuy qui represente mieux le naturel, il semble que l'on ne doit pas refuser le prix à la Viole, qui contrefait la voix en toutes ses modulations, & mesme en ses accents les plus significatifs de tristesse & de ioye : car l'archet qui rend l'effet dont nous auons parlé, a son trait aussi long à peu prez que l'haleine ordinaire d'vne voix, dont il peut imiter la ioye, la tristesse, l'agilité, la douceur, & la force par sa viuacité, par sa langueur, par sa vistesse, par son soulagement, & par son appuy : de mesme que les tremblemens & les flatteries de la main gauche, que l'on appelle la main du manche, en representent naïfuement le port & les charmes. Et si l'on dit que l'Orgue, la Musette, la Flute, &c. peuuent fournir vne tenuë & continuité beaucoup plus longue que la Viole, l'on peut respondre qu'à cela pres, & à quelques mignardes cadences, ils manquent de tout le reste, & qu'il n'est pas possible de mesnager leur vent en telle sorte qu'ils puissent rendre l'effet que nous venons de dire. Et si l'on allegue le Luth, la Harpe, l'Epinette, &c. i'aduouë qu'ils ont aucunement le mignard effet de la Viole, mais auorté, pour n'auoir pas le moyen d'obseruer les tenuës. Quant au Violon & à la Lyre moderne, on peut les appeller imitateurs de la Viole, comme ils le sont de la voix : mais ils ne l'esgallent pas, car le Violon a trop de rudesse, d'autant que l'on est contraint de le monter de trop grosses chordes pour esclater dans les suiets, ausquels il est naturellement propre : & si on le monte comme la Viole, il n'en sera different qu'en ce qu'il n'a point de touches.
Pour la Lyre elle en approche d'auantage [de la Viole], mais elle n'est pas capable des passages que l'on execute sur la Viole, qui sont la vraye image de la disposition de la voix, parce que son cheualet est trop plat ; ce que l'on fait, afin de toucher par accords plusieurs chordes ensemble. Ceux qui ont ouy d'excellens ioüeurs & de bons concerts de Violes, sçauent qu'il n'y a rien de plus rauissant apres les bonnes voix que les coups mourants de l'archet, qui accompagnent les tremblemens qui se font sur le manche, mais parce qu'il n'est pas moins difficile d'en descrire la grace que celle d'vn parfait Orateur, il faut les ouyr pour les comprendre. Or auant que de finir ce discours, il faut remarquer deux choses qui arriuent tant aux chordes de la Viole, qu'à celles du Luth & des autres instrumens, [p196] dont la premiere s'apperçoit particulierement dans les plus grosses chordes, qui font quatre ou cinq sons differens en mesme temps : car lors que l'on touche la plus grosse chorde de la Viole d'vn coup d'archet, l'on entend le son naturel de la chorde, & puis vn autre son à l'Octaue en haut ; en troisiesme lieu la Dixiesme maieure, & finalement le quatriesme son qui monte à la Douziesme du premier son : de sorte que la mesme chorde touchée du doigt ou de l'archet, fait les quatre sons qui respondent aux quatre nombres 1, 4, 5, & 6. Ce qui arriue aussi bien aux chordes de leton qu'à celles de boyau ; c'est pourquoy l'on ne peut en prendre la raison du nombre des intestins qui composent la chorde de boyau. Or l'on n'entend ordinairement ces quatre sons que lors qu'on touche les grosses chordes, car la chanterelle & les deux ou trois autres qui suiuent sur le Luth, ne font pas si sensiblement ces interualles, que l'on comprend mieux sur la Viole que sur le Luth, à raison que le trait de l'archet dure plus long-temps, & donne plus de temps à l'oreille & à l'imagination pour les remarquer, que ne fait le son du Luth qui cesse beaucoup plustost. Mais ie parleray plus amplement de ce merueilleux Phenomene dans le traité de la Lyre. L'autre chose qui arriue aux chordes, consiste en la tension, qui les fait monter plus haut sur de certaines Violes que sur les autres, encore qu'elles soient toutes de mesme longueur, & qu'il y ayt vne esgale distance de leurs cheualets à leurs sillets : car il y a des Violes sur lesquelles on rompt vingt ou trente chanterelles, auant que d'en pouuoir trouuer vne qui monte assez haut, & d'autres sur lesquelles toutes sortes de chanterelles montent aysément, dont les Facteurs d'instrumens ne donnent point d'autre raison, que la dureté & la force de la table qui rompt les chordes, au lieu qu'elle les conserue lors qu'elle est moins forte, & qu'elle tremble & fremit plus aysément.
