Aussi sa plus peculiere et propre sinifiance [du mot Musique], est la science qui considere avec sens et raison, la diference des sons graves et aiguz, ou, bas et hauz, donnant le moyen de bien et harmonieusement chanter : à quoy est requis que l'on sache distinctement toutes les especes de Harmonie, et puis que lon soit industrieusement excercé à entonner et exprimer disertement les voix en toutes mutacions, sous une mesure tousjours bien observee tellement que son propre suget est un chant [p13] harmonieusement recueillant en soy des paroles bien dites, mesurees en quelque gracieuse cadence de rime, ou balancees en une inegale egalité de longue ou brieve prononciation de sillabes.
Quant au mot intervalle, il n'est necessaire de declairer en combien de sortes il est pris generalement, et sufira qu'en Musique c'est la distance (quelque difinicion que l'on lui donne autrement) d'entre le ton aigu ou haut, et le ton grave ou bas, diversifiee en plusieurs sortes, ainsi qu'en un ton, qui est l'intervalle d'un Son, à son prochein Son : comme depuis ut, jusques à re. Demi ton petit est l'intervalle d'un Son à son prochein, non entier, comme depuis mi, à fa. Diton, sinifie une tierce parfette de noz Musiciens, contenant deus tons : comme ut, mi, [p17] ou, fa, la et faut noter que cet intervalle est necessaire en une sorte de Musique nommee Enharmonique.
La Bocanne est vne Courante figurée, qui a ses pas mesurez, & ses figures particulieres ; elle a quatre couplets, à sçauoir deux fois la premiere partie du chant, & deux fois la seconde : elle s'appelloit cy deuant la Vignonne, mais le chant qui a esté fait de nouueau, luy a donné le nom de son auteur : elle a sa mesure triple, ou sesquialtere, comme les autres Courantes : son Exemple est de l'onziesme Mode transposé vn ton plus bas, comme celuy de la Courante à la Reyne. Mais elle a neuf couplets, dont la premiere partie se chante deux fois, & la seconde vne fois : elle se recommence par trois fois, & est de mesure sesquialtere comme les autres Courantes. Ausquelles i'adiouste deux airs de Balet de different mouuement : & à la fin du liure i'en donneray encore vn troisiesme composé de toutes sortes de mouuemens, qui peuuent seruir à toutes sortes d'airs & de chansons.
D'abondant l'on experimente que les airs des Balets, & des Violons excitent dauantage à raison de leur gayeté qui vient de la promptitude de leurs mouuemens, ou de leurs sons aigus, que les airs que l'on iouë sur le Luth ou sur les basses des Violes, lesquels sont pour l'ordinaire plus graues & plus languissans.
Encore que les mouuemens qui seruent aux Airs & aux dances, appartiennent à la Rythmique dont nous n'auons pas encore parlé, neantmoins il a esté necessaire d'en traiter icy, afin de faire comprendre les differentes especes des Airs, & des chants dont vsent les François : mais il est si aysé d'entendre tout ce qui concerne ces mouuemens, qu'il n'est pas necessaire d'en faire vn liure particulier, puis que les plus excellens pieds metriques, qui ont donné le nom, & la naissance à la Rythmique des Grecs, sont pratiquez dans les airs de Balet, dans les chansons à dancer, & dans toutes les autres [p178] actions qui seruent aux recreations publiques ou particulieres, comme l'on aduoüera quand on aura reduit les pieds qui suiuent aux airs que l'on recite, ou que l'on iouë sur les Violons, sur le Luth, sur la Guiterre, & sur les autres instrumens. Or ces pieds, peuuent estre appellez mouuemens, afin de s'accommoder à la maniere de parler de nos Practiciens, & compositeurs d'airs ; c'est pourquoy ie me seruiray desormais de ce terme, pour ioindre la Theorie à la Pratique, apres auoir donné l'exemple d'vn balet qui a seize mouuemens differens, qui sont exprimez par les nombres qui suiuent chaque clef ; car 2 signifie que le mouuement est deux fois plus viste que le precedent, & 3, 4, &c. qu'il est quatre fois plus viste : quoy que cette difference de vitesse ne varie pas l'espece des mouuemens dont ie parle maintenant.
Or la chanson que l'on appelle Vaudeuille est la plus simple de tous les Airs, & s'applique à toute sorte de Poësie que l'on chante note contre note sans mesure reglee, & seulement selon les longues & les breues qui se trouuent dans les vers, ce que l'on appelle mesure d'Air ; sous laquelle sont compris le plein chant de l'Eglise, les Faux-bourdons, les Airs de Cour, les Chansons à danser & à boire, & les Vaudeuilles, & n'y a souuent que le seul Dessus qui parle, que l'on appelle aussi le suiet, & ce sans accords ou consonances des autres parties, parce que faire vne chanson signifie simplement mettre en chant, ou donner le chant à quelques paroles.
Quant à la tablature du Fifre, qui monstre tous ses tons, & la maniere de boucher ses trous pour chanter toutes sortes d'airs & de chansons, elle n'a pas vne si grande Estenduë que celle de la Fluste precedente, car elle n'est que d'vne Quinziesme, comme l'on void dans la tablature qui suit. [p244] Mais il faut remarquer que la levre & la langue doiuent trauailler en mesme temps pour faire parler la Fluste en perfection, & qu'il faut donner vn coup de langue, & vn peu de la levre à chaque ton, afin que toutes les notes soient articulées ; ce qui suffit iusques à ce que nous parlions du Tambour, dont on accompagne cet instrument. Or l'on peut rapporter tous les autres instrumens à trous à ceux que i'ay expliquez iusques icy. Voyons maintenant ceux qui n'ont point de trous, apres auoir icy mis l'exemple qui suit à quatre parties pour les Fleutes d'Allemand. [Air de Cour pour les Flustes d'Allemand].
Or comme vn Air sans sujet est moins parfait qu'vn Air attaché à quelque sujet, de mesme vn Air conjoint à vn sujet, dont le sens n'a qu'vn leger rapport auec l'Air chanté, est moins agreable qu'vn autre Air qui aura le sens de son sujet conforme & proportionné ; par exemple, si l'on vouloit chanter vn Air de guerre sur des paroles trainantes, molles, & transies d'amour, cet Air ne seroit pas si agreable que s'il estoit chanté sur des paroles mâles, hardies, & guerrieres : [p106] car comme il faut vn autre air pour animer, & pour échaufer que pour retenir, & pour refroidir, aussi faut-il d'autres paroles.
La musique finie le sieur de Sauornin (qui est au Roy, pour estre doué de beaucoup de bonnes parties, & principalement tresexcellent au chant, & en la composition des airs de musique) representant Iupiter, s’apparut en la nuee […] & estant encor en la nuee chanta ces vers.
En cinquiesme lieu, i'ay dit qui sont agreables à l'oreille, & à l'esprit [dans le titre de cette proposition] : car encore que les airs soient tristes, neanmoins ils nous plaisent souuent autant ou plus que quand ils sont gays. En fin i'ay dit par leurs mouuemens, par lesquels i'entens la Rythmique, ou les pieds metriques, dont on accompagne les airs, comme sont les Dactyles, les Spondees, & les Choriambes, dont ie traite au liure de la Rythmique : car le changement du mouuement apporte vne grande difference aux airs, encore qu'on ne change pas leurs interualles.
Ie laisse plusieurs autres choses, dont la consideration est remarquable, par exemple pourquoy la quinziesme & la vingt-quatriesme partie d'vn mouuement est plus propre pour les chants tristes, que la huictiesme, ou [p175] neufiesme partie, car l'on n'adiouste qu'vne quinziesme partie de mouuement pour faire le demiton maieur, & vne 24. pour faire le mineur, qui sont propres pour representer la tristesse ; au lieu que l'on adiouste 1/8 pour le ton maieur, & 1/9 pour le ton mineur dont l'on vse pour les Chants gays. Or il faut remarquer que le Chant est d'autant plus triste qu'il a dauantage de demitons qui se suiuent, & consequemment que la Chromatique est propre pour chanter les airs tristes, & la Diatonique pour chanter les gays ; & qu'il est tres-difficile de sçauoir si le demiton mineur est plus triste que le demiton maieur, & de combien il est plus propre pour exprimer la tristesse : ce que l'on peut semblablement dire de la diese Enharmonique.
Or l'on peut conclure de tout ce discours, que les airs gays sont plus propres pour exciter la ioye exterieure, qui empesche les fonctions de l'esprit, & particulierement celle de la contemplation : & que les tristes sont plus propres pour produire la ioye interieure, que l'entendement reçoit dans son abstraction, & dans sa retraite. Car les humeurs terrestres & grossieres se dissipent & tombent en bas à la presence des airs lugubres, comme les vapeurs qui obscurcissent l'air, tombent à terre, & s'esuanouyssent à la presence du Soleil : de sorte que l'esprit demeure libre, & gouste mieux le plaisir de la Musique ; & comme s'il commençoit à se separer du corps, il est rauy par vn eschantillon de la beauté des idées eternelles.
La Courante est la plus frequente de toutes les dances pratiquées en France, & se dance seulement par deux personnes à la fois, qu'elle fait courir souz vn air mesuré par le pied Iambique ∪ −, de sorte que toute cette dance n'est qu'vne course sautelante d'allées & de venuës depuis le commencement iusques à la fin. Elle est composée de deux pas en vne mesure, à sçauoir d'vn pas de chaque pied : or le pas a trois mouuemens, à sçauoir le plier, le leuer, & le poser. Son mouuement est appellé sesquialtere ou triple, & son Exemple est du quatriesme Mode en son propre ton. L'on peut neantmoins luy donner telle mesure que l'on voudra.
Au dedans de ceste voulte y auoit dix concerts de musique, differens les vns des autres : & fust ceste voulte dicte & appelee Doree, tant à cause de sa grande splendeur, que pour le son & harmonie de la musique, qui y fut chantee : laquelle pour ses voix repercussives, aucuns de l’assistance estimerent estre la mesme voix qui fut conuertie en air repercussif, appelé depuis Echo : & d’aultres plus instruits en la discipline Platonique, l’estimerent estre la vraye harmonie du ciel, de laquelle toutes les choses qui sont en estre, sont conservees & maintenues.
