Et puis chante[n]t de mes chansons / Qui nont pas pourta[n]t meschans sons / Mais elles sont ung peu grassettes / Ainsi sesbatent mes doulcettes / Avec noz ge[n]tilz dorelos / Courtoys, migno[n]s, gentilz falos / Fo[n]t tous les jours chanso[n]s nouvelles / Cela sentent pour lamour delles / La vien[n]ent les haulx menestriers / A tels gra[n]s festes voulentiers / Qui vous corne[n]t ioyeusement / Et font gra[n]t resbaudissement / Et plusieurs gentilz trupeluz / A tout belles harpes & lucz / Orgues & manicordions / Eschequiers & psalterions / Rebec, simphonie & guiterne / Lautre flagolle, lautre guiterne / Lautre ioue du tabourin / Gaignent chascun son beau florin
Deçà & delà […] marchoyent à pied huict Tritons à longues queuës, […] representez par les chantres de la chambre du Roy, ioüans de lyres, lutz, harpes, flustes, & autres instrumens, auec les voix meslees.
Deux d’entre elles ioüyoient de luts, & les deux autres chantoyent, qui donnerent grand plaisir à la compagnie, pour la douceur de leurs voix excellentes : auec lesquelles ils dirent la chanson suyuante, respondant à icelles la voulte doree.
Il faut donc conclure que tous les mouuemens qui se font dans l'air, dans l'eau ou ailleurs, peuuent estre appellez Sons ; d'autant qu'il ne leur manque qu'vne oreille assez delicate & subtile pour les ouyr ; & l'on peut dire la mesme chose du bruit du tonnerre & du canon à l'esgard d'vn sourd, qui n'apperçoit pas ces grands bruits : car le mouuement ou le tremblement qu'il sent n'est pas appelé Son, qu'entrant qu'il est capable de se faire sentir aux esprits de l'ouye : de manière que le Son se peut definir vn mouuement de l'air exterieur ou interieur capable d'estre ouy ; i'ay dit, ou de l'interieur, à raison des bruits qui se font au dedans de l'oreille. Mais il est difficile de trouuer precisément ce qui rend le mouuement de l'air capable d'estre ouy ; car quand ie considere qu'vne chorde de boyau, ou de leton tendüe en l'air, & attachée à deux murailles auec des cloux ou des cheuilles sellées dans le mur, & touchée du doigt, d'vn archet, ou d'vne plume, ne fait quasi point de bruit, & qu'estant tendüe sur les cheualets d'vn luth, d'vne Viole, ou d'vne Epinette, elle fait un grand bruit, & neantmoins que c'est la mesme percussion de l'air : que le vent fendu & coupé par vn morceau de bois semblable à celuy de la lumiere d'vn tuyau de Fluste, ne fait qu'vn leger sifflement, & quand il est suiuy du corps d'une fluste, qu'il fait vn si grand bruit, cela me fait conclure que ce qui rend ce mouuement capable d'estre ouy, n'est autre chose que quand il esbranle vne quantité d'air enfermé capable d'esbranler sa prison, & de se communiquer à l'air voisin exterieur iusques à ce qu'il arriue à l'oreille.
L'on peut se servir des Sons de chaque instrument de Musique, & des differens mouuemens que l'on leur donne pour discourir de toutes sortes de suiets, & pour enseigner & apprendre les sciences. Cette proposition est excellente, car elle enseigne la maniere de discourir de toutes choses en ioüant des instrumens, encore que celuy qui les touche, ou qui en oyt ioüer soit muet, car l'on peut discourir auec vn autre en ioüant de l'Orgue, de la Trompette, de la Viole, de la Fleute, du Luth & des autres instrumens, sans que nul puisse entendre le discours, que celuy qui sçait le secret, ce qui se peut pratiquer en plusieurs manieres. En premier lieu si le ioüeur d'instrumens, & l'auditeur se seruent d'vne tablature qui contienne toutes les lettres de l'alphabet : car chaque Son exprimera chaque lettre ; par exemple, les trois notes, ou les trois voix qui se treuuent dans G, re, sol, vt, pourront seruir pour ces trois lettres R, S, V, &c. & l'auditeur ayant son Luth, ou sa tablature deuant les yeux verra clairement les dictions que formera le ioüeur auec les Sons de son instrument, auquel il pourra respondre en ioüant d'vn autre instrument.
L'on se peut aussi seruir du Tambour, encore que le Son qu'il fait ne soit pas capable des interualles harmoniques, car la varieté des mouuemens Rythmiques, dont on à coustume de le battre, peut seruir de characteres ; par exemple l'on peut se seruir des cinq temps du quatriesme mouuement pœonique, qui est representé par trois brefues & vne longue ∪ ∪ ∪ −, pour les quatre premieres lettres A B C D, & de la premiere espece du mesme mouuement, qui est le precedent renuersé − ∪ ∪ ∪, pour les quatre lettres qui suiuent, à sçauoir E F G & H ; le mouuement Choriambique dissous, ou Pyrrychianapeste, qui est composé de quatre mouuemens briefs & d'vn long, peut exprimer I K L M N : quelques-vns appellent ce mouuement François, d'autant que les François se seruent ordinairement de ce mouuement quand ils battent le Tambour, comme l'on voit icy ∪ ∪ ∪ ∪ −. O P Q R peuuent estre exprimez par le mouuement Ionique mineur, dont les deux premiers mouuements sont briefs, & les deux derniers sont longs, comme l'on voit icy ∪ ∪ − −. Les Suisses s'en seruent quand ils battent le Tambour. En fin le mouuement Choriambique, dont le premier & dernier mouuement est long, & le second & le troisiesme est brief, comme l'on voit icy − ∪ ∪ −, peut achever l'alphabet en exprimant ces quatre dernieres lettres S T V X. L'on se peut seruir des mesmes mouuemens sur les Cloches, sur les Trompettes, sur le Luth, sur la Viole, sur l'Orgue & sur les autres instrumens […]
Ces 24 changemens monstrent que l'on peut faire vingt-quatre chants differents auec quatre chordes d'vne Epinette, quatre tuyaux d'Orgue, ou autres quatre Sons, sans repeter deux fois vn mesme Son ; la Quinte donne six vingt chants tous differents : la Sexte maieure ou mineure 720 : la Septiesme 5040. & l'Octaue 40320 : d'où il s'ensuit que l'on peut faire des harangues entieres auec la seule Quarte sur le Luth, sur l'Orgue, sur les Cloches, sur la Trompette, &c. qu'auec l'Octaue l'on peut exprimer tous les characteres des Chinois, pourueu qu'ils ne surpassent pas le nombre de quarante mille trois cens vingt : & que celuy qui cognoistroit toutes les especes des plantes, des animaux, des mineraux & des pierres, pourroit les exprimer & enseigner toutes les sciences auec toutes sortes d'instrumens de Musique.
