[…] le silence ayant esté imposé, on ouit aussi tost derriere le chasteau vne note de hauts-boys, cornets, sacquebouttes, & autres doux instrumens de musique : desquels l’harmonie estant cessee, le sieur de la Roche […] sortant du iardin de Circé, courut iusques au milieu de la salle […]
[…] auec ceste parure commencerent à ioüer la premiere entree du Balet. Apres ces violons entrerent en la salle les douze pages, par les mesmes treilles, six d’vne part, & autres six de l’autre : & tous estans placez on veit venir soudain apres eux les douze nymphes Naiades, entrans aussi six par vne treille, & six par l’autre : qui ne furent plustost apperceuës par les violons qu’ils changerent de note & de son, pour entrer en la seconde partie de l’entree du Balet, en laquelle ces nymphes vindrent dansans iusques aux maiestez du Roy & Royne sa mere, auec cest ordre. Au premier passage de l’entree estoyent six de front, toutes en vn rang du trauers de la salle, & trois deuant en vn triangle bien large : duquel la Royne marquoit la premiere pointe, & trois derriere de mesme : puis selon que le son se changeoit, elles se tournoyent aussi, faisans le limaçon au rebours les vnes des autres, tantost d’vne façon, tantost d’vne autre, & puis reuenoyent à leur premiere marque. Comme elles furent arriuees aupres du Roy, continuerent tousiours la partie de ce Balet, composé de douze figures de Geometrie, toutes diuerses l’vne de l’autre : & sur le dernier passage les violons ioüerent vn son fort gay, nommé la Clochette.
Mvsiqve (laquelle est appelée practique) est vn art nous enseignant la maniere de bien chanter. D’icelle sont deux especes, c’est à sçauoir la simple, autrement appellée plain chant (de laquelle p[ar]lerons seuleme[n]t en ce premier traicté) & la figurée, que le vulgaire appelle chose faite (& d’icelle traicterons au seco[n]d) lesquelles sont differente par ce que l’une (sçavoir est la simple) a ses notes quasi toutes de forme, figure, & quantité semblables, esta[n]t proferées sans accroissement, ou diminution aucune. La figurée au contraire a les siennes de diuerse forme, ou figure (dont elle pre[n]d le nom figurée) & selon leur varieté inesgale ce profferent sous diuerse quantité, estant augme[n]tées, ou diminuées selon qu’il est requis en Mode, Temps, & Prolation.
Icy ie veux bien aduertir que oultre ce qu'auons dit de l'ento[n]nement de mi, ou de la à fa, il y a plusieurs cade[n]ces de dessus (Lesquelles toutesfois se peuuent trouuer en toutes parties) qui ne faut entonner qu’en demi ton, & cela aduient ta[n]t aux entieres (co[m]me la sol la, sol fa sol, re vt re) qu’aux ro[m]pues (co[m]me la sol, sol fa, re vt) lesquelles plusieurs auiourdhuy prude[m]ment signifient par ce signe xx lequel co[m]bien que de figure ne semble estré differe[n]t de l’un de ceux de ♮ dur. Il est toutesfois bie[n] differe[n]t de lieu, car il est mis tousiours dessus, ou dessous la note demo[n]strée par luy : Et celuy de ♮ dur, tousiours encosté senestre.
En la troisiesme partie, la Musique est diuisée en Musique pleine, & Musique figurée, ou mesurée ; où se traicte au[ss]i des nottes de Musique, de la figure, & ligature d’icelles ; des degrez de la Musique sur le nom de Mode (qu’aucuns appellent Mœuf) temps, & Prolation, des signes & marques par lesquelles ils sont signifiez : de la Mesure qu’on doit tenir en iceux respectiuement : du Point musical, & autres menutez que nous estimons pouuoir proufiter, tant aux maistres qu’aux disciples, pour entendre le faict de la Musique.
La seconde signification [du mot ton] est, quant ce mot, ton, signifie la distance, ou espace, qui est de chascune notte à la voisine ; sauf que du my, au fa, il n'y a que demy ton. En laquelle signification, nous disons, que l'octaue contient cinq tons & deux demy : la quinte, trois tons & demy : & la quarte, deux tons & demy, & ainsi des autres consonnances.
Les signes sont ce que nous appellons nottes, qui sont viij. differentes de nom, de figure, et de valeur, à sçauoir : Maxime, Longue, Brefue, Demibreue, Minime, Demiminime, Fuse, Demifuse.
Plvsievrs font icy de grandes questions, & se trauaillent fort, pour sçauoir pourquoy le diapason est plustost composé de 5. tons, & deux demy, que de six tons entiers : ou bien pourquoy les deux demy tons ne peuuent accomplir vn ton entier : le ton se prennant icy en la seconde signification, à sçauoir pour la distance qu'il y a de chascune notte à sa voysine, sauf que du my au fa il n'y a que demy ton.
L'on peut se servir des Sons de chaque instrument de Musique, & des differens mouuemens que l'on leur donne pour discourir de toutes sortes de suiets, & pour enseigner & apprendre les sciences. Cette proposition est excellente, car elle enseigne la maniere de discourir de toutes choses en ioüant des instrumens, encore que celuy qui les touche, ou qui en oyt ioüer soit muet, car l'on peut discourir auec vn autre en ioüant de l'Orgue, de la Trompette, de la Viole, de la Fleute, du Luth & des autres instrumens, sans que nul puisse entendre le discours, que celuy qui sçait le secret, ce qui se peut pratiquer en plusieurs manieres. En premier lieu si le ioüeur d'instrumens, & l'auditeur se seruent d'vne tablature qui contienne toutes les lettres de l'alphabet : car chaque Son exprimera chaque lettre ; par exemple, les trois notes, ou les trois voix qui se treuuent dans G, re, sol, vt, pourront seruir pour ces trois lettres R, S, V, &c. & l'auditeur ayant son Luth, ou sa tablature deuant les yeux verra clairement les dictions que formera le ioüeur auec les Sons de son instrument, auquel il pourra respondre en ioüant d'vn autre instrument.