C'est pourquoy ie ne mets pas icy les tons ordinaires du chant Gregorien ; & puis ie les ay déja donnez dans la 29 proposition du second liure de la Musique imprimé l'an 1627, à la fin duquel i'ay encore mis 12 chants à deux parties sur les 12 modes : & à la fin du second liure i'ay mis vn chant figuré à deux parties du premier mode, & vn autre du second, & finalement vn autre air spirituel à 4 parties. L'on trouuera aussi les exemples des 12 tons des chants de l'Eglise à la fin du sixiesme liure Latin, qui traite des genres & des modes. I'ajoûte seulement que le 5, le 6, & le 12 me semblent les plus beaux : mais chacun peut choisir celuy qui luy agreera dauantage pour sa consolation particuliere, & mesme il en peut faire tant de nouueaux qu'il voudra.
En cinquiesme lieu, i'ay dit qui sont agreables à l'oreille, & à l'esprit [dans le titre de cette proposition] : car encore que les airs soient tristes, neanmoins ils nous plaisent souuent autant ou plus que quand ils sont gays. En fin i'ay dit par leurs mouuemens, par lesquels i'entens la Rythmique, ou les pieds metriques, dont on accompagne les airs, comme sont les Dactyles, les Spondees, & les Choriambes, dont ie traite au liure de la Rythmique : car le changement du mouuement apporte vne grande difference aux airs, encore qu'on ne change pas leurs interualles.
A quoy l'on peut adiouster que les sons, & les mouuemens des chansons gayes approchent plus pres de la vie, que ceux des airs tristes, puis que la vie consiste dans vn mouuement perpetuel & continu, car les battemens d'air qui font les sons aigus, & les mouuemens rythmiques qui sont plus frequens, s'approchent plus pres de la continuité que ceux des sons graues, & des mouuemens pesans & tardifs des airs tristes, qui representent vne vie interrompuë & mourante. Et l'on experimente que les chansons gayes sont si propres à danser, que ceux mesmes qui n'ont iamais apris cet exercice se mettent à danser, ou tesmoignent par quelque mouuement du corps le contentement qu'ils reçoiuent de ces Chansons : ce qui n'arriue point aux airs tristes & lugubres, qui sont plus propres pour faire pleurer & mourir les Auditeurs, que pour les faire rire, ou les faire viure : car ces airs sont composez de mouuemens propres pour engendrer la tristesse, & consequemment pour faire tomber des defluxions sur les membres, qui les rendent enfin paralytiques & incapables de mouuement.
Il faut donc considerer la nature des airs tristes, qui consiste en plusieurs choses : car la voix des airs tristes represente la langueur & la tristesse, par sa continuation, par sa foiblesse & par ses tremblemens : & les demitons & dieses representent les pleurs & les gemissemens à raison de leurs petits interualles qui signifient la foiblesse : car les petits interualles qui se font en montant ou descendant, sont semblables aux enfans, aux vieillards & à ceux qui reuiennent d'vne longue maladie, qui ne peuuent cheminer à grand pas, & qui font peu de chemin en beaucoup de temps ; par exemple lors que l'on fait le demiton maieur en montant, l'on fait vn mouuement qui ne monte que de la quinziesme partie de la voix precedente, & quand l'on monte d'vn demiton mineur, l'on n'aduance son chemin que d'vne vingt-quatriesme partie du son qui precede.
Ie laisse plusieurs autres choses, dont la consideration est remarquable, par exemple pourquoy la quinziesme & la vingt-quatriesme partie d'vn mouuement est plus propre pour les chants tristes, que la huictiesme, ou [p175] neufiesme partie, car l'on n'adiouste qu'vne quinziesme partie de mouuement pour faire le demiton maieur, & vne 24. pour faire le mineur, qui sont propres pour representer la tristesse ; au lieu que l'on adiouste 1/8 pour le ton maieur, & 1/9 pour le ton mineur dont l'on vse pour les Chants gays. Or il faut remarquer que le Chant est d'autant plus triste qu'il a dauantage de demitons qui se suiuent, & consequemment que la Chromatique est propre pour chanter les airs tristes, & la Diatonique pour chanter les gays ; & qu'il est tres-difficile de sçauoir si le demiton mineur est plus triste que le demiton maieur, & de combien il est plus propre pour exprimer la tristesse : ce que l'on peut semblablement dire de la diese Enharmonique.
Et parce que les sons & les mouuemens des airs tristes font vne plus forte impression sur l'esprit, ils le rauissent dans vne plus profonde speculation ; & lors qu'il est contraint de la quitter, il luy semble qu'il sort d'vne grande lumiere pour rentrer dans des tenebres fort espaisses. Cecy estant posé, ie dis que l'on n'ayme pas la tristesse, quand l'on ayme les airs lamentables, mais que l'on ayme l'estat de separation, auquel se trouue l'ame dans la contemplation de ces airs.
Or l'on peut conclure de tout ce discours, que les airs gays sont plus propres pour exciter la ioye exterieure, qui empesche les fonctions de l'esprit, & particulierement celle de la contemplation : & que les tristes sont plus propres pour produire la ioye interieure, que l'entendement reçoit dans son abstraction, & dans sa retraite. Car les humeurs terrestres & grossieres se dissipent & tombent en bas à la presence des airs lugubres, comme les vapeurs qui obscurcissent l'air, tombent à terre, & s'esuanouyssent à la presence du Soleil : de sorte que l'esprit demeure libre, & gouste mieux le plaisir de la Musique ; & comme s'il commençoit à se separer du corps, il est rauy par vn eschantillon de la beauté des idées eternelles.
La musique finie le sieur de Sauornin (qui est au Roy, pour estre doué de beaucoup de bonnes parties, & principalement tresexcellent au chant, & en la composition des airs de musique) representant Iupiter, s’apparut en la nuee […] & estant encor en la nuee chanta ces vers.
[…] tous les beaux traicts, les airs, les cadences & tout ce qui a quelque force & energie pour esmouuoir noz esprits, procede de la Mode, comme de la cause principalle & originelle.
L'on peut encore exprimer des paroles & des periodes entieres par les sons, car les preludes, la suitte des airs & des chansons, la deduction des modes & du systeme parfait ont de la ressemblance auec les oraisons & les harangues, particulierement quand le [p40] Musicien fait les cadences & les passages bien à propos, & qu'il se sert de la Rythmique selon le sujet qu'il traite. Or cette maniere de discourir se peut pratiquer dans toute l'estenduë des Sons, c'est à dire dans l'estenduë de cent ou deux cens pas & dauantage, car l'on oyt le Son de la Trompette de beaucoup plus loin, & consequemment les Sons peuuent seruir de messagers & de lettres secretes, quand celuy à qui l'on veut rescrire n'est esloigné que de demie lieuë ou d'vne lieuë, d'où l'on peut entendre les cloches ou la Trompette.
Et l'experience fait voir que du Caurroy, Claudin, Guedron, Boësset, Moulinié, & les autres Compositeurs, ont fait de tres-bonnes pieces de Musique, & de bons airs, quoy qu'ils n'ayent pas sceu l'Astrologie. Quant aux voix differentes des animaux, il faudroit faire de particulieres obseruations pour sçauoir combien la voix des vns est plus aiguë que celle des autres lors qu'ils sont en cholere, & qu'ils sont emportez de quelqu'autre passion, & voir ce qui se peut connoistre de leurs temperamens, ou du degré de leurs passions par leurs cris differens, ou par leurs voix naturelles, dont on peut remarquer les interualles : par exemple, le coucou fait vne Tierce mineure en chantant, dont la premiere syllabe est plus aiguë que la seconde : & le muglement des vaches est composé de la dixiesme majeure, dont la premiere partie est la plus graue, & la seconde est la plus aiguë.
Mais les Musiciens ont tousiours vsé des interualles Diatoniques, & particulierement ceux qui font profession de cet Art parmy les Chrestiens, encore qu'ils eussent pû choisiir d'autres interualles, par exemple [p093] ceux des differentes especes de Tetrachorde, que i'explique ailleurs. Et puis la suite des interualles de l'Air & de toute la Musique est artificielle ; car l'on ne peut s'en seruir si on ne l'a apprise par science, ou par exercice, & par la pratique : i'ay encore aioûté l'explication des mouuemens du suiet, d'autant qu'il n'est pas necessaire que nous exprimions nos propres mouuemens, ou passions, il suffit que nous imitions les passions des autres, ou du sujet proposé, comme il arriue presque tousiours à ceux qui chantent pour donner du plaisir aux auditeurs, car encore qu'ils soient tristes, ils peuuent chanter des Airs fort gays, ou des Airs tristes, encore qu'ils soient pleins d'alegresse.
C'est pourquoy la Musique est vne imitation, ou representation, aussi bien que la Poësie, la Tragedie, ou la Peinture, comme i'ay dit ailleurs, car elle fait auec les sons, ou la voix articulee ce que le Poëte fait auec les vers, le Comedien auec les gestes, & le Peintre auec la lumiere, l'ombre, & les couleurs : voyons maintenant la diuersité des Airs, & des Chants, & particulierement ceux dont on vse en France, afin que le Musicien n'ignore rien de tout ce qui appartient à l'Harmonie. Et apres nous verrons ce qui est necessaire pour faire de beaux Airs, & s'il est possible d'en faire vn qui soit le plus beau de tous ceux qui peuuent estre faits sur quelque sujet, ou sans sujet.
S'il est tres-difficile de remarquer le commencement du mouuement, & du temps, & par consequent celuy du son, qui n'est autre chose qu'vn mouuement, il n'est ce semble pas moins difficile de determiner quand le son commence d'estre Chant : car si toutes les parties d'vn Chant sont homogenes, c'est à dire de mesme nature, comme celle du son, & de l'air, il faut conclure que chaque partie du son, qui est perceptible, contient la nature du Chant, & qu'elle peut estre appellé Air.