Il faudroit encore experimenter toutes les especes de chordes sur les Luths, les Violes, les Lyres, & les Harpes, & faire ces instruments de toutes sortes de bois, de cornes & de metaux, afin d’obseruer la diuersité des Sons ; et si la caisse d’vn Tambour estoit d’or ou d’argent, & que la peau fust d’vn Ours, d’vn Tygre, ou d’vn Lyon, le Son du Tambour seroit different de celuy de l’ordinaire.
L’on peut voir au traité du Luth, sur lequel le ton est diuisé en deux demi-tons, & l’Octave en douze demitons esgaux, de combien les Consonances & les Dissonances de cette diuision sont differentes de celles qui suiuent la proportion harmonique des nombres, que i’explique en plusieurs endroits, & de combien les Sons qui suiuent la proportion Arithmetique sont plus doux que ceux qui suiuent la Geometrique.
Proposition XXXI. A sçauoir si le Son aigu est plus agreable & plus excellent que le graue. Cette question peut estre decidée par l’experience & par la raison, mais il faut prendre le graue, & l’aigu d’vn mesme genre ; c’est à dire sur vn mesme instrument, ou dans les voix humaines, car ce seroit vne autre difficulté, si l’on vouloit faire comparaison de la voix aiguë d’vn homme, & du son graue d’vne Viole, ou d’vn Luth. L’on peut donc entendre cette difficulté de la comparaison du Son graue, & de l’aigu d’vn mesme instrument, par exemple du Luth, de la Viole, de l’Epinette, ou de l’vn des ieux d’Orgues, ou de la voix humaine : & la comparaison des voix se peut faire en deux manieres, à sçauoir de la voix graue de celuy qui fait la Basse, & de l’aiguë d’vn enfant, ou de la voix graue et aiguë d’vne mesme personne. Mais il ne faut pas comparer vne bonne voix auec vne mauuaise, car la bonté de la voix graue doit estre esgale à celle de l’aiguë, afin que la comparaison soit parfaite.
Proposition V. Expliquer la maniere de nombrer tres-aysément tous les tours & retours de chaque chorde de Luth, de Viole, d’Epinette, &c. & determiner où finit la subtilité de l’œil & de l’oreille. […] Il faut donc premierement determiner le son que l’on desire de la chorde, auant que de demander le nombre de ses retours, parce qu’elle en fait vn nombre d’autant plus grand dans vn mesme temps qu’elle a le son plus aigu. Ie suppose donc que l’on vueille sçauoir le nombre des retours de la chorde d’vne Epinette, ou d’vn Luth, lors qu’elle est à l’vnisson du ton de Chapelle, que l’on prend sur vn tuyau de quatre pieds ouuert, ou de deux pieds bouché faisant le G re sol, sous lequel les voix les plus creuses, ou les plus basses de France peuuent seulement descendre d’vne Quinte pour arriuer iusques au C sol vt. Or chacun peut porter ce ton auec soy par le moyen d’vne clef percée, ou d’vn Flageollet, qui monte à l’Octaue, à la Quinziesme, ou à tel autre interualle que l’on voudra par dessus ledit G re sol, parce qu’il suffit de se souuenir que ce son est plus haut que ledit ton de Chapelle d’vn interualle donné, pour l’exprimer apres auec la voix, ou autrement.
Cecy estant posé, ie dis premierement que la chorde qui fait ledit ton de G re sol, qui est le plus bas que ma voix puisse descendre bat 168 fois l’air, c’est à dire qu’elle passe 168 fois en son centre, ou par sa ligne de direction dans le temps d’vne seconde minute, ou qu’elle reuient 84 fois vers celuy qui la pousse, ou qui la tire. En second lieu, qu’vne chorde longue de dix-sept pieds & demi suffit pour en faire l’experience, d’autant qu’elle ne tremble pas trop viste, & qu’elle donne loisir de conter ses retours, comme l’on peut voir auec vne chorde de Luth, ou de Viole de la grosseur de celles dont on fait les montants des Raquettes (que l’on fait de douze intestins de mouton) laquelle reuient seulement deux fois dans le temps d’vne seconde, lors qu’elle est tenduë auec vne demie liure, quatre fois estant tendüe de deux liures, & huit fois estant tendüe de huit liures : or si l’on fait sonner vne partie de la chorde qui n’ayt que dix pouces, quand elle est bandée auec quatre liures, elle monte à l’vnisson du ton de chapelle, & quand elle est bandée de huit liures, estant longue de vingt pouces elle monte au mesme ton, & finalement quand elle n’est tenduë que par la force d’vne demie liure, elle fait le mesme ton, en prenant seulement la longueur de cinq pouces. […]
[…] & pour ce sujet ie dy premierement qu’il est aisé de dire le nombre des boyaux dont chaque chorde de Luth, de Viole, ou d’vn autre instrument est faite, par le son qu’elle fait : car apres auoir consideré le son de celle qui n’a qu’vn boyau, l’on sçait la raison de son ton auec celuy des autres chordes de telle grosseur qu’on voudra, soit qu’elles ayent vne mesme ou differente longueur & tension, pourueu que l’on cognoisse ladite tension & longueur : par exemple, si celle d’vn seul boyau longue d’vn pied tenduë par sept liures fait l’vt de C sol & que celle de deux pieds tenduë par sept liures descende vne Octaue, il est certain qu’elle est composee de trois boyaux, parce que si elle n’estoit tenduë que par quatre liures, elle n’aurait qu’vn boyau, puisque la tension est en raison doublee des sons, lors que les chordes sont d’esgale grosseur : & parce qu’outre cette double longueur, la grosseur est triple, il faut encore tripler le poids ou la tension de la chorde d’vn boyau pour auoir la tension de sept liures.