L'exemple de ces changemens se void dans le tetrachorde Diatonic, ut, re, mi, fa, qui peut exprimer nos vingt-quatre lettres : ce qui se peut aussi [p41] faire auec les quatre principales notes, ou cadances de chaque Octaue, ou de chaque mode, par exemple auec les cadances du premier mode, ut, mi, sol, fa : voicy l'exemple du susdit Tetrachorde, ut, re, mi, fa, qui fait voir que ces quatre syllabes, qui signifient les quatre Sons du Tetrachorde des principales, peuuent estre coniointes en vingt-quatre manieres differentes.
D'ailleurs, l'on peut faire voir les lieux où se fait le ton mineur ou le majeur, car si l'vn tient ferme sur vne mesme note, & que l'autre chante par degrez conjoints, s'il [le praticien] commence à faire la Tierce mineure, & puis qu'il face la Quarte, il fera le ton mineur ; & s'il monte à la Quinte, il fera le ton majeur ; & s'il passe à la Sexte majeure, il fera le ton mineur. Semblablement s'il fait premierement la Tierce mineure, & puis la majeure, il fera le demi-ton mineur ; ce qui arriue aussi lors que l'on passe de la Sexte mineure à la majeure, ou de la majeure à la mineure.
[…] il suffit maintenant de monstrer que la Musique peut apprendre à bien parler, & à corriger les mauuais accents que l'on a, pourueu que l'on demeure d'accord de la meilleure maniere de parler, car l'on peut aussi aisément apprendre à parler comme les Normans, ou les Prouençaux, par le moyen de la Musique, que comme ceux de Blois, d'Orleans, & de Paris ; ce que ie prouue en ceste maniere : Ce qui est des-agreable dans la parole, ou dans le discours, ne peut venir de nulle autre cause que des syllabes que l'on fait trop longues, ou trop courtes, & trop graues ou trop aiguës ; comme l'on experimente en ceux qui traisnent trop quelques parties de certaines dictions, ou qui se precipitent en prononçant ; or la Musique qui traite de la valeur des notes, & de toutes sortes de temps, enseigne quant & quant le temps qu'il faut employer sur chaque syllabe, & consequemment quelle proportion doit garder le temps de chaque syllabe, donnee auec le temps de toutes les autres.
Encore qu'il semble qu'vn mesme homme ne puisse chanter deux parties differentes en mesme temps, à raison qu'vne seule partie occupe tellement la bouche, la gorge, & les autres organes de la voix, qu'il ne peut rien prononcer que ce qu'il chante ; neantmoins l'experience enseigne que l'on peut chanter vne partie auec la gorge, & vne autre en sifflant, comme fait le fils de la Pierre d'Auignon, lequel on estime pour ce sujet l'vn des plus rares hommes du monde : mais l'on n'a point encore veu d'homme qui profere deux dictions, ou qui chante deux notes en mesme temps, en prononçant quelque syllabe, par exemple VT & RE ; car ceux qui parlent du gosier ou du fonds de la bouche pour faire croire qu'ils sont éloignez, ou pour imiter l'echo, ne peuuent proferer d'autres paroles en mesme temps, parce que la langue, & les autres organes de la parole ne peuuent auoir deux mouuemens en mesme temps.
L'on peut premierement diuiser les chansons en Diatoniques, Chromatiques, & Enharmoniques, & en mettre autant d'especes comme ces trois genres en ont ; mais pour parler des chants qui sont en pratique, on les diuise en autant d'especes qu'il y a de modes differens, à sçauoir en 12, dont chaque espece peut quasi auoir vne infinité d'indiuidus, puis que l'on en fait 40320 des 8 notes de chaque Octaue, encore que l'on ne repete nulle note deux fois, comme ie [p095] monstreray dans la 8 proposition.
Il faut neantmoins auoüer que l'on peut trouuer des regles si certaines, que l'on ne manquera iamais à faire de bons chants sur toutes sortes de sujets, pourueu que l'on entende la lettre ; car si le Musicien François qui n'entend que sa langue vouloit mettre de l'Espagnol ou de l'Italien en Musique, il ne pourroit pas accommoder la note à la lettre. I'auoüe qu'il est difficile de trouuer & de pratiquer les regles dont nous parlons, dautant qu'elles requierent vne parfaite connoissance de la nature des sons, & de leurs interualles, & des passions & affections que l'on desire exciter ou appaiser. Mais peut-estre que cette connoissance n'est pas impossible, soit que les anciens l'ayent euë, comme tiennent ceux qui croyent qu'Aristote, Plutarque, & les autres Autheurs ne proposent rien des especes & des effets de la Musique que ce qui est veritable, & qui disent que les Grecs auoient la connoissance du temperament des auditeurs, de la nature des passions, & des interualles ; ou que lesdits anciens n'ayent point eu d'autre connoissance que nous, ou plustost qu'ils ayent moins connu dans la Musique que les Maistres qui composent maintenant, & qui enseignent la pratique & la theorie de l'Harmonie, comme croyent plusieurs, qui ne deferent pas tant aux anciens que les autres. Car puis que l'inuention des regles pour faire de bons chants dépend de la raison, du iugement, & de l'experience, il faudroit que nous fussions dépourueus de ces facultez, & instrumens, si nous ne pouuions rien establir que par emprunt des anciens, dont ie ne veux pas icy parler dauantage, dautant que i'ay fait vn discours particulier pour examiner s'ils estoient plus sçauans que nous dans la Musique, & s'ils faisoient de meilleurs Chants, & de meilleurs Concerts.
