Au dedans de ceste voulte y auoit dix concerts de musique, differens les vns des autres : & fust ceste voulte dicte & appelee Doree, tant à cause de sa grande splendeur, que pour le son & harmonie de la musique, qui y fut chantee : laquelle pour ses voix repercussives, aucuns de l’assistance estimerent estre la mesme voix qui fut conuertie en air repercussif, appelé depuis Echo : & d’aultres plus instruits en la discipline Platonique, l’estimerent estre la vraye harmonie du ciel, de laquelle toutes les choses qui sont en estre, sont conservees & maintenues.
[…] le silence ayant esté imposé, on ouit aussi tost derriere le chasteau vne note de hauts-boys, cornets, sacquebouttes, & autres doux instrumens de musique : desquels l’harmonie estant cessee, le sieur de la Roche […] sortant du iardin de Circé, courut iusques au milieu de la salle […]
Et ce pendant la musique de la voulte doree, composee d’instrumens & de toutes voix ensemble, commença ainsi que s’ensuit, auec vne telle douceur & harmonie, que les assistans comme estonnez pensoyent ouir à l’arriuee de ceste deesse, quelque partie de la melodie harmonieuse des cieux.
Pan […] s’eiouïssant de leur arrivee, se meit à iouer de son flageol à sept tuyaux, & feit aussi sonner les orgues sourdes auec vne nouuelle musique, & ceste harmonie estant finie, Minerue commence à parler au Dieu Pan en ceste sorte […]
La troisiesme & derniere signification (qui est la plus impropre, encores qu’elle soit assez commune entre les Musiciens) est, quant ce mot, ton, est usurpé pour signifier une sorte, ou espece de Musique, que nous appellons proprement, Mode, ou Harmonie. En laquelle signification, il se prend auiourd’huy vulgairement, quant on demande, combien il y a de tons en la Musique : comme si on demandoit, combien de Modes, ou combien de sortes ou especes d’harmonies il y a en la Musique.
[...] comme nature ne faict rien sans cause, aussi que ceste composition [le diapason] a esté ainsi naturellement ordonnee, pour le plus grand ornement de la musique. Car comme nous voyons, que la varieté cause vn embellissement & bien-seance en toute chose (comme il se voit és fleurs, peintures, tapisseries, et autres choses semblables) aussi est-il certain, que de ceste varieté de tons, et demy tons, procede toute la beauté, toute la douceur, & toute l'harmonie qu'il y a en la musique. Car si le diapason eut esté composé de six tons entiers, sans demy tons, il n'y eut eu qu'vne sorte de chant, qu'vne espece de consonance, sans aucune harmonie, d'autant que c'est le demy ton qui cause la difference entre les consonances, la varieté du chant, & finalement toute l'harmonie de la musique [...]
[...] faut premierement noter (affin que nul ne s'abuse) que ceste harmonie [la mode] ne presuppose point de consonance, car pour la consonance il est necessaire, que les parties soyent ouyës en vn mesme temps & moment : Et pour la mode ou harmonie cy dessus declaree, il suffit que les parties susdites, à sçauoir diapason, diapente, & diatessaron, soyent considerees auec interualle, [p17] & succession de temps.
[...] la raison ou la nature de la mode, ou de l'harmonie, consiste en la mediation, qui separe & diuise le diapason en vn diapente & vn diatessaron [...]
[...] vne partie ou vn chant seul, peut contenir & nous representer vne mode ou harmonie entiere & tres-parfaicte : comme il se voit au chant Gregorien, ou toutesfois il n'y a point de consonance : ains suffit pour la raison de l'harmonie [...] que l'entendement comprenne & considere le diapason, auec vne mediation, qui le diuise en vn diapente, & vn diatessaron : ou bien, que l'entendement comprenne & considere la proportion double, qui est entre les deux extremitez du diapason, & les proportions sesquitierce, & sesquialtere, qu'il y a des deux extremitez susdites, à la mediation.
L'harmonie, dit-il [Thyard, au second solitaire], est tirée d'vn certain mepartement (ainsi appelle-il la mediation) proportionnant les deux extremitez du diapason.
Plutarque, au 9. liure des propos de table, dit, qu'il y a trois bornes qui font l'interualle du diapason ; la nete, la meze, & l' hypate ; ou expressement il note la mediation. Le mesme nous veut signifier Platon, en ses liures de republica, quant il accompare les trois puissances de l'ame, à sçauoir, la raisonnable, la concupiscible, & l'irascible à l'harmonie du diapason, ayant, dit-il, vne quinte au milieu. Où on [p19] voit qu'il ne faict point cas, de nommer les deux parties, pourueu que la mediation soit notee.
Plutarque, au 9. chapitre de sa musique, dit expressement, que l'harmonie consiste en la proportion double, & qu'il faut prendre les medietez en proportion sesquitierce, & sesquialtere : & de faict, le monstre par exemple, prennant l'interualle qu'il y a depuis l'hypate des moyens, iusques à la nete des disioints, que nous disons, depuis Elamy iusques elamy. Les méditez qu'il prend en proportion sesquitierce & sesquialtere, sont meze & parameze, que nous disons alamire et ♭ fa ♮ my, comme on peut veoir plus ampleme[n]t par tout le 9. & 10. chapitre de sa musique.