PROPOSITION VIII. La voix des animaux est necessaire, & celle des hommes est libre ; c'est à dire que l'homme parle librement, & que les animaux crient, chantent, & se seruent de leurs voix necessairement. Nous experimentons la liberté que nous auons de parler, ou de nous taire à tous momens, quand mesme la passion nous fait parler ; si ce n'est qu'elle soit si forte qu'elle nous oste l'vsage de la raison : car la langue, le larynx, & tous ses muscles auec les autres parties qui seruent à la voix, obeissent aussi promptement à l'esprit que le pied & la main : de sorte que l'on peut dire que la langue est la main de l'esprit, comme la main l'est de la langue, dautant que la langue escrit les pensees, ou les paroles de l'esprit, comme la main escrit les paroles de la langue. Quant aux animaux, plusieurs disent qu'ils ne crient pas necessairement, dautant qu'il n'y a ce semble rien de plus libre que le chant des oiseaux, comme du rossignol, du chardonnet, & des autres, & neantmoins il faut aduoüer qu'ils ne chantent que par necessité, soit que la volupté, ou la tristesse les pousse à chanter, ou qu'ils y soient excitez par quelque instinct naturel, qui ne leur laisse nulle liberté de se taire, ou de cesser quand ils ont commencé à chanter. Et quand ils oyent vn Luth, ou quelque autre son harmonieux, & qu'ils chantent à l'enuy les vns des autres, les sons qu'ils imitent, ou qui les excitent à chanter, frappent tellement leur imagination, qu'ils ne peuuent pas se taire ; car leur appetit sensitif estant échauffé par l'impression de l'imagination, commande necessairement à la faculté motrice de mouuoir toutes les parties qui sont necessaires à la voix.
PROPOSITION XXI. Expliquer comme la voix peut estre augmentee & affoiblie. [...] lors que l'on touche les chordes du Luth, ou d'vn autre instrument auec plus de force, elles sonnent plus fort, à raison qu'elles battent & fendent vne plus grande quantité d'air, ce qui arriue semblablement aux languettes des anches & du larynx ; car lors que l'on parle plus fort, l'on pousse plus d'air, lequel sort auec plus de violence, comme fait l'eau par vn canal, lors qu'elle est plus chargee ou plus pressee ; car encore que l'ouuerture du canal semble tousiours estre remplie, neantmoins il est plus plein lors que l'eau sort d'vne plus grande violence.
Mais il y a d'autres manieres de renforcer la voix qui dépendent des corps exterieurs, comme l'on experimente aux chordes que l'on [p030] touche dans l'air qui est libre, lors qu'elles ne sont pas attachees sur vn instrument, & qu'il n'y a nul corps qui en conserue le son, qui paroist fort foible & petit en comparaison de ce qu'il est, quand on entend la mesme chorde sur vn corps concaue, comme sur le Luth, & sur les autres instrumens à chorde.
D'où l'on peut conclure que tous les lieux qui sont creux & concaues renforcent la voix, dautant qu'ils conseruent plus long-temps le mouuement de l'air, ou qu'ils sont cause qu'vne plus grande quantité d'air se meut & tremble plus long-temps : Et puis que les contraires viennent des causes contraires, il faut aduoüer que la voix est d'autant plus foible, que le lieu où elle se fait est moins concaue, & plus solide : de là vient que la table des Luths resonne mieux quand elle est plus mince & plus deliee, & que les sons deuiennent plus sourds lors qu'elle est plus épaisse : & consequemment que les tables d'or, d'argent, d'yuoire, de büis, ou d'autre bois solide & massif, ne sont pas si bonnes que celles de cedre, de sapin, ou des autres bois qui sont plus legers, plus poreux, & plus rares ; ce qui leur donne vne certaine espece de concauité, & vn tremblement qui apporte de la grace & de la force aux sons. Et si nous n'auions point de palais, & que le son se fist simplement par la languette sans estre retenu & conserué dans la bouche, il paroistroit beaucoup moindre & plus foible. Quant aux autres manieres de renforcer la voix, qui dependent de la reflexion qui se fait par le moyen des corps formez & figurez en ouale, en parabole, ou en hyperbole, nous en parlerons apres. Il y a encore vne autre maniere qui sert à renforcer la voix, à sçauoir la continuation des corps qui seruent à faire le son, on qui le conseruent dans vn long espace, comme l'on experimente aux poûtres, au bout desquelles on oit les moindres coups dont on les frappe à l'autre bout, & aux voûtes et arcades des ponts, qui portent la voix & les autres bruits par toute l'arcade, beaucoup plus loin qu'ils n'iroient sans ceste aide. Ie laisse mille autres manieres dont on peut aider la voix, parce qu'elles peuuent estre rapportees aux precedentes, ou qu'il en faudra traiter dans vn autre lieu.
L'on peut semblablement se seruir du Luth, & de tous les autres Instrumens à chorde, dont l'Epinette est la principale, & la plus aisee, à raison que ses touches sont tellement disposees, que l'on fait tel interualle ou degré que l'on veut d'vne seule main, ou mesme sans la main, car il suffit d'abbaisser les touches de son clauier, soit auec le pied, ou auec la bouche, ou en quelqu'autre maniere que l'on voudra, suiuant les artifices & les ressorts dont i'ay [p047] parlé dans le traité de l'Orgue & de l'Epinette. Mais l'Orgue est le plus propre de tous les Instrumens pour apprendre à chanter, à raison que ses tons tiennent aussi long-temps que l'on veut, afin de donner loisir à la voix de s'ajuster, & de s'accoustumer à toutes sortes de tons & d'interualles.
Or s'ils auoient des regles certaines, ils [les plus excellens Maistres] pourroient faire tels chants qu'ils voudroient à toute sorte d'heures & de rencontres, comme les Architectes peuuent faire le dessein d'vn bastiment, & les Mathematiciens des demonstrations, & tirer des lignes droites & courbees de toutes façons en tout temps, parce qu'ils ont des regles certaines & infallibles. La maniere dont se seruent les Compositeurs confirme cette verité, car ils tastent sur le Luth, sur l'Epinette, sur la Viole, ou sur d'autres Instrumens plusieurs sortes de tons & d'accords pour r'encontrer vn chant qui leur plaise, ou bien ils fueillettent Claudin, Guedron, & les autres Maistres pour prendre quelques parties de chant d'vn costé, & les autres parties en dautres lieux, afin de ramasser ces fragmens, & d'en faire vn chant entier. Or s'ils auoient des regles certaines, ils s'en seruiroient sans prendre deçà & delà des vns & des autres, ce qu'ils font quelquefois sans beaucoup de raison & de iugement.