PROPOSITION IV. Expliquer toutes les diuisions & les especes des Chants & des Airs dont vsent les Musiciens, & donner des exemples des chants Ecclesiastiques.
A quoy l'on peut rapporter la diuision [des chants] que l'on en fait maintenant en trois genres, dont l'vn est le Vaudeuille ou la Chanson, l'autre est le Motet ou la Fantaisie, & le troisiesme genre contient toutes les especes de Danseries. Et finalement si l'on veut vne diuision plus particuliere, l'on peut mettre douze sortes de compositions de Musique qui se pratiquent en France, à sçauoir les Motets, les Chansons, ou les Airs, les Passemezzes, les Pauannes, les Allemandes, les Gaillardes, les Voltes, les Courantes, les Sarabandes, les Canaries, les Branles, & les Balets, dont l'on void des exemples à la fin de ce liure, où i'en mets les definitions, ou les descriptions.
Ie donneray encore d'autres exemples des Airs, & des beaux Chants dans le traité qui apprend à bien chanter : car ie veux seulement icy donner quelques chants Ecclesiastiques qui excitent la deuotion lors qu'ils sont bien chantez ; & pour ce sujet ie choisis certains versets de quelques Psalmes qui sont propres pour éleuer l'esprit à la contemplation des choses diuines, afin que le chant & la lettre se respondent mutuellement.
C'est pourquoy ie ne mets pas icy les tons ordinaires du chant Gregorien ; & puis ie les ay déja donnez dans la 29 proposition du second liure de la Musique imprimé l'an 1627, à la fin duquel i'ay encore mis 12 chants à deux parties sur les 12 modes : & à la fin du second liure i'ay mis vn chant figuré à deux parties du premier mode, & vn autre du second, & finalement vn autre air spirituel à 4 parties. L'on trouuera aussi les exemples des 12 tons des chants de l'Eglise à la fin du sixiesme liure Latin, qui traite des genres & des modes. I'ajoûte seulement que le 5, le 6, & le 12 me semblent les plus beaux : mais chacun peut choisir celuy qui luy agreera dauantage pour sa consolation particuliere, & mesme il en peut faire tant de nouueaux qu'il voudra.
PROPOSITION V. A sçauoir si l'on peut trouuer & prescrire des regles & des maximes infallibles selon lesquelles on fasse de bons Chants sur toutes sortes de lettres & de suiets, & si les Musiciens en ont quand ils font des Airs & des Chants. Cette difficulté est l'vne des plus grandes de toutes celles de la Musique, car puis que personne n'a encor estably de certaines regles propres pour faire de beaux chants sur toutes sortes de sujets, c'est signe que l'on n'en peut establir, car il n'est pas ce semble probable que les Musiciens qui ont vescu depuis vne si longue suite d'annees & de siecles n'en eussent estably, tant pour s'en seruir aux rencontres, que pour en faire part à leurs successeurs, comme ils ont fait des autres preceptes de cét Art. En effet les plus excellens Maistres preuueut tous les iours par experience qu'ils n'ont point de regles asseurees pour faire de bons chants, puis qu'ils ne les rencontrent le plus souuent que par boutades, & par hazard, comme ils confessent eux-mesmes ; de là vient qu'ils sont quelquefois des iours entiers sans pouuoir faire vn air, ou vn chant qui leur plaise, & qui leur satisfasse ; & d'autrefois ils en font plusieurs en peu de temps, qui leur naissent dans l'esprit suiuant les differentes dispositions de leur imagination, & de leur santé.
A quoy l'on peut ajoûter la connoissance des choses qui sont necessaires au parfait Musicien, dont i'ay parlé dans vn autre lieu, comme celle du temperament des auditeurs, & celle des esprits, & de la maniere dont il faut vser pour eschaufer & refroidir l'imagination & l'appetit, afin d'appaiser ou d'exciter les passions. Et puis la multitude des Airs va iusques à l'infiny, & la bonté des chants depend le plus souuent de la fantaisie du Compositeur, & de ceux qui les mettent en credit ; ce qui empesche que l'on puisse prescrire des regles infallibles si [p098] l'on ne veut comprendre & renfermer l'infinité de l'imagination & de la caprice des hommes dans les bornes de quelques maximes qui fassent vne chose finie de l'infiny.
COROLLAIRE I Les bons Compositeurs disent que les chants doiuent estre semblables aux corps composez des quatre Elemens, afin qu'ils ayent la fermeté de la terre dans leur mesure constante & reglee ; la netteté de l'eau, parce qu'il faut éuiter toute sorte d'embarras & de confusion dont l'oreille peut estre blessee ; la vistesse & la mobilité du feu par ses diminutions, ses passages, ses tremblemens, & ses fredons ; & puis le bel air, qui est l'ame du chant. L'on peut aussi comparer les interualles dont on vse dans les chants, aux couleurs que produisent les metaux : ce qui se fait en differentes manieres ; par exemple le plomb calciné auec l'estain fait l'émail blanc ; le fer calciné fait le iaune des verres ; ce que fait aussi l'antimoine : le cuiure rend le verre turquin, ou bleu selon les differentes preparations que l'on luy donne ; & l'argent estant meslé auec d'autres choses fait vne varieté de couleurs. Ie laisse tout ce que les potiers de terre, & les Chymiques font par le moyen des metaux, parce qu'il suffit d'en auertir les Musiciens afin que s'ils veulent rapporter chaque metail, & toutes leurs couleurs à ce qui arriue aux interualles, ou mouuemens des chants, ils sçachent les experiences des artisans.
Or l'on peut considerer le Chant ou l'Air en deux manieres ; premierement en sa composition, & puis apres sa composition ; qui peut estre faite en tant de façons (comme il appert par le grand nombre de chants qui se rencontrent dans l'estenduë d'vne double, triple, & quadruple Octaue, encore que l'on ne parle point des diuers mouuemens, ou des differentes mesures) qu'il est presque incroyable, & qu'il semble estre impossible qu'vn homme puisse composer tous les Airs qui se rencontrent dans le nombre des sons dont on vse ordinairement dans les chansons, encore qu'il composast l'espace de cent ans sans cesser. Ce seroit donc par hazard s'il rencontroit le plus beau chant de tous ceux qui se peuuent faire, & ne pourroit connoistre s'il seroit le plus excellent, puis que la connoissance d'vne chose qui vient en comparaison auec d'autres, ne peut s'acquerir qu'en la comparant auec celles qui luy sont rapportees.
De mesme, quoy qu'vn air soit le plus accomply de tous ceux qui se peuuent faire selon les regles de l'Art, neanmoins si on le considere hors de la composition, & comme chanté ou écouté, & receu par le sens de l'oreille, il ne semblera pas si excellent comme il est, si la voix de celuy qui chante, & l'oreille de celuy qui l'écoute, ne sont parfaitement disposees, & les plus excellentes de toutes celles qui se peuuent imaginer. Car on experimente que les bons airs chantez par de mauuaises voix ne sont pas si agreables que ceux qui sont beaucoup moins excellens, quand ils sont chantez par de bonnes voix.
L'on doit encore considerer le suiet de la chanson ; car si l'air est lié à quelque matiere, soit prose, ou vers, il sera plus agreable que s'il estoit separé de toute sorte de sujet, dautant que le iugement de l'oüie se faisant dans le sens commun, & non seulement dans les replis & les cauernes des oreilles, si l'air ne porte rien auec soy que le son, il ne peut estre si bien goûté de l'esprit, que lors que le son est joint à quelque parole qui a conformité & analogie auec le chant.
C'est pourquoy il arriue souuent que les airs ne peuuent estre si bien retenus quand ils sont chantez sans sujet, que quand ils ont vne lettre, ou vn sujet, parce que les syllabes des dictions nous font ressouuenir des sons qu'il faut éleuer, ou baisser & des temps qu'il faut faire longs ou briefs. A quoy l'on peut ajoûter que les refreins & les reperises des airs se font plus sensiblement & plus agreablement reconnoistre sur vne lettre, laquelle sert beaucoup pour les faire estimer & agreer.
Or comme vn Air sans sujet est moins parfait qu'vn Air attaché à quelque sujet, de mesme vn Air conjoint à vn sujet, dont le sens n'a qu'vn leger rapport auec l'Air chanté, est moins agreable qu'vn autre Air qui aura le sens de son sujet conforme & proportionné ; par exemple, si l'on vouloit chanter vn Air de guerre sur des paroles trainantes, molles, & transies d'amour, cet Air ne seroit pas si agreable que s'il estoit chanté sur des paroles mâles, hardies, & guerrieres : [p106] car comme il faut vn autre air pour animer, & pour échaufer que pour retenir, & pour refroidir, aussi faut-il d'autres paroles.
De plus, vn sujet en vers rend le chant plus agreable qu'vne prose, dautant que le vers frape plus subitement le sens commun, & enuelope en peu de paroles vn sens plus aigu, & plus subtil, qui donne vn particulier contentement au sens commun, ou à l'esprit : car la volupté se faict au sens commun, comme le chatoüillement au corps, par vn mouuement subit & non preueu. Certes i'estime qu'il faut conclure qu'il n'est pas au pouuoir d'vn homme de trouuer l'air le plus parfait de tous, encore qu'il fust chanté par les plus belles voix du monde : car cet air se deuant parfaitement raporter au sens d'vn vers parfait, & n'estant pas possible de trouuer le vers le plus parfait de tous, l'on ne sçauroit arriuer à la perfection de l'air dont nous parlons.