COROLLAIRE L'on pout considerer plusieurs choses sur ce sujet, particulierement que Dieu ne nous a pas donné deux ou plusieurs ouuertures du larynx, ou plusieurs arteres pour faire deux ou plusieurs sons en mesme temps, parce qu'ils nous eussent esté inutiles, & que l'vn eust peu empescher l'autre ; & puis l'harmonie de deux ou plusieurs parties qu'vn mesme homme eust peu faire, ne luy est pas necessaire ; & Dieu a voulu que ce plaisir dépendist des autres, afin que l'harmonie des voix inuitast les hommes à l'harmonie des moeurs, & à vne amitié reciproque, qui est representee par les Consonances. Il ne nous a pas aussi donné la voix si forte qu'elle puisse estre oüye par tout le monde, afin que chacun ait des lieux dans l'air où il puisse exercer sa voix sans qu'elle soit empeschee par d'autres bruits, dont l'air seroit tousiours meu si les voix penetroient toute son estenduë. Ie laisse mille autres considerations qui peuuent seruir de sujet pour admirer la sagesse du Souuerain ouurier.
C'est pourquoy la Musique est vne imitation, ou representation, aussi bien que la Poësie, la Tragedie, ou la Peinture, comme i'ay dit ailleurs, car elle fait auec les sons, ou la voix articulee ce que le Poëte fait auec les vers, le Comedien auec les gestes, & le Peintre auec la lumiere, l'ombre, & les couleurs : voyons maintenant la diuersité des Airs, & des Chants, & particulierement ceux dont on vse en France, afin que le Musicien n'ignore rien de tout ce qui appartient à l'Harmonie. Et apres nous verrons ce qui est necessaire pour faire de beaux Airs, & s'il est possible d'en faire vn qui soit le plus beau de tous ceux qui peuuent estre faits sur quelque sujet, ou sans sujet.
Si nous voulons apporter quelques distinctions ou diuisions entre les chants, il semble que l'on peut accorder toutes les pensees des Musiciens sur cette difficulté : Car si nous disons que le son, contre lequel se peuuent chanter vne ou plusieurs parties qui facent des consonances & de l'harmonie, est vn chant, l'on peut tenir que le simple son qui tient ferme, & consequemment que les discours des Orateurs, & de ceux qui font des interualles sensibles, comme les Italiens, & quelques Predicateurs qui chantent en parlant, peuuent estre nommez chants, lors qu'on peut faire quelque partie de Musique contre lesdits sons, ou discours.
Il faut neantmoins auoüer que l'on peut trouuer des regles si certaines, que l'on ne manquera iamais à faire de bons chants sur toutes sortes de sujets, pourueu que l'on entende la lettre ; car si le Musicien François qui n'entend que sa langue vouloit mettre de l'Espagnol ou de l'Italien en Musique, il ne pourroit pas accommoder la note à la lettre. I'auoüe qu'il est difficile de trouuer & de pratiquer les regles dont nous parlons, dautant qu'elles requierent vne parfaite connoissance de la nature des sons, & de leurs interualles, & des passions & affections que l'on desire exciter ou appaiser. Mais peut-estre que cette connoissance n'est pas impossible, soit que les anciens l'ayent euë, comme tiennent ceux qui croyent qu'Aristote, Plutarque, & les autres Autheurs ne proposent rien des especes & des effets de la Musique que ce qui est veritable, & qui disent que les Grecs auoient la connoissance du temperament des auditeurs, de la nature des passions, & des interualles ; ou que lesdits anciens n'ayent point eu d'autre connoissance que nous, ou plustost qu'ils ayent moins connu dans la Musique que les Maistres qui composent maintenant, & qui enseignent la pratique & la theorie de l'Harmonie, comme croyent plusieurs, qui ne deferent pas tant aux anciens que les autres. Car puis que l'inuention des regles pour faire de bons chants dépend de la raison, du iugement, & de l'experience, il faudroit que nous fussions dépourueus de ces facultez, & instrumens, si nous ne pouuions rien establir que par emprunt des anciens, dont ie ne veux pas icy parler dauantage, dautant que i'ay fait vn discours particulier pour examiner s'ils estoient plus sçauans que nous dans la Musique, & s'ils faisoient de meilleurs Chants, & de meilleurs Concerts.
La seconde [chose], à laquelle on doit prendre garde, est que ie ne repete point icy plusieurs choses que l'on pourroit desirer, parce que i'en ay fait des Traitez particuliers : par exemple ie ne mets pas les diuisions, les definitions & les descriptions des differentes especes de Musique, d'autant que ie les ay données dans les 17 premiers Theorêmes du premier liure du Traité de l'Harmonie Vniuerselle imprimé l'an 1627, où ie les explique si amplement qu'il est difficile d'y adiouster, soit qu'on regarde le sujet, & l'objet tant materiel que formel de la Musique, à sçauoir le Son dont ie parle tout au long dans le 7, 8, 9 & 10 Theorême : ou que l'on considere l'Harmonie Speculatiue, Diuine, Creée, Mondaine, humaine, Instrumentale, &c. A quoy l'on peut adiouter les deux Autheurs Grecs que i'ay torné en François, à sçauoir Bacchius & Euclide, dont i'ay donné la Musique toute entiere dans le 17 Theorême auec des Tables particulieres pour en faciliter l'intelligence. Et puis i'ay donné tous les principes de la Musique tant Theorique que Practique dans les autres Théorèmes qui fuiuent, iusques au 30, qui comprend ce que Salinas a de meilleur dans ses liures. Quant au second liure il contient toutes les comparaisons qui se peuuent faire des Sons, & de l'harmonie auec toutes les choses du monde qui sont proportionnées, de sorte qu'il n'est pas aysé d'adiouster aux 15 Theoremes dudit liure.