IL n'y a rien de plus difficile que de trouuer la definition des choses dont on veut parler ; ce qui arriue icy : car la nature de la chanson est aussi difficile à connoistre, comme elle est facile à oüir. Or il faut remarquer que la diction air dont on vse pour signifier le chant, se prend en plusieurs manieres ; car elle signifie premierement le troisiesme element, qui s'étend depuis la surface de la terre iusques à la Lune […] Secondement, l'air signifie la maniere dont on parle, on interroge, ou l'on répond, particulierement si l'on parle en cholere ; car nous disons qu'on a répondu d'vn tel air, &c. Ce qui signifie presque la mesme chose que le ton de la voix, ou l'accent auec lequel on répond. Cette diction peut auoir plusieurs autres significations, selon les diuerses choses ausquelles on la peut accommoder, par exemple aux visages : car quand quelque tableau ou quelque personne ressemble à vn autre, nous disons qu'il en a de l'air. Mais la troisiesme signification est quand elle exprime la mesme chose que la chanson, ou le chant dont nous nous seruons pour chanter quelques fantaisies, soit que nous prononcions quelques paroles, ou que nous chantions sans paroles auec les notes de la Musique, ou en quelqu'autre maniere. Cecy estant presupposé, ie dy que la definition que i'ay mise dans cette proposition comprend tout ce qui appartient à l'essence du chant : premierement la deduction, ou conduite de la voix est le genre, car le chant a cela de commun auec les harangues, les discours & les paroles dont nous nous seruons en parlant les vns aux autres.
Il faut neanmoins remarquer qu'il n'est pas tellement necessaire de changer les interualles des sons graues & aigus, qu'on ne puisse trouuer quelque espece d'air sans eux, si nous parlons de tout ce qui peut estre appellé air, ou chant en quelque maniere que ce soit : car quelques vns disent qu'on peut sonner vn air sur le Tambour, encore que tous ses tons soient vnisons, dautant que les diuers mouuemens ou les diuerses mesures qu'on donne aux sons du Tambour peuuent representer quelque chanson, ou quelque fantaisie. Ce qui conuient pareillement à la voix qui peut representer plusieurs choses par les diuerses mesures, & par tous les mouuemens de la Rythmique : ce qui arriue aussi à plusieurs Pseaumes, qui commencent, finissent, & sont chantez sur vne mesme note, ou sur vne mesme interualle, & au chant dont plusieurs Religieux se seruent : Mais les autres aiment mieux l'appeller vn simple recit qu'vn chant, comme est le chant dont nous nous seruons, & plusieurs autres à nostre imitation, comme les Capucins, Carmes déchaux, &c. dautant que nous ne faisons aucuns interualles, & que nous n'obseruons point d'autre mesure que celle des syllabes.
Or la chanson que l'on appelle Vaudeuille est la plus simple de tous les Airs, & s'applique à toute sorte de Poësie que l'on chante note contre note sans mesure reglee, & seulement selon les longues & les breues qui se trouuent dans les vers, ce que l'on appelle mesure d'Air ; sous laquelle sont compris le plein chant de l'Eglise, les Faux-bourdons, les Airs de Cour, les Chansons à danser & à boire, & les Vaudeuilles, & n'y a souuent que le seul Dessus qui parle, que l'on appelle aussi le suiet, & ce sans accords ou consonances des autres parties, parce que faire vne chanson signifie simplement mettre en chant, ou donner le chant à quelques paroles.
Or ie donneray la raison pourquoy la Trompette fait plustost ces interualles que nuls autres dans le discours particulier de la Trompette ; car il suffit maintenant de marquer tous ces interualles dans la table qui suit, dont le premier rang contient les trois clefs de la Musique ; le second les notes ordinaires ; le troisiesme les nombres, qui monstrent tellement la raison des 6 consonances, que les plus grands signifient les plus grandes chordes : mais le dernier rang contient les nombres qui continuent tellement les raisons, que les moindres nombres signifient les retours des plus grandes chordes ; et parce qu'ils sont beaucoup moindres que ceux du 3 rang, quoy qu'ils soient les moindres de tous ceux qui peuuent continuer les raisons de toutes les consonances, il s'ensuit que la representation des battemens de l'air est plus excellente que celle de la longueur des chordes, puis que les nombres qui signifient lesdits battemens s'éloignent moins de l'vnité, qui est la source de la science, de la perfection, & du plaisir.