Il faut encore considerer si toutes les principales couleurs qui se nuent peuuent estre reduites à 7, comme les Octaues, afin que chaque espece d'Octaue qui a 8 sons & 7 interualles, soit comparee à chaque couleur principale, & aux 7 ou 8 couleurs qui luy seruent de nuance ; & finalement si les nuances sont dautant plus ou moins agreables, qu'elles ont vn plus grand nombre de couleurs, & qu'elles paroissent moins distinctes, comme les chants ont coustume d'estre plus ou moins agreables, selon que leurs degrez sont moindres ou plus grands : comme il arriue lors qu'au lieu des 8 sons Diatoniques de l'Octaue, on la diuise en 12 demitons sur l'Orgue & sur le Luth, par le moyen des degrez Chromatiques, ou qu'on la diuise en 24 interualles par le moyen des degrez Enharmoniques, car les nuances des couleurs peuuent estre de 12, & de 24 differentes couleurs, que l'on peut mettre entre le vray verd, & le verd le plus brun d'vn costé, & le verd le plus foible de l'autre.
D'abondant l'on experimente que les airs des Balets, & des Violons excitent dauantage à raison de leur gayeté qui vient de la promptitude de leurs mouuemens, ou de leurs sons aigus, que les airs que l'on iouë sur le Luth ou sur les basses des Violes, lesquels sont pour l'ordinaire plus graues & plus languissans.
Encore que les mouuemens qui seruent aux Airs & aux dances, appartiennent à la Rythmique dont nous n'auons pas encore parlé, neantmoins il a esté necessaire d'en traiter icy, afin de faire comprendre les differentes especes des Airs, & des chants dont vsent les François : mais il est si aysé d'entendre tout ce qui concerne ces mouuemens, qu'il n'est pas necessaire d'en faire vn liure particulier, puis que les plus excellens pieds metriques, qui ont donné le nom, & la naissance à la Rythmique des Grecs, sont pratiquez dans les airs de Balet, dans les chansons à dancer, & dans toutes les autres [p178] actions qui seruent aux recreations publiques ou particulieres, comme l'on aduoüera quand on aura reduit les pieds qui suiuent aux airs que l'on recite, ou que l'on iouë sur les Violons, sur le Luth, sur la Guiterre, & sur les autres instrumens. Or ces pieds, peuuent estre appellez mouuemens, afin de s'accommoder à la maniere de parler de nos Practiciens, & compositeurs d'airs ; c'est pourquoy ie me seruiray desormais de ce terme, pour ioindre la Theorie à la Pratique, apres auoir donné l'exemple d'vn balet qui a seize mouuemens differens, qui sont exprimez par les nombres qui suiuent chaque clef ; car 2 signifie que le mouuement est deux fois plus viste que le precedent, & 3, 4, &c. qu'il est quatre fois plus viste : quoy que cette difference de vitesse ne varie pas l'espece des mouuemens dont ie parle maintenant.
Car bien que les compositions que l'on fait maintenant ayent besoin de 9 ou 12 chordes, comme sont celles de la Viole, du Luth, de l'Epinette ; ou de 16, de 19, ou de 25, comme ie diray ailleurs, neanmoins cela n'oste pas le nom à l'Octaue, dont il y a d'autres raisons, quand on ne les prendroit que des effets du nombre de huit qui a d'admirables rencontres dans la Musique, puis qu'il n'y a que huit accords & huit raisons qui les contiennent, à sçauoir l'Vnisson qui contient la raison d'egalité ; le Diapason dont la raison double est la premiere des multiples ; la Quinte qui contient la premiere des raisons surparticulieres, que l'on appelle Sesquialtere ; la Quarte qui a la sesquitierce, que les Grecs appellent Epitritos ; la Tierce majeure qui comprend la Sesquiquarte ; la Tierce mineure qui a la Sesquiquinte ; la Sexte majeure qui contient la Surbipartiente-trois ; et la Sexte mineure qui a la Surtripartiente-cinq : à quoy l'on peut ajoûter que le nombre huit represente le premier cube dont la racine est deux, & la beatitude qui est signifiee par l'Octaue, car plusieurs Psalmes ont pro octaua dans leur inscription, particulierement quand ils parlent de la beatitude, comme sainct Ambroise a remarqué au cinquiesme liure qu'il a fait sur le sixiesme chapitre de sainct Luc.
L'Epinette tient le premier, ou le second lieu entre les Instrumens qui sont harmonieux, c'est à dire qui expriment plusieurs sons ensemble, & qui chantent plusieurs parties, & font diuerses consonances ; ie dis le premier, ou le second lieu, parce que si on la considere bien, & si l'on iuge de la dignité des Instrumens de Musique par les mesmes raisons que l'on iugeroit de la bonté des voix, sans doute on la preferera au Luth, qui est son Compediteur ; mais la commodité du Luth, sa bonne grace, & sa douceur luy ont donné l'auantage.
Le Corps du Luth est ce que l'on appelle les éclisses, le dos, ou la donte du Luth : mais en l'Epinette, c'est le coffre, qui se peut faire de toute sorte de bois : encore que l'experience & la raison ait appris aux ouuriers qu'il faut faire vne grande distinction entre les bois, parce qu'ils desirent d'estre employez & maniez diuersement, car les plus poreux, & les plus resineux, & qui par consequent tiennent plus de l'air, ont d'autres vsages en la fabrique des Instrumens que ceux qui sont plus denses, plus materiels & plus terrestres. Il faut donc que l'ouurier ait esgard à deux choses quand il fait les Instrumens, à sçauoir à l'harmonie ou resonance de l'Instrument, & à la force & solidité, qui sont deux choses qui demandent le bois contraire en qualité, car l'harmonie le demande delié, & consequemment fragile, & sujet à se dementir, & la solidité le demande espais & grossier, or ce qui est grossier est sourd.
L'on peut dire la mesme chose de toute autre sorte de matiere, comme du metal, des pierres, du verre, qui auroient par dessus le bois de chesne, qu'il seroit mal aysé de les assembler, à raison que ces matieres ne se lient pas bien ensemble : & tout au plus on pourroit faire vne meschante Epinette auec beaucoup de temps, d'industrie, de peine & d'argent : comme il est arriué à celuy de nostre temps, qui a fait vn tres-beau Luth d'or, & peu bon. La table des Epinettes doit estre percee de plusieurs ouuertures arrangees en escharpe, ou en biais tout au trauers d'icelle pour faire passer les sautereaux qui touchent les chordes pour les faire trembler & sonner.