I'ay encore traité de plusieurs autres difficultez touchant ce sujet, dans deux liures particuliers, à sçauoir dans les Preludes de l'harmonie, & dans les Questions Harmoniques l'an 1634, par exemple quel doit estre l'Horoscope du parfait Musicien, où ie monstre par les principes de l'Astrologie que l'on ne peut rien predire du temperament, ou de la vie des hommes par la cognoissance que l'on a des Astres, & où ie mets trois horoscopes d'vn parfait Musicien selon l'opinion de trois excellens Astrologues de ce siecle. I'ay traité aussi du temperament, de la capacité & de la science que doit auoir vn parfait Musicien ; du Iuge des concerts, si c'est l'oreille, ou l'entendement ; s'il est expedient d'vser du genre Enharmonic, par quel endroit se romperoit vne chorde esgale en toutes ses parties, laquelle seroit tirée esgalement : pourquoy les Grecs ont reglé toute leur Musique sur les Quartes ; pourquoy les Sons seruent à former les mœurs des hommes : quel iugement l'on doit faire de ceux qui hayssent la Musique, & si elle merite l'attention des hommes d'vn grand iugement & d'vn bon esprit : s'il appartient aux sçauans ou aux ignorans de iuger de la bonté des concerts : si la Theorie est preferable à la Pratique : fi les Grecs ont esté meilleurs Musiciens que les François, & d'où vient que la nature & les hommes se plaisent à la diuersité, dont ie parle dans la 14 Question Physique. le laisse ce que i'ay dit des raisons, des proportions, des medietez, des tons, & de tous les autres moindres, ou plus grands interualles de la Musique dans le second liure de la Verité des Sciences imprimé l'an 1625, & dans la 56 & 57 question diuisée en dix-sept Articles, inserée dans le Commentaire sur la Genese, où l'on void quasi tout ce qui concerne l'harmonie.
[…] ceux qui preferent l'harmonie à la Physique pourront commencer […] par ces quatre liures des Consonances, qui a esté en effet le premier imprimé ; auquel succedent celuy des Dissonances, des Genres, des Especes de chaque Consonance, des Modes & de la Composition. Et puis il sera bon de lire le liure de la voix & des Chants ; & ceux des instrumens à chordes, à vent & de percussion : & finalement celuy des Sons, & du mouuement de toutes sortes de corps, par lesquels ceux qui ayment mieux la Physique, & les Mechaniques pouront commencer, de sorte qu'ils pourront mettre le liure du Mouuement de toutes sortes de corps le premier : celuy du mouuement & des autres proprietez des chordes le second : celuy des Sons le troisiesme : celuy des Chants le quatriesme : celuy de l'Art de bien chanter, &c. lecinquiesme : celuy des Consonances le septiesme : celuy des Dissonances le huictiesme : celuy des Genres & des Modes le neufiesme : celuy de la Composition le dixiesme : & puis les quatre des instrumens à chordes, & les trois autres des Instrumens à vent & de percussion, de sorte que cet ouurage contiendra 17, ou 18 liures s'il s'accomplit.
Mais puis que tous les autres auoüent & asseurent que les interualles que nous appellons consonans sont agreables, & que les dissonans sont des-agreables, et que nous auons d'assez bonnes raisons pour prouuer cette verité, il n'y a nul danger d'asseurer qu'il y a des Consonances et des Dissonances, dont ie traiteray amplement dans ce liure, quand i'auray respondu aux obiections precedentes, dont la premiere oppose tous ceux qui ne trouuent rien d'agreable dans la nature, ce qui ne peut arriuer […] Ceux qui desireront voir d'où l'on doit prendre le iugement des sons, et de leur agreement, pourront lire la 6 question des Preludes de l'Harmonie, où ie determine si le sens de l'oüye doit estre le iuge de la douceur des Concerts, ou si cét office appartient à l'entendement : & puis i'ay rapporté beaucoup de choses sur ce sujet dans la premiere question Harmonique, dans laquelle i'examine fort amplement si la Musique est agreable, si les hommes sçauans y doiuent prendre plaisir, et quel iugement l'on doit faire de ceux qui ne s'y plaisent pas, ou qui la mesprisent. […] Quant aux raisons pour lesquelles les battemens d'air qui font les Consonances sont agreables, & ceux qui font les Dissonances sont des-agreables, ie les expliqueray dans le discours particulier de chaque Consonance, et dans celuy que ie feray de la Beauté & de la Proportion qui rend les choses agreables.