Mais ie veux encore donner vne autre figure qui contiendra les trois precedentes, & tous les degrez qui sont dans la [p004] Vingtdeuxiesme, dont la premiere colomne a 22 notes, la seconde contient les nombres qui expliquent les raisons de chaque degré suiuant la vraye Theorie, qui met l'inégalité des sons, c'est à dire qui met le ton majeur & le mineur, & consequemment les Tierces & les Sextes iustes, & qui vsent des moindres nombres pour signifier le moindre nombre des retours que font les plus longues ou les plus grosses chordes, & des plus grands pour exprimer le plus grand nombre des retours que font les moindres chordes ; ce qui n'arriue pas à la troisiesme colomne, à raison qu'elle a les nombres Pythagoriques, qui n'ont que le ton majeur, & qui n'ont point d'autre demiton que le Pythagorique, dont nous parlerons ailleurs. [Consonances. Nombres Legitimes. Nombres Pythagoriques. Notes. Consonances. Dissonances. VT, RE, MI, FA, SOL, LA, BI]
La quatriesme [colonne de la figure] contient les syllabes qu'il faut prononcer sur chaque note : où il faut remarquer que i'vse de la nouuelle maniere de chanter dans les syllabes de la premiere Octaue, afin de monstrer comme l'on peut chanter sans muances en mettant la syllabe BI au lieu de MI, & en disant Vt, re, mi, fa, sol, la, bi, vt, au lieu de Vt, re, mi, fa, sol, re, mi, fa, qui suiuent en montant pour accomplir le Trisdiapasion de cette table. Mais i'expliqueray cette maniere de chanter plus au long dans le traité de la Methode & de l'Art de bien chanter. La cinquiesme monstre toutes les Consonances qui sont dans trois Octaues, c'est à dire dans la Vingtdeuxiesme ; & la derniere contient les Dissonances, dont ie traiteray plus particulierement en plusieurs propositions […] [Consonances. Nombres Legitimes. Nombres Pythagoriques. Notes. Consonances. Dissonances.]
D'ailleurs, le genre dont on se sert maintenant aux compositions des Motets & des Airs a 19 chordes, ou 18 interualles, comme ie monstreray au liure des differentes notes, & de tous les characteres dont on peut vser en composant, soit pour chanter, ou pour ioüer sur les Instrumens. Il faut donc voir quel nom l'on luy [le diapason] peut donner, & s'il est plus à propos de l'appeller Neufiesme, ou Seiziesme, ou de quelqu'autre nom, pour les raisons que ie viens de deduire.
Car i'ay de la peine à croire que tous les anciens Latins & François, & tous nos voisins luy [le diapason] ayent donné ce nom sans raison, lequel ils ont peu prendre du nombre ordinaire des sons, que les Grecs & les Musiciens des autres nations ont mis dans l'Octaue selon nos notes ordinaires, Ut, re, mi, fa, sol, re, mi, fa, ou suiuant [p040] les nouuelles, Bo, ce, di, ga, lo, ma, ni, bo, dont nous parlerons dans vn autre lieu.
Or le secret du temperament consiste à sçauoir qu'elles consonances l'on doit tenir iustes, fortes, ou foibles, afin de temperer tout le Systeme, ou le Clauier : c'est pourquoy chaque note, ou chaque son qu'il faudra fortifier, ou diminuer, [p106] ou tenir iuste, aura pour marque l'vne de ces trois dictions, fort, iuste, ou foible. Il faut maintenant voir si l'on peut mettre les ieux differents, que plusieurs ont essayé d'introduire dans l'Epinette, comme l'on a fait dans l'orgue, afin qu'elle comprint toutes sortes d'instrumens à chorde, comme l'orgue contient toutes sortes d'instrumens a vent, mais l'vn n'a pas reüssi comme l'autre, quelques Panodions & autres instrumens que l'on ayt inuenté pour ce sujet.
Quant au Clauier, (qui contient toutes les marches, dont les principales ou diatoniques sont marquees de leurs propres lettres) i'ay osté l'ais de dessus, qui se pose sur la ligne V X, afin que l'on veist le bout des petites pointes de fer qui attachent les marches, dont les Chromatiques ou les Feintes sont beaucoup plus etroites. Or chaque Octaue de l'Epinette a 13. notes, comme l'on void aux 13. qui sont grauees sur l'ais Q R, lequel se leue pour fermer le clauier, & qui appartiennent à la premiere octaue marquee par C sol vt fa : ce qui est si aysé à entendre qu'il n'est pas besoin de nous y arrester : car il suffit d'auoir des yeux pour voir les 12 demy tons esquels cette octaue est diuisée par le moyen des dieses, qui sont entre les notes diatoniques, & qui representent les feintes du clauier.
Mais il ne faut pas oublier l'accord de cet instrument [l'Epinette] qui sert aussi pour le Clauecin & pour le Manichordion, & qui monstre la methode & la pratique dont vsent les plus grands Maistres de cet art. Ie dis donc premierement que l'on peut prendre le ton, ou le son de Fa vt pour le fondement de l'accord. En second lieu qu'il faut faire le quinte foible en haut, c'est à dire que la 2. note qui est en C sol ne monte pas iusques à la quinte iuste du monochorde.
Cette diminution est signifiee par la lettre d, qui enseïgne que toutes les notes, sur lesquelles il se rencontre, doiuent estre affoiblies & diminuees. Quant aux Octaues qui paroissent entre les quintes, elles sont tousiours iustes. Or les cinq regles d'enhaut contiennent l'accord des marches diatoniques, comme celles d'en bas contiennent l'accord des feintes, c'est à dire des marches Chromatiques. Apres que l'on a accordé la premiere quinte de F à C, l'on accorde le C d'en bas à l'octaue, & de ce C on monte à la quinte en G, duquel on passe au G d'enhaut ; & puis on accorde le D de dessus à la quinte auec le mesme G.
Quant aux trois autres elles sont marquées par d, parce qu'elles doiuent estre diminuées. Le 7I. ou dernier rang de notes signifie le defaut de l'accord ou du clauier. Or l'on peut faire les Epinettes aussi grandes que l'on veut, par exemple de 4. ou 5. pieds de long ; mais ce que l'on pourroit desirer en cellecy, s'expliquera si clairement dans le traicté du Clauecin qui suit, qu'il n'est pas necessaire d'allonger ce discours.