Quant au chant que l'on considere comme oüy, & receu par les oreilles d'autruy, il n'est pas plus aysé de le rendre parfait que quand il est consideré en l'autre façon ; car les temperaments particuliers, & les humeurs & inclinations des hommes estant aussi differentes qu il y a de personnes au monde, il est impossible de trouuer vn Air qui plaise également à tous, & d'apporter ce souuerain degré de plaisir que l'on attend d'vn chant de Musique parfaitement agreable. Tel se plaist à vne seule voix qui ne peut goûter la perfection d'vn Concert, & vn autre au contraire : l'vn n'estime pas les voix si elles ne sont iointes aux Instruments, & vn autre n'approuue ny les Instruments à vent, ny ceux qui se seruent de chordes. Quelques-vns se plaisent à vne Musique douce, les autres à vne plaine, forte, & massiue : il en est comme des viandes, chacun a son goust, ou pour mieux dire, comme de l'Eloquence, l'vn l'aime plaine, & diffuse, l'autre concise & nerueuse : Tel se plaist aux vers lyriques, qui ne sçauroit goûter les heroïques : A peine se trouue-t'il deux hommes qui aiment & qui suiuent vn mesme stile. Il en est ainsi de la Musique, car le melancholique aime vn autre air que le bilieux ; & entre les diuersitez des melancholiques il se rencontre diuerses inclinations aux airs & aux chants de Musique.
Or ie croy que toutes les considerations que i'ay rapportees dans ce discours font voir assez clairement que le meilleur chant de tous les possibles ne peut estre fait par nos Musiciens, & qu'ils ne pourroient mesme iuger s'il est le meilleur de tous, encore qu'ils l'eussent rencontré par hazard : C'est pourquoy il n'est pas besoin de nous estendre dauantage sur ce sujet, dont nous parlerons encore ailleurs ; comme lors que nous examinerons si l'on peut iuger quel est le meilleur de deux, ou de plusieurs chants proposez : car bien que l'on ne puisse pas faire le meilleur chant de tous les possibles, parce que si les hommes auoient fait vn chant où ils ne peussent plus rien desirer, nous pourrions encore dire que Dieu ou les Anges le peuuent rendre meilleur. Ce qui n'empesche pas neantmoins que l'on ne puisse establir des regles propres pour faire de bons chants, autrement il faudroit confesser que les Maistres de Musique ne peuuent faire vn bon chant que par rencontre & par hazard, & que les ignorans en peuuent faire d'aussi bons qu'eux, ce qui est difficile à croire : Et l'experience ne nous fait point voir de chants composez par les païsans qui soient aussi bons que ceux de Guedron, & des autres Maistres, dont le principal exercice consiste à composer des chansons & des airs.
COROLLAIRE Puis que la beauté des airs consiste particulierement dans leur varieté, & qu'il y en a qui croyent que l'on ne peut plus faire de chants qui n'ayent déja esté faits, il faut considerer cette diuersité, & monstrer que tous les hommes du monde n'ont pû faire tous les airs contenus dans la main Harmonique, ou dans le systeme & l'échele ordinaire de Musique, encore qu'ils eussent fait tous les iours mille chants differens depuis la creation du monde iusques à present, comme il sera aisé de conclure par les propositions qui suiuent […]
PROPOSITION PREMIERE. La Chanson ou l'Air est une deduction de la voix, ou des autres sons, par de certains interualles naturels ou artificiels, qui sont agreables à l'oreille & à l'esprit, & qui signifient la ioye, la tristesse, ou quelqu'autre passion par leurs diuers mouuemens.
IL n'y a rien de plus difficile que de trouuer la definition des choses dont on veut parler ; ce qui arriue icy : car la nature de la chanson est aussi difficile à connoistre, comme elle est facile à oüir. Or il faut remarquer que la diction air dont on vse pour signifier le chant, se prend en plusieurs manieres ; car elle signifie premierement le troisiesme element, qui s'étend depuis la surface de la terre iusques à la Lune […] Secondement, l'air signifie la maniere dont on parle, on interroge, ou l'on répond, particulierement si l'on parle en cholere ; car nous disons qu'on a répondu d'vn tel air, &c. Ce qui signifie presque la mesme chose que le ton de la voix, ou l'accent auec lequel on répond. Cette diction peut auoir plusieurs autres significations, selon les diuerses choses ausquelles on la peut accommoder, par exemple aux visages : car quand quelque tableau ou quelque personne ressemble à vn autre, nous disons qu'il en a de l'air. Mais la troisiesme signification est quand elle exprime la mesme chose que la chanson, ou le chant dont nous nous seruons pour chanter quelques fantaisies, soit que nous prononcions quelques paroles, ou que nous chantions sans paroles auec les notes de la Musique, ou en quelqu'autre maniere. Cecy estant presupposé, ie dy que la definition que i'ay mise dans cette proposition comprend tout ce qui appartient à l'essence du chant : premierement la deduction, ou conduite de la voix est le genre, car le chant a cela de commun auec les harangues, les discours & les paroles dont nous nous seruons en parlant les vns aux autres.
Secondement i'ay dit, ou des autres sons, parce qu'on peut ioüer les Airs sur les Instrumens de Musique. Tiercement i'ay ajoûté, par de certains interualles naturels ou artificiels, ce qui fait que les chants sont differens d'auec les discours qui n'ont point d'interualles certains, par lesquels nous montions ou descendions en parlant, encore que la voix monte ou descende sans qu'on prenne garde aux interualles qu'elle fait. Neanmoins quelques-vns croient que si nous éleuions nos voix selon que requiert le discours que nous tenons, & que nous fissions tous les interualles necessaires pour persuader ce que nous disons, que nous ferions des merueilles ; particulierement si nous aioûtions les accens propres à cet effet, comme i'ay dit dans le traité de la Musique Accentuelle.
En cinquiesme lieu, i'ay dit qui sont agreables à l'oreille, & à l'esprit [dans le titre de cette proposition] : car encore que les airs soient tristes, neanmoins ils nous plaisent souuent autant ou plus que quand ils sont gays. En fin i'ay dit par leurs mouuemens, par lesquels i'entens la Rythmique, ou les pieds metriques, dont on accompagne les airs, comme sont les Dactyles, les Spondees, & les Choriambes, dont ie traite au liure de la Rythmique : car le changement du mouuement apporte vne grande difference aux airs, encore qu'on ne change pas leurs interualles.
Il faut neanmoins remarquer qu'il n'est pas tellement necessaire de changer les interualles des sons graues & aigus, qu'on ne puisse trouuer quelque espece d'air sans eux, si nous parlons de tout ce qui peut estre appellé air, ou chant en quelque maniere que ce soit : car quelques vns disent qu'on peut sonner vn air sur le Tambour, encore que tous ses tons soient vnisons, dautant que les diuers mouuemens ou les diuerses mesures qu'on donne aux sons du Tambour peuuent representer quelque chanson, ou quelque fantaisie. Ce qui conuient pareillement à la voix qui peut representer plusieurs choses par les diuerses mesures, & par tous les mouuemens de la Rythmique : ce qui arriue aussi à plusieurs Pseaumes, qui commencent, finissent, & sont chantez sur vne mesme note, ou sur vne mesme interualle, & au chant dont plusieurs Religieux se seruent : Mais les autres aiment mieux l'appeller vn simple recit qu'vn chant, comme est le chant dont nous nous seruons, & plusieurs autres à nostre imitation, comme les Capucins, Carmes déchaux, &c. dautant que nous ne faisons aucuns interualles, & que nous n'obseruons point d'autre mesure que celle des syllabes.
Neanmoins à proprement parler, ce n'est pas vn simple recit ou discours, ny vn chant, ou vn air, tel que ie l'ay definy, mais quelque chose de metoyen qui participe de l'vn & de l'autre : Quelques vns l'appellent chant en Ison par ce qu'il est égal, & ne se sert que d'vn seul interualle, car Ison signifie ce qui est égal.
Or ce Chant en Ison, ou égal, peut receuoir quelques differences selon les differentes manieres dont il est chanté, ou recité : ce qui arriue particulierement [p091] en deux façons : premierement quand on s'arreste plus long temps sur quelque syllabe, & qu'on la prononce plus fort & auec plus de vehemence que les autres, en donnant quelque cadence au chant : ce qu'on remarque au chant des Capucins, qui font la penultiesme ou l'ante-penultiesme du milieu & de la fin de chaque verset des Pseaumes beaucoup plus longue, & qui la chantent plus fort que les autres syllabes, qu'ils font quasi aussi longues les vnes que les autres, & les chantent comme en roulant, ou en nombrant les syllabes sans les trainer, ce qui rend leur chant plus gay & plus agreable. Secondement lors qu'on obserue exactement toutes les longues & les brefues, en donnant deux temps à la longue & vn à la brefue, tant à la fin qu'au commencement & au milieu, sans trainer plus long-temps vn mot l'vn que l'autre, comme il arriue à la prononciation des vers : il y a plusieurs autres manieres qui peuuent varier ce chant, à raison desquelles on dit que tels, ou tels Religieux, ou autres personnes, chantent d'vn tel, ou d'vn tel air, encore qu'ils ne se seruent point d'airs les vns ny les autres, si l'on prend l'air comme ie l'ay definy cy-dessus.
[…] vn Orateur, ou celuy qui represente quelque personnage sur le theatre peut obseruer tous les interualles tant Diatoniques, que Chromatiques, ou Enharmoniques qui se rencontrent dans vne Octaue, attendu que l'experience nous fait voir que la plus part des Predicateurs se seruent du demiton, du ton, de la Tierce-mineure, de la majeure, de la Quarte & de la Quinte en montant & en descendant, selon les diuers accents, ou les diuers mouuemens dont ils se seruent tantost dans vn lieu, & tantost en vn autre. De là vient que quelques excellens Musiciens tiennent que les discours esquels ces interualles se rencontrent sont des Faux-bourdons, & qu'ils peuuent estre mis au nombre des airs : ce qui se verifie de quelques Predicateurs qui parlent quasi comme s'ils chantoient, c'est pourquoy leur discours en est moins agreable, & moins profitable.
Neanmoins il n'y a nul discours tellement reglé qu'il monte ou descende par tous les interualles des airs, à sçauoir par tons, & demitons, &c. car il monte le plus souuent par des interualles insensibles, ou inconnus, quoy que l'on peût les discerner si l'on y prenoit garde : or tous les interualles des airs ou des chansons sont si bien reglez, qu'on ne manque iamais à les faire en tous les lieux où ils sont marquez ; d'où l'on a pris le prouerbe, cela est reglé comme vn papier de Musique : ce qui monstre que les Airs, & par consequent la Musique, garde vn ordre beaucoup mieux reglé que les discours qui n'ont rien d'arresté, & qui suiuent l'imagination, & l'intention de celuy qui parle.