Les arts ne peuuent iamais mieux proceder que quand ils imitent la nature, dont les sciences considerent les actions : les noms qui expriment le mieux ses effets sont les mieux donnez, & les mieux imposez. Or les sons qui ne consistent que dans les mouuemens de l'air, ne peuuent mieux estre distinguez par aucune difference interne, ou qualité exterieure, que par le graue & l'aigu ; ce qui apporte vne grande confusion : car supposant vn ton graue, tous les autres tons iusqu'à l'infiny seront aigus, & supposant vn aigu tous les autres seront graues ; c'est pourquoy les Musiciens ont osté contraints de dire le second d'apres le graue ; comme le troisiesme, le quatriesme, le cinquiesme, le sixiesme, le septiesme, & le huitiesme. Ils eussent passé outre, comme les Arithmeticiens ont monté iusques à dix : mais considerans tous ces sons, ils ont trouué que le second d'apres le graue ne faisoit rien qui fust bon ; ils l'ont passé, & remarqué comme nuisible : ils ont trouué que le troisiesme se mesloit aisément auec le graue, & qu'en le tenant plus foible ou plus fort il auoit toujours de l'harmonie, & ont appellé le foible Tierce mineure, & le fort Tierce maieure. Ils sont venus à considerer le quatriesme son aigu d'apres ce mesme son graue, & l'ont trouué bon. Et puis ils ont consideré le cinquiesme qu'ils ont encore trouué meilleur, parce qu'il fait vn meslange plus parfait que le quatriesme, & plus ferme que le troisiesme : mais il ne peut estre plus haut ny plus bas qu'il faut. Ils ont aussi consideré le sixiesme, & l'ont trouué de mesme nature que le troisiesme, & qu'il pouuoit estre plus fort ou plus foible sans estre des-agreable, c'est pourquoy ils l'ont appllé Sexte mineure, & majeure.
Philolaüs Pythagoricien appelloit le nombre 8, Harmonie Geometrique, parce qu'il comprend toutes les raisons des simples accords, car la Sexte mineure estant de 5 à 8 n'a que 8 pour son plus grand terme ; ou plutost parce qu'il contient le plus plus grand systeme qui a trois Octaues, dautant que les anciens n'ont pas mis la Sexte mineure au nombre des accords.
Or pour parler comme il faut de l'Epinette, nous deuons considerer sa matiere, sa figure, ses parties, ses chordes, ses sons, son harmonie & son vsage tant ez concerts, que lors qu'elle est consideree toute seule, ce que nous ferons succinctement, & le plus clairement qu'il nous sera possible. Quant à la Matiere, il faut considerer trois choses aux Instrumens à chorde, & comme les Anatomistes diuisent le corps humain en la teste, au thorax & aux membres, dont la teste est le siege de la raison, & le domicile des sens, & le thorax est le lieu des parties vitales, aussi peut-on diuiser toute sorte d'Instrumens de Musique en corps, en table & en manche, comme font les ouuriers.
Le Corps du Luth est ce que l'on appelle les éclisses, le dos, ou la donte du Luth : mais en l'Epinette, c'est le coffre, qui se peut faire de toute sorte de bois : encore que l'experience & la raison ait appris aux ouuriers qu'il faut faire vne grande distinction entre les bois, parce qu'ils desirent d'estre employez & maniez diuersement, car les plus poreux, & les plus resineux, & qui par consequent tiennent plus de l'air, ont d'autres vsages en la fabrique des Instrumens que ceux qui sont plus denses, plus materiels & plus terrestres. Il faut donc que l'ouurier ait esgard à deux choses quand il fait les Instrumens, à sçauoir à l'harmonie ou resonance de l'Instrument, & à la force & solidité, qui sont deux choses qui demandent le bois contraire en qualité, car l'harmonie le demande delié, & consequemment fragile, & sujet à se dementir, & la solidité le demande espais & grossier, or ce qui est grossier est sourd.
Il faut dire la mesme chose de la longueur des chordes, dont la proportion est vn peu mieux gardee par les ouuriers, que celle de la grosseur, mais non parfaitement. Or il n'est pas besoin d'expliquer ces proportions plus particulierement, parce qu'elles dependent de la cognoissance du monochorde, dont nous auons desia parlé dans vn autre lieu. Et qui sçait la raison des degrez de l'octaue, à sçauoir d'vt, re, mi, fa, sol, &c. sçait la raison des grosseurs & des longueurs qu'il faut donner aux chordes ; par exemple, si la plus longue est de quatre pieds, la plus courte doit estre d'vn demy pied. Il faut dire la mesme chose de la Harpe, dont les chordes sont esgalement disposees, de sorte que l'on peut dire que l'Epinette est vne harpe couchee & renuersee, ou au contraire, que la harpe est vne Epinette renuersee quant aux chordes, car elles sont differentes quant aux autres choses : mais ie feray vn discours particulier de la longueur & grosseur que doiuent auoir les chordes de l'Epinette, & des autres instrumens pour rendre vne harmonie parfaite, & donneray deux tables pour ce sujet dans la suite de ce Liure.
Mais auant que de resoudre si l'on y peut ioindre le ieu des Violes, il faut considerer tous les ieux que l'on y pratique maintenant. Et premierement le ieu commun, qui est le fondement des autres, peut estre appellé ieu fondamental, auquel on adiouste quelquefois vn semblable ieu à l'vnisson, ou vn autre à l'octaue, afin de le rendre plus remply d'harmonie, & afin qu'il ayt vn plus grand effet dans les concerts & sur les auditeurs.
Quant à la Harpe, elle semble surpasser l'Epinette, en ce qu'elle retient les sons de resonnement plus long temps, car ses sons s'amortissent par le drap qui est pres de la plume, quoy que l'on puisse dire que ce resonnement de la Harpe nuit plustost qu'il ne sert à l'harmonie, si le ioüeur ne l'esteint auec ses doigts, ausquels suppleent les petits morceaux de drap de l'Epinette, qui a cela par dessus l'orgue, qu'elle ne depend point du vent ny des soufflets, qui contraignent les Organistes à auoir de l'ayde pour ioüer, dont l'Epinette n'a nullement besoin, car elle represente sans beaucoup de bruit tout ce qui se fait sur l'orgue ; & puis elle est plus aysee à toucher & à accorder, ioint qu'elle couste beaucoup moins.