PROPOSITION VIII [VI]. Determiner si la chorde qui est touchée & pressée par l'archet, fait autant de tours & de retours en mesme temps que celle qui est touchée du doigt, lors qu'elles sont à l'vnisson. Si l'vnisson de toutes sortes de chordes suffit pour demonstrer que le nombre de leurs tours & de leurs retours est esgal dans vn temps esgal, il n'y a nul doute qu'elles tremblent autant de fois les vnes que les autres, & consequemment que celle que l'on touche auec l'archet, fait autant de retours contre le mouuement de l'archet, que si elle estoit touchée d'vne plume ou du doigt. Mais puis que l'archet pousse tousiours la chorde d'vn mesme costé, tandis que son coup se fait de droit à gauche, ou de gauche à droit, il semble qu'elle ne peut reuenir à contresens, & au contraire de l'archet qui la tient en mesme estat, & qui la conserue dans la situation qu'il luy à donnée, lors qu'il la poussée iusques où elle a peu aller. A quoy l'on peut adiouster que les tremblemens de la chorde ne sont pas entierement necessaires pour faire le son, car l'on experimente souuent que plusieurs corps estant pressez, frottez & meus contre des pierres, des carreaux, du bois, ou de la terre dure font des sons semblables à ceux des Violes, encore que l'on n'apperçoiue point de tremblemens, ou de retours dans la friction desdits corps. Neantmoins il faut conclure que la chorde fait autant de tremblemens dessouz [p197] l'archet que dessouz le doigt, & que le son des Violes n'est point different en cela d'auec celuy des Luths, & consequemment que les chordes ne feroient point de son, ou qu'elles ne feroient pas le mesme son, si l'archet ou quelqu'autre force les poussoit tellement de droit à gauche, ou de gauche à droit, qu'elles ne peussent auoir leurs retours libres, si ce n'est que ce qui les pousse feist autant de retours que les chordes en doiuent faire, comme il arriue aux vents qui frappent les rochers, les arbres & les maisons en faisant diuers bruits.
Or il y a plusieurs choses à considerer dans les sons que fait l'archet [de la Viole] en touchant & en pressant la chorde, car les tours & retours de la chorde se peuuent aussi bien faire de haut en bas, & de bas en haut, que de droit à gauche, comme il arriue lors que l'on pese sur la chorde, ou qu'on la frappe, ou que l'on la tire de haut en bas, & au contraire : c'est pourquoy il faut voir comme l'archet luy fait faire ses retours ; s'il les luy fait faire plus ou moins grands que quand on la touche du doigt, & s'il en diminuë, ou s'il en augmente le nombre : Et puis il faut rechercher la raison pourquoy le son que fait la chorde par le moyen de l'archet, est different de celuy qu'elle fait quand on la touche du doigt ou de la plume, car puis que la chorde fait tousiours vn nombre esgal de tours, & de retours dans vn temps esgal, il semble que le son deuroit estre esgal, ce qui n'arriue pas, & consequemment l'archet y contribuë quelque chose de particulier, ce qu'il fait en froissant la chorde & en renfermant de l'air entre elle & luy, lequel est contraint de receuoir autant d'allées & de venuës comme en fait la chorde, qui frappe seulement l'air libre quand on la touche sans archet. C'est pourquoy l'on peut dire que le son de la Viole, & des autres instrumens à archet, est composé de trois ou quatre sortes de mouuemens, à sçauoir de celuy de la chorde & de l'air libre, & de celuy de l'air contraint ou enfermé, & de l'archet qui gouuerne celuy de la chorde comme l'on veut, car il empesche qu'elle ne fasse ses tours aussi grands comme elle les feroit si elle estoit touchée aussi fort du doigt que de l'archet, & parce qu'il la retient en telle distance de sa ligne de direction que l'on veut, il en renforce ou en adoucit le son comme il plaist à celuy qui le tient, & qui le meut. Or l'on peut expliquer ce que fait l'archet aux tremblemens de la chorde par ce que fait le doigt que l'on passe fort viste sur les trous d'vn Flageollet tandis que l'on en sonne, car il ne change pas le nombre des tremblemens, ou des battemens du vent, ny consequemment l'aigu du son, mais il luy donne vn nouueau mouuement qui est quasi semblable aux fredons que l'on fait de la gorge, qui ne changent pas les tons ou l'aigu de la voix, & qui luy seruent seulement d'vn nouuel ornement.