Ce qu'Euclide a reconnu & remarqué au commencement de son traité de la Musique, quand il dit que le discours se sert d'vne voix continuë, qui ne cesse & ne se repose point iusques à ce que le discours soit acheué, & qui ne garde aucune regle certaine aux interualles en haussant ou baissant le son : mais le mouuement ou la deduction de la voix, ou du son qui fait les airs & les chansons, & qu'Euclide appelle Diastematique, ou Interuallaire, ne se conduit pas par des interualles continus, mais elle passe tantost d'vn ton à vn diton, tantost de la Tierce à la Quarte, ou à la Quinte, &c. & s'arreste quelquefois l'espace d'vn, [p092] deux, trois ou quatre battemens du poux, selon les regles & les pauses de la Musique, & selon la dignité du sujet.
C'est pourquoy les airs peuuent representer les diuers mouuemens de la mer, des cieux, & des autres choses de ce monde, d'autant qu'on peut garder les mesmes raisons dans les interualles de la Musique qui se rencontrent aux mouuemens de l'ame, du corps, des Elemens, & des cieux. De là vient que la Musique sert plus à la vie Morale, & est plus propre pour les moeurs que la peinture, laquelle est comme morte, mais la Musique est viuante, & transporte en quelque façon la vie, l'ame, l'esprit & l'affection du Chantre, ou du Musicien, aux oreilles & dans l'ame des auditeurs.
Secondement i'ay dit, par interualles artificiels [dans le titre de cette proposition], car encore que la nature semble nous donner les interualles de la Diatonique, à sçauoir le ton majeur & le mineur, & le semiton majeur, neanmoins on se pourroit seruir d'autres interualles, comme de la Sesquisixiesme, Sesquiseptiesme, &c. dont ie parle ailleurs : ce qui reussiroit peut estre fort bien, particulierement quand on chante les airs d'vne seule ou tout au plus de deux voix […]
Mais parce que i'ay déja donné quelques exemples des chants de l'Eglise dans la 4 proposition, & des chants de deuotion dans vn [p164] autre lieu, & que ie reserue les Motets & les autres pieces à deux ou plusieurs parties de contre-point tant simple que figuré pour le liure de la Composition ; ie mettray seulement icy les exemples des Chansons ou des Airs qui seruent à faire dancer, & à ioüer sur les Instrumens, dont la plus grande partie est propre pour les Violons.
Or la chanson que l'on appelle Vaudeuille est la plus simple de tous les Airs, & s'applique à toute sorte de Poësie que l'on chante note contre note sans mesure reglee, & seulement selon les longues & les breues qui se trouuent dans les vers, ce que l'on appelle mesure d'Air ; sous laquelle sont compris le plein chant de l'Eglise, les Faux-bourdons, les Airs de Cour, les Chansons à danser & à boire, & les Vaudeuilles, & n'y a souuent que le seul Dessus qui parle, que l'on appelle aussi le suiet, & ce sans accords ou consonances des autres parties, parce que faire vne chanson signifie simplement mettre en chant, ou donner le chant à quelques paroles.
Or cette grande facilité fait appeller les chansons Vaudeuilles, parce que les moindres artisans sont capables de les chanter, dautant que l'autheur n'y obserue pas ordinairement les curieuses recherches du contre-point figuré, des fugues, & des syncopes, & se contente d'y donner vn mouuement & vn air agreable à l'oreille ; ce que l'on nomme du nom d'Air, comme de sa principale, & presque seule partie : au lieu que le Motet ou la Fantaisie est vne pleine Musique figuree, & enrichie de toutes les subtilitez de cette science.
La Courante est la plus frequente de toutes les dances pratiquées en France, & se dance seulement par deux personnes à la fois, qu'elle fait courir souz vn air mesuré par le pied Iambique ∪ −, de sorte que toute cette dance n'est qu'vne course sautelante d'allées & de venuës depuis le commencement iusques à la fin. Elle est composée de deux pas en vne mesure, à sçauoir d'vn pas de chaque pied : or le pas a trois mouuemens, à sçauoir le plier, le leuer, & le poser. Son mouuement est appellé sesquialtere ou triple, & son Exemple est du quatriesme Mode en son propre ton. L'on peut neantmoins luy donner telle mesure que l'on voudra.
Apres auoir expliqué toutes les sortes de Chants, dont on vse dans les Passemezzes, Pauannes, Sarabandes, Courantes, Gaillardes, Voltes, & Allemandes, il est raisonnable que nous expliquions les especes de Bransles, qui sont propres à nostre nation. Or il y en a de six especes, qui se dansent maintenant à l'ouuerture du Bal les vns apres les autres par tant de personnes que l'on veut, car vne troupe entiere se tenant par les mains se donne d'vn commun accord vn bransle continuel, tantost en auant, & tantost en arriere ; ce qui se fait souz diuers mouuemens, ausquels on approprie plusieurs sortes de pas selon la difference des airs, dont on vse.
La Bocanne est vne Courante figurée, qui a ses pas mesurez, & ses figures particulieres ; elle a quatre couplets, à sçauoir deux fois la premiere partie du chant, & deux fois la seconde : elle s'appelloit cy deuant la Vignonne, mais le chant qui a esté fait de nouueau, luy a donné le nom de son auteur : elle a sa mesure triple, ou sesquialtere, comme les autres Courantes : son Exemple est de l'onziesme Mode transposé vn ton plus bas, comme celuy de la Courante à la Reyne. Mais elle a neuf couplets, dont la premiere partie se chante deux fois, & la seconde vne fois : elle se recommence par trois fois, & est de mesure sesquialtere comme les autres Courantes. Ausquelles i'adiouste deux airs de Balet de different mouuement : & à la fin du liure i'en donneray encore vn troisiesme composé de toutes sortes de mouuemens, qui peuuent seruir à toutes sortes d'airs & de chansons.
D'abondant l'on experimente que les airs des Balets, & des Violons excitent dauantage à raison de leur gayeté qui vient de la promptitude de leurs mouuemens, ou de leurs sons aigus, que les airs que l'on iouë sur le Luth ou sur les basses des Violes, lesquels sont pour l'ordinaire plus graues & plus languissans.
A quoy l'on peut adiouster que les sons, & les mouuemens des chansons gayes approchent plus pres de la vie, que ceux des airs tristes, puis que la vie consiste dans vn mouuement perpetuel & continu, car les battemens d'air qui font les sons aigus, & les mouuemens rythmiques qui sont plus frequens, s'approchent plus pres de la continuité que ceux des sons graues, & des mouuemens pesans & tardifs des airs tristes, qui representent vne vie interrompuë & mourante. Et l'on experimente que les chansons gayes sont si propres à danser, que ceux mesmes qui n'ont iamais apris cet exercice se mettent à danser, ou tesmoignent par quelque mouuement du corps le contentement qu'ils reçoiuent de ces Chansons : ce qui n'arriue point aux airs tristes & lugubres, qui sont plus propres pour faire pleurer & mourir les Auditeurs, que pour les faire rire, ou les faire viure : car ces airs sont composez de mouuemens propres pour engendrer la tristesse, & consequemment pour faire tomber des defluxions sur les membres, qui les rendent enfin paralytiques & incapables de mouuement.
Il faut donc considerer la nature des airs tristes, qui consiste en plusieurs choses : car la voix des airs tristes represente la langueur & la tristesse, par sa continuation, par sa foiblesse & par ses tremblemens : & les demitons & dieses representent les pleurs & les gemissemens à raison de leurs petits interualles qui signifient la foiblesse : car les petits interualles qui se font en montant ou descendant, sont semblables aux enfans, aux vieillards & à ceux qui reuiennent d'vne longue maladie, qui ne peuuent cheminer à grand pas, & qui font peu de chemin en beaucoup de temps ; par exemple lors que l'on fait le demiton maieur en montant, l'on fait vn mouuement qui ne monte que de la quinziesme partie de la voix precedente, & quand l'on monte d'vn demiton mineur, l'on n'aduance son chemin que d'vne vingt-quatriesme partie du son qui precede.
Ie laisse plusieurs autres choses, dont la consideration est remarquable, par exemple pourquoy la quinziesme & la vingt-quatriesme partie d'vn mouuement est plus propre pour les chants tristes, que la huictiesme, ou [p175] neufiesme partie, car l'on n'adiouste qu'vne quinziesme partie de mouuement pour faire le demiton maieur, & vne 24. pour faire le mineur, qui sont propres pour representer la tristesse ; au lieu que l'on adiouste 1/8 pour le ton maieur, & 1/9 pour le ton mineur dont l'on vse pour les Chants gays. Or il faut remarquer que le Chant est d'autant plus triste qu'il a dauantage de demitons qui se suiuent, & consequemment que la Chromatique est propre pour chanter les airs tristes, & la Diatonique pour chanter les gays ; & qu'il est tres-difficile de sçauoir si le demiton mineur est plus triste que le demiton maieur, & de combien il est plus propre pour exprimer la tristesse : ce que l'on peut semblablement dire de la diese Enharmonique.
Et parce que les sons & les mouuemens des airs tristes font vne plus forte impression sur l'esprit, ils le rauissent dans vne plus profonde speculation ; & lors qu'il est contraint de la quitter, il luy semble qu'il sort d'vne grande lumiere pour rentrer dans des tenebres fort espaisses. Cecy estant posé, ie dis que l'on n'ayme pas la tristesse, quand l'on ayme les airs lamentables, mais que l'on ayme l'estat de separation, auquel se trouue l'ame dans la contemplation de ces airs.