Quant à l'vsage de l'Epinette, elle a cela d'excellent, qu'vn seul homme fait toutes les parties d'vn concert, ce qu'elle a de commun auec l'orgue & le luth : mais ces accords & ses tons approchent plus pres de la iuste proportion de l'harmonie qu'ils ne font sur le luth ; & l'on fait plus aysément plusieurs parties sur l'Epinette, que sur ledit luth.
Les chordes H N M sont attachees par vn bout aux petites pointes de fer que l'on void au long du dos sur la table E G M C, & de l'autre bout elles sont entortillees aux cheuilles de fer E F : mais leur longueur qui sert à l'harmonie est bornée & determinée par le cheualet E N, dont les deux bras font vn angle obtus, & L M monstre l'autre cheualet chargé de petites pointes qui bornent la longueur, & l'harmonie des chordes. G H fait voir les mortaises par où passent les sautereaux. Le P & l'O seruent de couuercle aux deux petits coffres, esquels on met les chordes, le marteau de l'Epinette, ou ce que l'on veut.
COROLLAIRE. Expliquer vne nouuelle forme d'Epinette dont on vse en Italie. Cette figure monstre la forme de l'Epinette D A B C E, dont il n'y a que 19 marches qui se voyent mais il ne faut pas prendre garde à ce nombre, ny à celuy des chordes, par ce qu'il suffit qu'elle serue pour en comprendre la construction. Or elle se tient perpendiculairement comme la Harpe, lors que l'on iouë : de sorte que les sautereaux K N viennent par vn mouuement parallele de derriere en deuant, lors qu'on pese sur les marches D M. Il n'y a point d'autre table que F H G, dont I est la Rose, car les chordes sont toutes perpendiculaires en l'air, de sorte qu'elles [p114] font vne tres-douce harmonie, quand le vent vient à les frapper, & qu'il ayde aux sons naturels que font les plumes des sautereaux. L'on peut faire vne infinité d'autres sortes d'Epinettes, dont ie laisse la recherche aux Facteurs, afin d'expliquer plus particulierement ce qui est en vsage, tant en la France, que dans les autres lieux de l'Europe Chrestienne.
Ie viens au couuercle E G F D [du manichordion], sur lequel l'on void vne Octaue grauee, laquelle est remplie de tous les degrez Diatoniques, Chromatiques, & Enharmoniques que l'on peut s'imaginer, ou qui peuuent seruir à perfectionner & augmenter l'harmonie, & les gentillesses des instrumens : car chaque ton y est diuisé en quatre dieses, & chaque demy ton en deux.
Il y a ordinairement quatre Octaues entieres sur l'Epinette, & vingt-neuf touches sur son Clauier, sans conter les Feintes, qui sont simples ou doubles : quand elles sont simples, il y en a cinq sur chaque Octaue, de sorte que l'Octaue de l'Epinette est diuisee en treize sons, chordes, ou marches : par consequent il faut que les treize chordes soient toutes differentes en longueur & grosseur, si l'on veut auoir vne parfaite harmonie […]
[…] & par ce qu'il y a quarante neuf marches en quatre Octaues [sur l'Epinette], il faut quarante neuf sortes de chordes, dont les longueurs & les grosseurs diminuent tousiours depuis la plus grosse iusques à la plus deliee, car bien que la tension puisse suppleer la longueur ou la grosseur, comme l'on experimente sur les Epinettes, les Harpes, & les autres instrumens à chorde, dont on vse maintenant : neantmoins l'harmonie sera plus parfaite, si l'on obserue les raisons harmoniques à la longueur, & à la grosseur des chordes.
Quant à la longueur [des chordes d'Epinette], elle approche plus pres de cette proportion, quoy que la difference de ces longueurs ne soit pas harmonique, car la chorde qui fait C fa vt, n'est pas sesquidixiesme de celle, qui fait D sol re, & celle-cy n'est pas sesquineufiesme de celle qui fait l'E la mi, &c. Quant à la grosseur, on obserue encore moins la proportion harmonique dans la difference des grosseurs, qu'en celle des longueurs, car les chordes de mesme grosseur seruent souuent à sept ou huict touches : au lieu qu'elles deuroient garder la mesme raison que les longueurs, pour rendre vne parfaite harmonie.
La table qui suit contient les grosseurs, & les longueurs que doiuent auoir les chordes ; mais il faut supposer la longueur, & la grosseur de la premiere, c'est à dire de la plus grosse, afin de regler toutes les autres sur elle. L'on peut aussi prendre la derniere, c'est à dire la plus deliee, & la plus courte pour fondement de l'harmonie, car l'on peut commencer par telle chorde que l'on voudra. Or la table qui suit, & qui suppose que la plus grosse chorde a 1/5 de ligne, & 5. pieds de longueur, comme a pour l'ordinaire la plus grosse chorde des Epinettes & des Clauecins, monstre la grosseur & la longueur de chaque chorde […]
Or ce que i'ay dit de la grosseur, & du diametre des chordes de l'Epinette, & de la Harpe dans ces deux tables, peut estre appliqué aux chordes du Luth, & des Violes, quoy que leurs chordes ne soient pas ordinairement differentes en longueur : car si l'accord des Violes va de Quarte en Quarte, la seconde doit estre moins grosse d'vn tiers que la premiere ; c'est à dire que si la premiere chorde a quatre parties de grosseur, la seconde en doit auoir trois ; & si l'accord [p123] estoit de ton en ton, comme dans la Gamme, ou de demy ton en demy ton, comme sur l'Epinette, la seconde chorde doit estre moins grosse que la premiere d'vne huictiesme, ou d'vne quinziesme partie ; c'est à dire que la diminution des grosseurs suit la raison des interualles harmoniques, si l'on veut que l'instrument rende vne parfaite harmonie, particulierement lors que l'on touche les chordes à vuide, comme l'on fait sur la Harpe, & sur l'Epinette, & quelquefois sur le Luth, sur la Viole, & sur la Guiterre.