Et parce que les brins de crin qui font la soye de l'archet ne sont pas continus, l'air qui est meu par la chorde, s'insinuë aysément parmy lesdits crins, dont le mouuement & la pression alterent les qualitez du son. Et si nous examinons cecy plus particulierement, & que l'on vueille que les atomes de l'air, ou de la chorde qui sont meus se meslent auec le mouuement de ceux du crin, l'on ne trouuera nullement estrange que le son qui se fait par ces deux mouuemens, soit different de celuy qui se fait par les seuls tremblemens de la chorde. L'on peut encore remarquer beaucoup de choses qui sont particulieres à l'archet ; par exemple qu'il tient le mesme son aussi long-temps, & aussi foible ou aussi fort que l'on veut, ce que n'a pas l'Orgue qui ne peut affoiblir [p198] ou renforcer ses sons selon le desir des Organistes. Mais afin que l'on ne doute nullement que la chorde ne fasse autant de retours lors qu'elle est touchée de l'archet, que quand elle est touchée du doigt, ie veux expliquer la maniere de l'experimenter, & de le voir tres-clairement : ce qui arriuera si l'on estend vne chorde de cent pieds de long, laquelle fasse chacun de ses retours dans vne seconde minute, soit qu'on la touche de l'archet ou du doigt, ny ayant point d'autre difference, sinon que l'archet peut tellement contraindre la chorde que le premier retour ne sera pas plus grand que le milliesme ou le dernier, au lieu qu'ils vont tousiours en diminuant apres que l'on la touchée du doigt : d'où il arriue que l'archet fait les sons beaucoup plus esgaux que le doigt, & que l'on imite le chant de toutes sortes d'oyseaux, & vne infinité d'autres sons & d'autres bruits par les differentes pressions, & les differens coups de l'archet, qu'il n'est pas possible d'imiter sur le Luth, sur l'Epinette ou sur l'Orgue. Or l'on peut experimenter lesdits tremblemens des chordes touchées de l'archet, sur les Violes & sur les Violons, en mettant le doigt contre lesdites chordes, dont on sent les tremblemens si forts, qu'à moins que d'estre priué du sens du toucher il n'est pas possible que l'on ne les remarque dans toutes les parties de la chorde qui est touchée. Et quand l'on n'auroit pas l'experience, la raison suffit pour conclure que le mouuement de l'archet estant tantost tres-viste & d'autrefois tres-lent ne peut faire le mesme ton, & qu'il est necessaire que l'identité ou l'esgalité de l'aigu procede d'vn mouuement esgal, qui ne peut estre autre en ce sujet que celuy des retours de la chorde, dont le nombre ne peut estre inesgal en temps esgal, qu'il ne change de ton, c'est à dire l'aigu du son, comme i'ay demonstré ailleurs.
PROPOSITION IX. Expliquer la capacité des Violes dans les Concerts, la diuision & la science de leurs manches, & les pieces de Musique qui se peuuent ioüer dessus, & la maniere de les accorder pour en faire des Concerts. Encore que les Violes soient capables de toutes sortes de Musique, & que les exemples que i'ay donné pour le concert des Violons leur puissent seruir, neantmoins elles demandent des pieces plus tristes & plus graues, & dont la mesure soit plus longue & plus tardiue ; de là vient qu'elles sont plus propres pour accompagner les voix. Or l'on peut ioüer toutes sortes de pieces non seulement à cinq parties, comme l'on fait ordinairement sur les Violons, mais à six, à sept, à douze, & à tout autant de parties que l'on veut ; ce qui peut semblablement estre executé par tous les autres instrumens, qui ont assez d'estenduë. Mais il suffit de mettre icy le commencement d'vne Composition à six parties, laquelle a deux Dessus, deux Basses, vne Taille & vne Haute-contre. Or il faut remarquer que les Anglois ioüent ordinairement leurs pieces vn ton plus bas que les François, afin d'en rendre l'harmonie plus douce & plus charmante, & consequemment que leur sixiesme-chorde à vuide fait le C sol au lieu que la nostre fait le D re sol, comme l'on void aux notes qui sont à costé de la Viole ; d'où il s'ensuit qu'ils marquent plusieurs ♭ mols & dieses, dont [p199] nous n'vsons pas ordinairement. Quant à la diuision du manche de la Viole, elle n'est pas differente de celle du manche du Luth ; c'est pourquoy i'adiouste seulement icy vne nouuelle maniere pour le diuiser, laquelle depend des onze moyennes proportionnelles, dont i'ay donné l'inuention dans la quatorze & quinziesme Proposition du premier liure, & dans la septiesme du second liure. Mais il faut premierement supposer que la chorde entiere, ou la longueur de la Viole depuis le sillet iusques au cheualet soit diuisée en 200000. parties esgales, dont ayant osté 11230. parties, l'on aura le nombre 188770. pour le lieu de la premiere touche d'enhaut, & ainsi des autres nombres qui sont vis à vis des lettres de chaque touche iusques au dernier 100000, qui donne la derniere touche n, laquelle fait l'Octaue en haut auec la chorde entiere exprimée par l'a. [Ligne Harmonique.]