Or l'on peut conclure de tout ce discours, que les airs gays sont plus propres pour exciter la ioye exterieure, qui empesche les fonctions de l'esprit, & particulierement celle de la contemplation : & que les tristes sont plus propres pour produire la ioye interieure, que l'entendement reçoit dans son abstraction, & dans sa retraite. Car les humeurs terrestres & grossieres se dissipent & tombent en bas à la presence des airs lugubres, comme les vapeurs qui obscurcissent l'air, tombent à terre, & s'esuanouyssent à la presence du Soleil : de sorte que l'esprit demeure libre, & gouste mieux le plaisir de la Musique ; & comme s'il commençoit à se separer du corps, il est rauy par vn eschantillon de la beauté des idées eternelles.
PROPOSITION XXVII. Expliquer tous les mouuemens dont on vse dans les airs François, & particulierement dans les Balets, auec vn exemple, & quant & quant la Rythmique.
Encore que les mouuemens qui seruent aux Airs & aux dances, appartiennent à la Rythmique dont nous n'auons pas encore parlé, neantmoins il a esté necessaire d'en traiter icy, afin de faire comprendre les differentes especes des Airs, & des chants dont vsent les François : mais il est si aysé d'entendre tout ce qui concerne ces mouuemens, qu'il n'est pas necessaire d'en faire vn liure particulier, puis que les plus excellens pieds metriques, qui ont donné le nom, & la naissance à la Rythmique des Grecs, sont pratiquez dans les airs de Balet, dans les chansons à dancer, & dans toutes les autres [p178] actions qui seruent aux recreations publiques ou particulieres, comme l'on aduoüera quand on aura reduit les pieds qui suiuent aux airs que l'on recite, ou que l'on iouë sur les Violons, sur le Luth, sur la Guiterre, & sur les autres instrumens. Or ces pieds, peuuent estre appellez mouuemens, afin de s'accommoder à la maniere de parler de nos Practiciens, & compositeurs d'airs ; c'est pourquoy ie me seruiray desormais de ce terme, pour ioindre la Theorie à la Pratique, apres auoir donné l'exemple d'vn balet qui a seize mouuemens differens, qui sont exprimez par les nombres qui suiuent chaque clef ; car 2 signifie que le mouuement est deux fois plus viste que le precedent, & 3, 4, &c. qu'il est quatre fois plus viste : quoy que cette difference de vitesse ne varie pas l'espece des mouuemens dont ie parle maintenant.
Si nos Compositeurs ont l'oreille si delicate qu'ils craignent que ces vocables Grecs ne la blesse, ils peuuent vser de tels noms qu'il leur plaira, par exemple de ceux qui donnent à leurs airs, dont ils disent que ceux-cy ont le mouuement de la Courante, ceux-là de la Sarabande, & ainsi des autres : ou de ceux qui se remarquent aux differens battemens des Tambours, des mareschaux, des fleaux dont plusieurs battent ensemble les bleds dans les granges, & dans les aires, & plusieurs autres que l'on obserue dans plusieurs arts. Quoy qu'il en soit, il est necessaire que tous les airs, & toutes les danses se facent souz les mouuemens precedens, dont chaque partie peut estre appellée pied, pas, ou point.
Surquoy il est bon d'auertir les Maistres de Chœur qui composent les motets, & les autres pieces de Musique, dont la lettre est latine, que tout ce qu'ils feront chanter aura beaucoup plus de grace s'ils obseruent les syllabes longues & briefues, d'autant qu'ils rencontreront quasi toutes sortes de vers sans les chercher, dont Ephestion & les autres ont vsé : quoy qu'ils ne soient pas tellement obligez à faire toutes les longues & les brefues, qu'ils ne s'en puissent dispenser, comme ils font en allongeant la premiere syllabe briefue de chaque diction, en imitant la prononciation de la Prose, par exemple, on allonge la premiere syllabe de Dominus, & de Deus, &c.. Or ceux qui entendent le Latin receuront vn singulier plaisir à la lecture des six liures que sainct Augustin a fait de la Musique, & verront l'estat qu'il fait des mouuemens Rythmiques, comme il les trouue, & les remarque en toutes les choses du monde, & comme il esleue l'esprit à Dieu par leur moyen ; c'est ce que ie desire semblablement que facent ceux qui liront ces liures des Chants, afin qu'il n'y ayt nulle recreation, d'où l'on ne tire du secours pour porter la volonté à son deuoir, qui consiste particulierement à adorer les Decrets eternels de la Diuine maiesté. Ceux qui voudront apprendre les regles particulieres qui seruent à faire des airs, & des chants propres pour esleuer l'esprit à Dieu, les trouueront dans les liures de la Composition & de l'art, ou de la Methode de bien chanter. F I N.
D'ailleurs, le genre dont on se sert maintenant aux compositions des Motets & des Airs a 19 chordes, ou 18 interualles, comme ie monstreray au liure des differentes notes, & de tous les characteres dont on peut vser en composant, soit pour chanter, ou pour ioüer sur les Instrumens. Il faut donc voir quel nom l'on luy [le diapason] peut donner, & s'il est plus à propos de l'appeller Neufiesme, ou Seiziesme, ou de quelqu'autre nom, pour les raisons que ie viens de deduire.
Mais afin que l'on comprenne mieux l'vsage de cette table, par exemples que par discours, ie prends l'vn des airs du Sieur Boësset imprimé l'an 1630. qui commence par ces paroles, Diuine Amaryllis. qui est à 4 parties ; dont chacune chante 22 mesures sans pauses. La voix, ou la note la plus graue de la Basse est sur F vt fa ; & parce que ceux qui font la Basse dans la chambre, ne vont pas ordinairement plus bas qu'vn tuyau d'Orgue de 4 pieds ouuert, qui est à l'vnisson de la plus grosse chorde de l'Epinette, qui a 3 pieds de long, il s'ensuit que la plus basse note de l'air susdit respond au premier, ou moindre nombre de la 4 Octaue, qui est dans la 4 colomne de la table precedente, c'est à dire au nombre 48.
Quant à la voix plus aiguë du Dessus, elle est plus haute d'vne Vingtiesme maieure que la voix precedente de la Basse, & consequemment les 4 parties de cet air comprennent la 4 & 5 colomne toutes entieres, & la 6 iusques à son A mi la re. Or la table qui suit, fait voir les mesures de chaque Partie, & les retours de chaque chorde, car la premiere colomne de chaque partie represente les chordes, ou les lettres d'où dependent les notes ; la seconde contient le temps, ou la mesure des notes qui sont sur chaque lettre ; & la troisiesme comprend le nombre des retours que font les chordes qui appartiennent à la mesme lettre. Or parce que toutes les parties chantent tousiours ensemble sans se reposer, elles ont chacune 22 mesures, comme l'on void en adioustant toutes les mesures de chaque partie. Tablature des retours ou mouuemens que font les chordes, ou les voix qui chantent l'air d'Anthoine Boësset Intendant de la Musique de la chambre du Roy, & de la Reyne. [Basse - Taille - Haute-contre - Dessus - lettres - mesures - retours].
[p144] Or si l'on adiouste les battemens, ou retours de ces 4 parties, l'on en trouuera 12560 1/3, & l'on aura tous les retours de cette chanson : ce qui est si aysé à faire à ceux qui sçauent l'Arithmetique, qu'il n'est pas besoin de nous y arrester.
COROLLAIRE I Il faut icy supposer que le tremblement des chordes cesse apres la mesure, c'est à dire si tost que l'on a leué les doigts, ou l'archet de dessus les chordes, car si elles tremblent encore apres, comme il arriue ordinairement aux chordes des Luths & des Violes, & que l'on vueille sçauoir le nombre de tous ces tremblemens, il faut premierement cognoistre combien de temps elles tremblent apres leurs sons ; car la durée de ces tremblemens estant supposée, il sera aussi aysé de treuuer le nombre de tous les tremblemens, comme de ceux qui se font pendant que les sons suiuent la mesure. Et si l'on chante cet air auec 24 Luths, Violes, ou Violons : de sorte que chaque partie ayt six instrumens, il faut multiplier le nombre precedent des retours par 6, & l'on aura 75362 retours que feront les chordes desdits instrumens dans le temps de 22 mesures. Or il faut remarquer que le temps d'vne mesure ne doit durer qu'vne seconde minute, c'est à dire la 3600 partie d'vne heure, & que si elle dure dauantatage, par exemple 2, ou 3 secondes, comme il arriue souuent, qu'il faut doubler ou tripler le nombre precedent des retours, comme il est tres-aysé de conclure de ces discours.
COROLLAIRE V Si l'on comprend la tablature du retour, ou du battement des chordes, l'on peut dire le son que peut faire chaque chorde, encore que l'on n'oye nullement le son qu'elle a, pourueu que l'on voye ses retours ; car si, par exemple, elle fait seulement 6 retours dans l'espace de la mesure de ladite tablature, on est asseuré qu'elle fait la Vingt-deuxiesme contre la plus basse note de l'air precedent : & si l'on tendoit vn chable qui ne feist que trois retours dans le mesme temps, il feroit vn son plus bas de 4 Octaues que la plus basse note dudit air ; mais i'ay desia traicté de cette difficulté dans la 12. Proposition.
PROPOSITION XVIII. Tous les Musiciens du monde feront chanter vne mesme piece de Musique selon l'intention du Compositeur, c'est à dire au ton qu'il veut qu'elle se chante, pourueu qu'ils cognoissent la nature du son. Vne nouuelle maniere de marquer, & de battre la Mesure est icy expliquée. Cette proposition est l'vne des plus belles de la Musique Pratique, car si l'on enuoyoit vne piece de Musique de Paris à Constantinople, en Perse, à la Chine, ou autre part, encore que ceux qui entendent les notes, & qui sçauent la composition ordinaire, la puissent faire chanter en gardant la mesure, neantmoins ils ne peuuent sçauoir à quel ton chaque partie doit commencer, c'est à dire combien la premiere, ou les autres notes de la basse doiuent estre graues ou aiguës, d'autant que si les Chinois, par exemple, ont la voix plus graue & plus basse que les François, ils commenceront chaque partie plus bas que nous ne faisons, & s'ils l'ont plus aiguë ils commenceront plus haut. Ie sçay que l'on peut aduertir au commencement de la piece de Musique qu'elle doit estre chantée au ton de Chappelle, ou plus haut ou plus bas d'vn demy-ton, &c. Mais plusieurs ne sçauent que c'est que le ton de Chappelle, & il est trop difficile de transporter vn tuyau d'Orgue, ou quelqu'autre instrument, & bien qu'on l'enuoyast en telle façon qu'il ne perdist nullement sa forme, il parleroit plus haut ou plus bas selon le vent que l'on luy peut donner, & consequemment l'on n'auroit pas vne entiere certitude du graue & de l'aigu du son. Or le Compositeur donnera vn signe certain & vniuersel du ton, auquel il desire que l'on chante sa Musique, ou telle autre qu'il voudra, s'il met vis à vis de l'vne des notes de la Basse, ou des autres parties, le nombre des battemens de l'air qui fait le son ; par exemple s'il met 96 vis à vis de la premiere note de l'air du Sieur Boësset, dont i'ay parlé dans la Proposition precedente, tous ceux qui sçauront la nature du son, ou la maniere dont il se fait, chanteront la Musique proposée selon son intention, ou celle de quelqu'autre Compositeur, & chaque partie prendra le ton suiuant leur desir.