La prominence qui excede le corps de l'instrument, & qui semble continuer ledit corps en droite ligne, est appellee le manche par les ouuriers, & ioüeurs d'instrumens, & sert pour estendre les chordes dessus, afin qu'elles [p103] ayent vne longueur suffisante, & que le Musicien pose les doigts dessus pour faire faire diuersitez de tons à vne mesme chorde ; or il y a autant de cheuilles au bout des manches qu'il y a de chordes sur l'instrument, afin qu'on les puisse hausser ou baisser à volonté, comme l'on void au luth, aux violes, aux mandores, aux guiterres & aux violons […]
[…] Et bien que l'Epinette semble manquer de manche, sa figure estant toute d'vne venuë & vniforme, & n'ayant aucune prominence, neantmoins si nous considerons l'vsage du manche, nous treuuerons que le sommier qui reçoit les cheuilles, fait le mesme office que la queuë du manche fait au luth ; & les Clauecins ont vne queuë quasi toute semblable ; finalement ledit sommier a deu estre vn manche continu & vniforme à la table, à raison de la multitude des chordes.
Or le ieu des Violes est le plus excellent de tous ceux que l'on y peut augmenter, car quant à celuy des Luths & des Harpes, l'Epinette les imite assez, lors qu'elle est montee de chordes à boyau.
L'on peut encore adiouster vn autre ieu de Tierce ou de Quinte, dont les vns pourront auoir des chordes de luth, & les autres de leton ou d'acier. Voila tous les ieux dont on s'est seruy iusques à present, lesquels on peut appeller double, ou triple Epinette. Et ces ieux se ioüent tous ensemble, ou separément comme l'on veut, en les ouurant ou fermant par de certains ressorts & registres que l'on tire, ou que l'on pousse selon la volonté du facteur & du Musicien. Quant au ieu de Violes, l'on peut se seruir de chordes à boyau ou de leton, mais la difficulté consiste à treuuer le moyen de faire vn archet, qui touche les chordes aussi fort, ou aussi doucement que l'on desire.
Quant à l'vsage de l'Epinette, elle a cela d'excellent, qu'vn seul homme fait toutes les parties d'vn concert, ce qu'elle a de commun auec l'orgue & le luth : mais ces accords & ses tons approchent plus pres de la iuste proportion de l'harmonie qu'ils ne font sur le luth ; & l'on fait plus aysément plusieurs parties sur l'Epinette, que sur ledit luth.
Or ce que i'ay dit de la grosseur, & du diametre des chordes de l'Epinette, & de la Harpe dans ces deux tables, peut estre appliqué aux chordes du Luth, & des Violes, quoy que leurs chordes ne soient pas ordinairement differentes en longueur : car si l'accord des Violes va de Quarte en Quarte, la seconde doit estre moins grosse d'vn tiers que la premiere ; c'est à dire que si la premiere chorde a quatre parties de grosseur, la seconde en doit auoir trois ; & si l'accord [p123] estoit de ton en ton, comme dans la Gamme, ou de demy ton en demy ton, comme sur l'Epinette, la seconde chorde doit estre moins grosse que la premiere d'vne huictiesme, ou d'vne quinziesme partie ; c'est à dire que la diminution des grosseurs suit la raison des interualles harmoniques, si l'on veut que l'instrument rende vne parfaite harmonie, particulierement lors que l'on touche les chordes à vuide, comme l'on fait sur la Harpe, & sur l'Epinette, & quelquefois sur le Luth, sur la Viole, & sur la Guiterre.
PROPOSITION VII. Vn homme sourd peut accorder le Luth, la Viole, l'Epinette, & les autres instrumens à chorde, & treuuer tels sons qu'il voudra, s'il cognoist la longueur, & la grosseur des chordes : de là vient la Tablature des sourds.
L'on peut auoir de plusieurs sortes de chordes, qui soient esgales en longueur & grosseur, comme celle des Monochordes ; ou inesgales en longueur & esgales en grosseur : ou inesgales en longueur & grosseur, comme celles des Harpes & de l'Epinette ; ou esgales en longueur, & inesgales en grosseur, comme celles des Violes, & du Luth. Or de quelque maniere qu'elles soient differentes, l'homme sourd les peut mettre à tel accord qu'il voudra, pourueu qu'il sçache leurs differences tant en matiere, qu'en longueur, & grosseur. Ce que ie demonstre premierement aux chordes, qui sont esgales en toutes choses, afin de commencer par les plus simples, parce que lors qu'elles sont tenduës par des forces esgales, elles font l'vnisson, puisque choses esgales adioustees à choses esgales, les laissent esgales.
PROPOSITION VIII. Que l'on peut sçauoir la grosseur, & la longueur des chordes sans les mesurer, & sans les voir, par le moyen des sons. L'on peut s'imaginer plusieurs façons pour treuuer la longueur, & la grosseur des chordes : premierement par le compas, dont on vse pour mesurer la grosseur, & la longueur de toutes sortes de corps, mais les chordes des instrumens sont si deliées, que le compas ne peut seruir pour treuuer leur diametre : 2. l'on iuge de leur grosseur par le toucher, car en les maniant on iuge à peu pres de combien les vnes sont plus grosses que les autres ; mais cet examen est trop grossier, & trop incertain. 3. on les mesure par les trous des filieres, car les fils, ou les chordes qui passent, & qui sont tirées par vn mesme trou sont d'esgale grosseur ; mais parce que l'on ne sçait pas la proportion des trous de la filiere, & que quand on la cognoistroit, on n'a point ordinairement de filiere, ny de trous pour mesurer la grosseur des chordes, & que cet instrument ne sert qu'aux chordes de metal, cette maniere ne peut estre vtile aux Musiciens. 4. on les peut mesurer par l'eau, ou par les autres liqueurs, car celle qui fera sortir deux fois autant d'eau d'vn vase plein, sera deux fois aussi grosse, si elles sont de mesme longueur : mais les chordes de boyau se gastent dans l'eau, & cette façon de mesurer les corps est trop difficile, & trop incertaine pour plusieurs raisons, que ie deduis ailleurs. 5. par les balances, car celle qui pesera deux fois autant, sera deux fois aussi grosse, si elle est de mesme matiere, & de mesme longueur : mais le poids d'vne chorde d'instrument, par exemple, de la chanterelle d'vn Luth, est si petit, que l'on a de la peine à [p127] remarquer les differences du poids de telles chordes. C'est pourquoy il faut se seruir d'vne autre maniere pour mesurer la grosseur desdites chordes, car quant aux longueurs, il est tres-facile de les sçauoir par le seul compas, ou par la comparaison des vnes aux autres. Or cette maniere peut estre appellee harmonique, d'autant qu'elle se pratique par les sons en cette façon.