L'estendüe du Clauecin, & conséquemment de l'Epinette à grand clauier est marquée en bas par les cinq notes qui representent les quatre Octaues dudit clauier, car il y a vne Octaue de la premiere ou plus basse note à la seconde, & puis vne autre Octaue de la seconde à la troisiesme, &c. ce que monstrent les nombres qui sont sur les notes, dont le 4. signifie que la note finale fait la Vingt-neufiesme, c'est à dire quatre Octaues auec la premiere : ce qui est tres-aysé à comprendre par le moyen des trois clefs differentes de cet accord.
Quant aux chordes [du manichordion], leur son est determiné par la partie qui est depuis les [p116] crampons iusques aux cheualets, car la partie qui reste entre les crampons, & l'escarlate ne sonne point : de là vient qu'vne mesme chorde peut seruir à plusieurs crampons, dont chacun fait vn son different selon la distance du point où il touche la chorde, iusques au cheualet de ladite chorde. Il n'est pas necessaire d'expliquer l'estenduë de cet instrument qui est en bas, par ce qu'elle ne differe qu'en disposition de clefs d'auec celle du Clauecin, c'est pourquoy ie viens à son estenduë d'enhaut, laquelle i'ay mise tout au long sans laisser aucune note : c'est à dire que i'ay remply les quatre Octaues d'en bas, en mettant onze notes entre les deux notes de chaque Octaue.
Les 29. nombres, dont chacun est vis à vis de chaque note, monstrent l'ordre desdites notes, qui toutes sont esloignées l'vne de l'autre d'vn demy ton : de sorte que ie ne pense pas qu'il y ayt autre chose necessaire pour entendre tout ce qui appartient à cet instrument.
Par exemple le premier VT RE [gravé sur le couvercle E G F D du manichordion], qui est de C sol en D sol, comprend cinq notes, dont la premiere est esloignée de la seconde d'vne seule diese, c'est pourquoy i'ay marqué cette diese d'vne simple croix, comme la 3. note d'vne double croix, à raison qu'elle est esloignée de la premiere note de deux dieses. Semblablement vne triple croix precede la 4. note, par ce qu'elle en est esloignée de trois dieses ; de sorte qu'il ne reste plus qu'vne diese de la 4. à la 5. note pour acheuer le ton.
Mais il faut remarquer que i'ay vsé de trois sortes de notes, afin qu'elles monstrent la distinction de chaque degré, & que l'on voye dans vn moment à quel genre chaque note appartient : car toutes celles qui valent vne mesure, & que l'on appelle semibreues, ou blanches sans queuë, appartiennent au genre Diatonic, dont elles constituent les 8. sons.
Car l'on void les interualles, qui sont entre chaque note, ou diction, & consequemment les touches, qui font les Consonances, ou les Dissonances dans leur iustesse : ce que i'explique encore dans la table qui suit, & qui commence par le C sol vt fa d'en bas. [C sol vt fa, Semiton mineur, ♮ mi, demiton moyen, B fa, demiton maieur, A mi la re, demiton mineur, x a, diese, x g, demiton mineur, G re sol vt, demiton moyen, x g, diese, x f, demiton mineur, F vt fa, demiton maieur, E mi la, demiton mineur, x e, diese, x d, demiton mineur, D la re sol, demiton moyen, x d, diese, x c, demiton mineur, C sol vt fa].
Tablature harmonique pour les sourds. [Les 8 sons, ou notes de l'Octaue : VT, RE, MI, FA, SOL, RE, MI, FA - Les 7 degrez de l'Octaue : ton mi., ton mai., sem. mai., ton mai., ton mi., ton mai., semi. maj. - Table I. La tension des chordes proportionnées selon la raison doublée des interualles. - Table II. La grosseur des chordes proportionnée selon la raison simple des interualles. - Table III. La longueur des chordes proportionnées selon la raison simple des interualles. - Table IV. La Tension des chordes proportionnées selon la raison simple des interualles].
PROPOSITION XIV. Determiner combien l'on peut toucher de chordes, ou de touches du clauier dans l'espace d'vne mesure, c'est à dire combien l'on peut faire de notes à la mesure sur l'Epinette ; & si l'archet va aussi viste sur la Viole, & sur le Violon ; ou si la langue & les autres organes qui font les passages, & les fredons peuuent faire autant de notes à la mesure que l'Epinette. L'on peut toucher les chordes de Luth, & de l'Epinette en deux manieres, à sçauoir toutes, ou plusieurs en mesme temps, comme il arriue lors que l'on abbaisse plusieurs touches du clauier en mesme temps, pour faire plusieurs consonances ou dissonances ; ou l'vne apres l'autre, comme l'on fait aux passages & aux fredons, & c'est de cette maniere que ie parle icy. Or il faut remarquer que les Musiciens ont inuenté des notes pour signifier toutes leurs mesures c'est à dire tous les temps, ou toutes les especes de durée qu'ils donnent aux sons & aux voix, dont ils composent toutes sortes de chansons & de motets : & que celle qui signifie vne mesure est blanche, & sert comme de pied, de diapason & de regle à toutes les autres, qui augmentent ou diminuent ordinairement leurs valeurs de moitié en moitié, de sorte que la 2 vaut la moitié d'vne mesure, la troisiesme le quart, la 4 la 8 partie, la 5 la 16 partie, la 6 la 32 partie, & la 7 la 64 partie, qui est la moindre de toutes celles qu'ils ont inuentées, parce qu'ils ont iugé que l'on ne pouuoit pas chanter vne note en vn moindre temps qu'en la 64. partie d'vne mesure.