COROLLAIRE II Si l'on veut determiner le ton de la voix, auquel l'on veut que la note, ou la partie proposée se chante, il n'y a nul moyen plus general & plus asseuré que de donner vn nom propre à chaque ton, qui soit pris du nombre des battemens d'air qui font toutes sortes de tons, ou de sons. Par exemple, si l'on veut chanter l'air precedent du Sieur Boësset, & que l'on vueille commencer par la premiere note de la Basse, il faut dire qu'elle est au ton de 48, d'autant que la chorde qui fait ce son, tremble 48 fois dans le temps d'vne mesure, qui dure 1/60 de minute, c'est à dire dans vne seconde.
Et si ie voulois faire chanter ce vers hexametre François au mesme ton que ie le chante, lors que ie le commence à vn ton plus haut d'vne Tierce maieure que le plus bas ton de ma voix, & que ie voulusse que les Chinois le chantassent au mesme ton que moy, il suffiroit qu'ils cogneussent que le ton de la premiere note vaut 50, parce que la chorde qui est à l'vnisson de ce ton tremble 50 fois dans vne seconde ; c'est pourquoy 50 est le propre charactere, ou [p149] le propre nom de la premiere note de cet air : car il n'y a point de mesure si propre pour mesurer le graue & l'aigu des sons, que les nombres, par lesquels les Medecins peuuent remarquer le temperament ou la complexion des hommes aux differens tons de leurs voix, ou aux differens battemens de leur poux. L'on peut donc conclure de ce discours que le nombre des retours estant marqué vis à vis de chaque note, que tous les hommes du monde commenceront & chanteront la mesme piece de Musique au mesme ton, & que si tost qu'ils verront 50 à la marge du papier, dans lequel le vers precedent sera escrit, qu'ils le chanteront en mesme ton que moy. Où il faut remarquer que ces nombres de tremblemens peuuent seruir au lieu des notes, ou de la Tablature ordinaire des voix & des instrumens.
PROPOSITION XXI. Expliquer les nouuelles inuentions que nostre siecle semble auoir adiousté à l'Epinette & aux Clauecins. Il semble que ceux de l'autre siecle n'ont point eu de Clauecins, ny d'Epinettes à deux ou plusieurs ieux, comme nous en auons maintenant, qui ont quatre ieux, & quatre rangs de chordes, & que l'on nomme Eudisharmoste, dont le plus grand respond au 12 pieds de l'Orgue, le second est à l'Octaue, le 3 à la Douziesme, & le 4 à la Quinziesme en haut, soit qu'ils n'ayent qu'vn clauier, ou qu'ils en ayent deux ou trois. L'on peut encore y adiouster vn nouueau ieu à la Tierce maieure, ou plustost à la Dixiesme ou Dix-septiesme maieure, qui sont les repliques de ladite Tierce : ce qui pourroit seruir à la speculation de la nature, en considerant pourquoy deux chordes qui sont à la Quinte n'azardent, & quel effet ont celles qui font la Tierce soit maieure ou mineure, &c. Or encore qu'il n'y ayt que quatre ieux dans l'Eudisarmoste, neantmoins on les varie en plusieurs manieres suiuant le nombre des combinations, conternations & conquaternations qui se peuuent faire de quatre choses differentes, dont i'ay parlé fort amplement dans le liure des Airs & des Chants.
Car encore que l'on iouë plusieurs parties ensemble sur le Luth & sur l'Epinette, & consequemment que ces instrumens soient plus harmonieux [que le Violon], neantmoins ceux qui iugent de l'excellence de la Musique, & de ses instrumens par la beauté, & par l'excellence des airs & des chansons, ont des raisons assez puissantes pour maintenir qu'il [le Violon] est le plus excellent, dont la meilleure est prise des grands effets qu'il a sur les passions, & sur les affections du corps & de l'esprit. Mais auant que de passer outre, il faut expliquer la figure des Violons, dont le moindre se nomme la Poche, à raison qu'il est si petit que les Violons qui enseignent à danser, le portent dans leurs poches. Cet instrument est composé de trois parties, comme les autres instrumens, à sçauoir de la table L E, du manche D B, & du corps, dont on void seulement le costé M D. Il a souuent les trois ouuertures, qui sont icy marquées de G F & E, qui a la figure d'vn coeur, & les deux ouuertures G F s'appellent les ouyes. Le dessus du manche D B, sur lequel les chordes sont estenduës, est [p178] nommé la Touche : I H represente le cheualet, qu'il faut s'imaginer releué & posé à plomb sur la table. K L signifie la queuë, qui est faite d'vn morceau de bois, auquel les chordes sont attachées du costé K ; elle est attachée & arrestée au bouton M : les autres l'appellent le Tirant. La lettre A est dans la teste du manche, sur laquelle l'on peut faire vn Orphée, ou tel autre ornement que l'on veut : ce qu'il faut remarquer pour tous les ornemens dont on vse sur les autres instrumens, que quelques-vns couurent de nacres de perles, de rubis, ou d'autres pierres precieuses, quoy que cela ne serue de rien à la bonté de l'instrument.
Quant à la perfection de la Pratique, elle consiste au beau toucher, lequel est la base & le fondement du plaisir qui doit contenter l'oreille : & parce que cet instrument n'a point de touches, il faut tellement aiuster les doigts sur chaque lieu du manche, que les sons persuadent vne proportion aussi bien reglée que s'il y auoit des touches comme à la Viole. En second lieu, il faut addoucir les chordes par des tremblemens, que l'on doit faire du doigt qui est le plus proche de celuy qui tient ferme sur la touche du Violon, afin que la chorde soit nourrie. Mais il faut appuyer les bouts des doigts le plus fort que l'on peut sur la touche, afin que les chordes fassent plus d'harmonie, & les leuer fort peu de dessus le manche, afin d'auoir assez de temps pour les porter d'vne chorde à l'autre. En troisiesme lieu, si l'on veut parfaitement reüssir, la main qui tient l'archet doit estre du moins esgale en vistesse à la gauche, d'autant qu'elle fait paroistre tous les mouuemens differens qui enrichissent les airs, & qui donnent de la beauté aux chants. En quatriesme lieu, il faut traisner l'archet sur les chordes, & repeter plusieurs fois le battement du doigt sur vn mesme ton, & puis sur vn autre, en continuant ainsi depuis le haut iusques en bas, pour faire les mignardises qui sont fort agreables, à raison de la belle modulation qui donne vn grand plaisir à l'ouye, quoy qu'il faille y proceder auec iugement. Or le Violon à cela par dessus les autres instrumens qu'outre plusieurs chants des animaux tant volatiles que terrestres, il imite & contrefait toutes sortes d'instrumens, comme les voix, les Orgues, la Vielle, la Cornemuse, le Fifre, &c. de sorte qu'il peut apporter de la tristesse, comme fait le Luth, & animer comme la Trompette, & que ceux qui le sçauent toucher en perfection peuuent representer tout ce qui leur tombe dans l'imagination. Ie laisse vne infinité d'autres remarques qui appartiennent à cet instrument, par exemple, que l'on peut sonner vne Courante, & plusieurs autres pieces de Musique auec vn seul coup d'archet : que l'on peut flatter les chordes de 8, de 16, ou de 32 coups de doigt dans l'espace d'vne mesure : qu'il faut mettre les trois doigts de la main gauche, c'est à dire l'index, celuy du milieu, & l'annulaire [p184] si pres de la chorde que l'on veut toucher, qu'il ne s'en faille qu'vne demie ligne qu'ils n'y touchent, afin que ce petit esloignement n'empesche point la vistesse du toucher & des tremblemens.
Or on les fait [les Violes] de toutes [p192] sortes de grandeurs, dans lesquelles l'on peut enfermer de ieunes Pages pour chanter le Dessus de plusieurs airs rauissans, tandis que celuy qui touche la Basse chante la Taille, afin de faire vn concert à trois parties, comme faisoit Granier deuant la Reyne Marguerite. Il faut les faire du moins assez grandes pour en tirer l'harmonie que l'on desire, & la figure qui suit a esté prise sur vne Basse de Viole longue de quatre pieds & demy ou enuiron, quoy que l'on puisse les faire de sept ou de huict pieds, si l'on a les bras assez grands [p193] pour en ioüer, ou si l'on vse de quelque artifice qui puisse suppleer le mouuement des doigts de la main gauche, ou de celle qui tient l'archet. La longueur de la Viole se prend depuis le bouton I, iusques à la lettre A, qui monstre le lieu des cheuilles, quoy que si l'on veut seulement prendre sa longueur par ses chordes, elle soit depuis le cheualet G iusques au sillet B, parce qu'elles ne tremblent & ne sonnent qu'entre ces deux termes : ce qui arriue semblablement aux autres instrumens, dont la longueur des chordes est bornée par le sillet & par le cheualet. M L K monstrent l'espaisseur du corps, ou la hauteur des éclisses, qui est plus ou moins grande selon la volonté des Facteurs, & l'harmonie que l'on en veut tirer. Le bout ou la partie M C de la touche B M C ne touche pas à la table de la Viole marquée de C D E G, mais elle est en l'air ; de sorte que l'on passe aysément les doigts entre elle & la table. Le cheualet G est haut de deux, trois, ou quatre doigts, dont le pied gauche G est soustenu d'vn petit baston que l'on void, & que l'on releue par l'ouye E, quand il est tombé : H monstre l'endroit de la queuë H I, auquel les six chordes sont attachées ; & I fait voir les chordes de fil d'arichal ou de fer, qui attachent la queuë au bouton I.