Et si l'on prend la difference de ces treize nombres, l'on aura les douze autres nombres qui sont à main droite, afin de les grauer sur les compas de proportion, & de marquer les touches sur le manche de la Viole & des autres instrumens auec vne seule ouuerture du compas : car puis que les treize nombres de la main gauche sont continuellement proportionnels, il est certain que les douze de la droite sont aussi continuellement proportionnels, & consequemment que toutes les ouuertures du compas garderont la mesme proportion : par exemple, si la premiere ouuerture prise sur la premiere difference 11230 a vn quart de pied, c'est à dire trois pouces, il y aura mesme raison de trois pouces à la seconde touche que de 11230 à 10599, & ainsi des autres : de sorte que ces 12 differences ou nombres monstreront les douze ouuertures, ou les douze points du compas, qu'il faudra transporter sur le manche que l'on veut diuiser, & parce que l'on ne met ordinairement que neuf touches, dont k est la derniere, 7072 marquera cette touche : ce qui est si aysé à comprendre qu'il suffit de regarder les nombres qui suiuent. Or cette table a cinq colomnes, dont la premiere à gauche contient les lettres, & les signes ordinaires des douze demy-tons de l'Octaue, qui commence par le D de D la re sol, quoy que l'on puisse commencer par telle autre lettre de la main harmonique que l'on voudra. La seconde colomne contient les lettres de la tablature dont on vse en France pour exprimer la Musique des instrumens, lesquelles respondent aux caracteres precedens de la premiere colomne. La 3. a les 13 nombres qui representent aussi les touches, comme i'ay desia remarqué, & quant & quant la raison double diuisée en 12 autres raisons continuellement proportionnelles, par le moyen des 11 nombres moyens proportionnels entre 2 & 1, ou 200, 000, & 100,000 : de sorte que si l'on diuise le manche en 200,000 parties, les 12 nombres qui descendent marqueront les 12 touches du manche. La 4. colomne contient les differences des nombres de la 3, & monstrent les endroits où il faut poser les touches. Et la 5. colomne monstre les lettres qui seruent dans la tablature pour exprimer les touches. Mais auant que d'acheuer l'explication de cette [p200] ligne Harmonique, ie veux donner l'exemple que i'ay promis à six parties, pour monstrer ce que l'on peut iouër sur les Violes : où il faut remarquer que la Basse-Taille se peut appeller premiere Basse, & que la Musique a esté composée par vn excellent ioüeur de Viole Anglois de Nation.
Or apres auoir donné l'exemple de la Musique pour les Violes, ie reuiens à la diuision de leurs manches, dont i'ay interrompu le discours : & dis premierement que l'on peut se seruir des nombres precedens du Monochorde, où tous les tons & les demy-tons sont esgaux, car ayant tiré la ligne droite A V entre le cheualet & le sillet, il la faut diuiser aux points B, C, D, &c. en sorte [p202] que toute la ligne A V soit à ses parties V B, V C, V D, &c. en mesme raison que le nombre 200,000 est aux nombres 188770. 178171. 168178, &c. Mais parce que cette methode est vn peu longue, Monsieur de Beau-grand Conseiller, & Secretaire du Roy, Maison & Couronne de France, & tres-excellent Geometre a inuenté, & fait tracer vne ligne sur le compas de Proportion, qu'il nomme Harmonique, par le moyen de laquelle l'on trouue tout d'vn coup où l'on doit placer toutes les touches, pourueu que l'on cognoisse la premiere. Sa construction n'est pas difficile comme ie monstre euidemment : car la ligne A B estant tirée du centre du Compas de proportion, comme la ligne du cercle, qui a ses parties esgales, il la faut tellement diuiser pour la rendre Harmonique, qu'elle soit en mesme raison aux lignes A C, A D, A E, &c. que le nombre 11230 est aux nombres 10599, 9993, &c. & puis il faut grauer à costé les mesmes lettres Alphabetiques qui sont dans la table. Mais pour s'en seruir auec vn compas commun, il faut porter l'interualle d'entre le sillet, & la premiere touche du Luth, de la Viole, ou de tel autre instrument que l'on voudra, aux points B B de l'vne & de l'autre iambe du compas de proportion qui suit : & ayant fait cela, l'ouuerture C C donnera la distance de la seconde touche à la troisiesme, l'ouuerture D D la distance de la troisiesme à la 4, l'ouuerture E E la distance de la 4 à la 5, & ainsi des autres. Quant à l'interualle de la premiere touche au sillet, on le trouuera en diuisant tellement la distance qui est entre le cheualet & le sillet en deux parties, que celle qui est du costé du cheualet soit à celle qui est vers le sillet comme 47 à 3 ; c'est à dire que la longueur depuis le cheualet iusques au sillet estant diuisée en 50 parties, il en faut oster trois pour auoir la premiere touche, qu'il faut prendre sur la mesme ouuerture du compas de proportion sur C C, car B B represente le sillet.