Il faut encore remarquer qu'ils font durer vne mesure plus ou moins comme [p138] ils veulent : mais il est necessaire d'establir vn temps certain & determiné pour la mesure, si l'on veut sçauoir combien l'on peut faire de sons, c'est à dire combien l'on peut chanter de notes dans le temps d'vne mesure : & parce que les Astronomes ont diuisé chaque minute de temps en 60 parties, & que chaque 60 partie de minute, qu'ils nomment seconde, est esgale à vn battement ordinaire du poux, comme i'ay desia dit ailleurs, ie suppose maintenant qu'vne mesure dure vne seconde minute, & dis qu'il n'y a point de main si viste qui puisse toucher plus de 16 fois vne mesme chorde, ou plusieurs, ny voix qui puisse chanter plus de 16 notes ou doubles crochuës dans le temps d'vne seconde minute, & consequemment que ceux qui font 32 notes à la mesure employent 2 secondes dans la mesure, & que ceux qui en font 64 font la mesure de 4 secondes ou de 4 battemens de poux : ce que i'ay obserué dans l'experience des meilleurs ioüeurs de Viole & d'Epinette, & ce que chacun remarquera en faisant reflexion sur le ieu de ceux que l'on estime auoir la main tres-viste & tres-legere, quand ils vsent de toute la vistesse qui leur est possible.
Or chaque Octaue a 19 chordes, notes, ou caracteres, d'autant qu'on ne peut marquer la Musique à plusieurs parties sans se seruir de ce nombre dans chaque Octaue, comme i'ay prouué dans vn autre lieu. Quant à l'vsage de cette table, il est si aysé, qu'il n'est quasi pas besoin de l'expliquer, car le premier nombre de la premiere colomne, à sçauoir 6, signifie que le son le plus graue de tous les instrumens, à sçauoir le son du tuyau d'Orgue de 32 pieds, se fait par les 6 retours de la chorde, qui bat 12 fois l'air dans l'espace d'vn battement de coeur ; & les autres nombres qui suiuent, tant dans cette Octaue, que dans les 7 autres, representent tousiours le nombre des retours de chaque chorde, qui respond à chaque note, ou lettre de l'Octaue, qui est marquée à la marge : par exemple, le premier ou le moindre nombre de la 8 Octaue signifie que la plus basse chorde de la 8 Octaue fait 768. retours dans l'espace d'vn battement de poux, c'est à dire dans le temps d'vne seconde minute : & le 2 nombre de la mesme colomne, à sçauoir 800, signifie que la chorde qui a ce son, fait 800 retours dans le mesme temps. [Tablature du nombre des tremblemens que font les chordes - demy-ton mai. - demy-ton min. - comma - diese]
Mais afin que l'on comprenne mieux l'vsage de cette table, par exemples que par discours, ie prends l'vn des airs du Sieur Boësset imprimé l'an 1630. qui commence par ces paroles, Diuine Amaryllis. qui est à 4 parties ; dont chacune chante 22 mesures sans pauses. La voix, ou la note la plus graue de la Basse est sur F vt fa ; & parce que ceux qui font la Basse dans la chambre, ne vont pas ordinairement plus bas qu'vn tuyau d'Orgue de 4 pieds ouuert, qui est à l'vnisson de la plus grosse chorde de l'Epinette, qui a 3 pieds de long, il s'ensuit que la plus basse note de l'air susdit respond au premier, ou moindre nombre de la 4 Octaue, qui est dans la 4 colomne de la table precedente, c'est à dire au nombre 48.
Quant à la voix plus aiguë du Dessus, elle est plus haute d'vne Vingtiesme maieure que la voix precedente de la Basse, & consequemment les 4 parties de cet air comprennent la 4 & 5 colomne toutes entieres, & la 6 iusques à son A mi la re. Or la table qui suit, fait voir les mesures de chaque Partie, & les retours de chaque chorde, car la premiere colomne de chaque partie represente les chordes, ou les lettres d'où dependent les notes ; la seconde contient le temps, ou la mesure des notes qui sont sur chaque lettre ; & la troisiesme comprend le nombre des retours que font les chordes qui appartiennent à la mesme lettre. Or parce que toutes les parties chantent tousiours ensemble sans se reposer, elles ont chacune 22 mesures, comme l'on void en adioustant toutes les mesures de chaque partie. Tablature des retours ou mouuemens que font les chordes, ou les voix qui chantent l'air d'Anthoine Boësset Intendant de la Musique de la chambre du Roy, & de la Reyne. [Basse - Taille - Haute-contre - Dessus - lettres - mesures - retours].
[p144] Or si l'on adiouste les battemens, ou retours de ces 4 parties, l'on en trouuera 12560 1/3, & l'on aura tous les retours de cette chanson : ce qui est si aysé à faire à ceux qui sçauent l'Arithmetique, qu'il n'est pas besoin de nous y arrester.
COROLLAIRE V Si l'on comprend la tablature du retour, ou du battement des chordes, l'on peut dire le son que peut faire chaque chorde, encore que l'on n'oye nullement le son qu'elle a, pourueu que l'on voye ses retours ; car si, par exemple, elle fait seulement 6 retours dans l'espace de la mesure de ladite tablature, on est asseuré qu'elle fait la Vingt-deuxiesme contre la plus basse note de l'air precedent : & si l'on tendoit vn chable qui ne feist que trois retours dans le mesme temps, il feroit vn son plus bas de 4 Octaues que la plus basse note dudit air ; mais i'ay desia traicté de cette difficulté dans la 12. Proposition.