Quant à leur estenduë & leur tablature [celles des Flustes douces] qui suit tant par ♭ mol que par ♮ quarre, elle n'est pas plus difficile que celle du Flageollet, car chaque petite ligne perpendiculaire, qui tombe sur les lignes de Musique, monstre les trous qu'il faut boucher pour faire les sons representez par les notes qui sont vis à vis : & les zero ou les lettres o signifient les trous debouchez, & quand ils sont pochez ou noirs, il les faut boucher. Ie donneray seulement vn ou deux exemples pour faire entendre cette pratique, dont le premier sert pour l'VT, ou pour le RE de G re sol vt, que l'on fait en bouchant les quatre premiers trous & le septiesme, & en ouurant les autres. Et pour faire le FA qui est plus haut d'vne Quarte, l'on bouche seulement le premier, le troisiesme & le septiesme : comme pour faire le SOL qui suit, l'on bouche seulement le troisiesme & le septiesme trou. [p239] La tablature monstre clairement combien il faut boucher ou deboucher de trous pour faire tous les autres tons, & l'estenduë de cet instrument, qui est d'vne Quinziesme, comme celle du Flageollet, encore que quelques-vns ne luy donnent qu'vne Treziesme d'estenduë. Mais il faut remarquer que l'on peut sonner vn air, ou vne chanson sur la Fluste douce, & en mesme temps chanter le chant de la Basse, sans toutesfois articuler les voix, car le vent qui sort de la bouche en chantant est capable de faire sonner la Fluste, de sorte qu'vn seul homme peut faire vn Duo.
Quant à la tablature du Fifre, qui monstre tous ses tons, & la maniere de boucher ses trous pour chanter toutes sortes d'airs & de chansons, elle n'a pas vne si grande Estenduë que celle de la Fluste precedente, car elle n'est que d'vne Quinziesme, comme l'on void dans la tablature qui suit. [p244] Mais il faut remarquer que la levre & la langue doiuent trauailler en mesme temps pour faire parler la Fluste en perfection, & qu'il faut donner vn coup de langue, & vn peu de la levre à chaque ton, afin que toutes les notes soient articulées ; ce qui suffit iusques à ce que nous parlions du Tambour, dont on accompagne cet instrument. Or l'on peut rapporter tous les autres instrumens à trous à ceux que i'ay expliquez iusques icy. Voyons maintenant ceux qui n'ont point de trous, apres auoir icy mis l'exemple qui suit à quatre parties pour les Fleutes d'Allemand. [Air de Cour pour les Flustes d'Allemand].
Le son donq s'engendre necessairement d'un frapement d'air, et en figure ronde petit à petit augmentee en cercles (en maniere de ceus qu'un get de pierre forme en l'eau) parvient à l'oreille, ou elle se fait ouir diversement : ores bas, si le coup est lent ou tardif : ores haut, si le coup est grand et soudein : (pour essay dequoy une verge, ou baguette, maniee en l'air peut sufire)
[Titulo del capítulo:] Porque se ordenò el canto en la Yglesia de Dios: con que intencion se deue cantar, y à que fin. De todo lo susodicho se viene à saber, que cantar sin espiritu y sin atencion, es cantar al ayre: porque quien canta solo por el deleyte de la harmonia que oye, y por gusto que recibe de oyrse cantar a si mesmo, y por vna vanidad que siente cuando ve que da [=de] todos es oydo con antencion y admiración, este Cantor no canta segun el fin de los que instituyeron los cantos en la Yglesia: y assi el que canta por alabança popular, juzga mejor la alabanza, que el fin de la Musica; y por esso usa toda diligencia y todo artificio, y echa todo su saber para deleytar los oydos populares.
[…] vna cosa se a de mirar para que la musica de las fantasias y otras cosas en el presente libro se tañan de buen ayre, que se mire el tiempo y conforme a el se taña la dicha musica, por q[ue] si a de yr apriesa y se tañe a espacio no parecera bie[n], y por esto es menester mirar la intencion del Auctor.
El que atinadamente quisiere componer, no tan solamente ha de mirar, que las bozes den en co[n]sonancias, que guarden las fugas, y que lleven entre si otros primores, que los musicos suele[n] hazer: pero sobre todo mire la graciosidad, y ayre de la musica. Ha de quedar cada una de las bozes de canto de órgano tan graciosa, que si por canto llano la quisieren cantar: suene bien.
Supuesta pues esta disparidad (la qual puede suceder en qualquier tiempo entero, o partido) razon sera que tambien la aya en las se[ñ]ales que las denotan, de modo, que se pueda saber quando se an de tañer las tales figuras o numeros, con ayre ygual, o co[n] ayre desigual. Y supuesto que el primer modo es ta[n] parecido al numero binario de figuras, en el qual todas las semejantes se pronuncian con grande igualdad de tiempo, sin detenerse mas en vna que en otra, y que numero binario quiere dezir numero de dos: parescio cosa conforme a razon, ponerles a las tales figuras (aunque de prop[orción]. Sexquialt[era]) vn numero dos encima, el qual denota que se an de proferir con igualdad, de la misma manera que el numero dos es igual, formado de dos vnidades partes iguales, y que se puede partir en ellas. […] El segundo modo, que es quando se tañen con desigualdad de tiempo (tenie[n]dose mas en la primera, quarta, setima, dezena, &c. y menos en las de enmedio, que es como haziendo vna semiminima y dos corcheas, es, no es mas a menos) este tal modo segundo, siempre se a puntado con vn tres encima, denotador del ayre de proporcion menor, y denotador de la desigualdad de tiempo en la prolacion, o pronunciacion de las tales figuras de sexquialtera: Cabeçon, y Manuel Rodriguez Pradillo, & alii per multi: y por tanto no es razon alterar del dicho vso; especialmente estando fundado en razon. Y assi queda assentado: que el tres encima de las dichas figuras (en canto de organo) y numeros (en cifra) significa el dicho ayresillo de proporcio[n] menor, y numero ternario, y el dos, desygualdad de figuras como en el binario.
Hauiendome V. E. mandado, que fuese a dar algunos tonos mios a tres criadas de V. E. diestras en la musica, y excelentes en las bozes, y pasajes, a fin de que se perficionasen, cantando con el aire español, a que V. E. por su Real sangre deue ser, y es aficionadissima, tal vez se me ofrecio hablar sobre la opinion, que ay de ser la guitarra instrumento inperfecto, y tal poner en ella algunas consonancias, que por parecerle a la Señora Margarita propias, y no de las ordinarias, me obligò a darle señal particular, para conocerlas por no hallarse en ninguna de las Cifras, que comunmente se vssan. Esto fue caussa, para que me emplease algunas oras en aueriguar, que la imperfeccion de la Guitarra, no naçe della, mas de aquellos, que no conocen la perfeccion, que tiene, y tanbien, en hazer un nuevo modo de Cifra, que junntamente, con incluir en si toda la variedad de consonancias, que jeneralmente ay en la musica, sirua de poder sacar por ella el tañer qualquier musica por doce partes diferentes.
Supuesta pues esta disparidad (la qual puede suceder en qualquier tiempo entero, o partido) razon sera que tambien la aya en las se[ñ]ales que las denotan, de modo, que se pueda saber quando se an de tañer las tales figuras o numeros, con ayre ygual, o co[n] ayre desigual. Y supuesto que el primer modo es ta[n] parecido al numero binario de figuras, en el qual todas las semejantes se pronuncian con grande igualdad de tiempo, sin detenerse mas en vna que en otra, y que numero binario quiere dezir numero de dos: parescio cosa conforme a razon, ponerles a las tales figuras (aunque de prop[orción]. Sexquialt[era]) vn numero dos encima, el qual denota que se an de proferir con igualdad, de la misma manera que el numero dos es igual, formado de dos vnidades partes iguales, y que se puede partir en ellas. […] El segundo modo, que es quando se tañen con desigualdad de tiempo (tenie[n]dose mas en la primera, quarta, setima, dezena, &c. y menos en las de enmedio, que es como haziendo vna semiminima y dos corcheas, es, no es mas a menos) este tal modo segundo, siempre se a puntado con vn tres encima, denotador del ayre de proporcion menor, y denotador de la desigualdad de tiempo en la prolacion, o pronunciacion de las tales figuras de sexquialtera: Cabeçon, y Manuel Rodriguez Pradillo, & alii per multi: y por tanto no es razon alterar del dicho vso; especialmente estando fundado en razon. Y assi queda assentado: que el tres encima de las dichas figuras (en canto de organo) y numeros (en cifra) significa el dicho ayresillo de proporcio[n] menor, y numero ternario, y el dos, desygualdad de figuras como en el binario.
Del ayre con que se ha de tocar estas Guitarras no he querido tratar, porque el mismo tono lo lleva consigo: si el tono es de proporcion, el ayre sea proporcion; si es mayor, o menor, sea tambien el ayre mayor, o menor; y assi en los demas haga cuenta el que toca la Guitarra, que la mano derecha es el maestro de capilla, y los dedos de la mano izquierda, las vozes regidas, y governadas por ella.
Las figuras del canto lano sacadas de las figuras de geumetrí[a] / fueron inuentadas según la cantidat de las síllabas de cada vna de las ocho partes de la oración, es a saber, síllaba breue o longa.Y otras fueron inuentadas para dar ayre al canto lano, y otras para en lugar de ligaduras, quales son estas : Máxima, longo, breue, semibreue, alfa, tocus, vncus, finalis.