PROPOSITION X. Determiner si l'on peut accorder le Luth, la Viole, l'Epinette & les autres instrumens à chordes, sans se seruir des sons, ny des oreilles, par la cognoissance des differens alongemens que souffrent les chordes. Cette proposition a besoin de quelques suppositions, dont la verité depend de l'experience & de la raison, car il faut sçauoir qu'elle raison il y a des differens racourcissemens des chordes aux sons differens quant au graue & à l'aigu, c'est à dire qu'il faut cognoistre combien il faut tourner la cheuille pour faire monter la chorde au second, trois, & quatriesme ton, supposé que l'on sçache combien il la faut tourner pour la mettre au premier, ou au second : & si, par exemple, vne force la fait racourcir d'vn doigt, combien 2, 3, ou 4 forces, &c. la feront racourcir : cecy estant posé, l'on peut marquer les chordes auec de petits points à chaque lieu, afin que les points respondent à [p129] certains lieux de l'instrument, qui feront voir quand les chordes seront d'accord, mais vne seule marque imprimée sur la chorde suffit pour cognoistre de combien de tons elle monte, ou descend, pourueu que l'on puisse mesurer son racourcissement, ou son alongement par le moyen de cette marque, ou des tours de la cheuille ; ce que l'on fera aysément si l'on compare la marque de la chorde auec quelqu'autre marque de la Table de l'instrument, qui fera recognoistre combien la chorde s'alonge, on se doit alonger à chaque ton, ou demy-ton.
L'experience fait voir que les chordes de Luth s'estendent pour le moins d'vne vingtiesme partie, auant qu'elles rompent, car la chanterelle qui a cinq pieds de long, & que l'on tend auec vne demie liure, s'estend de trois poulces ou enuiron, depuis l'extension qu'elle reçoit de cette demie liure iusques à ce qu'elle rompe par la force de trois liures & demie. Et apres qu'elle est tenduë par vne demie liure, la seconde demie liure que l'on y adiouste la faict alonger d'vn demy poulce, & la troisiesme la fait encore alonger d'vn autre demy poulce, & ainsi consequemment iusques à ce qu'elle se rompe, n'y ayant point d'autre difference, sinon que les derniers alongemens sont vn peu plus grands que les premiers. Quant aux chordes de leton, & des autres metaux, elles s'alongent beaucoup moins que celles de boyau, d'autant que leurs fibres ne sont pas susceptibles de si grands alongemens, que les filamens de celles de boyau qui s'alongent quasi de la mesme façon que la glus, & les filets des arraignées, parce qu'ils sont composez d'vne grande multitude de parties spermatiques.
Secondement, on peut se seruir des chordes, qui sont arrestées par les deux bouts, comme sont celles de la Viole, du Luth & des autres instrumens à chorde, car si on suspend vn poids au milieu de la chorde, & qu'on diuise le plan, vis à vis duquel la chorde descend qui tient le poids suspendu, de sorte que la plus basse diuision soit à niueau du poids, on verra les differents degrez de l'humidité par les differentes esleuations du poids, comme on recognoist les differents degrez de lumiere, & de chaleur par les differentes esleuations du Soleil. Mais parce que nous ne sçauons pas si de tous les degrez d'humidité chacun fait racourcir les chordes esgalement, c'est à dire si le 2 degré les fait autant racourcir comme le 1, le 3 comme le 2, &c. l'on ne peut determiner cette difficulté qu'en general pour les differents degrez d'humidité.
PROPOSITION XII. Determiner quelle grosseur, & longueur doiuent auoir les chordes des instrumens pour faire des sons agreables, & dont on puisse iuger à l'oreille : & comme l'on peut sçauoir le ton, ou le son de toutes sortes de chordes, quand elle sont trop longues, trop lasches, ou trop courtes pour faire des sons, qui puissent estre ouys. L'Experience fait voir que les chordes qui sont trop longues, ou trop courtes ne font point de ton sensible, ou qu'il n'est pas agreable si elles en font ; par exemple, si l'on estend vne chorde de Luth de 12 pieds de long, elle ne peut faire de son dont l'oreille puisse iuger, c'est pourquoy ceux qui font les instrumens de Musique les proportionnent à la longueur & à la grosseur des chordes. Or la chorde dont le diametre est 1/6, ou 1/5 de ligne, comme est la plus grosse des Epinettes ordinaires, à 4, ou 5 pieds de long, & les autres sont longues & grosses à proportion de celle-la, qui leur sert de regle : de sorte qu'il faut que la longueur de la chorde soit à sa grosseur comme 3456 à 1, puis qu'il y a 3456/6 de ligne dans 4 pieds : & si l'on mesure les plus grosses chordes des plus grands Tuorbes, & des Luths, l'on trouuera qu'elles n'ont pas plus de 4 pieds de long depuis le sillet iusques au cheualet, & l'on sçaura la raison de leur longueur à leur grosseur, lors que l'on aura pris leur diametre. Mais pour sçauoir la vraye raison que doit auoir la longueur de la chorde à sa grosseur pour faire les meilleurs sons de tous les possibles, il faut supposer l'experience ; & parce que les Epinettiers disent que les chordes de mesme grosseur que les plus grosses de l'Epinette, ou du Clauecin ordinaire sonnent parfaitement quand on leur donne 4, ou 4 & demy, ou 5 pieds de long, l'on peut retenir l'vne de ses proportions ; & parce que la chorde de 5 pieds de long peut auoir 1/4, ou 1/3 de ligne en diametre, la meilleure proportion de la longueur à la grosseur sera de 2440, ou de 2160 à 1.
Quant à la seconde partie de la Proposition, elle est tres-aysée à resoudre, puis que nous auons expliqué la maniere de sçauoir combien chaque chorde donnée tremble de fois en vn temps donné, c'est à dire combien elle fait de tours & de retours ; car puis que le graue, ou l'aigu du son est mesuré & determiné par les nombres des tremblemens de chaque chorde, l'on ne peut cognoistre ledit nombre, que l'on ne sçache quant & quant la qualité du son, c'est à dire quel lieu il tient dans le Systeme harmonic. Ce que l'on comprendra plus aysément par exemples, que par de plus longs discours. Ie suppose donc qu'vne chorde de Luth ou d'Epinette ayt 15 pieds de long, & qu'elle soit trop longue pour iuger auec l'oreille du son qu'elle fait : or si on la tend auec vne force de 6 liures, elle fera 10 retours dans vne seconde minute, & parce que le son qui respond au ton de Chappelle est fait par 60 retours dans l'espace de ladite seconde, l'on sçaura que le son de 10 retours est plus bas d'vne dix-neufiesme que ledit ton de Chappelle, puis que les sons sont aux sons, comme les retours aux retours, & qu'il y a mesme raison de 60 à 10, que de 6 à 1, qui contient la raison de la Dix-neufiesme.