PROPOSITION XVIII. Tous les Musiciens du monde feront chanter vne mesme piece de Musique selon l'intention du Compositeur, c'est à dire au ton qu'il veut qu'elle se chante, pourueu qu'ils cognoissent la nature du son. Vne nouuelle maniere de marquer, & de battre la Mesure est icy expliquée. Cette proposition est l'vne des plus belles de la Musique Pratique, car si l'on enuoyoit vne piece de Musique de Paris à Constantinople, en Perse, à la Chine, ou autre part, encore que ceux qui entendent les notes, & qui sçauent la composition ordinaire, la puissent faire chanter en gardant la mesure, neantmoins ils ne peuuent sçauoir à quel ton chaque partie doit commencer, c'est à dire combien la premiere, ou les autres notes de la basse doiuent estre graues ou aiguës, d'autant que si les Chinois, par exemple, ont la voix plus graue & plus basse que les François, ils commenceront chaque partie plus bas que nous ne faisons, & s'ils l'ont plus aiguë ils commenceront plus haut. Ie sçay que l'on peut aduertir au commencement de la piece de Musique qu'elle doit estre chantée au ton de Chappelle, ou plus haut ou plus bas d'vn demy-ton, &c. Mais plusieurs ne sçauent que c'est que le ton de Chappelle, & il est trop difficile de transporter vn tuyau d'Orgue, ou quelqu'autre instrument, & bien qu'on l'enuoyast en telle façon qu'il ne perdist nullement sa forme, il parleroit plus haut ou plus bas selon le vent que l'on luy peut donner, & consequemment l'on n'auroit pas vne entiere certitude du graue & de l'aigu du son. Or le Compositeur donnera vn signe certain & vniuersel du ton, auquel il desire que l'on chante sa Musique, ou telle autre qu'il voudra, s'il met vis à vis de l'vne des notes de la Basse, ou des autres parties, le nombre des battemens de l'air qui fait le son ; par exemple s'il met 96 vis à vis de la premiere note de l'air du Sieur Boësset, dont i'ay parlé dans la Proposition precedente, tous ceux qui sçauront la nature du son, ou la maniere dont il se fait, chanteront la Musique proposée selon son intention, ou celle de quelqu'autre Compositeur, & chaque partie prendra le ton suiuant leur desir.
En effet l'on ne peut mieux representer le son que par le nombre desdits battemens, puis qu'ils ne sont nullement differens du son, que l'on appelle nombre sonant ou sonore, & si l'on vouloit composer auec des notes de mesme valeur, par exemple auec celles que l'on nomme semibreues, qui valent ordinairement vne mesure entiere, l'on pourroit vser de toutes sortes de temps, en faisant que la valeur des notes suiuist le graue, ou l'aigu des sons, c'est à dire la multitude des battemens de l'air ; ce qui peut arriuer en deux façons, car l'on peut diminuer la valeur des notes en mesme raison que le nombre des battemens s'augmente ; d'où il s'ensuiura que le Dessus ira plus viste que la Basse, car quand le Dessus chantera plus haut d'vne Octaue, la notesemibreue ne vaudra qu'vne minime, c'est à dire vne demie mesure ; & s'il chante vne Quinziesme, elle vaudra seulement 1/4 de mesure, d'autant que le nombre des battemens qui font le Dessus est 2 ou 4 fois plus grand que celuy des battemens qui font la Basse.
Mais il n'est pas necessaire de sçauoir le nombre des battemens pour faire seruir les mesmes notes à des temps differents, car il suffit de sçauoir combien [p148] les notes sont plus hautes, & plus aiguës les vnes que les autres pour diminuer leur valeur d'autant de degrez, que l'on augmente leur aigu. L'on peut semblablement augmenter la valeur des notes à proportion que leur aigu s'augmente ; & si l'on veut on augmentera ou l'on diminuera la valeur desdites notes en raison doublée, ou triplée du nombre des battemens de l'air, qui font les sons de chaque Partie : or la maniere la plus naturelle, dont on peut vser pour la valeur des notes, ou des voix & des sons, est celle qui donne les mesures les plus lentes & plus tardiues aux notes de la Basse, & les plus vistes à celles du Dessus, car puis que les battemens des sons du Dessus sont plus vistes que ceux de la Basse, il est raisonnable que le mouuement de ces notes soit aussi plus viste, afin que ces deux vistesses s'approchent de l'vnisson qu'elles feroient, si le mouuement des notes estoit aussi viste que celuy des battemens de l'air. Quant à la maniere dont on vse pour trouuer le son, lors que l'on a le nombre des battemens d'air dans vn temps donné, ie l'ay expliquée dans vn autre lieu, c'est pourquoy ie diray seulement icy qu'vne chorde longue de 48, ou de 24 pieds estant tenduë par vne force donnée, ou par vn poids cogneu tel que l'on voudra, monstre le nombre des battemens d'air, qui font chaque son, car les battemens se multiplient à proportion que l'on accourcit la chorde : de sorte que si elle bat trois fois l'air dans vn moment, lors qu'elle a 24 pieds de long, elle ne le bat que 72 fois quand elle n'a plus qu'vn pied de long.
COROLLAIRE II Si l'on veut determiner le ton de la voix, auquel l'on veut que la note, ou la partie proposée se chante, il n'y a nul moyen plus general & plus asseuré que de donner vn nom propre à chaque ton, qui soit pris du nombre des battemens d'air qui font toutes sortes de tons, ou de sons. Par exemple, si l'on veut chanter l'air precedent du Sieur Boësset, & que l'on vueille commencer par la premiere note de la Basse, il faut dire qu'elle est au ton de 48, d'autant que la chorde qui fait ce son, tremble 48 fois dans le temps d'vne mesure, qui dure 1/60 de minute, c'est à dire dans vne seconde.