Dabondant parce que la chorde n'a point de son qui puisse entrer dans l'harmonie en qualité d'agreable, ou de passable, qu'elle n'ayt pour le moins demy pied de long, il s'ensuit qu'elle doit estre 288 plus longue que large pour commencer à rendre de l'harmonie qui soit supportable ; & parce que ce nombre approche de 300, l'on peut dire que la longueur des chordes doit estre trecentuple de leur diametre pour faire leur premier son : finalement parce que les mesmes chordes peuuent faire des sons dont l'oreille peut iuger, encore qu'elles ayent 12 pieds de long, l'on peut dire que les chordes font des sons, qui ne surpassent pas la capacité de l'oreille, quand leur longueur est à leur diametre, comme 6912 est à 1. Et parce que ce nombre approche de 700, l'on peut mettre ce nombre pour les bornes de la longueur des chordes, par où l'on peut determiner quelle raison il y a de la longueur qu'elles doiuent auoir pour faire le meilleur son, auec leur plus grande & leur moindre longueur.
Mais l'œil n'est pas souuent assez subtil pour remarquer la fausseté de la chorde, & la main qui la treuue esgale en toutes ses parties, se trompe souuent : car si elle est plus molle ou plus dure, plus rare, ou plus dense & plus seiche, ou plus humide en vn lieu qu'en vn autre, elle ne rendra pas vn son esgal & vniforme, parce que le boyau dont la chorde est faite, n'est pas esgal en toutes ses parties, soit qu'il y ayt vne plus grande multitude de fibres dans l'vne que dans l'autre, ou que la faute vienne de la part de l'ouurier. Quant aux chordes qui sont toutes bonnes, & dont les vnes sonnent mieux sur de certains instrumens que sur les autres, cela peut arriuer à cause qu'elles sont mieux proportionnées aux vns qu'aux autres : de là vient que les plus grosses chordes rendent plus d'harmonie sur les grands Luths, que sur les petits ; & qu'il se rencontre ordinairement vne chorde sur chaque instrument, qui sonne mieux que toutes les autres, & qui a vn ton entre tous ceux qu'elle peut auoir par ses differentes tensions, ou ses differens racourcissemens ; qui surpasse tous les autres : ce qui arriue peut estre lors que la chorde est à l'vnisson de la table du Luth, & consequemment les meilleurs tons de ceux qu'elle fait apres doiuent estre à l'Octaue, & à la Douziesme de ladite table, ce qu'il faut entendre lors que la chorde est assez longue, car si elle estoit trop courte à proportion de sa grosseur, ou trop longue à proportion de ce qu'elle est mince & deliée, elle ne feroit pas ouyr le meilleur de ses tons, encore qu'elle fust à l'vnisson de la table du Luth, ou des autres instrumens.
Si ceux qui font aussi grand estat d'vne bonne chorde que de tout l'instrument prennent la peine de treuuer le ton de la table, i'estime qu'ils auront du contentement à comparer ces deux vnissons, & qu'ils aduouëront que l'vnisson est le plus puissant, & le plus excellent de toutes les consonances, comme i'ay prouué dans les liures de la Theorie, puis que l'vnion qui se fait du ton de la table auec celuy de la chorde rend vne harmonie rauissante, car il ne se fait quasi qu'vn mesme son des deux ; quoy que ie ne vueille pas reietter les autres raisons que l'on peut apporter de la bonté des chordes, par exemple que l'air enfermé dans le corps de l'instrument doit estre tres-bien proportionné à la longueur de la chorde, qui ne doit pas trouuer vne trop grande quantité d'air à esbransler, &c.
Or il est aysé de prouuer que l'instrument ayde à la bonté de la chorde, d'autant qu'elle n'est plus si bonne, quand elle est mise sur vn autre instrument d'esgale grandeur, quoy qu'il se rencontre d'autres chordes qui sont aussi [p137] bonnes sur cet instrument comme estoit la premiere chorde sur l'autre : mais si cette raison ne plaist pas à ceux qui touchent le Luth & l'Epinette, il leur est permis d'en chercher vne meilleure. Il faut cependant remarquer que l'on tient que la troisiesme chorde de la Viole est ordinairement la meilleure, & que l'on remarque semblablement la mesme difference de bonté dans les tuyaux de l'Orgue, dont il y en a quasi tousiours quelqu'vn qui surpasse tous les autres : mais i'en parleray plus amplement dans le liure de l'Orgue. Quant aux chordes, il est assez facile de remarquer leur meilleur ton en les touchant à vuide, ou en vsant des touches, & lors que l'on a le ton de la table, l'on peut experimenter si le ton de la chorde qui se fait auec les touches est meilleur que celuy qui se fait à vuide, ou à l'ouuert, quand celuy des touches fait l'vnisson, ou quelqu'autre consonance auec la table : quoy que le doigt, qui touche la chorde sur le manche, puisse souuent estre cause qu'elle ne sonne pas si bien qu'a vuide, car il est difficile de toucher si bien de la main gauche, que ce contact ne nuise pas dauantage à son harmonie, que si elle estoit touchée à vuide sur vn nouueau sillet.