Mais l'œil n'est pas souuent assez subtil pour remarquer la fausseté de la chorde, & la main qui la treuue esgale en toutes ses parties, se trompe souuent : car si elle est plus molle ou plus dure, plus rare, ou plus dense & plus seiche, ou plus humide en vn lieu qu'en vn autre, elle ne rendra pas vn son esgal & vniforme, parce que le boyau dont la chorde est faite, n'est pas esgal en toutes ses parties, soit qu'il y ayt vne plus grande multitude de fibres dans l'vne que dans l'autre, ou que la faute vienne de la part de l'ouurier. Quant aux chordes qui sont toutes bonnes, & dont les vnes sonnent mieux sur de certains instrumens que sur les autres, cela peut arriuer à cause qu'elles sont mieux proportionnées aux vns qu'aux autres : de là vient que les plus grosses chordes rendent plus d'harmonie sur les grands Luths, que sur les petits ; & qu'il se rencontre ordinairement vne chorde sur chaque instrument, qui sonne mieux que toutes les autres, & qui a vn ton entre tous ceux qu'elle peut auoir par ses differentes tensions, ou ses differens racourcissemens ; qui surpasse tous les autres : ce qui arriue peut estre lors que la chorde est à l'vnisson de la table du Luth, & consequemment les meilleurs tons de ceux qu'elle fait apres doiuent estre à l'Octaue, & à la Douziesme de ladite table, ce qu'il faut entendre lors que la chorde est assez longue, car si elle estoit trop courte à proportion de sa grosseur, ou trop longue à proportion de ce qu'elle est mince & deliée, elle ne feroit pas ouyr le meilleur de ses tons, encore qu'elle fust à l'vnisson de la table du Luth, ou des autres instrumens.
Or il est aysé de prouuer que l'instrument ayde à la bonté de la chorde, d'autant qu'elle n'est plus si bonne, quand elle est mise sur vn autre instrument d'esgale grandeur, quoy qu'il se rencontre d'autres chordes qui sont aussi [p137] bonnes sur cet instrument comme estoit la premiere chorde sur l'autre : mais si cette raison ne plaist pas à ceux qui touchent le Luth & l'Epinette, il leur est permis d'en chercher vne meilleure. Il faut cependant remarquer que l'on tient que la troisiesme chorde de la Viole est ordinairement la meilleure, & que l'on remarque semblablement la mesme difference de bonté dans les tuyaux de l'Orgue, dont il y en a quasi tousiours quelqu'vn qui surpasse tous les autres : mais i'en parleray plus amplement dans le liure de l'Orgue. Quant aux chordes, il est assez facile de remarquer leur meilleur ton en les touchant à vuide, ou en vsant des touches, & lors que l'on a le ton de la table, l'on peut experimenter si le ton de la chorde qui se fait auec les touches est meilleur que celuy qui se fait à vuide, ou à l'ouuert, quand celuy des touches fait l'vnisson, ou quelqu'autre consonance auec la table : quoy que le doigt, qui touche la chorde sur le manche, puisse souuent estre cause qu'elle ne sonne pas si bien qu'a vuide, car il est difficile de toucher si bien de la main gauche, que ce contact ne nuise pas dauantage à son harmonie, que si elle estoit touchée à vuide sur vn nouueau sillet.
PROPOSITION XIV. Determiner combien l'on peut toucher de chordes, ou de touches du clauier dans l'espace d'vne mesure, c'est à dire combien l'on peut faire de notes à la mesure sur l'Epinette ; & si l'archet va aussi viste sur la Viole, & sur le Violon ; ou si la langue & les autres organes qui font les passages, & les fredons peuuent faire autant de notes à la mesure que l'Epinette. L'on peut toucher les chordes de Luth, & de l'Epinette en deux manieres, à sçauoir toutes, ou plusieurs en mesme temps, comme il arriue lors que l'on abbaisse plusieurs touches du clauier en mesme temps, pour faire plusieurs consonances ou dissonances ; ou l'vne apres l'autre, comme l'on fait aux passages & aux fredons, & c'est de cette maniere que ie parle icy. Or il faut remarquer que les Musiciens ont inuenté des notes pour signifier toutes leurs mesures c'est à dire tous les temps, ou toutes les especes de durée qu'ils donnent aux sons & aux voix, dont ils composent toutes sortes de chansons & de motets : & que celle qui signifie vne mesure est blanche, & sert comme de pied, de diapason & de regle à toutes les autres, qui augmentent ou diminuent ordinairement leurs valeurs de moitié en moitié, de sorte que la 2 vaut la moitié d'vne mesure, la troisiesme le quart, la 4 la 8 partie, la 5 la 16 partie, la 6 la 32 partie, & la 7 la 64 partie, qui est la moindre de toutes celles qu'ils ont inuentées, parce qu'ils ont iugé que l'on ne pouuoit pas chanter vne note en vn moindre temps qu'en la 64. partie d'vne mesure.
PROPOSITION XVII. L'on peut sçauoir combien de fois les chordes du Luth, de l'Epinette, des Violes & des autres instrumens battent l'air : c'est à dire, combien de fois elles tremblent, ou combien elles font de tours & de retours durant vn concert, ou en tel autre temps que l'on voudra determiner. Il est tres-aysé de cognoistre le nombre des battemens, ou retours de toutes les chordes de tel instrument que l'on voudra, si l'on a compris ce que i'ay dit de ces tremblemens dans vn autre lieu, pourueu que l'on sçache le nombre des instrumens dont on vse, & l'espace du temps que dure le concert. Neantmoins ie veux icy repeter ce qui est necessaire pour l'intelligence de cette proposition ; & premierement que la chorde, qui est à l'vnisson d'vn tuyau d'Orgue de 4 pieds ouuert, fait 48 retours dans l'espace de la trois mille [p141] sixcentiesme partie d'vne heure, c'est à dire dans l'espace d'vne seconde minute, qui est la durée d'vn battement du coeur, ou du poux tres-lent & paresseux. Secondement, que les retours des chordes se multiplient en mesme proportion que les sons deuiennent plus aigus ; & consequemment lors que l'on sçait le nombre des retours d'vne chorde, dont on cognoist le son, on sçait quant & quant le nombre des retours de toutes sortes de chordes, dont on cognoist les sons.