Et si ie voulois faire chanter ce vers hexametre François au mesme ton que ie le chante, lors que ie le commence à vn ton plus haut d'vne Tierce maieure que le plus bas ton de ma voix, & que ie voulusse que les Chinois le chantassent au mesme ton que moy, il suffiroit qu'ils cogneussent que le ton de la premiere note vaut 50, parce que la chorde qui est à l'vnisson de ce ton tremble 50 fois dans vne seconde ; c'est pourquoy 50 est le propre charactere, ou [p149] le propre nom de la premiere note de cet air : car il n'y a point de mesure si propre pour mesurer le graue & l'aigu des sons, que les nombres, par lesquels les Medecins peuuent remarquer le temperament ou la complexion des hommes aux differens tons de leurs voix, ou aux differens battemens de leur poux. L'on peut donc conclure de ce discours que le nombre des retours estant marqué vis à vis de chaque note, que tous les hommes du monde commenceront & chanteront la mesme piece de Musique au mesme ton, & que si tost qu'ils verront 50 à la marge du papier, dans lequel le vers precedent sera escrit, qu'ils le chanteront en mesme ton que moy. Où il faut remarquer que ces nombres de tremblemens peuuent seruir au lieu des notes, ou de la Tablature ordinaire des voix & des instrumens.
COROLLAIRE IIII L'on peut encore marquer la mesure, selon laquelle on veut faire chanter la Musique, par les battemens ou les tremblemens des chordes, dont on vse pour representer le ton ; par exemple, si l'on veut que chaque mesure dure 1/30 de minute, c'est à dire 2 secondes, & que le ton de la premiere note soit 50, il faut seulement marquer 100 à costé de la Musique, pour signifier que la mesure [p150] dure cent tremblemens de la chorde : & si la mesure dure 3", il faut marquer 150.
Or il faut remarquer que les plus grands nombres signifient les sons plus sourds ou plus graues, & les moindres les plus aigus : & qu'il est tres-facile de sçauoir quelles consonances ou dissonances font tous ces metaux les vns auec les autres, car puis que l'on void les nombres qui representent leurs sons, il faut seulement considerer la raison de ces nombres. Quant au iugement de l'oreille, la chorde d'or fait la Quinte forte auec la chorde de fer : auec lequel l'or meslé fait la Quinte foible. L'argent fait le ton maieur auec le fer, auec lequel le cuiure fait le semiton maieur : l'argent auec le cuiure fait le ton mineur. L'or fin fait la Quinte diminuée auec le cuiure, qui fait le Triton auec l'or meslé. Finalement l'or fin fait la Quarte iuste auec l'argent, & la diminuée auec l'or meslé : mais si l'on veut trouuer ces comparaisons plus iustement que par l'oreille, il se faut seruir des nombres qui ont tous esté marquez par le moyen de l'vnisson ; ce que les Practiciens comprendront plus aysément par les notes qui suiuent, & qui monstrent le son de chaque chorde du metal, dont le nom est dessouz.
Mais puis que les espreuues des estains ne peuuent estre comparées auec les chordes des autres metaux, il faut les comparer ensemble. Ie dis donc que l'estain de glace & le commun font la Quinte diminuée, l'estain de glace & le sonant font la Tierce maieure iuste, & l'estain de glace & le fin la Tierce maieure diminuée : l'estain commun fait la Tierce mineure diminuée auec le sonant, & auec l'estain fin la Tierce mineure iuste ; en fin l'estain sonant faict le semiton mineur diminué, c'est à dire la diese à peu pres, & plus d'vn comma auec l'estain d'Angleterre ou de Cornüaille, c'est à dire le fin estain. Or ie mets icy les sons de ces estains par les notes ordinaires en faueur des Practiciens, afin qu'ils n'ayent nulle peine à comprendre ce discours.
PROPOSITION XXIII. Expliquer la Tablature du Clauecin, & tout ce qui luy appartient. L'on peut vser des lettres de la tablature du Luth, & des autres instrumens du second liure pour celle de l'Epinette, puis que tous ces instrumens diuisent l'Octaue en douze demy-tons, mais puis que l'on a coustume d'vser des notes ordinaires de la Musique, tant pour le Clauecin que pour l'Orgue, ie ne veux pas changer cette pratique, quoy que ceux qui n'ont point apris la Musique se puissent seruir de nombres, ou de lettres, car puis [p163] qu'il y a 50 marches dans le Clauecin, chaque nombre signifiera chaque marche, par exemple 40 representera le son de la 40, & ainsi des autres. Or la piece de Musique qui suit a esté composée par le Roy, & mise en tablature d'Epinette par Monsieur de la Barre Organiste & ioüeur d'Epinette du Roy & de la Reyne, dont le beau toucher peut seruir d'exemple & de regle à ceux qui desirent acquerir la perfection de cet instrument, dont on peut conclure l'excellence par cette composition, dans laquelle il y a plusieurs mesures à 32, & à 64 notes : c'est pourquoy i'vse de triples & quadruples crochuës pour marquer la grande vistesse de la main qui touche souuent 32, ou 64 notes ou touches du clauier dans le temps d'vne mesure, comme i'ay souuent experimenté, c'est pourquoy ie donne icy le temps de cette mesure qui dure vn peu moins qu'vne seconde minute, c'est à dire que la 3600. partie d'vne heure, de sorte que l'autheur de cette tablature touche souuent 32 notes, & quelquefois 64 dans le temps d'vn battement de cœur, ou de poux : ce qui est tres-remarquable.