D'où il s'ensuit que l'on sçaura combien de fois l'air est battu par chaque chorde en regardant cette table, car si l'on veut cognoistre le nombre des battemens de chaque chorde de l'vne des Octaues, par exemple de la Cinquiesme, qui monstre le nombre des retours, il faut prendre les nombres de la 6 Octaue, qui sont doubles de ceux de la 5, d'autant que i'ay desia dit que chaque periode de la chorde est composée du tour & du retour, & consequemment contient deux battemens d'air : mais si l'on prend l'vne des colomnes pour les battemens, & non pour les retours, la colomne precedente donnera le nombre des retours : par exemple, si la 6 colomne est prise pour le nombre des battemens, la 5. donnera le nombre des retours, qui sont tousjours [p142] la moitié de chaque nombre des battemens, de sorte que les deux colomnes qui se touchent, sont reciproques. Or puis que les nombres de ces 8. colomnes suiuent, ou contiennent les raisons des degrez de la Musique, l'on en peut vser pour composer telle piece que l'on voudra, comme nous nous sommes seruis ailleurs d'autres nombres, qui ont les mesmes raisons, pour le mesme sujet ; par dessus lesquels ceux-cy ont le priuilege de monstrer tous les [p143] retours de chaque chorde, & tous les battemens d'air, dont se forment les sons & la Musique, & consequemment ils sont plus propres pour expliquer la nature de l'Harmonie, que nuls autres nombres.
COROLLAIRE VIII Mais afin que l'on ne quitte pas ce discours sans en retirer quelque profit, il me semble que les Musiciens doiuent considerer que puis que les chordes qu'ils touchent, ne leur refusent iamais leurs mouuemens, & qu'elles obeyssent tres-promptement à leur volonté iusques à se rompre, quand il leur plaist, qu'ils doiuent imiter cette obeyssance si ponctuelle en suiuant la volonté de Dieu, & les bons mouuemens qu'il leur donne pour faire le bien & pour euiter le mal : car puis qu'il n'y a nul mouuement qui ne conduise au premier moteur, il est tres-raisonnable que les mouuemens, dont on reçoit de si grands contentemens, & d'où l'on tire vne si grande harmonie, nous menent à celuy, dont la Prouidence bat incessamment la mesure de l'harmonie de l'Vniuers, & gouuerne le grand concert de tout le monde, de peur qu'il soit dit dans l'Eternité que les Musiciens ont esté plus stupides & plus irraisonnables que les creatures inanimées, & qu'ils soient si mal-heureux que les chordes, dont ils ont tiré tant d'harmonie, seruent au grand iour du Iugement pour les lier & les affliger, s'ils ont si peu d'esprit & de iugement qu'ils ne rapportent pas l'harmonie de leurs chordes, & de leurs voix à la gloire de celuy qui seul merite les loüanges de toutes les Creatures, que le Prophete Royal exhorte à leur deuoir par ses dernieres paroles, omnis spiritus laudet Dominum.
Tout cecy estant fait, on barre la table [de l'Epinette] de 3 barres sur le derriere, dont l'vne se met en bas le long de la piece à mortaise entre le cheualet, & ladite piece : elle a vn pied de long & 3/4 de hauteur : les deux autres plus petites biaisent par derriere le cheualet, l'vne d'vn costé & l'autre de l'autre. On y colle encore vne autre grande barre de mesme longueur qui commence vis à vis du milieu du clauier, & va iusques à 10 sautereaux pres du bout d'en-haut, mais on y fait trois petites eschancrures dessouz, & deux aux moindres barres, afin qu'elles donnent plus d'harmonie à l'instrument. On met encore la piece de dessouz pour porter la table par le deuant vis à vis du clauier à la hauteur du tringlage : c'est pourquoy on la colle contre les coffrets, les triangles & le sommier, & on l'attache encore auec des pointes, afin qu'elle tienne mieux. Apres que l'on a placé les feintes & que tout est bien sec, on releue le clauier afin de nettoyer les barres & les marches, & de les polir auec de la presle, & de coller la table à demeurer ; & pour ce suiet on vse de poinçons & d'estraignoirs tout à l'entour pour la faire ioindre bien iustement : son espaisseur n'est que d'vne ligne. Quand elle est seiche, on y adiouste des moulures en haut & en bas : & puis on espace les pointes à tenir les chordes par leurs œillets, & les cheuilles du sommier pour les bander. On a aussi coustume de ratisser la table & de la polir auec de la Presle, ce que l'on fait semblablement au clauier.
Et puis qu'il faut limer lesdites cheuilles en tournant la lime en forme d'helice ou de vis, afin qu'elles tiennent mieux dans leurs trous, & qu'on les puisse tirer plus viste & plus aysément pour changer les chordes, & mille autres choses que l'exercice apprendra. Il faut seulement remarquer que l'vn des principaux secrets de l'Epinette consiste à barrer la table, dont la bonté depend de l'excellente barrure, qui a esté pratiquée en perfection par Anthoine Potin, & Emery ou Mederic, que l'on recognoist auoir esté les meilleurs Facteurs de France, ausquels les meilleurs Facteurs de maintenant, à sçauoir Iean Iacquet, le Breton, & Iean Denys ont succedé, lesquels sont excellents en leur art : & peut-estre que ce siecle en produira qui adiousteront de nouueaux secrets, & de nouueaux charmes aux instrumens : par exemple, l'on peut faire toucher les chordes par quelques corps qui imiteront la douceur des doigts, & l'harmonie du Luth : l'on peut imiter les battemens, le flattement & tous les autres charmes des autres instrumens sur l'Epinette, que quelques-vns montent de chordes de Luth, afin d'en rendre l'harmonie plus douce.