COROLLAIRE I Il faut icy supposer que le tremblement des chordes cesse apres la mesure, c'est à dire si tost que l'on a leué les doigts, ou l'archet de dessus les chordes, car si elles tremblent encore apres, comme il arriue ordinairement aux chordes des Luths & des Violes, & que l'on vueille sçauoir le nombre de tous ces tremblemens, il faut premierement cognoistre combien de temps elles tremblent apres leurs sons ; car la durée de ces tremblemens estant supposée, il sera aussi aysé de treuuer le nombre de tous les tremblemens, comme de ceux qui se font pendant que les sons suiuent la mesure. Et si l'on chante cet air auec 24 Luths, Violes, ou Violons : de sorte que chaque partie ayt six instrumens, il faut multiplier le nombre precedent des retours par 6, & l'on aura 75362 retours que feront les chordes desdits instrumens dans le temps de 22 mesures. Or il faut remarquer que le temps d'vne mesure ne doit durer qu'vne seconde minute, c'est à dire la 3600 partie d'vne heure, & que si elle dure dauantatage, par exemple 2, ou 3 secondes, comme il arriue souuent, qu'il faut doubler ou tripler le nombre precedent des retours, comme il est tres-aysé de conclure de ces discours.
COROLLAIRE VI Ce qui a esté dit iusques à present peut aussi seruir pour la tablature du tremblement ou fremissement des cloches, & du mouuement de tous les autres corps, par exemple du mouuement des fueilles d’arbres, des oyseaux qui volent, & des autres corps qui battent l’air, parce que lors qu’vn corps bat autant de fois l’air que les chordes des instrumens, l’on peut dire qu’il fait l’vnisson auec lesdites chordes. De là vient que l’on ne peut apporter d’autre raison formelle & immediate, pourquoy vne cloche a le son plus graue ou plus aigu que l’autre, sinon parce que les parties de l’vne fremissent plus viste, & consequemment battent l’air plus souuent. Il faut neantmoins remarquer que l’on n’oyt pas les battemens d’air de toutes sortes de corps, quoy qu’ils soient [p146] aussi frequents que ceux de la chorde du Luth, de la Viole & des Cloches, comme il arriue quand l’air battu n’est pas enfermé, & que ses mouuemens ne sont pas reflechis, comme ils sont par la table & par le corps des instrumens : de là vient que l’on a de la peine à ouyr les chordes de Luth qui se meuuent dans vn air libre, tandis que l’on les tient par les deux extremitez auec les doigts, d’autant que le son n’estant pas reflechy n’est pas assez fort pour estre ouy, comme i'ay desia remarqué dans vn autre lieu.
COROLLAIRE VII Il n'y a nulle difficulté à trouuer le nombre des retours de chaque chorde proposée, car si on l'estend de 10 ou 12 toises de long sur vn Monochorde, ou sur quelqu'autre plan, ou si on la suspend de haut en bas, de sorte qu'elle soit attachée & arrestée par les deux bouts, soit des deux costez auec deux cheualets, soit d'vn costé auec vn clou, & de l'autre auec vn poids, l'on contera aysément ses retours, d'autant qu'elle en fera vn fort petit nombre, par exemple 2 ou 3 dans chaque seconde. Mais il faut estre 2 ou 3 pour remarquer exactement le nombre de ces retours, dont l'vn conte les retours tandis que l'autre contera les secondes, car si l'on diuise le nombre des secondes par celuy des retours, l'on sçaura combien elle en fait en chaque seconde. Et si l'on estend vne chorde d'Epinette ou de Luth de 100, ou de 120 pieds, comme i'ay fait, l'on trouuera que chaque retour de cette chorde se fait dans vne seconde, & que la moitié de la mesme chorde fait deux retours en vne seconde, que le quart en fait 4, la huictiesme partie 8, la seiziesme 16, la 32, trente deux, & ainsi des autres, car le nombre de ces retours croist en mesme raison que la longueur de la chorde se diminuë : de sorte que quand la chorde de 100. pieds de long fait vn retour dans vne seconde, ou dans vn battement du cœur & du poux, elle en fait 100. lors qu'elle n'a plus qu'vn pied de long, & 200. quand elle n'a plus qu'vn demy pied : mais i'ay expliqué ces retours si amplement dans vn autre lieu, qu'il n'est pas necessaire d'en parler icy.
COROLLAIRE VIII Il faut encore remarquer que lors que i'ay dit qu'vne chorde de Luth fait vn certain nombre de retours, par exemple, quand celle qui est à l'vnisson d'vn tuyau de 8 pieds ouuert fait 24 retours dans vne seconde, que cela s'entend de 24 retours, dont chacun est composé d'vne allée & d'vne venuë, que l'on peut comparer au flux & reflux de la mer : ce que i'explique par cette figure A B C D, dans laquelle la chorde A B estant tirée en C retourne en D, & de D en F, & ainsi consequemment iusques à ce qu'elle se repose : de maniere que le chemin qu'elle fait de D en C, & de C en D, se prend pour vn seul retour ; d'où il s'ensuit qu'il y a tousiours deux fois autant de battemens d'air que de retours, & que quand la chorde A B frappe 24 fois le point D, ou l'espace qui est entre E & D, qu'elle bat 48 fois l'air au point E, puis qu'elle bat le point C autant de fois que le point D.
Et puis qu'il faut limer lesdites cheuilles en tournant la lime en forme d'helice ou de vis, afin qu'elles tiennent mieux dans leurs trous, & qu'on les puisse tirer plus viste & plus aysément pour changer les chordes, & mille autres choses que l'exercice apprendra. Il faut seulement remarquer que l'vn des principaux secrets de l'Epinette consiste à barrer la table, dont la bonté depend de l'excellente barrure, qui a esté pratiquée en perfection par Anthoine Potin, & Emery ou Mederic, que l'on recognoist auoir esté les meilleurs Facteurs de France, ausquels les meilleurs Facteurs de maintenant, à sçauoir Iean Iacquet, le Breton, & Iean Denys ont succedé, lesquels sont excellents en leur art : & peut-estre que ce siecle en produira qui adiousteront de nouueaux secrets, & de nouueaux charmes aux instrumens : par exemple, l'on peut faire toucher les chordes par quelques corps qui imiteront la douceur des doigts, & l'harmonie du Luth : l'on peut imiter les battemens, le flattement & tous les autres charmes des autres instrumens sur l'Epinette, que quelques-vns montent de chordes de Luth, afin d'en rendre l'harmonie plus douce.