L'on peut encore rapporter à nostre temps l'inuention des tambours ou barillets, dont on vse pour faire ioüer plusieurs pieces de Musique sur les Epinettes sans l'industrie de la main, car les Allemands sont si ingenieux qu'ils font ioüer plus de 50. pieces differentes par le moyen de plusieurs ressorts, qui font mesme dancer des balets à plusieurs figures qui sautent & se meuuent à la cadence des chansons, sans qu'il soit besoin de toucher l'instrument, apres auoir bandé ses ressorts. Et ie ne doute pas que l'on ne puisse remplir vne ville toute entiere de Musique, de sorte qu'il n'y aura nulle maison qui n'ayt son harmonie, lors qu'on laschera quelque ressort, dont ie parleray peut-estre dans le liure des Orgues. L'on a semblablement inuenté des roüets harmoniques pour filer & pour deuider le fil, qui chantent ou se taisent quand on veut ; & chaque artisan peut mesler la Musique dans ses ouurages par le moyen des roües, des maniuelles, des pignons, des lanternes & de plusieurs sortes de ressorts, qui composent les Automates, que chacun nomme comme il luy plaist, par exemple Mador & Angelique. Quelques-vns font parler deux rangs de chordes auec vne seule plume d'vn sautereau, & d'autres emplument les sautereaux si delicatement que l'harmonie des chordes en est beaucoup plus rauissante, & ie ne doute nullement que l'on ne puisse encore adiouster plusieurs delicatesses, & plusieurs ieux aux Clauecins, dont la recherche appartient aux Facteurs.
Car pour vser de la sesquialtere, il faudroit que le frapper durast vne fois & demie autant que le leuer : ou au contraire, c'est à dire qu'il faudroit faire deux notes contre trois, & consequemment que la mesure fust composée de cinq notes, pour respondre à la raison du Diapente que l'on appelle Hemiolia : & pour faire la mesure triple qui respond à la Douziesme, il faudroit que le battement durast trois fois autant que le leuer, & que l'on feist trois notes contre vne : & finalement pour battre la mesure sesquitierce, il faudroit faire 4 notes en baissant, contre 3 notes en leuant, afin de composer la mesure de 7 notes, & d'imiter la raison du Diatessaron dans le temps. Et si l'on vouloit passer outre pour trouuer les deux Tierces, & les deux Sextes dans l'ordre des mesures & des diminutions, il faudroit faire cinq ou six notes en baissant contre 3, 4, ou 8 notes en leuant : ce qui n'est pas si malaysé que l'on ne puisse y accoustumer l'imagination & les doigts : & l'on en trouue desia quelques vns qui font tel nombre de notes que l'on veut en baissant contre tout autre nombre proposé en leuant. Mais le principal ornement depend du beau toucher, & de l'entretien que l'on fait des beaux chants qui doiuent perpetuellement seruir de sujet, tandis que l'on fait entendre les differentes parties, & les contre-batteries, autrement tout ce que l'on fait ressemble à vn corps sans ame, & à vn tintamare qui fait plus de bruit qu'il ne donne de plaisir à ceux qui cherchent la proportion dans l'harmonie, & qui preferent l'ordre à la confusion.
Or la perfection consiste particulierement à toucher de certains tons, & de certaines chordes si a propos que l'esprit de l'auditeur en soit charmé & rauy, & qu'il ne desire plus autre chose que d'aller au Ciel pour iouyr des plaisirs inexplicables que l'on a de voir Dieu tres-clairement, & pour ioindre l'harmonie de ses chants à celle des bien-heureux. Ce qu'il faut aussi entendre de tous les autres instrumens dont nous auons parlé, & dont nous ferons d'autres discours, car chacun a des graces si particulieres qu'il est difficile de sçauoir celuy que l'on doit preferer aux autres : quoy qu'il en soit ie donne icy la piece de Musique à 4 dont i'ay desia parlé, afin que l'on voye vne partie de ce que peut faire l'Epinette touchée des plus excellens Maistres ; elle peut semblablement estre ioüée sur la Harpe, puis qu'elle n'est qu'vne Epinette renuersée, c'est pourquoy ie ne donneray point d'exemple pour cet instrument ; & parce que le clauier de l'Orgue n'est pas different de celuy du Clauecin, il n'y a nul doute que les Organistes la peuuent toucher, quoy qu'il y ayt de certaines particularitez au toucher de l'Orgue qui ne sont pas à celuy de l'Epinette, comme ie diray dans vn liure particulier, dans lequel ie donneray vn autre exemple pour monstrer ce que peut faire l'Orgue, & ce qui luy est propre. Mais l'on ne peut apporter vne plus grande perfection à l'Epinette qu'en faisant durer ses sons autant que ceux de la Viole, ou de l'Orgue, & en rendant la diuision de son clauier, & de ses demy tons si iuste qu'elle responde à la Theorie.